I. Modules transdisciplinaires Ann Dermatol Venereol 2005;132:7S120-7S126 Module 9 : Athérosclérose, hypertension, thrombose Item n° 137 : Ulcère de jambe Objectifs pédagogiques – Diagnostiquer un ulcère de jambe. – Argumenter l’attitude thérapeutique et planifier le suivi du patient. L’ ulcère de jambe se définit comme une plaie cutanée chronique n’ayant pas de tendance spontanée à la cicatrisation. Il constitue, dans la majorité des cas (> 90 p 100), une complication d’une maladie vasculaire sousjacente souvent ancienne qui conditionne le pronostic et la conduite thérapeutique. Les autres causes d’ulcères comprennent les vascularites, certaines dermatoses neutrophiliques (exemple : pyoderma gangrenosum), des infections cutanées profondes mycosiques, parasitaires ou bactériennes (tuberculose, mycobactérioses), des carcinomes cutanés primitifs ulcérés et certaines hémopathies (syndromes myéloprolifératifs, dysglobulinémies). Les ulcères de jambes peuvent être invalidants et sont à l’origine de nombreuses hospitalisations. Il existe trois variétés d’ulcères d’origine vasculaire : – les ulcères d’origine veineuse, ou mixtes artérioveineux mais à prédominance veineuse (70-80 p 100 des cas) ; – les ulcères d’origine artérielle ou mixte artérioveineux mais à prédominance artérielle (20 p 100) ; – l’angiodermite nécrotique. ULCÈRES D’ORIGINE VEINEUSE Physiopathologie L’ulcère veineux est la phase tardive de l’évolution d’une insuffisance veineuse chronique. Celle-ci peut être secondaire à des varices avec reflux sur le réseau veineux superficiel ou d’origine post-thrombotique (reflux et/ou obstruction par thrombose mal reperméabilisée sur les troncs veineux profonds). Plus rarement, il s’agit d’une insuffisance valvulaire profonde primitive. L’hypertension veineuse due au reflux, plus rarement à l’obstruction, serait responsable de troubles de la microcirculation conduisant à une souffrance tissulaire avec anoxie (microangiopathie). Plusieurs hypothèses, qui ne s’excluent pas, ont été proposées pour expliquer l’atteinte de la microcirculation : piégeage leucocytaire, manchon de fibrine péricapillaire, hyperperméabilité capillaire… (tableau I). 7S120 Caractéristiques cliniques ULCÈRE L’ulcère veineux est de grande taille, à contours ovalaires ou en « carte de géographie », parfois circonférenciel, peu profond et spontanément peu douloureux (fig. 1). Le fond de l’ulcère peut être propre et bourgeonnant, de pronostic favorable ou au contraire atone, recouvert d’un enduit jaunâtre adhérent, voire croûteux ou surinfecté, purulent. Des bords souples, au même niveau que l’ulcère, sont de pronostic favorable, à l’inverse de bords durs et saillants. Habituellement, l’ulcère veineux est situé au niveau de la région sus-malléolaire interne et sur la face interne de jambe, mais il peut être périmalléolaire ou déborder largement sur la jambe. PEAU PÉRIULCÉREUSE En périphérie, la peau présente les stigmates de l’insuffisance veineuse chronique caractérisée la présence des troubles trophiques suivants qui peuvent s’associer chez un même malade. Lésions dermo-épidermiques (dermite de stase) Il s’agit de plaques érythémato-squameuses, prurigineuses, débutant souvent dans la région malléolaire interne et pouvant s’étendre au reste de la jambe. Elles sont improprement appelées eczéma variqueux (fig. 2). Lésions de capillarite La dermite ocre forme de larges placards malléolaires internes ou des faces antérieures des tibias. Rouge-violacé en phase initiale, ils deviennent rapidement bruns en raison des dépôts indélébiles d’hémosidérine. L’atrophie blanche correspond à l’obstruction des petits vaisseaux dermiques. Elle se manifeste par une plaque de petite taille, irrégulière, atrophique et de couleur ivoirine parfois parcourue de fines télangiectasies. Elle est souvent douloureuse et sa tendance à l’ulcération est très importante. Lésions d’hypodermite L’hypodermite aiguë ou subaiguë se manifeste par un tableau de grosse jambe rouge douloureuse et non fébrile, Ann Dermatol Venereol 2005;132:7S120-7S126 Ulcère de jambe d’apparition progressive. La lipodermatosclérose ou « botte sclérodermiforme » peut survenir à la suite de plusieurs épisodes d’hypodermite aiguë ou se constituer d’emblée, insidieusement. Le mollet est dur, la peau est scléreuse, souvent pigmentée et impossible à pincer réalisant au maximum une véritable guêtre rétractile sclérodermiforme. Associé aux troubles trophiques, un œdème d’origine veineuse peut être présent. Dans le cas du syndrome postphlébitique ancien, cet œdème de jambe devient chronique et dur. – l’existence ou non d’un reflux significatif (durée > 1 s) sur les troncs veineux superficiels (veines saphènes), au niveau des crosses de ces veines et au niveau des veines perforantes ; – l’existence ou non d’un reflux significatif sur les troncs veineux profonds, lié le plus souvent à un syndrome postphlébitique, ou parfois à une incontinence primitive ; – un syndrome obstructif profond, plus rare, témoin d’un processus thrombotique ancien et mal reperméabilisé. CONTEXTE CLINIQUE Traitement de l’ulcère veineux non compliqué L’ulcère veineux concerne le plus souvent la femme d’environ 70 ans, présentant un surpoids dans 30 p 100 des cas. L’interrogatoire rapporte la présence de symptômes fonctionnels et physiques témoignant d’une insuffisance veineuse essentielle ou post-thrombotique : lourdeurs et tensions douloureuses de jambe, aggravées par la station prolongée debout ou assise, œdème vespéral. En cas de syndrome postphlébitique, les antécédents avérés de thromboses manquent souvent et il faut savoir rechercher à l’anamnèse des circonstances favorisantes comme un alitement prolongé, une intervention orthopédique au membre inférieur, des grossesses multiples. EXAMEN CLINIQUE La recherche des varices des membres inférieurs se fait sur le patient debout par l’inspection et par la palpation. L’examen recherche aussi une ankylose de l’articulation tibio-tarsienne. Explorations paracliniques L’échographie Doppler des veines des membres inférieurs recherche les éléments suivants : Tableau I. – Physiopathologie de l’ulcère veineux au niveau microcirculatoire (donnée à titre indicatif). Théorie du piégeage leucocytaire : ralentissement du flux microcirculatoire avec activation des leucocytes au niveau de l’endothélium capillaire et relargage de cytokines (dont le TNF-D), de leucotriènes, d’enzymes protéolytiques, de radicaux superoydes, responsables d’hyperperméabilité capillaire et de souffrance capillaire et tissulaire. Théorie du manchon de fibrine péricapillaire : distension du lit capillaire avec fuite de fibrinogène qui se polymérise en formant un manchon de fibrine péricapillaire et une barrière à la diffusion des nutriments et de l’O2. Hyperperméabilité capillaire, d’où hémoconcentration capillaire, accentuation de la viscosité sanguine et microthromboses responsables d’une raréfaction capillaire. Autres mécanismes : inactivation de facteurs de croissance responsables du maintien de l’intégrité tissulaire, surcharge secondaire du réseau lymphatique aggravant les lésions, dégradation de la matrice extracellulaire par des métalloprotéinases. La raréfaction capillaire, quel que soit le mécanisme invoqué, est responsable d’une ischémie microcirculatoire localisée et de l’ulcère veineux. TRAITEMENT DE LA PLAIE ELLE-MÊME Il comporte trois phases (voir paragraphe « soins infirmiers de l’ulcère de jambe ») : la phase de détersion, la phase de bourgeonnement et la phase de réépidermisation. La validité de la prophylaxie antitétanique doit être vérifiée. MESURES HYGIÉNO-DIÉTÉTIQUES Il faut lutter contre la sédentarité et un régime adapté permettra de corriger un surpoids éventuel. Inversement, une dénutrition (albuminémie < 30 g/L) pouvant être à l’origine d’un retard de cicatrisation devra être corrigée. L’hygiène locale doit être parfaite. MOYENS PHYSIQUES DE LUTTE CONTRE L’ŒDÈME La contention est obligatoire et doit être, quel que soit le système choisi, de haut niveau (35 mmHg à la cheville). Elle peut être élastique ou non, fixe ou amovible. Elle s’oppose au reflux par un effet mécanique au cours de la marche et contribue à lutter contre l’œdème. La contention élastique est la plus utilisée. Elle devra être portée en permanence le jour et mise en place avant le lever. Elle fait appel aux bandages, aux chaussettes ou aux collants élastiques. Elle est contre-indiquée en cas d’index de pression systolique < 0,55 (voir plus loin) ou de pression distale < 50 mmHg à la jambe. La surélévation d’environ 10 cm des pieds du bas du lit facilite le retour veineux pendant le sommeil. La marche quotidienne, ainsi que des séances de kinésithérapie destinées à mobiliser l’articulation tibio-tarsienne sont des compléments thérapeutiques nécessaires pour la vidange de la pompe veineuse du mollet et de la semelle veineuse plantaire. CHIRURGIE La chirurgie des veines superficielles consiste en un éveinage, le plus souvent stripping-crossectomie éventuellement complété de phlébectomie. Elle est d’autant plus indiquée que le reflux est long, le calibre des varices important et le sujet jeune. Il peut aussi s’agir de la ligature de varices nourricières de l’ulcère et/ou de perforantes incontinentes. Une crossectomie seule sous anesthésie locale peut aussi être réalisée en cas de contre-indication à l’anesthésie générale. La chirurgie des veines superficielles est contre-indiquée s’il existe un syndrome obstructif sur les voies veineuses profondes. 7S121 Ann Dermatol Venereol 2005;132:7S120-7S126 Modules transdisciplinaires SCLÉROTHÉRAPIE PEAU PÉRIULCÉREUSE Elle est le plus souvent réalisée en complément de la chirurgie et chez les malades âgés pour lesquels la chirurgie est contre-indiquée. Elle peut aussi être utilisée en première intention. Elle est le reflet de l’insuffisance artérielle chronique, elle est froide, décolorée, lisse et dépilée. AUTRES TRAITEMENTS La crénothérapie est un traitement d’appoint. Les veinotoniques ne sont que d’un intérêt limité au stade d’ulcère constitué. Ils n’améliorent que les signes fonctionnels de l’insuffisance veineuse. Prévention La lutte contre la sédentarité, la prévention du surpoids et le traitement systématique des varices chez le sujet jeune contribuent à la prévention de l’ulcère veineux. La prévention du syndrome postphlébitique passe par le traitement préventif et curatif des thromboses dans les situations à risque (chirurgie, grossesses, etc.). La prévention de la récidive ulcéreuse passe par une hygiène cutanée rigoureuse, la limitation des traumatismes, le drainage postural nocturne, le port permanent et définitif d’une contention veineuse diurne et le maintien d’une activité physique (marche). Évolution L’ulcère par insuffisance veineuse superficielle, correctement traité, a un pronostic immédiat favorable, mais les récidives et la chronicisation sont possibles. L’ulcère postphlébitique a un pronostic plus péjoratif, la chronicisation et la récidive après guérison sont fréquentes. ULCÈRES D’ORIGINE ARTÉRIELLE Physiopathologie Les lésions cutanées observées sont la conséquence directe de l’ischémie par défaut de perfusion artérielle du membre. Caractéristiques cliniques ULCÈRE L’ulcération d’origine artérielle est unique ou souvent multiple, à l’emporte-pièce, de topographie suspendue (faces antérieure ou latérale de la jambe) ou distale (face dorsale du pied, orteils). Il est volontiers profond, dénudant rapidement les tendons sous-jacents (fig. 3). La douleur spontanée est constante, exacerbée par le décubitus : le patient dort souvent la jambe pendante en dehors du lit. 7S122 Contexte clinique L’ulcère artériel survient le plus souvent chez l’homme de plus de 50 ans. Des facteurs de risque vasculaire sont toujours présents, souvent associés : tabagisme, hypertension artérielle, diabète, obésité, dyslipidémie, antécédents artéritiques (coronaropathie, accidents vasculaires cérébraux). Examen clinique La notion de claudication intermittente, l’abolition de pouls, la présence de souffles sur les axes vasculaires confirment le terrain artéritique. Une onychodystrophie des orteils est fréquemment observée. Explorations paracliniques L’échographie Doppler artérielle va montrer, au niveau du membre atteint, le niveau et le type des lésions. Elle permet de mesurer l’indice de pression systolique (rapport de la pression systolique tibiale postérieure sur la pression systolique humérale : normale comprise entre 1 et 1,3). Cet indice baisse proportionnellement à la gravité de l’artériopathie. Elle est complétée par l’échographie abdominale à la recherche d’un anévrisme de l’aorte abdominale source d’embols vasculaires. L’artériographie est indispensable car elle oriente la décision opératoire. Elle précise le siège de l’oblitération, sa longueur, dépiste des plaques athéromateuses susceptibles d’emboliser. La mesure de la PO2 transcutanée est un bon reflet de l’oxygénation de la peau. Sa mesure est prise en compte dans la décision et le niveau d’une éventuelle amputation. Traitement Le traitement de l’ulcère artériel résulte d’une prise en charge multidisciplinaire à laquelle concourt, aux côtés du médecin, le chirurgien vasculaire, le cardiologue, le radiologue interventionnel. TRAITEMENT DE LA PLAIE ELLE-MÊME Le traitement infirmier est souvent douloureux, ce qui peut en limiter l’efficacité. Il répond aux mêmes principes que ceux prévalant pour l’ulcère veineux (se reporter au paragraphe « soins infirmier de l’ulcère »). La prophylaxie antitétanique doit être à jour. MESURES HYGIÉNO-DIÉTÉTIQUES Elles visent à corriger les facteurs étiologiques de la maladie artérielle. CONTENTION ÉLASTIQUE Contrairement à l’ulcère veineux, elle est contre-indiquée car elle majore l’ischémie distale. Ann Dermatol Venereol 2005;132:7S120-7S126 Ulcère de jambe CHIRURGIE ET RADIOLOGIE INTERVENTIONNELLE CONTEXTE CLINIQUE Traitement chirurgical L’angiodermite nécrotique survient principalement chez la femme de plus de 60 ans et sur un terrain d’hypertension artérielle instable et/ou de diabète. Le traitement chirurgical fait appel aux techniques de pontage à l’aide de greffons veineux ou prothétiques, d’endartériectomies. Des gestes d’angioplastie endoluminale avec ou sans pose de stent peuvent aussi être réalisés. Les indications chirurgicales sont prises en fonction des résultats des examens artériographiques et en fonction du terrain vasculaire général du patient. Traitement médical Il est représenté par les vasodilatateurs et les analogues de la prostacycline ; la prostacycline est indiquée en cas d’ischémie grave avec contre-indication chirurgicale. Prévention EXAMEN CLINIQUE La palpation de la zone périulcéreuse est très douloureuse. Les pouls périphériques sont habituellement conservés. EXAMENS COMPLÉMENTAIRES Ils vont montrer le plus souvent la normalité des grands axes vasculaires artériels et veineux, mettant tout au plus en évidence une athéromatose sans sténose serrée. Une biopsie cutanée profonde permettra d’éliminer une affection vasculaire inflammatoire (périartérite noueuse) ou, en association au bilan dysimmunitaire, des ulcérations liées à un syndrome des anticorps antiphospholipides (primitif ou secondaire à un lupus érythémateux), voire une exceptionnelle calciphylaxie. Elle résulte de la prévention et de la correction des facteurs de risque artériels. Traitement Évolution Si la restauration d’une circulation artérielle suffisante n’est pas possible et si les facteurs de risque artériel ne sont pas corrigés, l’ulcère s’aggrave, ce qui peut conduire à l’amputation ou à une surinfection de type gangrène. Dans les autres cas, l’évolution est favorable mais des récidives, liées à l’évolution du terrain artéritique, sont fréquentes. ULCÈRES PAR ANGIODERMITE NÉCROTIQUE Physiopathologie L’ulcère par angiodermite nécrotique résulte d’une microangiopathie non inflammatoire associée à un infarcissement artériolaire (artériolosclérose). En raison de la douleur intense, l’hospitalisation est la règle. Elle permet d’instaurer un traitement antalgique énergique qui peut faire appel aux antalgiques de grade II de l’OMS (tramadol, paracétamol codéïné) et même aux morphiniques. TRAITEMENT DE LA PLAIE ELLE-MÊME Le traitement infirmier est le plus souvent impossible à la phase aiguë en raison de la douleur intense provoquée par les soins locaux. Il se limitera, alors, à l’application de pansements gras (tulles vaselinés) et à des séances de détersion douce dans des bains. Une autogreffe de peau sous anesthésie locale permet une sédation rapide de la douleur et, le plus souvent, une cicatrisation en quelques semaines. MESURES GÉNÉRALES Il s’agit du contrôle d’une hypertension artérielle ou d’un diabète éventuellement associés. Évolution Caractéristiques cliniques ULCÈRE L’angiodermite nécrotique débute brutalement, souvent à la suite d’un traumatisme minime, par une plaque purpurique ou livédoïde qui évolue rapidement vers une nécrose noirâtre puis vers une ou plusieurs ulcérations superficielles qui peuvent confluer en un ulcère superficiel. Les bords sont irréguliers en « carte de géographie » et ont une coloration violacée, livédoïde, caractéristique (fig. 4). Elle a une localisation suspendue à la face antéro-externe de la jambe. La douleur est spontanément intense, entraînant la perte du sommeil et, souvent, une altération rapide de l’état général surtout chez la personne âgée. En l’absence de greffes précoces, le processus inflammatoire et l’ulcération s’étendent puis, après quelques semaines ou mois, une guérison spontanée survient. Les récidives sont fréquentes. COMPLICATIONS DES ULCÈRES DE JAMBE Retentissement général En raison de sa chronicité et des pansements fréquents qu’il nécessite, l’ulcère a un retentissement psychoaffectif et so7S123 Ann Dermatol Venereol 2005;132:7S120-7S126 Modules transdisciplinaires cial important et sous-évalué. La douleur des ulcères artériels et de l’ulcère par angiodermite peut entraîner des troubles du sommeil et de l’alimentation qui sont à prendre en compte dans la prise en charge globale du patient. Eczéma de contact Avant l’avènement des nouveaux pansements, c’était une complication fréquente des ulcères de jambe, surtout des ulcères d’origine veineuse en raison du grand nombre de produits topiques utilisés dans cette affection chronique. Il se manifeste sous la forme d’un érythème vésiculeux, prurigineux, limité au début à la zone d’application du produit mais pouvant diffuser à distance par la suite. Les principaux allergènes en cause sont le baume du Pérou, la néomycine, certains antiseptiques, la lanoline, les parfums et les conservateurs. Le diagnostic étiologique repose sur la réalisation de tests épicutanés adaptés (voir : Eczéma de contact). Le diagnostic différentiel avec une dermite de stase est parfois difficile en raison de l’intrication fréquente des deux mécanismes. Surinfection microbienne La présence de germes sur un ulcère est un phénomène non pathologique (colonisation) et ne justifie pas de prélèvements bactériologiques ni de traitement antiseptique ou antibiotique systématiques. Cependant, dans certains cas, l’ulcère peut représenter la porte d’entrée d’une infection cutanée patente. Il faut y penser devant : – un écoulement verdâtre ; – une odeur nauséabonde ; – une augmentation de la douleur locale ; – une inflammation des bords (symptôme et signe non spécifiques) ; – une lymphangite ; – de la fièvre. Il peut s’agir d’une dermohypodermite bactérienne, souvent un érysipèle lié à une infection streptococcique (voir : Érysipèle), d’une fasciite nécrosante, d’un tétanos (prévention systématique par vaccination chez les malades non immunisés), d’une gangrène gazeuse (anaérobies) au cours des ulcères artériels. Hémorragie Elle est surtout le fait des ulcères d’origine veineuse lors de la rupture d’une varice. C’est une hémorragie en nappe, non pulsatile. Elle est spectaculaire mais une simple compression prolongée avec surélévation du membre est généralement suffisante pour la traiter. Cancérisation Elle est rare, mais non exceptionnelle. Elle survient sur des ulcères très chroniques, évoluant depuis de nombreuses années. Les signes qui doivent y faire penser sont : – la chronicité de l’ulcère sans aucune amélioration malgré un traitement bien conduit ; – l’apparition de douleurs ; – l’hémorragie locale ; – le bourgeonnement excessif. Il peut être difficile de distinguer un ulcère cancérisé d’un cancer cutané primitif d’aspect ulcéreux. Le diagnostic est fait par la biopsie, souvent en plusieurs endroits de l’ulcère. La radiographie osseuse est systématique à la recherche d’une extension profonde. L’examen clinique recherchera une adénomégalie inguino-crurale, témoignant d’une extension ganglionnaire du carcinome. TRAITEMENT LOCAL DES ULCÈRES DE JAMBE En l’absence d’infection cliniquement patente, une antibiothérapie générale n’est jamais indiquée. En raison des risques de sensibilisation et du risque de sélection de germes virulents, les antibiotiques locaux ne sont pas, non plus, indiqués. Les antiseptiques peuvent être utilisés mais pendant une courte période uniquement, en raison du risque allergénique et de leur activité cytotoxique qui ralentit le processus de cicatrisation. Le traitement local de l’ulcère de jambe comprend trois phases. À chaque phase, la réalisation des soins locaux et leur efficacité sont étroitement subordonnées à une bonne coopération entre le médecin, le personnel infirmier et le patient lui-même. Phase de détersion Lésions ostéoarticulaires Les troubles vasculaires peuvent être à l’origine de modifications ostéoarticulaires très fréquentes. Il peut s’agir d’une périostite puis d’une ostéopériostite aboutissant à l’ankylose de la cheville. De plus, les positions antalgiques sont souvent à l’origine d’attitudes vicieuses parfois très difficiles à corriger. 7S124 Le soin débute par un nettoyage de l’ulcère réalisé à l’eau savonneuse ou, pendant une courte période, au moyen d’un antiseptique, par bains ou par toilettage. La détersion proprement dite a pour objectif d’enlever les débris cellulaires et croûteux accumulés à la surface de l’ulcère. Elle est avant tout mécanique, au bistouri, à la curette et aux ciseaux, éventuellement, et pendant une période limitée, sous couvert d’une anesthésie locale (crème Ann Dermatol Venereol 2005;132:7S120-7S126 Ulcère de jambe Emla) et d’antalgiques généraux, parfois même, en cas de douleurs trop importantes, sous anesthésie locorégionale. L’utilisation des crèmes protéolytiques est pratiquement abandonnée au profit des pansements de nouvelle génération. Ainsi, lorsque l’ulcère est sec, la détersion mécanique est complétée par l’application, dans le fond, d’un gel de cellulose (hydrogels). Il peut être laissé en place 48 h sous un pansement secondaire peu absorbant (plaque d’hydrocolloïde). À l’inverse, lorsque l’ulcère est exsudatif, il sera recouvert d’un pansement à base d’alginate de calcium ou d’hydrofibres. En cas de surinfection ou d’écoulements malodorants, on utilise des pansements au charbon actif ou à l’argent à changer quotidiennement. Phase de bourgeonnement Elle fait appel à l’utilisation de trois types de produits : – les tulles neutres, dépourvus de substances sensibilisantes telles que le baume du Pérou ou des antibiotiques ; – les plaques d’hydrocolloïdes ou d’hydrocellulaires qui peuvent être laissées en place jusqu’à 5 jours et qui permettent, par leurs propriétés de membrane semi-perméable, de favoriser le bourgeonnement en maintenant une humidité, un pH et un degré d’oxygénation optimaux ; – les alginates de calcium qui ont en plus une activité hémostatique. Phase de réépidermisation Elle fait appel au même type de produits que précédemment. Cependant, dans un nombre important de cas, il peut être proposé au malade la réalisation de greffes en pastille (fig. 5) ou en résille qui vont avoir un effet antalgique puissant et permettre de raccourcir la durée de cicatrisation. L’utilisation de substituts cutanés fait actuellement l’objet d’études. Les dérivés de facteurs de croissance (PDGF) utilisés localement, très coûteux, n’ont pas montré leur efficacité dans le traitement des ulcères veineux. Traitement de la peau périulcéreuse La peau périulcéreuse doit être protégée de la macération par l’application de pâte à l’eau en cas d’utilisation de pansement hydrocolloïdes adhésifs. Les lésions de dermite de stase sont nettoyées puis recouvertes de topiques gras ou de pâte à l’eau, voire d’un dermocorticoïde de niveau II ou III pendant quelques jours sous surveillance locale quotidienne. La contention veineuse, à condition que l’état artériel sousjacent le permette, favorise la régression des hypodermites inflammatoires. Les traitements locaux (drainage lymphatique, contention) ne peuvent que limiter l’aggravation de la lipodermatosclérose et les lésions de capillarite qui sont définitives. Points clés 1. La plupart des ulcères de jambe sont de cause vasculaire par hyperpression veineuse ou insuffisance artérielle. 2. Les ulcères les plus chroniques sont les ulcères post-thrombotiques. 3. La douleur et l’extension nécrotique sont les signes d’orientation vers une cause artérielle (ulcère artériel) ou artériolaire (angiodermite nécrotique). 4. Les modifications de la peau périulcéreuse sont plus fréquentes dans les ulcères de cause veineuse. 5. La surinfection et l’allergie de contact aux topiques utilisés sont les principales complications des ulcères veineux, hormis le risque de retard à la cicatrisation et de récidive après fermeture. 6. Le traitement chirurgical doit être envisagé en priorité dans les ulcères par insuffisance veineuse chronique superficielle, dans les ulcères de cause artérielle et dans l’angiodermite nécrotique. 7. La contention veineuse diurne est obligatoire, à tous les stades de l’ulcère d’origine veineuse. 8. La prise en charge d’un ulcère d’origine artérielle est multidisciplinaire. 9. Dans tous les ulcères, la vérification de la validité de la vaccination antitétanique est obligatoire. 10. Les moyens du traitement local doivent être adaptés aux trois phases évolutives successives de l’ulcère : détersion, bourgeonnement épithélialisation. 11 Une bonne hygiène de vie, la rééducation de la marche et le traitement des facteurs aggravants ou étiologiques (tabac, HTA, diabète,…) sont les compléments indispensables aux traitements spécifiques de l’ulcère artériel. 12. Pour l’exécution des soins locaux, la coopération entre le médecin, le personnel soignant et le patient est primordiale. 7S125 Ann Dermatol Venereol 2005;132:7S120-7S126 Modules transdisciplinaires Fig. 3. Ulcère artériel. Fig. 1. Ulcère veineux sus-malléolaire interne, à fond fibrineux. Fig. 4. Angiodermite nécrotique. Fig. 2. Ulcère veineux avec dermite de stase périulcéreuse. Fig. 5. Greffe en pastilles sur ulcère bien détergé et bourgeonnant. 7S126