«J’ai dû lire
Le Château
au moins une
dizaine de fois. J’adore son côté drôle
et cruel, son regard impitoyable sur ce
qu’est, au fond, notre société, celle du
temps de Kafka mais, plus encore et de
façon prémonitoire, celle d’aujourd’hui,
celle d’une Europe frileusement
agrippée à son château administratif
: que personne n’entre; ou, si on vous
laisse entrer, soyez sûr qu’on vous aura
à l’œil, permis de séjour à renouveler,
tracasseries permanentes, dehors si vous
ne justiez pas d’un boulot ou si vous ne
marchez pas comme on vous ordonne de
marcher.
Bref, l’histoire de K. se passe ici et
maintenant. Surtout quand Bruno
Thircuir décide de la montrer au théâtre
avec Alphonse Atacolodjou dans le rôle
du personnage.
Il me semble aussi que cette histoire est
écrite comme un grand rêve –
on n’arrête pas de dormir dans le roman:
K. rêve qu’il parvient dans une étrange
société, un village minutieusement
régi par les fonctionnaires du château
qui le domine (mais avec combien de
failles et de contradictions, à force
de multiplier les strates de cette
gigantesque administration !) ; comme
dans les rêves, tout ce qui s’y produit
est drôle, burlesque, invraisemblable;
pire, tout tourne vite au cauchemar : on
ne veut pas de K., la place qu’on lui a
promise n’existe pas, il ne rencontre que
des fonctionnaires sans pouvoir véritable
(pour le coup, le «kafkaïen» brille là de
tous ses feux) toujours comme dans nos
rêves les plus absurdes, lui-même s’ingénie
à tout faire pour que ses tentatives soient
vouées à l’échec ; il bénécie pourtant de la
bienveillance de quelques-uns, des femmes
surtout, mais nit par s’attirer les reproches
de chacune d’elles ; il tombe même sur un
fonctionnaire qui veut l’aider mais s’endort
au moment précis où il devrait saisir la
balle au bond ; il se montre arrogant ; il est
à chaque fois au mauvais endroit...
L’adaptation du château par paul emond