1 Télésurveillance et télé-expertise en Hémodialyse : expérience de télésurveillance de Saint Brieuc Christophe Charasse Service de Néphrologie-Dialyse, Hôpital Yves Le Foll, Saint Brieuc Le vieillissement de la population d’hémodialysés, souvent porteurs de nombreuses Co morbidités, et d’abords vasculaires fragiles, leur souhait de bénéficier d’un traitement de proximité et la rareté de la ressource en néphrologues et/ou la nécessité d’utiliser cette ressource de manière optimale (au profit des consultations, des actions de prévention, d’information et d’éducation thérapeutique), bousculent l’organisation du traitement par dialyse dans les territoires de santé. Les progrès technologiques, le contexte réglementaire et la dynamique relative à la télémédecine permettent aujourd’hui de proposer à une partie de ces patients un traitement dans des Unités de Dialyse Médicalisées Télé-surveillées (UDMT) de proximité. Cette modalité de traitement complète les autres modalité susceptibles de répondre, différemment, aux besoins de cette nouvelle population, qu’il s’agisse de l’élargissement des indications de greffe, du déploiement de la dialyse péritonéale à domicile ou en institution, de la dialyse longue, de la dialyse quotidienne à domicile… L’objet de cette présentation est de décrire les modalités de fonctionnement de ces UDMT, leur intérêt et leurs insuffisances, en insistant sur l’apport télésurveillance des séances permise par télétransmission en temps réel des paramètres de dialyse. Le fonctionnement des UDMT repose techniquement sur trois dispositifs imbriqués entre eux : la visioconférence, la télétransmission des données de dialyse en temps réel, le dossier informatisé partagé entre UDMT et centre de référence. La téléconsultation lors de la séance de dialyse en UDMT s’appuie simultanément sur ces trois dispositifs qui nécessitent tous trois : - un environnement nécessairement sécurisé que nous ne détaillerons pas ici - leur mise en connexion dès l’ouverture de l’unité satellite afin de pouvoir intervenir en cas d’urgence - le support d’une équipe informatique en temps réel (avec dans notre établissement une procédure de gestion d’appel en ligne dénommée « Info15 » et un numéro de téléphone unique) - la formation continue des infirmiers travaillant dans ces unités - un plateau technique de proximité disposant d’un SMUR, et si possible d’un laboratoire de biologie et d’imagerie. ♦ La visioconférence : Conditions de fonctionnement en routine: • Bonne qualité audio visuelle • Mini transmissions inaugurales éventuelles entre soignants distants et soignants du centre de référence • Horaire de la téléconsultation en milieu de séance, quand les soignants distants sont libérés des branchements • Echange premier entre infirmiers distants et néphrologue • Visite des patients un par un, la visioconférence se faisant en trio (patient/infirmier/néphrologue) grâce à une station mobile et sauf demande expresse par le patient d’un entretien singulier. Points forts : • Convivialité 2 • • • • • Bonne acceptation y compris par les patients les plus âgés Confidentialité équivalente sinon meilleure qu’en visite traditionnelle, grâce à au micro-casque qui isole les interlocuteurs de leur environnement Equivalence entre les interlocuteurs de par leur position d’égal à égal devant une caméra et un écran Echange pluridisciplinaire apprécié par les patients (car ils sont partie prenante dans l’échange infirmier/médecin) et plus aisé qu’avec un simple téléphone Ce que confortent les enquêtes de satisfaction réalisées auprès des patients. Inconvénients et améliorations souhaitables : • Examen clinique incomplet ; il explique probablement en partie le taux de dialyse en repli (18 % de séances sur 5 années dans notre expérience), le patient étant rapatrié sur le centre de référence en cas de doute clinique. • Solidité perfectible des micro-casques qui sont utilisés intensivement et par de nombreux professionnels. ♦ Le dossier partagé: Conditions de fonctionnement en routine: • Intégration maximale des diverses applications − Dossier infirmier d’hémodialyse − Dossier médical du patient − Imagerie − Biologie − Logiciel de prescription médicamenteuse Intérêt : • Support commun garant de la transmission des informations, de la sécurité des patients, et du confort de travail des professionnels • Réalisation des prescriptions en ligne • Pas de redondances, pas de recopies • Accès aisé du patient à son dossier depuis l’UDMT Inconvénients et améliorations souhaitables : • Pas de signature électronique des ordonnances • Pas d’intégration des résultats biologiques du laboratoire distant : en dehors des bilans d’urgence, soit les prélèvements mensuels sont acheminés au laboratoire de Saint Brieuc pour être intégrés à sa base de données biologiques, soit le patients se fait prélever lors d’une dialyse trimestrielle au CH de Saint Brieuc ♦ La télétransmission des données de dialyse en temps réel: Conditions de fonctionnement en routine: • Connexion effectuée dès l’ouverture de l’UDMT et Néphrologue disponible • Réseau haut débit • Application logicielle spécifique (EXALIS, Bed Net,) pour la transmission des paramètres du générateur vers le dossier du patient 3 • • Support informatique efficace en temps réel (procédure d’appel en ligne) Ecrans multiples côté régie (centre de référence) : ceci permet de visualiser sur des écrans différents : le patient, ses paramètres de dialyse et son dossier ; ainsi idéalement 3 écrans simultanés sont nécessaires pour une meilleure convivialité, sinon le médecin se détourne excessivement de l’entretien avec le patient. Avantages : • L’accès aux paramètres de séance est le complément habituel d’une visite traditionnelle, non télé-surveillée, en hémodialyse • La visualisation instantanée d’une série de données présentées de manière graphique et ergonomique : − facilite la détection d’événements indésirables ou dérives ; par exemple, la visualisation simultanée des courbes de dialysance, de débit de pompe à sang effectif et des pression artérielle et veineuse de l’abord vasculaire, renseigne instantanément sur la performance de ce dernier (figure 1), de même celle des courbes de fréquence cardiaque, pression artérielle systolo-diastolique, perte de poids, variation de volémie et transfert de masse pour l’analyse hémodynamique (figure 2) − facilite le contrôle de l’exécution des prescriptions − facilite le contrôle de l’efficacité (figure 3) ou de l’inefficacité (figure 4) d’une prescription − facilite le contrôle de la qualité de la surveillance des dialyses par les infirmiers − conforte les soignants distants dans leur accompagnement − favorise la relation de confiance avec les patients qui se sentent étroitement suivis − permet d’analyser la séance ou un incident de séance avec l’infirmier sur un fait objectif et non sur une interprétation, une transmission orale ou la recopie d’une mesure − permet de partager les connaissances − facilite l’appropriation des outils, par les soignants : par exemple, en vue du suivi préventif des dialysances, des variations volémiques, ou de la dose de dialyse • Cette analyse en temps réel peut être complétée par l’analyse des historiques sur une période donnée (figure 5); présentés de manière ergonomique, ces historiques permettent de mieux détecter de minimes dérives (figure 6) ou bien de mieux confronter des paramètres les uns aux autres (figure 7). Difficultés rencontrées : • Pertes de données (rares) • Manque de temps médical pour une exploration exhaustive en routine • Présentation graphique imparfaite des données, obligeant à des manipulations consommatrices de temps (figure 8) voire source de mauvaise interprétation • Complexité des présentations graphiques et des tableaux de données lorsqu’on exploite des générateurs différents exportant des paramètres différents ou dans des formats différents : par exemple la volémie peut être 4 • indiquée en pourcentage ou en variation de la volémie de départ selon le générateur utilisé (figure 9) Complexité de l’analyse en rapport avec la diversité des données : intérêt des systèmes experts visant à sélectionner les événements critiques ou d’intérêt ; ainsi certains modèles pourraient aider la détection d’une sténose ou une thrombose de fistule artério-veineuse avec une bonne valeur prédictive (figure 10) Ce triple dispositif complète la consultation mensuelle réglementaire en face à face avec le patient, et s’enrichit d’une communication par messagerie pour les problèmes mineurs, des visioconférences ou des visites sur site par les cadre, médecins, biomédicaux, et, concernant les paramètres de dialyse, leur analyse médicale différée par le néphrologue. En effet avec l’expérience il s’avère plus pratique de mener cette dernière en dehors (ou en préparation) de la téléconsultation (ou de la consultation) car elle détourne le médecin du patient et immobilise les infirmiers lorsque elle est réalisée pendant celles-ci. L’effectif médical doit donc être adapté. En conclusion, la dialyse en UDM télésurveillée a permis au Centre Hospitalier de Saint Brieuc de proposer à une catégorie de patients sélectionnés mais non indemnes de Co morbidités, relativement âgées (âge médian de 74 ans pour les premiers 41 patients pris en charge dans ces unités) et, pour 25 % d’entre eux, traités sur cathéter, un traitement de proximité où diligenter des médecins néphrologue était impossible et consommateur de temps. Le dispositif technique utilisé (dialogue partagé via la visioconférence, dossier partagé, inspection partagée en temps réel des paramètres de dialyse) intègre au mieux ces unités déportées dans le centre de référence. Il ne répond pas à tous les besoins puisque les patients les plus lourds de certains secteurs restent tributaires de lointains déplacements. Décliné de manière diverse en fonction de la morbidité des patients traités, et selon qu’on privilégie le contact audiovisuel ou le suivi des paramètres de dialyse, il peut améliorer la prise en charge de patients hémodialysés dans d’autre type de structure comme l’autodialyse. Dans les UDM et pour des patients ayant le profil de ceux que nous y avons installés, le suivi en temps réel des paramètres de dialyse nous paraît indispensable compte tenu de la fragilité relative des patients traités, comme de leur abord vasculaire, qui implique un suivi préventif de leurs performances. De plus il a une vocation didactique vis à vis de soignants relativement isolés qui se savent ainsi non pas tant surveillés qu’accompagnés et sécurisés dans leur précieux exercice. 5 Fig. 1 : Surveillance de l’abord vasculaire : données instantanée d’une séance (logiciel SINED Medware) Fig. 2 : Confrontation des données hémodynamiques au cours d’une séance avec l’application Querywiew, SINED Medware (patient ici sous protocole Hemocontrol™) 6 Fig. 3 : Amélioration de la dialysance ionique après changement des aiguilles (Application Vascontrol) Fig. 4 : Souffrance d’une fistule artério-veineuse avec dérive des pressions et baisse de la dialysance ionique lors d’une tentative d’augmentation du débit de pompe (Application Vascontrol) 7 Fig. 5 : Historique par défaut d’un patient, affichant ici simultanément la courbe de 10 paramètres; on peut zoomer sur chaque graphique pour une meilleure analyse (Application Querywiew, SINED Medware): Fig. 6 : Dérive des pressions et dialysances ioniques en rapport avec une sténose de la fistule artério-veineuse (Application Vascontrol) 8 Fig. 7 : Amélioration progressive de l’état général d’un patient en retour de greffe, avec augmentation progressive de son « poids sec » ; confrontation à son évolution tensionnelle : Fig. 8 : Historique d’un patient sur 5 mois, chez lequel on a remonté progressivement le « poids sec » ; la variation de volémie per dialytique devient modeste, la tension artérielle reste normale. La présentation des mêmes résultats sous forme d’une droite régression (graphiques de droite) facilite l’appréciation de la tendance : Fig. 9 : Historique d’un patient sur 6 mois : variation de la volémie per dialytique. La courbe du haut affichée par défaut représente toutes les séances sur la période ; dans la 9 courbe du bas, les séances réalisées sur le générateur exportant les variations de volémie en % de diminution par rapport à la volémie de départ sont supprimées, donnant une courbe où seules subsistent les volémies estimées en % de la volémie de départ, rendant l’analyse plus aisée. 10 Fig. 10 : Principes d’un système expert pour la détection des sténose des fistules artérioveineuses (Application Vascontrol) : les innombrables mesures concernant les paramètres d’intérêt (ici pressions artérielle et veineuse, débit sanguin effectif et dialysance ionique) sont affectées d’un score tiré des observations cliniques ; un réseau Bayesien dynamique simulant l’analyse humaine permet d’établir un algorithme qui pourrait déclencher des alertes selon des critère prédéfinis. Des relations de cause (ici les dérives des paramètres d’intérêt) à effet (ici la thrombose ou sténose de fistule) sont probabilisées à partir de l’observation (1) 11 Haemodialysis with on-line monitoring equipment: tools or toys? Locatelli F, Buoncristiani U, Canaud B, Köhler H, Petitclerc T and Zucchelli P, Nephrol Dial Transplant (2005) 20: 22–33 A decision support system for the monitoring of patients treated by hemodialysis based on a bayesian network Smaili C, Rose C and Charpillet F _EMBEC http://hal.inria.fr/docs/00/04/10/90/PDF/ArticleEMBEC.pdf Apport d’un système expert dans la définition du poids sec. Chanliau J, Rose C, Vega L, Charpillet F. In: XXXIVèmes Séminaires d'Uro-Néphrologie. Paris, éd. Association Uro-Néphrologique de la Pitié Salpêtrière ; 2009, p. 43-47 Automatic Evaluation of Vascular Access in Hemodialysis Patients. Rose C, Béné B, Charpillet F, Chanliau J. In Proceedings of the XXXVII European Society for Artificial Organs Congress - ESAO’10, Skopje, R. Macedonia, sept. 2010 Int J Artif Organs. 2010 Jul; 33(7): 422-90 « Etude clinique rétrospective d’un système expert d’évaluation de la fistule artério-veineuse » Stanescu C, Boulahrouz R, Charasse C, Leonetti F, Le Cacheux P, Potier J, Bene B: 14ème réunion commune de la Société de Néphrologie Francophone de Dialyse, 2-5 octobre 2012, GENEVE (Communication affichée) Nephrol Ther 8 (2012) AD 35 p. 310