Au Cabaret-vert», Arthur Rimbaud, Cahiers de Douai, 1870

publicité
Lecture Analytique 4
«Au Cabaret-vert», Arthur Rimbaud,
Cahiers de Douai, 1870
Introduction :
Le symbolisme :
- Précurseur : Charles Baudelaire, chef de File : Stéphane Mallarmé, Naissance du mouvement : env. 1870
officiellement (mais auteurs symbolistent «existent déjà avant»).
- Principes et objectifs : suggérer l’existence d’un univers supérieur, créer des correspondances.
- Arthur Rimbaud : Né à Charleville en 54, il écrit ses premiers poèmes à 15 ans, et arrête subitement d’écrire à
vingt ans. Ses premiers modèles sont les parnassiens : il écrit une lettre à Théodore de Banville, et fugue à
Paris pour rencontret Paul Verlaine. Mais il rejette très vite le groupe du Parnasse Contemporain et entraînera
Verlaine dans un périple à travers l’europe (Belgique, Londres...). Après l’accident qui mettra Verlaine en
prison, il arrête subitement d’écrire et part en Afrique du Nord. Il meurt d’une tumeur au genou en 1891, son
corps est alors rapatrié à Marseille.
- Problématique de lecture : Comment Rimbaud fait-il d’une simple note de route un véritable art
poétique ?
I. Une note de route
1. la marque autobiographique
L’ensemble du poème est ancré dans un espace réel et porte la marque autobiographique du poète.
On trouve des indications spatio-temprelles dès le titre «Au Cabaret Vert» et l’épigraphe «cinq heure du soir»,
et cela continue puisque les vers 1 et 2 nous apportent des précisons : «depuis huit jours...» ; «aux cailloux
des chemins» et enfin «Charleroi» qui situe définitivement le poème dans un lieu réel. Le poète s’exprime à la
première personne : «j’avais» v.1 ; «J’entrai» v.2 et le point de vue est interne.
2. une écriture prosaïque
Par ailleurs, le texte semble écrit à la hâte, on remarque une certaine spontanéité dans l’expression: Le
thème de la vie quotidienne qui englobe différents champs lexicaux de la nourriture, des vêtements et des
parties du corps est un lexique très trivial, presque enfantin. Ajoutons à cela un trait de syntaxe proche de la
langue orale (phrase entre parenthèse du vers 9), un vocabulaire courant, voire familier « celle-là » ainsi qu’une
ponctuation forte et originale.
II. Une poésie nouvelle
1. La revendication de la modernité
La forme classique du sonnet est très malmenée : les quatrains ont des rimes croisées, et différentes
d’une strophe à l’autre. On note des enjambements aux vers 1, 3, 5, 6, 12 et 13, avec rejets aux vers 4, 6 et 13
et un contre-rejet à la fin du vers 13. Le rythme est irrégulier, la césure est peu marquée (enjambements
internes). La syntaxe elle-même est contrastée : Dans le 1er quatrain, on trouve une syntaxe minimaliste, ex :
"j'entrais à Charleroi" ou plus encore, la phrase nominale "au cabaret-vert". On passe à une véritable phrase
complexe à partir du vers 7, et jusqu'à la fin du sonnet. De la même manière, on l’a vu, le niveau de langue est
bas, mais en contraste avec un vocabulaire soutenu qui vient réhabiliter ce vocabulaire trivial. En fait, à tous
ces niveaux (lexical, syntaxique, versification), le poème suit une progression qui trouve son apogée dans le
dernier vers qui se montre "digne" de la poésie telle qu'elle est reconnue traditionnellement.
2. La mise en scène de la «voyance» symboliste
En fait, si le premier quatrain nous transmet des informations sur les lieu et le moment de la scène,
c’est pour nous faire partager les circonstances de la situation. De même, il nous fait partager son état :
«Bienheureux», mis en valeur au début du second quatrain, ainsi que ses ses sensations. On note l’importance
de la vue dans ce texte, à travers l’emploi du verbe «contemplai» et l’importance des éléments descriptifs.
La couleur verte fait de ce petit restaurant de Charleroi un cadre reposant. Pour caractériser l'auberge,
Rimbaud répète trois fois l'adjectif de couleur : dans le titre indiquant l'enseigne de l'établissement "Au
cabaret-vert", au vers 3 où ce nom est répété, au vers 6 où il est mis en valeur par le rejet : « Bienheureux,
j’allongeai les jambes sous la table/verte ». Ce cadre apaisant et distrayant est le premier ingrédient du
sentiment de bien-être décrit par le poème.
La description de la nourriture exploite les mêmes procédés d'écriture que celle de l'auberge :
répétitions, adjectifs (sensations visuelles, olfactives ou tactiles), vocabulaire simple à connotation populaire.
Le menu est répété avec gourmandise : les "tartines de beurre" deux fois (v.2-3 et 10), le "jambon" trois fois (v.
4,11 et 12). La description est en outre agrémentée de toutes sortes de qualificatifs appétissants : on apporte
au jeune homme un jambon "rose et blanc" (v.11), "parfumé d'une gousse/d'ail" (v.12) et "tiède" (v.10) Les
rejets mettent parfois ces mets exquis en valeur : "De beurre" au vers 4, "d'ail" au vers 13. La serveuse, enfin,
entre en scène au second hémistiche du vers 8. L'adjectif "adorable" annonce avec emphase le plaisir
provoqué par l'irruption de la jeune fille, et toute la fin du poème n'est qu'une longue phrase mêlant attraction
sexuelle et désirs gourmands. Le poème propose donc une image toute sensuelle et prosaïque du bonheur,
mais comme il arrive très souvent chez Rimbaud, partant des désirs du corps on accède finalement au rêve et
à l'Idéal.
Et la chute du poème, où un rayon de soleil crépusculaire vient transformer en or ("dorait" v.14) la "chope
immense" (v.13) remplie de bière et de mousse. Le verbe "dorait" embellit; l'adjectif "immense" agrandit,
l'allusion au soleil introduit une sorte d'élargissement spatial, que renforce l'enjambement des vers 13-14. Le
lexique lui-même s’anoblit : «arriéré» est pris dans son sens soutenu (un peu archaïque) et les sonorités se
développent (allitération en -r-). Cette fin lyrique transforme la sensualité toute matérialiste du casse-croûte en
un bonheur presque spirituel.
Conclusion
Ainsi, Rimbaud met en scène ce qu’il appelle la «voyance», en transfigurant une scène de la vie quotidienne, à
travers l’éloge des joies simples, en une véritable moment de création poétique. A travers une apparente note
de route, il revendique en fait une poésie nouvelle qui voit dans la trivialité de la vie l’essence même de la
création artistique.
On peut finir sur cette citation :
« Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les paysages possibles, et trouvais dérisoires les
célébrités de la peinture et de la poésie moderne.
J'aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures
populaires ; la littérature démodée, latin d'église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules,
contes de fées, petits livres de l'enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs...» dans Alchimie du Verbe,
1873.
Téléchargement