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8Repères AVRIL 2008
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interview
Docteur Michel VARROUD-VIAL,
diabétologue à Montgeron (91),
fondateur et président du réseau
diabète REVESDIAB, secrétaire
général de l’ANCRED (Association
Nationale de Coordination des
Réseaux Diabète)
«En 2006, l’ANCRED a été agréée pour
l’EPP sur le programme de bilan annuel de
prise en charge des diabétiques de type
2, issu de l’activité des réseaux et ciblé sur
les 3 principaux risques des diabétiques,
dont le risque podologique. J’ai participé
et je participe toujours, dans le cadre
du réseau REVESDIAB, à ce programme
principalement orienté vers l’évaluation
des pratiques des médecins généralistes.
D’après cette expérience, je tire trois
constats essentiels:
1- L’EPP est faisable puisque, aujourd’hui,
plus de 700 médecins sont engagés dans
cette expérience à travers la France, dont
environ 90 dans notre réseau. Je dirais
même que, dans le cadre d’une activité
en réseau, c’est assez facile de faire de
l’EPP, et de l’incorporer à sa pratique.
2- L’EPP permet une réelle amélioration
des pratiques. On arrive ainsi, dans notre
réseau, à une gradation du risque de
lésions des pieds pour 90% des patients
diabétique; résultat objectif encore plus
intéressant, les soins podologiques sont
maintenant prescrits par les médecins
généralistes dans 100% des cas chez les
patients gradés à haut risque, alors qu’au
début de la démarche, il y a deux ans,
moins de 50% des médecins envoyaient
ces patients chez le pédicure-podologue!
3- Les réseaux donnent une dimension
particulière à l’EPP en l’ouvrant à la coo-
pération multi-professionnelle. Les résul-
tats obtenus sont liés à cette approche
pluridisciplinaire de notre démarche : les
podologues sont en effet invités à participer
à nos réunions d’échanges des pratiques,
au cours desquelles sont analysés les
résultats. Ces échanges pluridisciplinaires
permettent d’améliorer les relations entres
les différents acteurs de la prise en charge
des patients diabétiques, de renforcer la
coopération. Ce décloisonnement des
pratiques est l’une des raisons essentielles
du travail en réseau, mais c’est aussi un
objectif majeur de l’EPP, à mon avis. Et
c’est probablement encore plus important
pour les podologues que pour les méde-
cins, parce que leur reconnaissance en
tant que professionnels de santé est
beaucoup plus récente!
Il me semble donc que, pour les pédi-
cures-podologues, l’EPP est une occa-
sion majeure d’améliorer leurs relations
avec les autres acteurs de soins que sont,
dans le cadre du diabète, les médecins et
les infirmières: je parle des relations fonc-
tionnelles au service des patients, dans la
chaîne des soins. C’est pourquoi, à mon
avis, il ne faut pas faire une EPP centrée
sur sa propre pratique : au contraire, il
faut élargir son EPP aux autres professions
concernées sous la forme, par exemple,
de Groupes Qualité pluridisciplinaires
autour du diabète, ou de la polyarthrite
rhumatoïde…
La démarche EPP est devenue fonda-
mentale pour tous les professionnels de
santé. On ne peut plus maintenant se
reposer sur la formation initiale, et la
formation continue ne suffit pas: il est
démontré que, souvent, elle échoue à
améliorer les pratiques, justement parce
qu’elle n’est pas reliée aux pratiques.
L’EPP, au contraire, est une démarche
réflexive, qui part des pratiques, prend en
compte la coopération avec les autres
acteurs des soins, pour agir sur ces pra-
tiques; c’est probablement la meilleure
façon d’améliorer la qualité de ses pra-
tiques et il est souhaitable que les podo-
logues s’y engagent, non seulement pour
eux, mais pour l’ensemble des parties
intéressées. C’est d’ailleurs une démarche
assez simple, très concrète, qui s’adapte
à chacun, en fonction de ses besoins, de
ses pratiques propres.
J’ajoute qu’aujourd’hui, la prise en charge
d’une maladie chronique, comme le dia-
bète, ne peut se satisfaire de la seule
relation soignant-soigné; elle nécessite
le partage et la coopération de diverses
compétences. C’est une condition indis-
pensable pour améliorer la prise en
charge de ces pathologies chroniques et,
notamment, la prévention des lésions du
pied diabétique.»
L’EPP et la FC ont donc la même finalité, tout
en empruntant des voies complémentaires :
>la FC privilégie une approche davantage
pédagogique, fondée sur l'acquisition de
nouvelles connaissances/compétences;
>l'EPP privilégie une approche davantage
clinique et professionnelle, fondée sur
l'analyse des données de l'activité.
Si les approches sont différentes, l’EPP et la FC se
rejoignent sur le fond, à savoir leur même finalité,
mais aussi leur dimension formative. En effet,
l’EPP est inspirée du «formative assessment»
des anglo-saxons, ou «évaluation formative».
propose maintenant le terme de «développe-
ment professionnel continu». C’est dans cet
esprit qu’il faut comprendre l’EPP.
Il est d’ailleurs probable que des podologues font
déjà de l’EPP sans le savoir: en effet, tout mode
d’organisation de l’exercice favorisant la mise
en œuvre d’une activité protocolée et analy-
sée – comme c’est le cas de toute approche
pluriprofessionnelle, notamment dans les
réseaux de soins – est une démarche d’EPP.
L’ONPP, la HAS et le chantier de l’EPP
Conformément à la loi du 9 août 2004, chaque
Conseil régional de l’Ordre des pédicures-podo-
logues doit organiser des actions d’évaluation
des pratiques en liaison avec le CNOPP et la
HAS. Pour ce faire, l’Ordre national et la HAS
mettent sur pied une convention de collabo-
ration portant sur la mise en œuvre de l’EPP
des pédicures-podologues, notamment la
définition de référentiels, et sur le partage et
la diffusion d’informations à ce sujet.
«L’EPP est une aide pour que les professionnels de santé entrent
dans un processus de formation continue. La démarche consiste
d’abord à observer sa pratique, puis à mesurer l’écart entre celle-ci
et ce qui devrait être fait afin, pour finir, de définir les mesures permet-
tant de réduire cet écart, donc d’améliorer sa pratique. Dans son
essence, cette démarche est habituelle pour les professions de
santé puisqu’il s’agit en quelque sorte d’établir un diagnostic et un
traitement, en prenant du recul par rapport à sa pratique, en devenant
observateur de sa pratique qui est l’objet de l’analyse. Elle est,
de plus, naturelle aux professions de rééducation, comme la
pédicurie-podologie, qui ne comportent pas de procédure sté-
réotypée. Ainsi, face à un problème fonctionnel, le pédicure-
podologue met en place l’un des moyens thérapeutiques à sa
disposition, et il évalue l’impact de son geste : il va par exemple
vérifier que l’orthèse prescrite a bien permis de modifier les
appuis, il contrôle le résultat obtenu avec des plateformes sen-
sibles : il fait une analyse réfléchie de l’effet de son traitement et
modifie son protocole en fonction du résultat obtenu. C’est le
même cheminement logique dans la démarche d’EPP!
L’EPP est aussi une démarche très concrète, pragmatique, comme
le montrent les 8 domaines identifiés comme composants évaluables
de la pratique de la pédicurie-podologie, et parmi lesquels chaque
professionnel pourra choisir celui qu’il souhaite évaluer:
1- le comportement professionnel;
2- la communication avec le patient, c’est-à-dire le transfert des
informations au patient concernant sa maladie (ce qui se rapproche
de l’éducation à la santé);
3- le bilan et l’examen cliniques, à partir desquels sont prises les
décisions thérapeutiques;
4- le raisonnement clinique qui aboutit à la prise de la décision thé-
rapeutique (évaluable sous la forme de cas cliniques);
5- l’organisation du plan de traitement (nombre de séances pro-
grammées, organisation du suivi…);
6- les interventions thérapeutiques (fiabilité des techniques utilisées,
palette de techniques proposées…);
7- l’EBP (ou « Evidence Based Practice »), c’est-à-dire la pratique
basée sur des preuves ou pratique factuelle. Il y a encore peu de
référentiels de ce type en pédicurie-podologie, parce qu’il s’agit
d’une activité manuelle avec des gestes techniques: la culture de
l’écrit doit se développer, comme en Australie ou au Canada;
8- la gestion des risques, la sécurité du patient (hygiène, événements
indésirables au cours des soins…).
La démarche qualité, qui sous-tend l’EPP, doit permettre aux pro-
fessionnels de mieux structurer, coordonner et organiser leurs
besoins de formation; elle a un effet facilitateur et accélérateur,
avec une hiérarchisation des priorités, permettant effectivement
d’améliorer sa pratique. Elle se conçoit dans la continuité, dans la
perspective d’un développement professionnel continu.
En ce qui concerne la mise en place de l’EPP des pédicures-podo-
logues, la HAS travaille avec l’Ordre, en particulier au niveau régional,
comme l’a prévu le législateur. Les rapports entre les deux institutions
font l’objet d’une convention de partenariat, en cours de signature.
Parmi les professions paramédicales, les pédicures-podologues,
comme les masseurs-kinésithérapeutes, sont en première ligne sur
l’EPP; les conventions de partenariat entre leurs Ordres et la HAS
seront les premières signées ! Ensuite, nous réfléchirons aux possibi-
lités de valorisation de cette démarche qualité. »
interview
D.R.
AVRIL 2008 Repères 9
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D.R.
D’expérience, l’EPP permet objectivement
d’améliorer les pratiques
Le cheminement de l’EPP:
une démarche naturelle pour
les professions de rééducation
Pierre TRUDELLE
Chef de projet EPP à la HAS,
référent pour les pédicures-
podologues et les masseurs-
kinésithérapeutes
comme le précisent les textes «l'obligation
de formation est satisfaite notamment
par tout moyen permettant d'évaluer
les compétences et les pratiques
professionnelles ».
Qu'est ce que l’EPP?
C’est une démarche personnelle, volontaire et
organisée, consistant à analyser ses pratiques et
les résultats obtenus pour les comparer (avec ou
sans ses pairs) aux référentiels et recommanda-
tions professionnels existants. De cette compa-
raison doit résulter une amélioration des pra-
tiques, au bénéfice du patient.
Elle n’a pas pour but d’être normative ni d'établir
un état des lieux ou un contrôle, à un temps
donné, statique. Au contraire, l'évaluation for-
mative est un processus dynamique, condui-
sant à l'amélioration continue, ce qu’on
appelle aussi "la démarche qualité". C'est
l'évaluation formative que les professionnels de
santé vont mettre en œuvre au travers de l’EPP.
Et n’est-il pas plus pertinent et motivant
d'orienter l’amélioration d’une pratique à par-
tir des questions que (se) posent les profes-
sionnels qui l’exercent?
EPP ou développement
professionnel continu
Le terme même d’«évaluation des pratiques pro-
fessionnelles» ne doit pas désorienter ou faire
peur: il ne s’agit absolument pas d’un contrôle
normatif, mais d’une démarche personnelle et
formative, d'amélioration de la qualité, inté-
grée à l'exercice quotidien, donc pérenne.
C’est pourquoi la Haute Autorité de santé (HAS),
chargée de la mise en œuvre du dispositif d’EPP,
© S. Guarrigues / Beside