JANVIER 2012 56 PRATIQUES
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DOSSIER
Je suis médecin. Je soigne des personnes malades. J’en vois mourir quelques unes. J’en vois
d’autres souffrir, interminablement. J’écoute. J’examine. Je cherche. Je tâtonne. Je me perds.
J’avance dans l’obscurité de la parole humaine. Je doute.
Pourtant, je prescris. Je donne des consignes. J’indique des marches à suivre. Jétablis des
calendriers. Je surveille la croissance des nourrissons. Je dépiste. Je vaccine. Quelquefois, je
protège. Et surtout, j’hésite. Rien. Rien de ce que je fais ne ressemble à une performance. En
trente ans de médecine, je n’ai jamais accompli la moindre performance.
Je ne suis pas trapéziste. Je ne fais pas de triple salto sur la glace. Je ne suis pas conductrice de
formule un. Je ne suis pas en compétition. Au contraire, j’interroge ceux qui en savent plus
que moi. J’ai besoin de leurs réponses. Je tiens des dossiers. Des dossiers papiers. Des dossiers
informatiques. Des dossiers qui racontent des histoires. Des histoires qui n’en finissent plus,
qui se répètent et se confondent, avec lesquelles je vis et dont je suis construite. Je m’y perds,
mais je m’y retrouve.
J’essaie de me tenir informée. Je me recycle. Je ne reçois pas de visiteurs médicaux, parce que
je refuse que l’on vienne me vendre des médicaments à domicile. Je ne suis pas un débouché
commercial. Quand on me propose de me payer à la performance, je pense d’abord qu’il
s’agit d’une erreur. On m’a confondue avec un trader, un banquier ou un footballeur.
Et puis, c’est l’obscénité de ces mots qui me saute aux yeux. Ces mots me salissent. Ces mots
me défigurent. Ces mots m’empêchent de soigner. Si je peux encore aujourd’hui accueillir et
rechercher des signes, prendre le temps d’établir avec mes patients non des règles standards,
mais des priorités singulières, c’est parce que le soin relève de l’intime. Le soin n’est pas l’ad-
dition d’une série d’injonctions gestionnaires, morales, politiques, que je serais chare de
mettre en œuvre. Le soin s’adresse à des personnes malades ou fragiles qui sont le plus sou-
vent en arrêt de travail par nécessité, au chômage ou en grande difficulté, pour la plupart dans
un espace de non performance absolue qui est le cœur de mon métier, qui requiert à lui seul
toute mon attention et toute ma pertinence. L’exercice médical consiste à donner de la liberté
au vivant et non à le mettre sous contrôle. Sans cet espace de liberté, il ny a pas de soin.
Comment pourra-t-on m’évaluer sur ce que je ne fais pas, sur ce que je ne suis pas ?
Aquand le paiement à la performance des instituteurs qui pourront faire la preuve que 50 %
des enfants savent épeler les dix premières lettres de l’alphabet ?
A quand le paiement à la performance pour les éducateurs qui pourront présenter en fin
d’année un quota d’enfants handicapés capables de bien se tenir en toutes circonstances ?
A quand le paiement à la performance des journalistes, des intellectuels et des artistes qui pro-
duiront en série des œuvres ou des analyses politiquement correctes ?
A quand la prime aux travailleurs sociaux qui auront repéré un maximum de fraudeurs parmi
les bénéficiaires du RSA ?
A quand la prime à l’analphabétisme politique et à la vulgarité sociale, à quand la mise au pas
de tout ce qui est vivant et libre ?
Je cuse les conventions obscènes qui aliéneraient ma liberté et mon intégride médecin
praticien.
Je refuse la prime à la performance du vivant.
Noëlle Lasne, médecin
ÉDITORIAL
La performance du vivant
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PRATIQUES 56 JANVIER 2012
SOMMAIRE
Lalimentation entre
DOSSIER
Entre attention à l’intime, respect de l’environnement, indépendance face au lobby
agroalimentaire : la nutrition comme une autre manière d’envisager le soin.
Eloi Valat, dessinateur
L’intime et le lien
Isabelle Darnis
Une tête et un ventre au carré
Y a-t-il une diététique derrière les chiffres
et les aliments mis en colonnes des rations
alimentaires ?
Danièle Stordeur
De très vieux condiments
Johanna Martin
La cuisine des internautes
Paul Ariès
Pour une restauration responsable
Quel impact des choix alimentaires dans le
débat des questions environnementales ?
Léna Ferri
Cuisine
versus
Technique culinaire
Le BTS Diet aborde la manière de cuisiner
à sa manière, désignée sous le nom de
« techniques culinaires ».
Paul Aries
La haine du gras
Retour sur la genèse de cet anathème
culinaire...
Isabelle Canil
La cuisine
Marion T.
Journée d’une apprentie en pâtisserie
Entretien avec Marion M.
De la cuisine
Entre création et hiérarchie, un
témoignage vécu du travail en cuisine.
Léo B.
L’envie de cuisiner
Léo S.
Cuisinier, le métier que je veux faire
Jacques Paul
Se restaurer…
La restauration dans une structure
d’accueil sociale et éducative, vécue par
un acteur du terrain.
Jonathan Zaffiran
Sodexho, l’hôpital du futur
Une barquette en plastique avec de la
cuisine d’assemblage, et en face un patient
à l’hôpital...
Noémie Molites
Souvenirs de cantine
Claire Martin-Lucy
De mère en fille
Chandra Covindassamy
Et les reste !
Des questions posées par le statut des
restes alimentaires suscitent un dialogue.
Alain Caillé
Les repas comme un don
Quand la mode de la cuisine est, elle aussi,
contaminée par le néomanagement.
Ne plus tout avaler
Paul Scheffer
To be or not lobbies ?
Quelle indépendance des professionnels
dans le champ de l’alimentation ?
Et quels enjeux ?
A propos des protéines
Sylvain Duval
Diète méditerranéenne et santé
Françoise Ducos
Cholestérol et traitement fétiche
Sylvain Duval
Le grand méchant cholestérol
Le Bon, le Mauvais et les Truands :
introduction à la controverse actuelle
autour du cholestérol.
Léna Ferri et François Pot
Quel esprit critique avec le BTS Diet ?
Le BTS diététique, une formation, une
conformation ou une déformation ?
La question se pose !
Thierry Souccar
Le beurre et l’argent du beurre…
« Les produits laitiers, nos amis pour la
vie » ? C’est peut-être vite dit !
Didier Ménard
La colo et la balance
Martine Lalande
On sait dé
Isabelle Robard
Etat des lois de l’information publique
Dix ans après la loi du droit des malades,
où en est-on dans le domaine de
l’alimentation ?
Pierre Volovitch
La pub télé, les aliments et les enfants
Une étude montre l’inégalité des
consommateurs face à la pression exercée
par la publicité sur les enfants.
Sylvie Simon
Les bonbons face aux caisses
Paul Scheffer
La misère et l’estomac
Des études essayent de prendre en compte
pour la première fois les inégalités sociales
dans les questions alimentaires.
Madeleine Charru
Du champ à l’assiette… et de l’assiette
aux champs
Des agronomes qui prônent une agriculture
et une alimentation durables.
Isabelle Meiffren
D’où vient Afterres2050 ?
Paul Scheffer
Quel rôle pour l’expertise citoyenne ?
La législation a changé récemment sur la
place donnée aux associations citoyennes,
en défaveur de ces dernières...
Ce qui bouillonne
sous le couvercle
Florian Saffer
Du temps pour mieux choisir
Il y a ce que l’on mange, mais il y a aussi la
manière avec laquelle on s’alimente, et le
temps qu’on y consacre.
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Coline Kasperet
Slow Food, lentement mais sûrement
Court bilan d’étape du mouvement Slow-
Food en France.
Raphaëlle Collet
Des problèmes de poids
Quel rapport au patient en diététique
actuellement, et quelle formation pour cela
au-delà du BTS ?
Morgane Baridon
Du changement à l’hôpital ?
De nouvelles idées en diététique peuvent
faire leur chemin (pas toujours aisément)
au sein de l’hôpital.
JANVIER 2012 56 PRATIQUES
Séverine Sénéchal
Accompagner pour changer
Aperçu d’un cheminement d’une
diététicienne exerçant en libéral.
Sébastien Goudin
L’Ecole des papilles
Est-il possible d’encourager l’esprit critique
des élèves face au marketing des firmes
agroalimentaires ?
Michelle Le Barzic
Démédicaliser l’alimentation
La diététique, comme d’autres domaines,
connaît une forte médicalisation, et en paye
aussi les conséquences.
Emma Belissa
Diabète : un réseau qui innove
Face au poids du diabète, un réseau de
soins indépendant et novateur.
Yveline Frilay
Avec SOPHIA, la fin des réseaux de
santé ?
Rabia Shih
Jeûne et diabète : des recettes
Jeûner quand on est diabétique n’est pas
impossible, si l’on est bien conseillé.
Le plaisir d’améliorer la relation de soins au
travers de la nutrition.
Sylvie Simon
La cuisine pour sortir
Anne Perraut Soliveres
Du cœur au ventre
Martine Lalande
Manger, parler, se soigner
Evelyne Malaterre
Prescrire un régime de saveur
Elisabeth Maurel-Arrighi
Les cornichons de la grossesse
Elisabeth Pénide
Histoires de goût
Mireille Brouillet
L’appétissante
Yveline Frilay
« Voiture, voiture »
Mathieu Colloghan
Une certaine politique du ventre
Savourer l’utopie d’un quartier plus solidaire
au restaurant ? C’est tous les jours depuis
treize ans à la Rôtisserie !
SOMMAIRE
MAGAZINE
intime et intox
4
Courrier des lecteurs
5
Nouvelles de la diffusion
6
IDÉES
Un autre monde cherche à s’inventer
Alain Caillé prend appui sur les travaux du MAUSS pour proposer la notion de
« convivialisme ».
76
FORMATION
Anne Legresy
Prête-moi ta plume
Quen est-il de la formation des
soignants, quand les textes qui la
régissent font prévaloir les
connaissances théoriques ?
78
ACTU
Marie Kayser
Lettre au directeur de la CPAM
79
REGARD CLINIQUE
Ateliers Claude Chassagny
Orthophoniste… c’est un métier ?
Les orthophonistes se mobilisent contre
le projet d’une formation à deux
vitesses.
80
ECONOMIE
Lucien Farhi
Un cas d’école
Dexia, première banque européenne
d’envergure à être démantelée : cas iso
ou annonciateur de suites plus
considérables ?
82
PRATIQUE PROFESSIONNELLE
Jessica Guibert
Que veulent vraiment les jeunes
médecins généralistes ?
Résultats d’une étude menée par
l’ISNAR-IMG.
84
COUP DE GUEULE
Denis Labayle
Démographie médicale : déshabiller
l’Afrique
L’absence de politique de santé publique
dans les pays riches
s’accompagne du « pillage des
cerveaux » des pays pauvres.
86
FORMATION
Jean-Pierre Lellouche
Environnement et santé
A la fin de leurs études, la plupart des
médecins savent peu de choses sur les
risques sanitaires liés à l’environnement.
88
ENVIRONNEMENT
Yveline Frilay
Fukushima, une chance ! (1re partie)
Après Fukushima, l’importance de la
pollution liée à Tchernobyl est encore niée.
Fukushima servira-t-il de leçon au
monde ?
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NOUS AVONS LU POUR VOUS
Petite sélection de parutions récentes, à
emporter avec soi ou à offrir :
Anthropo-
logie d’un service de cancérologie
pédiatrique
de Marie Bonnet,
La reine
Alice
de Lydia Flem,
Menaces sur nos
neurones
de Marie Grossman et Roger
Lenglet,
On agite un enfant
de Yann
Diener et
Maison de santé, une urgence
citoyenne
de Dominique Dépinoy
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PRATIQUES 56 JANVIER 2012
courrierdes lecteurs
En réaction à l’article d’Emmanuelle Bordes
« Nouvelles identités soignantes », sur la difficulté à
changer les mentalités dans un système rigide
et cloisonné, paru dans
Pratiques
54, page 59.
J’éprouve une sorte de malaise en lisant ce témoignage, quelque chose de difficile à formu-
ler… car il pose le problème de la reconnaissance des compétences infirmières, mais également
celui de l’identité professionnelle : est-on toujours soignant lorsque l’on fait un travail de coordi-
nation, de gestion, de mise en lien, tout ce que vous voulez… Un boulanger qui ne fait plus de
pain, mais s’occupe de la qualité du blé moissonné est-il toujours boulanger ? Ne devient-il pas
technicien, spécialiste en production céréalière ?
Bref, la reconnaissance ultime pour un infirmier serait-il de ne plus l’être ? Dans ce cas, il me
semble que l’on change de métier...
J’avoue être un peu perplexe devant cette évolution ; l’ouverture à l’université doit-elle pro-
mettre, à terme, de ne plus approcher un lit d’pital ?
Voilà, c’est dit ; je pense que certains vont hurler, c’est normal. Mais j’avais envie de le dire.
Didier Morisot
C’est exactement ce que je crains avec l’université, qu’elle détourne les étudiants de l’univers
du soin, de sa trivialité, qu’ils n’arrivent jamais à y nétrer et restent, de ce fait, à la porte des
bénéfices, tant le prix à payer est d’une toute autre nature qu’intellectuelle. Alors, pourquoi y
suis-je allée moi-même ? Ce serait sans doute trop long d’évoquer toutes les raisons, mais j’ai tel-
lement cru que je n’étais pas faite pour l’hôpital, je trouvais ce travail tellement difficile, telle-
ment éprouvant émotionnellement que j’ai cherché à comprendre à l’université comment faire
pour y arriver sans trop souffrir et que j’ai aimé ça. Mais tu as raison, ce n’est plus le même
métier, je dirais même que toutes les « spécialisations » servent à s’éloigner de ce qui est si diffi-
cile. J’ai abusé de tous les savoirs à ma portée pour contrer l’évolution technocratique que tu
dénonces. Je peux dire a posteriori que j’ai eu une très belle (bien qu’éprouvante) carrière
d’empêcheuse de primer en rond et de contre-pouvoir. C’est le terrain qui m’a mobilisée
toutes ces années, qui m’a donné l’envie et la force de résister au rouleau compresseur. J’étais ali-
mentée par la détestation du non sens et de l’inéquité qui prévalent en ces lieux de souffrance,
par une conscience aiguë du mal-être des patients, par une empathie quasi pathologique… C’est
à comprendre ça que m’a servi l’université, grâce à la rencontre avec tous ces autres que soi-
gnants qui m’ont éclairée sur ce que la proximité m’empêchait de voir.
Anne Perraut Soliveres
Didier Morisot, je suis très intéressée par tes réflexions sur le métier. Tu parles de changement
radical du métier (tel que tu ne voudrais pas qu’il change ?). Et finalement, tu récuses l’évolu-
tion vers le technicien qu’induiraient les enseignements new look, là où des médecins patentés
forment des infirmières telles qu’ils en ont besoin. Tu te sens peut-être un peu brontosaure, dans
cette évolution « éthérée » ? C’est comme en médecine où, de plus en plus, le malade est peu
examiné, les mains ne sont plus vecteurs de diagnostic, « la médecine sans malades » serait
l’idéal… Envoyée à l’hôpital pour avoir un diagnostic étiologique à tes maux, tu en sors gros Jean
comme devant : pas de diagnostic ou bien un diagnostic élaboré sur dossier dans lequel tu dois
te couler en rognant tout ce qui infirme le diagnostic ainsi préfabriqué. C’est ainsi que de plus
en plus fréquent se révèle le syndrome des sœurs de Cendrillon. Tu parlais d’infirmières qui tou-
chaient les malades, qui étaient en contact avec les malades ? Je parle de médecins qui… (bis) :
de nouvelles règles de métier pour une nouvelle génération de malades ? Nouveaux médecins
nouvelles infirmières qui jugent archaïque cette ancienne façon d’utiliser ses sens ? Croyez-vous ?
Didier, nous sommes des brontosaures
Anne-Marie Pabois
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