même personne dans ses milieux de vie, sa famille, sa pro-
fession, son milieu d'existence, sa région, sa patrie et, pour
nous, pour un horizon plus large de communauté de valeurs,
d'une société qui incarne cette valeur que nous appelons
notre Europe" (p. 102).
Tout est résumé dans ce passage, les principes de l'action,
et les orientations de cette action, tels que ces principes et
ces orientations apparaissent à partir des documents ras-
semblés ici.
Trois principes porteurs de l'action peuvent être discernés
chez Lecanuet la foi en Dieu, la foi en l'homme, la confian-
ce dans l'action politique.
Lui rendant hommage après sa disparition au nom du gou-
vernement, François Bayrou évoqua le 27avril 1993
((l'étoile sur laquelle il guidait sa marche, et qui ne cessa
jamais d'être pour lui la lumière venue dans ce monde sans
être de ce monde»
(p.
181).
Dans les textes mis à disposition ici, Jean Lecanuet ne
s'étend pas longuement sur sa foi. Elle est pourtant très pré-
sente, comme un fait, avec une évidence naturelle. Dieu est
là, il est présent, des orientations s'imposent alors pour être
fidèle à I' Incamation. Il est le Père de tous, confie-t-il à Jean-
Yves Boulic en octobre 1979 (in «Questions sur l'essentiel»,
Ed. du Cerf), ce qui contraint au devoir de fraternité, d'en-
traide, de justice
<(le communisme pose le problème en termes de revendi-
cation, d'appropriation, tandis que le christianisme les pose
en termes de communauté dans la filiation à Dieu le Père»
(((Le Combat pour l'idée»,
p.
55).
Le christianisme, répète-t-il à plusieurs reprises, ((c'est
l'amour du prochain», d'où l'appel constant à la tolérance -
(<céder à la haine est le pire des crimes» déclare-t-il au
Monde
en janvier 1980
(p.
64) -,à la solidarité, à la justice,
et l'attachement qu' il proclame aux Béatitudes
(p.
57). Cette
foi solide et sereine l'a conduit, a rappelé René Monory au
Sénat lors de la séance d'hommage du 27avril1993, à sou-
haiter
((voir la mon venir, non par défi, mais pour tenter de la
regarder en face et d'en faire la conclusion acceptée d'une
vie Je sais bien que, dans les derniers instants, les regards
sont brouillés, maisje voudrais voir la mort approcher, faire
le dernier bilan, me préparer... me préparer au jugement»
(p. 174).
Si, dans un entretien avec Philippe Tesson en 1977, il
exprimait son espoir de mériter, «quand ma vie sera termi-
née, le titre de chrétien»
(p.
40), il n'ajamais cherché à ins-
trumentaliser sa foi pour en tirer un profit politique. Dans le
même entretien avec Tesson, il récuse l'étiquette de démo-
cratie chrétienne pour son parti, estimant que nul n'a le droit
«d'abaisser l'idéal chrétien au niveau de la politique»
(p. 39), pas plus que l'homme politique chrétien n'a selon
lui le droit d'imposer ses convictions tirées de sa foi à l'en-
semble de la population ainsi justifie-t-il sa position sur
l'avortement pour lequel il dit son horreur, le qualifiant de
"crime", d' "oeuvre de mort par opposition à l'acte d'amour
et de vie»
(p.
64) mais, dans le cadre d'une société démo-
cratique et pluraliste, il ne lui paraissait pas possible d'im-
poser son éthique personnelle à l'ensemble des Français. Il
apparaît ainsi très éloigné de toute forme de cléricalisme, et
se garde toujours de faire explicitement référence à l'EgIi-
se-institution.
De sa foi en Dieu il tire foi en l'homme, parce que, créé
par Dieu à son image, «l'homme n'est pas que lui-même. Il
est en dépassement de lui-même». C'est pourquoi il s'in-
digne contre le marxisme qui nie Dieu
(<le communisme est la tristesse du monde, parce qu'il
renie Dieu qui en est lajeunesse et l'exaltation» (rapport au
1W Congrès du PPE, P' septembre 1980, sur la Démocratie
d'inspiration chrétienne dans les années 80,
p.
74).
et contre
«l'idée de néant et d'absurde dont le héros a été Jean-Paul
Sartre (allocution aux Femmes Démocrates sur la crise des
valeurs, 25 novembre 1983,
p.
99).
En définissant au Congrès du Parti populaire européen ce
que devait être selon lui la Démocratie d'inspiration chré-
tienne, il rappelle que
(<l'homme est le sujet et non l'objet de l'Histoire, qu'il
n'est pas un individu abstrait et isolé, ni une simple cellule