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[« la cérémonie des adieux »]
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faiblesse me menait aux confins du monde et de la Cimmérie,
patrie de l’ombre et des tourbillons 1. » La posture testimoniale
de la poésie rimbaldienne est bien paradoxale, elle correspond à
ce que Derrida appelle « une clôture problématique »
2, expres-
sion dans laquelle il faut entendre le sens de problema aussi bien
comme « la tâche de la projection que la bordure de la protec-
tion, le programme et le bouclier ». En témoignant du passé, elle
passe outre le moment présent sans pour autant l’investir d’un
dépassement, faisant entendre ce (celui) qui s’est (déjà) tu : « Ah !
vite, vite un peu ; là-bas, par-delà la nuit, ces récompenses futu-
res éternelles… les échappons-nous ?… » La poésie rimbaldienne
n’est pas seulement une projection spatiale au sens qu’en donne
Jankélévitch, c’est-à-dire une « transposition qui est la fonction
même de la métaphore »
3, elle confond visée rétrospective de
l’avenir et projection aporétique dans le passé.
Car si la clôture rimbaldienne chante le passé comme l’avenir,
c’est-à-dire le passé comme s’il était à venir, c’est justement parce
que cet avenir ne sera pas : « Cela s’est passé. Je sais aujourd’hui
saluer la beauté
4. » Rimbaud délivre une poésie qui n’a pas de
lendemain. De nombreux vers du recueil disent ce non-avenir
poétique, Rimbaud évoque « quelque chose qui a déjà eu lieu et
qu’il tient pour révolu » 5, souligne pour sa part Maurice Blan-
chot, comme pour promettre une ouverture poétique qui ne sera
jamais anéantie par sa réalisation, c’est-à-dire qui demeure comme
possible. Une saison en enfer peut se lire comme la préfiguration
d’un abandon qui est déjà là même s’il n’est pas encore actualisé.
La poésie rimbaldienne revêt une fonction d’arrêt qui, en sacra-
lisant ce qui a été vécu et écrit, permet de s’en affranchir. Elle est
un moyen pour le poète de se garantir, au nom de la réalité, de
ce qui ne reviendra pas. Mais n’est-ce pas Rimbaud lui-même ?
« Ce ne peut être que la fin du monde, en avançant 6. » Dès lors
1. Ibid., « Alchimie du verbe », p. 111.
2. Derrida, Apories, p. 77.
3. Jankélévitch, La mort, p. 295.
4. Rimbaud, Une saison en enfer, « Alchimie du verbe », Œuvres complètes,
p. 111-112.
5. Blanchot, L’entretien infini, p. 423.
6. Rimbaud, Illuminations, « Enfance », IV, Œuvres complètes, p. 124.