p i t a l i è r e d e F Sophie GROMB r a n c e Actualités s MOTS-CLÉS relations hôpital police justice Professeur de médecine légale et de droit médical Chef de service de médecine légale Centre hospitalier universitaire de Bordeaux Dossier o Droit et jurisprudence h Sur le web Relations hôpital - police - justice du même idéal juridique. Dès lors, comment concilier les impératifs de protection des personnes, de leur santé et de leur intimité avec ceux de la défense de la société dans laquelle nous vivons ? Cet article présente les différentes situations susceptibles de se poser à l’admission d’un patient : la découverte par le personnel de problèmes concernant la justice, puis l’intervention extérieure de cette dernière par le biais des forces de police ou de gendarmerie au sein de l’institution. L’auteur rappelle à toutes fins utiles quelques règles relatives à l’intervention spécifique des médecins. L’ obstacle principal apparent aux échanges entre nos deux institutions - justice et hôpital résulte du secret professionnel. Ce secret est justifié en milieu médical et hospitalier par l’obligation de discrétion et de respect de la personne, afin que s’instaure une relation de confiance entre les médecins et les patients qui se confient à eux. Le secret couvre les éléments parvenus à la connaissance de l’ensemble du personnel dans l’exercice de ses fonctions. Il concerne tout ce qui a été confié, vu, entendu ou compris. La loi du 4 mars 2002 vise l’ensemble des professionnels soignants ou administratifs. Des sanctions pénales sont prévues pour les contrevenants (art. L. 1110-4 du code de santé publique (CSP). Pour autant, certaines situations suscitent nécessairement un appel à la justice, tandis que d’autres se produisent en aval de l’intervention des autorités judiciaires. N ° 5 1 2 - >> Situations nécessitant un contact judiciaire • Éléments affectant la santé du patient En cas de mauvais traitements visés par l’article 226-14 du code pénal, le secret médical peut être levé par tout professionnel (cf. encadré 1). Cette dérogation ne constitue pas une obligation légale de dénoncer les faits, mais la «limite» morale et juridique est fixée par la répression de la non-assistance à personne en péril. Le code de déontologie médicale précise à l’article 44 que le médecin « doit, sauf circonstances particulières qu’il apprécie en conscience, alerter les autorités judiciaires, médicales ou administratives». Dans ces circonstances, les dispositions nécessaires à la protection de la personne vulnérable (éventuellement une hospitalisation) doivent être prises. En cas d’atteinte grave ou de danger imminent, un signalement précis et détaillé aux autorités administratives ou au procureur est rédigé. Ce signalement peut également être effectué avec l’autorisation de la victime majeure en cas de violences sexuelles ; ce consentement n’est pas nécessaire en ce qui concerne les mineurs. Lorsque les facultés mentales d’un patient sont altérées par une maladie, une infirmité ou un affaiblissement dû à l’âge, ou qu’il présente une atteinte propre à empêcher l’expression de sa S e p t e m b r e - O c t o b r e 2 0 0 6 Offres d’emploi et de la sécurité publique relève << Problèmes survenant au sein de l’institution Relations hôpital, police, justice La protection de la santé publique Réflexions hospitalières e Tribune libre u Cultures et cité v International e En librairie R 63 R é f l e x i o n s h o s p i t a l i è r e s volonté, le médecin doit établir un certificat qui sera transmis au procureur de la République par le directeur de l’établissement en vue de procéder à une mise sous sauvegarde de justice. Un patient blessé par arme constitue un cas qui doit être porté à la connaissance de la justice (avec son autorisation, et on doit le convaincre de porter plainte). Si le patient court un risque réel que se renouvelle son agression, le médecin doit informer le directeur de l’établissement qui alertera à son tour le procureur dans le respect des dispositions de l’article 40 du code de procédure pénale (cf. encadré 2). D’une manière générale, tout doute sur l’origine des lésions d’un patient peut faire l’objet d’un signalement, en cas de sévices sur mineur ou personne vulnérable, ou de présomption de crime. Si la personne décède, le médecin doit impérativement cocher la case « obstacle médico-légal ». La même attitude est de mise pour les suicides, les morts violentes et les décès consécutifs à un accident du travail, afin de préserver les droits de la famille : dans le cas contraire, la caisse d’assurance maladie peut opposer une cause extérieure ; la famille perd ses droits en >> étant privée de la réalisation rapide d’une autopsie (même si celle-ci peut être effectuée après exhumation du corps, ce qui est très traumatisant et peu contributif). En cas d’obstacle médico-légal, le certificat de décès ne doit jamais être refait. C’est au procureur de délivrer le permis d’inhumer et d’en prendre la responsabilité. Il est recommandé, dans l’intérêt de la sécurité des gardiens et du personnel hospitalier, de ne donner aucune date, aucun horaire de consultation, d’hospitalisation ou de sortie aux familles et aux visiteurs des détenus. • Élément matériel découvert sur le patient Il peut arriver que l’on découvre des stupéfiants sur un patient (dont la détention est constitutive d’un délit au sens de l’article L. 222-7 du code pénal). Le cas échéant, la drogue est confisquée et mise au coffre. Le directeur d’établissement alerte le procureur pour la lui remettre, mais sans révéler l’identité du patient. La même attitude est requise en cas de Article 226-14 du code pénal Dérogations au secret L’article 226-13 n’est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. En outre, il n’est pas applicable: 1. à celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu’il s’agit d’atteintes ou mutilations sexuelles dont il a eu connaissance, infligées à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique; 2. au médecin qui, avec l’accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République les sévices ou privations qu’il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. Lorsque la victime est mineure, son accord n’est pas nécessaire; 3. aux professionnels de santé ou de l’action sociale qui informent le préfet et, à Paris, le préfet de police, du caractère dangereux pour eux-mêmes ou pour autrui des personnes qui les consultent, et dont ils savent qu’elles détiennent une arme, ou qu’elles ont manifesté leur intention d’en acquérir une. Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut faire l’objet d’aucune sanction disciplinaire. 64 N ° 5 1 2 - S e p t e m b r e - découverte d’arme. Un projectile enlevé en cours de chirurgie doit être de la même façon conservé en cas d’enquête, avec mention dans le dossier médical. En cas de vols ou dégradations commises au sein de l’hôpital, les victimes (personnels, patients hospitalisés ou membres de l’administration) sont fondées à porter plainte. En cas de crime ou délit flagrant O c t o b r e 2 0 0 6 (art. 53 du code de procédure pénale), la loi reconnaît à toute personne le pouvoir d’appréhender l’auteur des faits et de le remettre aux autorités policières. >> Situations déjà cadrées par l’intervention judiciaire • Hospitalisation des détenus Ils sont admis dans une chambre ou une aile spécialement aménagée où la surveillance est possible par la police ou la gendarmerie. Tout incident doit être signalé au directeur de garde qui en informe immédiatement le procureur. Les visites des malades sont strictement autorisées par le magistrat saisi. Les autorisations sont permanentes ou limitées selon le cas. Il est recommandé, dans l’intérêt de la sécurité des gardiens et du personnel hospitalier, de ne donner aucune date, aucun horaire de consultation, d’hospitalisation ou de sortie aux familles et aux visiteurs des détenus. • Gardes à vue Lorsque la garde à vue a commencé avant l’admission hospitalière, les règles sont identiques à celles exposées précédemment. Si la garde à vue est prononcée au cours de l’hospitalisation, le directeur est informé. Le médecin peut s’opposer à la garde à vue en raison de l’état de santé du patient. Il peut être procédé, en relation avec les services de police, à une mise sous anonymat partiel du patient. Tout déplacement d’une personne gardée à vue doit être concerté avec la police et/ou le magistrat en charge de l’affaire. Intervention de la police et de la justice dans l’institution Pour mener à bien la mission qui leur incombe, les services enquêteurs ont parfois besoin de renseignements sur certains patients hospitalisés. Le fait que ces questions émanent de tels services ne doit pas faire négliger les règles applicables en la matière. >> Cadres juridiques applicables • Enquête préliminaire Toujours menée par les officiers de police judiciaire (OPJ), l’enquête préliminaire permet au parquet de s’informer afin de décider d’éventuelles poursuites à engager. Elle ne revêt pas de caractère coercitif, ce qui signifie que les actes sont préalablement consentis par les personnes concernées ou le directeur d’établissement. D’une manière générale, les enquêteurs (policiers ou gendarmes) peuvent interroger toute personne hospitalisée dans la mesure où son état de santé ne s’y oppose pas (décision médicale). Pour ce faire, ils préviennent préalablement le médecin chef ou son délégué. Le personnel soignant et administratif, qui ne peut exiger aucun document ni aucun motif de l’audition, est susceptible de faire a l i è r e d l’objet d’interrogatoire, en règle générale en dehors de son lieu de travail. En dehors de ces auditions, les services enquêteurs ont la faculté de solliciter des renseignements sur des patients hospitalisés. Demandes ou réquisitions à l’administration Les informations autorisées sont: • l’identité d’un blessé, • la date de son admission, • l’hospitalisation éventuelle (mais en aucun cas le motif ou le service) ou la date de sa sortie, • la «qualité» de ses blessures: graves ou non, • son décès éventuel. Ces informations ne sont communicables que si le patient, ses proches ou la e F r a n c e confidentialité (pas de renseignements par téléphone sans contre-appel notamment…) s’impose. Si la demande des services enquêteurs concerne une liste de patients trop générale, le personnel n’est pas tenu d’y répondre. La justice a toutefois autorité pour faire saisir le registre dans le cadre des enquêtes de flagrance ou d’une commission rogatoire. Les perquisitions dans les chambres avec saisie de pièces ne peuvent intervenir qu’avec le consentement exprès de la personne concernée, sous la forme d’un écrit signé de sa main. La saisie d’un dossier médical sur perquisition est impossible dans le cadre d’une enquête préliminaire. Cette saisie ne peut être effectuée que sous contrôle d’un magistrat et non d’un OPJ (art. 76 du CPP). Réquisitions à médecins S’il s’agit d’une victime, les renseignements peuvent être communiqués dans son intérêt et avec son consentement. S’il s’agit de l’auteur d’un crime ou délit, le médecin a la liberté de parler ou de se taire. Il ne peut délivrer d’éléments, en tout état de cause, que dans le cadre d’une enquête de flagrance ou une commission rogatoire. >> Enquête de flagrance Cette enquête concerne les crimes ou délits en cours ou qui viennent de se commettre, de sorte que les actes d’investigation doivent être réalisés au plus vite afin d’organiser la répression. Actualités t Dossier i Droit et jurisprudence p Sur le web s << La saisie d’un dossier médical sur perquisition est impossible dans le cadre d’une enquête préliminaire. Cette saisie ne peut être effectuée que sous contrôle d’un magistrat. personne de confiance ne s’y sont pas opposés : le malade a droit à un strict anonymat s’il en fait la demande ou si les textes l’exigent (accouchement sous X, toxicomanie, maladies vénériennes traitées sur décision judiciaire ou administrative). Préalablement à leur transmission, la vérification des règles de respect de la N ° 5 1 2 - Dans ce cas, les actes peuvent être coercitifs et ne nécessitent pas le consentement des personnes intéressées. Le cas échéant, le directeur est informé que de tels actes ont lieu dans son établissement. Les auditions ne nécessitent pas le consentement de la personne ; seul le S e p t e m b r e - O c t o b r e 2 0 0 6 Réflexions hospitalières o Tribune libre h Cultures et cité e International u En librairie v Offres d’emploi e Relations hôpital, police, justice R 65 R é f l e x i o n s h o s p i t a l i è r e s médecin peut s’opposer à celles-ci pour raisons médicales. L’OPJ peut décider d’une mesure de garde à vue à l’issue de l’interrogatoire. Si des investigations corporelles internes ont à être effectuées, il requiert spécialement un médecin. Les perquisitions et saisies n’exigent aucun consentement. Toutefois, ces dernières doivent obligatoirement être réalisées en présence d’un magistrat, d’un membre de la direction de l’établissement, d’un médecin délégué par le chef de service et d’un représentant de l’ordre des médecins. Une photocopie de chaque pièce est de rigueur, et des scellés sont apposés. • Commission rogatoire L’enquête est effectuée par un juge d’instruction saisi par l’ouverture d’une information judiciaire. Elle présente un caractère coercitif analogue à l’enquête de flagrance. La commission rogatoire elle-même ne fait pas partie intégrante du dossier médical. Elle ne doit pas être remise à l’hôpital car elle est couverte par le secret de l’instruction. Toutefois, il est possible d’en demander les références afin de vérifier sa réalité (nom du magistrat, numéro de la commission rogatoire, etc.). >> Réquisitions médicales Les réquisitions sont des injections des autorités policières ou judiciaires d’avoir à exécuter une mission d’ordre médicolégal. Les médecins sont en général requis pour procéder à une prise de sang, un examen médical ou psychiatrique, ou encore des analyses. Ils doivent de manière générale déférer à une réquisition sauf dans les cas >> prévus ci-après. Dans le cas contraire, ils encourent une amende de 3 750 euros (art. L. 4 163-7 du CSP). Les refus sont opposables si: • le médecin a déjà donné des soins à la personne à examiner. Cela signifie à la lettre que les urgentistes; notamment, ne doivent pas examiner les patients qu’ils ont pris en charge dans le cadre d’une réquisition, hormis une simple prise de sang (C. Cass. 15/03/1961); • le médecin n’est pas en état d’accomplir la mission; • le médecin estime que le patient n’est pas en état de subir l’examen ou le prélèvement demandé; • le médecin ne s’estime pas compétent pour effectuer la mission (art. 106 du code de déontologie médicale); Les médecins ne doivent pas déférer à une réquisition susceptible de mettre en cause leur propre établissement. • la mission met en jeu ses intérêts personnels, ceux de proches ou d’amis, ou d’un groupe qui fait habituellement appel à ses services (c’est le cas des problèmes de responsabilité mettant en cause l’hôpital : il est inadmissible que les médecins acceptent des expertises susceptibles de mettre en cause leur propre établissement). S’ils acceptent la mission, ils doivent: • informer le patient de la mission qui leur a été confiée et de son cadre juridique, Article 40 du code de procédure pénale Obligation faite aux fonctionnaires d’informer le procureur de la République Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes afférents. 66 N ° 5 1 2 - S e p t e m b r e - • ne donner connaissance des résultats que dans la stricte limite des questions posées (sinon, ils violent le secret) ; • produire un compte rendu exact de leurs constatations. • Cas particulier du témoignage en justice • Si le médecin est mis en cause à titre personnel, il peut lever le secret pour les besoins de sa défense. • Si l’action judiciaire concerne un de ses patients: il doit déférer à la convocation et peut parler ou se taire. • Il doit établir des certificats médicaux relatant ses seules constatations et les remettre en mains propres aux patients qui le demandent. La plus grande circonspection est de mise lorsqu’il s’agit des ayants droit. Il O c t o b r e 2 0 0 6 convient de vérifier non seulement leur qualité mais l’usage qu’ils veulent faire des renseignements réclamés. L es cas d’implication du milieu médical dans les enquêtes ne manquent pas. Il convient de connaître les règles juridiques en vigueur pour ne pas risquer des problèmes de responsabilité. Lorsqu’il existe un service de médecine légale au sein de l’hôpital, ce dernier peut utilement être sollicité pour aider les praticiens, dans la mesure où les légistes ne dispensent pas de soins. ■