Compositio Mathematica 110 (1998), 239–250.
c
1998 Kluwer Academic Publishers.
Sur la r´epartition des valeurs
de la fonction d’Euler
Michel Balazard & G´
erald Tenenbaum
Received : 7 August 1996 ; Accepted in final form : 29 January 1997
Mathematics Subject Classification (1991). 11N25, 11N37, 11L07.
Abstract. Let Φ(x) denote the number of those positive integers nwith ϕ(n)x, where ϕ
denotes the Euler function. Improving on a well-known estimate of Bateman (1972), we show that
Φ(x)Ax R(x),where A=ζ(2)ζ(3)(6) and R(x) is essentially of the size of the best available
estimate for the remainder term in the prime number theorem.
Key words. Euler function, exponential sums, Vinogradov method, prime number theorem,
shifted primes, Vaughan’s identity.
1. Introduction
Il est bien connu que la fonction d’Euler ϕ(n), ´egale au nombre des r´esidus
inversibles modulo nest usuellement de taille comparable `a n.Ona
{eγ+o(1)}n/ log2nϕ(n)n(n→∞),(1)
o`uγesigne la constante d’Euler, et les valeurs de npour lesquelles ϕ(n)/n est petit
sont rares. On peut exprimer rigoureusement ce ph´enom`ene, sous forme probabiliste,
en ´enon¸cant que la fonction ϕ(n)/n poss`ede une loi de r´epartition limite : c’est le
th´eor`eme de Schoenberg (1928) [10]. Cependant, il est naturel d’attendre que le
rapport ϕ(n)/n se comporte de mani`ere plus r´eguli`ere en moyenne, autrement dit
que la fonction
Φ(x):=
ϕ(n)x
1
soit asymptotiquement tr`es proche d’un fonction lin´eaire de x. Ce probl`eme, abord´e
depuis plus de cinquante ans, poss`ede une histoire econde sur le plan de la
ethodologie, o`u, comme pour le th´eor`eme des nombres premiers, les m´ethodes
´el´ementaires et analytiques ont entretenu une passionnante ´emulation r´eciproque.
Erd˝os et Tur´an ont montr´e en 1945 (cf. [5]), comme un corollaire simple du
th´eor`eme de Schoenberg, que
Φ(x)Ax (x→∞),
pour une constante convenable A. Un argument ab´elien appliqu´e`alas´erie de
Dirichlet
(1) F(s):=
n=1
1
ϕ(n)s=ζ(s)G(s)(σ:= es>1)
1. Ici et dans la suite nous d´esignons par logkla k-i`eme it´er´ee de la fonction logarithme.
2Michel Balazard & G´
erald Tenenbaum
avec
G(s):=
p1+ 1
(p1)s1
ps(σ>0),
fournit alors la valeur
A=G(1) = ζ(2)ζ(3)
ζ(6) .
En 1972, Bateman [3] a entrepris l’´etude du terme r´esiduel
Δ(x):(x)Ax.
Il a d’abord montr´e que le probl`eme peut ˆetre plong´e dans la th´eorie des nombres
premiers g´en´eralis´es de Beurling : l’´etude de Φ(x) se ram`ene naturellement `a celle
du nombre des entiers g´en´eralis´es n’exc´edant pas xlorsqu’on choisit pour nombres
premiers de Beurling les nombres premiers translat´es p1. Il s’agit de la version
ab´elienne du probl`eme originel de Beurling, qui envisageait plutˆot de d´ecrire la
epartition des nombres premiers `a partir de celle des entiers. Un th´eor`eme g´en´eral
de Diamond fournit alors, grˆace `a la majoration de Vinogradov–Korobov pour le
terme d’erreur du th´eor`eme des nombres premiers,
(2) Δ(x)xe(log x)c
pour toute constante c< 3
8.
Cela ´etant, la forme particuli`ere des nombres premiers en´eralis´es intervenant
ici permet une ´etude directe par voie analytique. La relation (1) fournit un
prolongement analytique de F(s) au demi-plan es > 0 dont la seule singularit´e
est un pˆole simple, de r´esidu A,ens= 1. Bateman ´etablit facilement la majoration
(3) G(s)exp{50|τ|1σlog2|τ|}
pour |τ|8,1
3σ1.(2) Il en d´eduit, `a l’aide de la formule de Perron, l’estimation
plus fine
(4) Δ(x)xeclog xlog2x
pour tout c<1/2.
Malgr´e la simplicit´e de la preuve de Bateman, il a sembl´e difficile d’am´eliorer
(4) pendant plus de deux d´ecennies, et la recherche s’est orienee vers d’autres
techniques. Ainsi Nicolas en 1984 [8], puis Smati en 1989 [11] ont explor´e les
possibilit´es offertes par une m´ethode ´el´ementaire de pond´eration logarithmique,
obtenant successivement les estimations Δ(x)x/ log xet Δ(x)x/(log x)2.
Balazard et Smati ont montr´e en 1990 [2] que l’on pouvait retrouver exactement la
majoration (4) par une autre m´ethode ´el´ementaire, reposant sur la d´ecomposition
canonique n=ab o`u les facteurs premiers de asont tous yalors que ceux de b
sont >y.
Enfin, Balazard [1] a r´ecemment ´etabli que l’estimation (4) est valable pour toute
constante c<2. La m´ethode employ´ee est ´egalement ´el´ementaire et fond´ee sur une
2. Ici et dans la suite la lettre sesigne une variable complexe et nous efinissons
implicitement les variables r´eelles σet τpar la relation s=σ+ .
Sur la r´epartition des valeurs de la fonction d’Euler 3
application du th´eor`eme de Diamond dans le probl`eme ab´elien de Beurling. Il est
cependant `a noter que cette application est de nature diff´erente de celle de Bateman
et, en particulier, qu’elle est ind´ependante du th´eor`eme des nombres premiers.
Posons
L(z) := exp (log z)3/5
(log2z)1/5(z3).
Nous nous proposons ici d’´etablir le r´esultat suivant.
Th´eor`eme 1. Il existe une constante positive atelle que
Δ(x)x/L(x)a.
Notre approche est analytique et repose fondamentalement sur une am´elioration
de la majoration (3) de Bateman. Posant
β(T) = (log T)2/3(log2T)1/3(T3),
nous obtenons dans cette direction l’estimation suivante.
Th´eor`eme 2. Il existe une constante κ>0telle que l’on ait
G(s)(log T)4/3(log2T)2/3
pour σ1κβ(T),T=|τ|+3.
Remarque. On peut obtenir par la mˆeme m´ethode une majoration directement
comparable `a celle de Bateman : il existe des constantes Cet D,avecD>0
telles que, pour tout σ0]1
2,1[, on ait
G(s)(log T)4/3(log2T)2/3exp CT1σ(T)
uniform´ement pour σ0σ1, avec T=|τ|+ 3. Seule la forme apparaissant dans
le th´eor`eme 2 nous sera utile dans ce travail.
Le Th´eor`eme 1 d´ecoule du Th´eor`eme 2 par int´egration complexe `a partir de la
formule
(5) x
1
Φ(u)du=1
2πi b+i
bi
ζ(s)G(s)xs+1 ds
s(s+1) (b>1)
et en utilisant la croissance de Φ(u) pour d´eduire une estimation de Φ(x)`a partir de
celle de (5). Nous omettons les d´etails, qui sont expos´es, pour une situation g´en´erale
tr`es voisine, dans la d´emonstration du th´eor`eme II.5.3 de [12].
Il est assez facile de voir que le probl`eme de la majoration de G(s) se ram`ene `a
celui de sommes d’exponentielles du type
SN=
M<pN
(p1)
avec M<N2Met |τ|grand en fonction de M. Pour ce faire, nous avons recours
`a des arguments diff´erents selon la taille de |τ|. Lorsque
(6) log(|τ|/M )(log M/log2M)1/3,
4Michel Balazard & G´
erald Tenenbaum
une technique d’int´egration complexe permet de majorer SN`a partir des estimations
de Vinogradov–Korobov pour la fonction zˆeta de Riemann. Cela est rendu possible
par le fait que, pour ces valeurs de τ, l’approximation de (p1)par pest, en un
certain sens, pertinente. Lorsque (6) n’est pas r´ealis´ee, nous exploitons le fait que les
comportements de (p1)et psont effectivement dissemblables en consid´erant
SNcomme une somme d’exponentielles du type pe2πif(p)relative `a une fonction
eguli`ere fsuffisamment ´eloign´ee d’une fonction additive pour que la ethode de
Vaughan soit applicable. Le probl`eme est ainsi transform´e en celui de majorer non
trivialement des sommes d’exponentielles du type
Rjk(M)=
M<nNkn 1
jn 1
pour certaines valeurs relatives de k, j, N et τ. Nous employons `a cette fin un
esultat de Karatsuba obtenu par la m´ethode de Vinogradov.
Notre r´esultat n’est sans doute pas optimal. Erd˝os a conjectur´e que (2) est valable
pour tout c<1 et l’on pourrait effectivement obtenir un tel esultat si l’on disposait
de majorations pour SNcomparables `a celles que l’on peut d´eduire de l’hypoth`ese
de Riemann pour la somme
ZN=
M<nN
n,
portant sur des entiers ordinaires. Tous les r´esultats arithm´etiques actuellement
disponibles concernant les nombres premiers translat´es concourent effectivement
`a l’id´ee que ces entiers se comportent statistiquement comme des entiers pairs
ordinaires. Il reste que l’estimation de SNest a priori plus elicate que celle
de ZN, et que les meilleures estimations connues sur cette derni`ere quantit´ene
permettraient pas, appliqu´ees `a SN, d’am´eliorer par cette m´ethode notre majoration
de Δ(x).
Dans la direction oppos´ee, Pomerance [9] a consid´er´e les grandes valeurs de
N(m):=|{nN:ϕ(n)=m}|
et ses r´esultats entraˆınent que Δ(x)=Ω(xE+o(1))avecE=11/(2e). Il d´eveloppe
d’autre part un argument heuristique tr`es convaincant en faveur de l’assertion
Δ(x)=Ω(x1(1+o(1)) log3x/ log2x).
2. Sommes d’exponentielles
Nous ferons un usage crucial du th´eor`eme suivant, dˆu`a Karatsuba [7], que nous
´enon¸cons sous une forme l´eg`erement moins g´en´erale que l’original.
Lemme 0 (Karatsuba). Soient PZ,Q Z+,etgCK([P, P +Q],R),
avec K3. On suppose qu’il existe des constantes cj(1 j5) erifiant
0<c
3<c
2<c
1<1,0<c
4<c
5<1, telles que
(7) |g(K)(u)|
K!Qc1K(PuP+Q),
Sur la r´epartition des valeurs de la fonction d’Euler 5
(8) Qc2|g()(u)|
!Qc3(PuP+Q, c4Kc5K).
Alors il existe des constantes positives Aet γ,ned´ependant que des cj, telles que
(9) max
Q1Q
P<nP+Q1
e(g(n))AQ1γ/K2(Q1).
Nous utilisons ce r´esultat sous la forme suivante.
Lemme 1. Soient PZ,QZ+,etgC([P, P +Q],R)tels que l’on ait pour
des constantes convenables b0,b
1avec 0<b
0<1<b
1,δ>0,
D/(b1Q)|g()(u)|/!D/(b0Q)(1,PuP+Q)
o`uDQδ. Alors il existe des constantes positives Q0=Q0(b0,b
1),A=A(δ)et
c=c(δ)telles que
(10) max
Q1Q
P<nP+Q1
e(g(n))AQ exp c(log Q)3
(log D)2(QQ0).
emonstration. C’est un corollaire imm´ediat du Lemme 0, aussi nous nous con-
tentons de quelques indications. Soit ϑun param`etre positif assez petit. D´efinissons
K=K(ϑ, Q, D) comme l’unique entier tel que Q2ϑ2(K1) D<Q
2ϑ2K. Les
hypoth`eses effectu´ees impliquent
D/(b0Q)KQ(14ϑ2)K,
D/(b0Q)Q(15ϑ),
D/(b1Q)Q(1ϑ)
(1
2ϑK ϑK)
d`es que QQ1(ϑ)et4ϑ2δ, de sorte que DQ4ϑ2et K3. Le Lemme 0
nous permet alors de majorer le membre de gauche de (10) par ϑQ1γ/K2avec
γ=γ(ϑ). Cela fournit bien l’in´egalit´e annonc´ee.
On pose
SM(τ) := sup
M<N2M
M<nN
Λ(n)(n1).
Lemme 2. Il existe une constante c0>0telle que l’on ait
(11) SM(τ)M1c0β(T)+M
T+ML(M)c0
pour M3et T:= |τ|+3M1+c0β(M)=Mexp c0log M
log2M1/3.
emonstration. En utilisant la r´egion sans z´ero de Vinogradov–Korobov
{s:|τ|11c1β(T)},
et la majoration ζ(s)(s)log Tvalable dans le eme domaine, on ´etablit par
la m´ethode standard d’int´egration complexe (cf. par exemple la d´emonstration du
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