TeMpEte
^
La
WilLiam SHakEsPeaRe
TeMpEte
WilLiam SHakEsPeaRe
^La
traduction
JEAN-MICHEL DÉPRATS
avec
ROMAIN COTTARD
PIERRE DEVÉRINES
CHRISTIAN GONON
YVES JÉGO
DAVID LEJARS-RUFFET
JACQUES MAZERAN
FRANCK MICHAUD
FRÉDÉRIC NOAILLE
PATRICK PALMERO
AGNÈS RAMY
ANTOINE ROSENFELD
MATTHIEU SAMPEUR
mise en scène
STÉPHANE DOURET
OLIVIER FREDJ
De grANds BoulEverSemEnts
se PrEparent...
Je le vois, ces messieurs
S’émerveillent tellement de notre rencontre
Qu’ils en dévorent leur raison, et ont peine à croire
Que leurs yeux font leur office véritable, que leurs paroles
Sont un souffle naturel ; mais, si ébranlés
Si privés de sens que vous ayez pu être, tenez pour certain
Que je suis Prospéro, ce même duc
Pris dans la tourmente, un bateau s’échoue sur
une île apparemment déserte, abandonnant
une poignée de voyageurs.
Mais contre toute attente, le naufrage de
ce navire n’est pas le fruit de la malchance, et
la présence de ses passagers sur cette terre
hostile et isolée non plus.
Loin d’être dûe au hasard ou aux capri-
ces du destin, leur errance est l’aboutissement
d’un plan, mûrement réfléchi et patiemment
exécuté par un homme.
Un homme qui attend depuis des années
que ces naufragés, précisément, tombent en
son pouvoir. Un homme épris d’harmonie et
de justice. Un homme dont ils vont devenir les
jouets le temps d’une journée, le temps du réta-
blissement d’un Ordre qui fut bouleversé...
La réalité devenant un mirage, le songe
le réel, le théâtre le monde et le monde un théâ-
tre.
UNE TEMPÊTE
nous sommes de
ProSpeRo
Acte V scène 1
l’etoffe dont les rêves sont faits...
Le monde entier est un théâtre, et le théâtre est le monde
Dite, répétée des centaines de fois, présen-
te dans la grande majorité des programmes de théâtre pré-
sentant une œuvre de Shakespeare, cette phrase qui flottait
au dessus du théâtre du Globe n’a jamais été aussi vraie que
pour la Tempête.
Oui, sur l’île de Prospero, théâtre de drames,
d’aventures et d’amour, comme sur une scène, tout est fac-
tice. Des causes du naufrage du bateau des héros au statut
des personnages sur l’île qui les accueille, de la passion de
Miranda et Ferdinand à la nature monstrueuse de Caliban,
la réalité et l’ordre naturel des choses sont constamment
tordus, pliés aux exigences de l’un ou l’autre personnage,
eux-mêmes évidemment jouets des désirs de l’auteur.
Et c’est justement parce que dans cette piè-
ce, tout est faux, illusion et artifice, en d’autres termes parce
que tout y tout est théâtre, que nous avons immédiatement
trouvé dans La Tempête plus que dans toute autre pièce
l’essence même de ce qui nous anime et nous fait aimer ce
métier.
Mais la grande force de cette œuvre, c’est
que ces artifices de pure forme y sont totalement au service
de la réalité et de la vérité, aussi bien pour les personnages
de la pièce que pour le spectateur. C’est dans le rêve et dans
les illusions que le vrai se fait jour. C’est dans ce théâtre
que la vérité de l’humain avec toute sa violence peut appa-
raître. Car La Tempête est
avant tout une pièce sur le pouvoir, la domination, l’autorité.
Même si ce pouvoir, cette domination et cette autorité sont
illusoires: difficile de ne pas rapprocher les derniers mots
de Prospero, une fois sa soif d’ordre et de vérité étanchée,
de ceux de l’Ecclésiaste : Vanité des vanités, tout est vanité
(...). Il n’est point de pouvoir contre le jour et la mort (…) tout
cela je l’ai vu en appliquant mon attention à toute l’œuvre
qui s’accomplit sous le soleil, en un temps ou l’homme do-
mine sur l’homme pour son malheur (…) tout cela n’est que
pâture de vent.
“Artificialité” et violence de la réalité de
l’homme, la première étant le révélateur de la seconde, voilà
les deux moteurs qui nous ont poussés à nous intéresser à
cette œuvre complexe. Brutale et drôle, sa dernière comé-
die offre une nouvelle approche de Shakespeare, par lui-
même.
LA TEMPÊTE
L’ARTIFICE THÉÂTRAL
« On ne peut pas réduire la Tempête à l’une ou l’autre chose » disait à juste titre l’écrivain George Hugo
Tucker. En effet, c’est une pièce particulièrement complexe parce que multiple, tant sur le plan dramatique que thématique: on a
ici clairement affaire à trois pièces en une, autrement dit à trois “univers” différents: une tragédie politique, une comédie et une
pièce “romantique”. Et nous souhaitons aborder le texte dans son ensemble par ce qui est le dénominateur commun à tous les
aspects de cette multiplicité : l’artifice.
Ici, les artifices formels - références cosmiques et mythologiques, éléments et la nature, tous habile-
ment manipulés par Prospero -, ne sont pas présents uniquement pour théâtraliser les choses, mais bien pour dévoiler la vérité
cachée derrière la théâtralité. La féerie, le factice, le fantasme, l’illusion, tous sont les moyens indispensables pour percevoir le
réel. Et comme la magie, élément central de la pièce, est un moyen pour Prospéro d’accéder à la vérité et non une fin en soi, l’arti-
fice de théâtre pourra être celui d’approcher la vérité dramaturgique de la pièce.
Le grand organisateur (on pourrait dire manipulateur) de la fantasmagorie de La Tempête est bien sûr
Prospéro. Et que Prospéro puisse être Shakespeare n’échappe à personne. Cette idée donne à la parole de Prospéro une dimen-
sion supplémentaire, qui alimente aussi une réflexion sur le théâtre et sur la création. Prospéro n’utilise-t-il pas lui-même l’arti-
fice de la représentation théâtrale, et non pas la morale ou l’explication concrète, pour convaincre sa fille de défendre sa virginité
? Ici encore, le théâtre est plus fort que le réel...
LES PERSONNAGES
Les personnages de La Tempête sont ils alors tous la voix de Prospéro, comme le suggère Peter Gree-
naway dans son film Prospero’s Book ? Ou ce qu’il advient n’est-il finalement qu’un rêve dans la tête de cet homme? Nous ne
souhaitons pas explicitement répondre à ces questions, mais utiliser comme processus de création ce qui dans la pièce suscite
justement ces questions.
Cependant, il nous est apparu à cet égard qu’un personnage méritait un traitement particulier: Ariel.
Ariel, que Prospero rudoie autant qu’il flatte, mais surtout qu’il nomme “mon esprit”... C’est pourquoi nous voulons faire d’Ariel
véritablement l’”esprit»” du magicien, une émanation de sa raison, plutôt qu’un personnage purement féerique doté d’une indé-
pendance que de toute évidence il n’a pas. La libération de l’”esprit»” de Prospéro, tant attendue, devient du même coup l’un des
enjeux majeurs de la pièce.
Le thème du personnage “double”, ou du duo de personnages, est d’ailleurs omniprésent dans La Tem-
pête (souvent perturbé par un tiers qui change le rapport de force), et participe activement à l’évolution dramatique de l’œuvre: on
peut citer entre autres l’osmose Miranda/Ferdinand dérangée par Prospéro, la complicité Antonio/Sébastien gênée par Alonso,
la solidarité Stéphano/Trinculo contrariée par Caliban... C’est aussi dans cette direction que nous voulons travailler avec les
comédiens.
Nous avons sciemment choisi ceux-ci à l’opposé de la voie de l’évidence réaliste indiquée par leur statut
dans la distribution. Car il nous semble infiniment plus intéressant de montrer les personnages tels qu’ils se reflètent dans le
miroir des bouleversements qu’ils subissent sur l’île, plutôt que de nous fier à leur position sociale ou leur état avant le naufrage.
Et le texte indique de profonds bouleversements des êtres, le renversement même du statut de certains personnages, qui permet
de révéler (même symboliquement) leur nature profonde : On peut citer entre autres le texte des seigneurs Antonio, Alonso et
Sébastien, qui comporte de constantes élisions -alors qu’on pourrait attendre de ces personnages éduqués un langage raffiné-,
alors que celui du “monstre” Caliban est le seul écrit en vers... De prince, Ferdinand se retrouve esclave, alors que de naufragée
Miranda se découvre, elle, princesse... Stéphano, simple domestique avant le naufrage du bateau, profite de l’occasion pour se
proclamer Roi de l’île...
Concrètement, nous voulons nous éloigner des caricatures attendues des personnages, refusant un
Prospéro qui soit un archétype de magicien (à chapeau pointu, comme il se doit...), de jeunes premiers adoucis, des personnages
populaires grossièrement dessinés ou des seigneurs à l’allure noble et altière, pour au contraire mettre en avant le conflit inté-
rieur de Prospéro, la rudesse sauvage de Miranda, la violence de Ferdinand, les désirs de noblesse de Trinculo et Stéphano et la
bassesse mesquine des seigneurs.
Shakespeare semble en outre indiquer que la force de ces personnages apparemment archétypaux
n’est pas dans ce qu’ils sont, mais bien dans le lien qui les unit, fil élastique invisible tendu entre eux, chacun étant semble-t-il,
pris dans la tempête de l’autre. Et c’est ces rapports de pouvoir et la diversité des sentiments et actions qu’ils suscitent chez les
personnages que nous souhaitons donner à voir.
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