Tradition orale et philosophie wolof chez Aminata Sow Fall :
une esthétique transgénérique et transculturelle dans Le Revenant
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roman africain, nous nous intéressons uniquement à la démonstration
et à l’explication d’une influence artistique africaine – et nous
reconnaissons qu’il y en a plusieurs – sur la poétique romanesque de
cet auteur. ASF comme les autres écrivains du continent s’exprimant
dans des langues européennes révèle une dualité esthétique dans son
expression romanesque. Nous sommes convaincus que la critique qui
s’attarde sur le postulat essentialiste de l’africanité des œuvres,
comme celle qui s’attarde sur celui de son européanité, réduit leurs
lois génériques et altère leur système de signification en les enfermant
dans des canons rigides et fixés d’avance. Cependant, comme le
souligne si bien Sémujanga, « transculture et transgénérique ne
signifient nullement absence de cultures nationales ni de genres
littéraires » (1999 : 192). Il faut, à la suite de Thomas Melone,
privilégier la réinsertion du texte dans le contexte16 pour mieux
valider le caractère transnational et transethnique de la littérature
comme production artistique symbolique.
Janheinz Jahn, qui a étudié les sources traditionnelles de la
littérature africaine moderne, estime qu’ « il faut chercher quels topoi,
quelles idées et quelles caractéristiques de style ont ou n’ont pas leur
origine dans des traditions et des civilisations strictement africaines17.
» Voilà pourquoi, en soulignant que le passage de l’oralité à l’écriture
marque une rupture, Koné18 se demande si cette rupture évacue toutes
les traces de l’oralité dans le roman africain. La réponse à cette
question est un non retentissant dans la mesure où les avatars de la
tradition orale se reflètent dans le roman africain moderne au niveau
de sa forme - et aussi de sa fonction - comme nous allons le voir chez
ASF.
Dans la plupart des romans de ASF l’énonciation s’appuie sur
l’extravagance, le comportement excessif, ou les défauts d’un ou de
16 Il faut penser avec Thomas Melone que le moment est venu
de s’associer dans nos travaux au mouvement profond de
réinsertion du texte dans le contexte, de l’artiste dans le
milieu dont il est le produit, de l’œuvre en tant que vision du
monde dans un système général de valeurs de civilisations
qui fondent le monde. Voir Mouhamadou Kane. « Sur les
‘formes traditionnelles’ du roman africain ». Revue de
littérature comparée. XLVIII, 3 et 4, 1974, pp 536-568.
17 Manuel de littérature néo-africaine, du 16ème siècle à nos
jours, de l’Afrique à l’Amérique. Paris : Éditions Resma,
1969.
18 Ibid., p. 16.
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