Le programme de remédiation cognitive RECOS – The RECOS

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DOSSIER THÉMATIQUE
Le programme de remédiation
cognitive RECOS
The RECOS cognitive remediation program
P. Vianin*
L
a schizophrénie est une pathologie psychiatrique
qui se caractérise par divers tableaux cliniques
et par des profils cognitifs souvent très différents d’un patient à l’autre. Il est dès lors illusoire de
vouloir traiter cette maladie de façon standardisée.
De manière assez surprenante, cependant, la prise
en charge différenciée des troubles observés après
une évaluation cognitive fait figure d’exception en
psychiatrie, alors que c’est généralement la règle
dans les services de neuropsychologie.
Cette constatation a suscité dans une grande mesure le
développement du Programme de remédiation cognitive pour patients présentant une schizophrénie ou un
trouble associé (RECOS) [1, 2]. Nous avons ainsi nousmêmes développé une batterie neuropsychologique qui
recouvre la majorité des fonctions cognitives souvent
déficitaires dans cette population. Cette évaluation
détaillée permet en effet de cibler avec précision le
travail de remédiation, en proposant des modules
d’entraînement individualisés. À notre connaissance,
il s’agit d’une approche inédite dans le domaine de la
schizophrénie et des troubles apparentés.
Le programme RECOS
Le programme RECOS comprend les éléments
suivants1.
Indication au programme
La constatation clinique de la présence de troubles
cognitifs ou l’écoute des plaintes des patients à ce
propos suffit pour adresser un patient au programme
Pour une vue plus complète des bases théoriques du programme
RECOS et de son déroulement, se référer au Manuel du thérapeute (1).
1
RECOS. Il est cependant recommandé que les
patients soient suffisamment stabilisés cliniquement, de manière à tirer pleinement bénéfice du
programme.
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Évaluation clinique
Des questionnaires cliniques évaluent la symptomatologie négative et positive, l’estime de soi,
les plaintes subjectives des déficits cognitifs, les
troubles de l’adaptation sociale du patient et la
conscience des symptômes de la maladie (insight).
Cette évaluation clinique a lieu avant et après la
phase de remédiation cognitive. Elle vise non seulement à comprendre les relations entre les déficits
cognitifs et les symptômes de la maladie, mais aussi
à mesurer les bénéfices cliniques d’un programme
de remédiation cognitive ciblé.
Évaluation des fonctions cognitives
Les tests retenus, pour lesquels nous disposons
de normes bien établies au sein d’une population
tout-venant, permettent d’évaluer les cinq fonctions
cognitives à entraîner. Nous avons cherché à sélectionner les tests neuropsychologiques couvrant au
mieux les déficits cognitifs les plus souvent mesurés
chez les patients souffrant de schizophrénie (3).
Évaluation des répercussions
fonctionnelles
Au terme de l’évaluation cognitive, les résultats sont
présentés au patient. Le thérapeute lui explique alors
la signification de chacun des résultats enregistrés
* Consultation de Chauderon, polyclinique du DP-CHUV, Lausanne.
La Lettre du Psychiatre • Vol. V - n° 4-5 - juillet-octobre 2009 | 87
Résumé
Mots-clés
Schizophrénie
Remédiation cognitive
Répercussions
fonctionnelles
Psychoéducation
Highlights
Today, it is believed that
cognitive disorders concern
about 80% of all patients
with schizophrenia. However,
numerous studies show that
cognitive deficits greatly
differ from one schizophrenic
patient to another. Consequently, the RECOS program
contains targeted training
modules for their remediation. Before treatment,
patients are evaluated with a
large battery of tests in order
to determine in which of the
five specific training modules
they would participate. Preliminary results showed a greater
improvement in the modules
for which training had taken
place compared with those
where no training had taken
place. Since, an improvement
was observed in both types of
modules, indicating a learning
transfer effect. Since these
results still need confirmation,
a multicentre research study in
France and in Switzerland aims
to validate the RECOS cognitive remediation program, by
comparing it to cognitive remediation therapy, developed by
A. Delahunty and T. Wykes, and
already validated.
Keywords
Schizophrenia
Cognitive remediation
Functional outcome
Psychoeducation
On pense aujourd’hui que les déficits cognitifs affectent environ 80 % des patients souffrant de schizophrénie. Toutefois, de nombreuses études indiquent que les déficits rencontrés diffèrent souvent d’un
patient à l’autre. Pour cette raison, le programme RECOS propose des modules d’entraînement ciblés pour
leur remédiation. Avant la remédiation, les patients sont évalués au moyen d’une large batterie de tests
qui déterminent le module auquel ils participeront. Des résultats préliminaires indiquent une amélioration
pour les modules entraînés supérieure à celle des modules non entraînés. On constate cependant une
amélioration à certains tests correspondant aux modules non entraînés, ce qui suggère un effet de transfert d’apprentissage. Ces résultats nécessitent confirmation. Dans cette optique, une étude franco-suisse
vise à valider le programme RECOS en le comparant à la cognitive remediation therapy développée par
A. Delahunty et T. Wykes, et déjà validée.
en évoquant les différentes fonctions cognitives
évaluées par la batterie RECOS.
L’objectif principal d’un programme de rééducation
cognitive est d’améliorer la situation du patient dans
sa vie quotidienne. Le questionnaire “Évaluation des
répercussions fonctionnelles” (ERF) a ainsi été développé dans le but de mesurer les conséquences dans
la vie quotidienne des domaines cognitifs déficitaires,
évalués préalablement par la batterie neuropsychologique. Un patient qui présente des déficits aux tests
mesurant la mémoire verbale devra, par exemple,
nous indiquer s’il présente des difficultés à mémoriser ce que les gens lui disent (les consignes de son
employeur, les prescriptions de son médecin, etc.).
La cotation se fait en fonction des réponses données
par le patient et également selon le comportement
observé au cours de l’entretien (pour la mémoire
verbale, cela pourrait se traduire, par exemple, par
une difficulté à mémoriser le contenu de l’entretien). Le choix du module d’entraînement se fait
non seulement en fonction de l’évaluation cognitive,
mais aussi en fonction des réponses données à l’ERF.
Psychoéducation
et définition d’objectifs
Au terme de la phase évaluative, la séance psychoéducative se déroule en présence du médecin et/ou du
clinicien référent et, si possible, d’un ou de plusieurs
proche(s) du patient. Plusieurs travaux récents soulignent les effets bénéfiques des séances de psychoéducation pour les patients souffrant de psychose :
réduction du taux de rechute, augmentation de la
compliance au traitement, réduction du sentiment
de culpabilité de la famille et diminution du stress
lié aux symptômes.
Cette séance permet également de discuter des
objectifs individualisés poursuivis durant la phase
de remédiation. Ces objectifs sont définis en lien
avec les répercussions fonctionnelles des troubles
cognitifs observés. Ils font l’objet d’un accord entre
le thérapeute et le patient et figurent sur le contrat
de participation signé lors de la séance suivante. Ils
sont rediscutés régulièrement avec le patient lors
de la phase de remédiation proprement dite et sont
évalués au terme du programme.
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Phase de remédiation
Chaque module d’entraînement propose des exercices “papier-crayon” et des exercices informatisés2.
Les séances papier-crayon permettent au patient
– avec l’aide de son thérapeute – de développer
les stratégies les plus efficaces pour faire face au
problème posé. Ces stratégies sont ensuite appliquées par le patient au cours des exercices sur ordinateur. Il s’agit de séances individuelles qui ont lieu
une à deux fois par semaine en présence du thérapeute. Un travail à domicile est également effectué
une fois par semaine et son contenu fait l’objet d’une
discussion entre le patient et son thérapeute. Il est
généralement en lien direct avec les préoccupations
de chacun des participants. Ces séances à domicile
sont importantes, car elles favorisent le transfert
des compétences acquises en séance.
Au cours du programme, les patients sont amenés à
verbaliser, catégoriser, organiser et planifier. Les stratégies de résolution de problèmes sont également
sollicitées, dans la mesure où elles permettent de
contrer la tendance des patients les plus déficitaires
à persévérer dans leur fonctionnement.
Résolution de problèmes
Les stratégies de résolution de problèmes visent à
développer une progressive autonomie du patient
face aux problèmes qu’il rencontre dans sa vie quotidienne. Dans le cadre de la remédiation cognitive,
cette technique a pour objectif d’explorer un large
éventail de stratégies possibles et de sélectionner
celles qui se révèlent les plus pertinentes pour faire
face à un problème donné. Les étapes suivantes sont
proposées :
Définir le problème. Les objectifs visés et les
obstacles pour y parvenir sont exprimés par le
patient. Le thérapeute s’assure que les éléments
importants du problème posé sont pris en compte et
exprimés clairement. Il est possible que cette phase
Ces exercices ont été initialement conçus par la société Scientific
Brain Training (SBT) établie à Villeurbanne (France). Nous avons
collaboré avec cette société pour les rendre compatibles avec les
objectifs fixés par le programme RECOS.
2
DOSSIER THÉMATIQUE
présente des difficultés pour des patients souffrant
d’un trouble du cours de la pensée.
Proposer différentes stratégies. Le patient est tenu
de proposer différentes stratégies pour résoudre le
problème posé. Il est encouragé à suggérer un grand
nombre de solutions, même celles qui lui paraissent les
plus “folkloriques”. Durant cette phase, le thérapeute
sollicite la créativité du patient. Les patients souffrant
de symptômes négatifs et d’un manque de flexibilité
cognitive sont particulièrement encouragés à proposer
un grand nombre de stratégies durant cette étape.
Examiner les différentes solutions avec le thérapeute. À cause de l’impossibilité de les mettre en
pratique ou lorsqu’elles apparaissent clairement
inadéquates, certaines stratégies proposées au
cours de l’étape précédente sont éliminées lors de
la discussion avec le thérapeute.
Appliquer les solutions choisies. Les stratégies
retenues après réflexion sont mises en pratique. Les
performances obtenues sont évaluées et comparées.
Choisir la stratégie. L’évaluation empirique des différentes stratégies permet de décider de la meilleure
stratégie à adopter face au problème posé. Une
stratégie ne signifie pas une seule étape dans la
résolution de problèmes. Au contraire, la stratégie
la mieux adaptée se compose souvent de plusieurs
étapes de traitement.
Le thérapeute remet régulièrement en question la
stratégie adoptée. Il est important de veiller à ce que
le patient tienne compte des changements – même
mineurs – du problème posé. En outre, le choix des
stratégies doit être rediscuté en fonction des progrès
réalisés. Des stratégies plus élaborées permettent en
effet à chaque patient d’optimiser ses performances
et d’atteindre des niveaux d’exercices plus élevés.
Exemple
Christian est un patient de 27 ans souffrant de schizophrénie paranoïde. Enfant, il a vécu de nombreux
traumatismes, liés principalement à un père violent.
Christian se plaint spontanément des nombreuses
pensées intrusives qui font écho à ces traumatismes
et perturbent sa concentration. L’évaluation neuropsychologique a permis de constater des troubles
de la mémoire verbale et un manque de flexibilité
cognitive mis en évidence par le Wisconsin card sorting
test. À la suite à cette évaluation, et en accord avec
les objectifs de remédiation qui visent à ce qu’il puisse
mieux mémoriser ce qu’on lui demande de faire dans
son travail, Christian participe au module “Mémoire
verbale”.
Lors de l’exercice “Mémoire d’éléphant”, qui est l’un
des 4 exercices informatisés du module “Mémoire
verbale”, une grille de 25 mots est présentée pendant
3 minutes (figure 1).
La tâche du patient est de reconnaître ensuite ces
25 mots au sein de 5 planches de 15 mots présentées
de manière successive. Sur chacune des planches
figurent 5 mots faisant partie de la grille.
L’obstacle principal est reconnu par Christian comme
étant celui de mémoriser autant de mots en un laps
de temps très court. Il prend conscience immédiatement de la nécessité de développer des stratégies pour y parvenir. Il envisage alors trois stratégies
principales.
➤ ➤ Comme nous avions déjà travaillé sur d’autres
exercices de mémoire verbale et que cette technique s’était révélée satisfaisante, Christian propose
d’associer les mots entre eux en se racontant une
histoire qui les relie tous.
➤ ➤ Christian propose également de se répéter les
mots dans la tête “comme une dictée”, espérant ainsi
que les mots finissent par être mémorisés.
➤ ➤ Une troisième stratégie évoquée par Christian
consiste à identifier des catégories et à les mémoriser. Cela lui permettra de choisir les mots appartenant à ces catégories lors de la reconnaissance et
d’éviter ainsi de faire des erreurs.
Le thérapeute propose alors de passer au point 4
de la résolution de problèmes et d’appliquer les
solutions choisies afin d’en évaluer l’efficacité. La
première stratégie s’avère rapidement inadéquate
x
Mémoire d’éléphant
fauve
croche
zoom
tirage
chorus
blanche
isoloir
rouge
cliché
concert
posemètre
liste
gouverneur
sondage
vermeil
thé
thème
dictateur
gin
bourbon
viseur
mauve
cointreau
ambré
armagnac
Figure 1. Exemple extrait de l’exercice “Mémoire d’éléphant” faisant partie du CD-Rom
interactif et issu du module Mémoire verbale.
La Lettre du Psychiatre • Vol. V - n° 4-5 - juillet-octobre 2009 | 89
DOSSIER THÉMATIQUE
Remédiation cognitive
dans la schizophrénie
Le programme de remédiation cognitive RECOS
dans cet exercice, car le nombre de mots à associer sémantiquement est trop important pour le
temps imparti. La deuxième stratégie est également
insatisfaisante, car les pensées intrusives surgissent régulièrement lors de la répétition des mots et
empêchent Christian de se concentrer. La troisième
stratégie, visant à regrouper les mots en catégories,
s’avère, en revanche, adéquate et permet à Christian de faire moins d’erreurs. Un problème persiste
néanmoins avec cette technique, car certains mots
sont inconnus de Christian (“posemètre”, “vermeil”,
“ambré”). Après discussion avec le thérapeute, Christian décide de garder la stratégie de regroupement
en catégories, en constituant la catégorie des mots
inconnus. Comme ces mots inconnus risquent d’être
oubliés lors de la tâche de reconnaissance, Christian
décide de répéter ces mots dans sa tête plusieurs
fois, autrement dit d’intégrer la deuxième stratégie,
en la réservant à cette catégorie des mots inconnus.
Pour l’exemple présenté ci-dessus, Christian a ainsi
pu identifier 6 catégories :
➤ ➤ musique (“croche”, “chorus”, “blanche”, “concert”,
“thème”)
➤ ➤ couleurs (“fauve”, “rouge”, “mauve”) ;
➤ ➤ photographie (“zoom”, “tirage”, “cliché”, “viseur”) ;
➤ ➤ politique (“isoloir”, “liste”, “gouverneur”, “sondage”, “dictateur”) ;
x
Capturez les mots-clés
Avec tout cela, il était tard. Charles songea à prendre congé ; mais il apprit que son bagage
avait été apporté de son hôtel, et on le conduisit dans une chambre extrêmement confortable,
où le maître de la maison, après avoir constaté lui-même que rien ne manquait à son bien-être,
le laissa se mettre au lit et se reposer de cette soirée agitée.
Appuyez sur la barre espace pour passer à la suite.
Figure 2. Exemple extrait de l’exercice “Capturez les mots-clés” faisant partie du CD-Rom
interactif et issu du module Mémoire verbale. Cet exercice consiste dans un premier
temps à mémoriser la place des verbes d’un texte lu. Dans un second temps, ces verbes
doivent être restitués en respectant leur ordre d’apparition dans le texte.
90 | La Lettre du Psychiatre • Vol. V - n° 4-5 - juillet-octobre 2009
➤ ➤ boissons (“thé”, “gin”, “bourbon”, “cointreau”,
“armagnac”) ;
➤ ➤ mots inconnus (“posemètre”, “vermeil”, “ambré”).
Les très bons résultats obtenus par Christian dans
cet exercice l’ont conforté dans cette stratégie de
résolution de problèmes en 4 étapes :
➤ ➤ regrouper les mots connus en catégories ;
➤ ➤ créer une catégorie de mots inconnus ;
➤ ➤ mémoriser le nom des catégories identifiées ;
➤ ➤ répéter plusieurs fois les mots inconnus dans
sa tête.
Comme l’illustre cet exemple, il est important
de tenir compte des symptômes du patient lors
de la résolution de problèmes. En l’occurrence, le
thérapeute et Christian ont décidé d’abandonner
la stratégie durant laquelle des pensées intrusives
perturbaient sa concentration.
D’autre part, il est important de noter que les exercices informatisés permettent l’utilisation de certaines
stratégies à certains niveaux, alors que ces mêmes
stratégies peuvent se révéler inadéquates lorsque le
patient parvient à des niveaux plus élevés. Ainsi, l’exercice “Mémoire d’éléphant” favorise le regroupement
en catégories pour les niveaux les plus bas, puisque
5 catégories y sont systématiquement présentées.
Pour les niveaux plus difficiles, les mots sont en
revanche choisis au hasard dans une large base de
données. Cette technique de regroupement en catégories risque alors de s’avérer inefficace, et de nouvelles
stratégies devront être envisagées pour répondre aux
contraintes de la situation. L’organisation des exercices
en différents niveaux de jeu nécessite ainsi une grande
flexibilité cognitive de la part des patients, puisqu’il
s’agit de remettre en question les stratégies utilisées
jusque-là avec succès.
Fonctions cognitives traitées
par le programme RECOS
Les fonctions cognitives pour lesquelles les patients
présentent des déficits font l’objet d’un module d’entraînement spécifique. Chaque module d’entraînement comprend 6 exercices papier-crayon ainsi
que 4 exercices informatisés. Nous présentons ici
un exemple d’exercice pour chacun des 5 modules
d’entraînement.
Mémoire verbale
La mémoire verbale intervient pour enregistrer
ou rappeler des informations aussi diverses que le
DOSSIER THÉMATIQUE
contenu d’une conversation, le nom de tel objet
ou de telle personne présentée il y a peu, une date
historique ou encore l’apprentissage d’une langue
étrangère. Elle se trouve continuellement mise
à contribution – de façon volontaire ou non – et
permet de constituer en chacun de nous un stock
de connaissances et de souvenirs dans lequel nous
puisons en permanence. La mémoire verbale est
une des fonctions cognitives dont les déficits sont
susceptibles d’avoir des répercussions fonctionnelles
importantes (figure 2).
x
Objets, où êtes-vous ?
Mémoire et attention visuo-spatiales
La vie quotidienne nécessite que nous portions régulièrement notre attention sur les formes des objets
et que nous soyons capables de nous représenter leur
position dans l’espace. La mémoire et l’attention
visuo-spatiales nous permettent ainsi d’analyser et
de stocker les informations visuelles pour développer
nos activités au sein de l’environnement : imaginer
la position d’un objet par rapport à un autre, estimer
la distance qui nous sépare d’un obstacle ou encore
percevoir la position de notre corps sont autant
de capacités qui nous permettent d’évoluer sans
encombre dans notre environnement (figure 3).
Valider
Figure 3. Exemple extrait de l’exercice “Objets, où êtes-vous ?” faisant partie du CD-Rom
interactif et issu du module “Mémoire et attention visuo-spatiales”. L’exercice consiste
à mémoriser des images ainsi que leur emplacement sur une grille.
Mémoire de travail
La mémoire de travail intervient dans le traitement
et le maintien temporaire des informations nécessaires à la réalisation d’activités cognitives aussi
diverses que la compréhension, l’apprentissage et le
raisonnement. Ainsi, la mémoire de travail permet
non seulement de reproduire immédiatement les
informations, mais également de les manipuler,
les “travailler” mentalement. C’est, par exemple,
la mémoire qui permet de suivre une conversation,
de comprendre le contenu d’un texte (roman, article
de journal, etc.) ou encore de retenir un numéro de
téléphone lu dans l’annuaire afin de le composer.
Les déficits de mémoire de travail ont des répercussions importantes sur la vie quotidienne du patient,
notamment sur ses interactions sociales (figure 4).
Attention sélective
L’attention sélective correspond à la capacité de
porter son attention sur un seul type d’informations (les paroles d’une chanson, l’odeur d’un repas,
Jus de pamplemousse : 3 doses
Sirop de citron vert : 1 dose
Crème de coco : 2 doses
une rondelle de banane
un verre tulipe
Valider le cocktail
Figure 4. Exemple extrait de l’exercice “À vos shakers” faisant partie du CD-Rom interactif
et issu du module “Mémoire de travail”. Cet exercice permet d’exercer la mémoire de
travail, puisqu’il s’agit de retenir les ingrédients d’un cocktail, ainsi que leur dosage et le
type de verre utilisé, jusqu’au terme de la réalisation du cocktail.
La Lettre du Psychiatre • Vol. V - n° 4-5 - juillet-octobre 2009 | 91
DOSSIER THÉMATIQUE
Remédiation cognitive
dans la schizophrénie
Le programme de remédiation cognitive RECOS
x
Planche N° 1
la forme d’un objet, etc.), de manière à ce que les
autres stimuli de l’environnement ne viennent pas
perturber la tâche en cours (par exemple, le bruit
du tramway, qui m’empêche de comprendre ce que
je lis). Deux mécanismes sont donc nécessaires à ce
travail cognitif : la sélection de l’information pertinente et l’inhibition des informations non pertinentes. Les troubles de l’attention sélective sont
décrits comme des déficits cognitifs majeurs de la
schizophrénie (figure 5).
Raisonnement
Figure 5. Exemple extrait de l’exercice “Figures enchevêtrées” faisant partie du CD-Rom
interactif et issu du module “Attention sélective”. Cet exercice consiste à identifier dans
une figure complexe les 3 éléments enchevêtrés la constituant. Il exerce l’attention
sélective dans la mesure où il nécessite d’isoler – au niveau de la perception – chacun des
éléments constituant la figure complexe en faisant abstraction des 2 autres éléments.
Dans le contexte de ce programme, le “raisonnement” fait référence aux fonctions exécutives et
comprend les capacités d’organisation, de planification, de flexibilité cognitive et de logique3. Le
raisonnement définit des traitements de l’information appelés de “haut niveau” parce qu’il requiert la
mise en place de stratégies parfois complexes. De
bonnes capacités de raisonnement permettent ainsi
de s’adapter à une situation nouvelle, de planifier
le déroulement d’une action ou encore de modifier son comportement lorsque celui-ci n’est plus
adapté.
De nombreuses études ont mentionné des troubles
du raisonnement chez les patients schizophrènes
avec idées délirantes. Les patients schizophrènes
souffrant d’idées de persécution utiliseraient un
nombre moins élevé d’informations avant de tirer
des conclusions ( jump-to-conclusions) que les
patients non délirants ou que les sujets contrôles
(figure 6).
démon
Réévaluation cognitive
et clinique
Jeux et jouets
Bijoux
Créatures fantastiques
Devises
Figure 6. Exemple extrait de l’exercice “Tiroirs secrets” faisant partie du CD-Rom interactif et issu du module “Raisonnement”. Des mots appartenant à différentes catégories
défilent du haut de l’écran vers le bas. L’exercice consiste à attraper les mots avant qu’ils
n’atteignent le bas de l’écran et à les ranger dans des tiroirs représentant différentes
catégories. Les capacités d’organisation de l’information sont ici sollicitées.
92 | La Lettre du Psychiatre • Vol. V - n° 4-5 - juillet-octobre 2009
Au terme des modules d’entraînement, une évaluation cognitive similaire à celle réalisée initialement
est effectuée dans le but de comparer les performances cognitives avant et après la phase de
remédiation. La même évaluation clinique permet
également d’évaluer les effets des progrès cognitifs sur la symptomatologie et le fonctionnement
psychosocial.
Comme l’attention sélective et la mémoire de travail font partie
des fonctions exécutives et que ces deux fonctions sont évaluées
séparément, nous avons préféré le terme de “raisonnement” à celui
de “fonctions exécutives”.
3
DOSSIER THÉMATIQUE
Résultats préliminaires
Les résultats obtenus chez 30 patients souffrant d’un
trouble du spectre de la schizophrénie indiquent une
amélioration globale chez les participants qui ont
terminé le programme (résultats en cours de publication). On note une amélioration pour les modules
entraînés supérieure à celle obtenue dans les modules
non entraînés, ce qui témoigne de la pertinence d’un
entraînement adapté aux déficits cognitifs du patient.
On constate aussi une amélioration à certains tests
correspondant aux modules non entraînés, ce qui
atteste d’un effet de transfert d’apprentissage. En
outre, sur la base du nombre d’erreurs persévératives
obtenues au Wisconsin card sorting test, nous mettons
en évidence pour le RECOS des effets plus importants
que ceux produits par un entraînement cognitif non
spécifique. Ces résultats confirment l’impact thérapeutique d’un programme de remédiation cognitive
spécifiquement adapté au profil cognitif du patient.
Une étude franco-suisse impliquant 280 patients
souffrant de schizophrénie est menée actuellement
dans le but de valider le programme RECOS. Elle vise
à évaluer les progrès enregistrés chez 140 patients
ayant suivi le programme RECOS et à les comparer
à ceux obtenus chez 140 patients ayant participé à la
version française de la cognitive remediation therapy.
L’impact de ces deux programmes sur les symptômes
de la maladie, ainsi que sur les aspects psychosociaux (autonomie, réinsertion sociale) sera également mesuré dans cette étude.
Conclusion
Nous considérons la remédiation cognitive non
seulement comme un but – améliorer les compétences cognitives –, mais aussi, et surtout, comme
un moyen donné aux patients de mieux gérer leur vie
quotidienne en misant sur l’acquisition et la consolidation des techniques de résolution de problèmes et
le transfert des apprentissages effectués en séance.
En premier lieu, notre démarche vise en effet à développer chez les patients traités l’aptitude à rechercher des solutions aux problèmes posés en trouvant
eux-mêmes des stratégies adéquates. Les techniques
de résolution de problèmes sont particulièrement
importantes chez des patients qui souffrent fréquemment d’une perte d’initiative et d’un manque de motivation, comme cela peut être le cas chez les patients
dépressifs. Le fait de pouvoir résoudre des problèmes
complexes va notamment renforcer une estime de
soi souvent déficitaire. Ces techniques pourront
ensuite être utilisées lorsqu’il s’agira de prendre des
décisions, de faire face à un symptôme ou encore
d’évaluer les conséquences d’un comportement. Par
ailleurs, nous avons vu que les patients présentant
des idées délirantes ont tendance à tirer trop rapidement des conclusions lorsqu’ils sont confrontés à un
problème. Les techniques de résolution de problèmes
leur permettent de contrecarrer cette tendance,
puisqu’elles incitent à considérer plusieurs stratégies
avant de choisir la meilleure manière de parvenir aux
objectifs fixés. Les patients présentant les symptômes
positifs de la maladie peuvent ainsi également bénéficier des techniques visant à aborder un problème
sous différents angles. Au-delà des compétences
développées dans le programme (entraînement de
la mémoire de travail, de l’attention sélective, etc.),
notre objectif est donc que le patient “apprenne à
apprendre”, selon l’expression consacrée.
Un deuxième aspect important du programme RECOS
concerne la métacognition. De manière générale, la
métacognition peut être définie comme la connaissance qu’un sujet a de son propre fonctionnement
cognitif, la manière dont il peut en prendre conscience
et les moyens mis en œuvre pour adapter son comportement en conséquence. Autrement dit, l’accent est
mis à la fois sur la psychoéducation, le transfert d’apprentissage et la généralisation des techniques de
résolution de problèmes. Il s’agit de s’assurer que ce
qui est entraîné en séance puisse servir à améliorer le
bien-être et l’autonomie du patient. La métacognition
exige donc de prendre de la distance par rapport à ses
propres pensées ou cognitions, d’identifier le problème
posé par la situation et d’expliciter sa manière de le
résoudre. Un des intérêts majeurs du développement
de la métacognition des patients traités en remédiation réside dans la possibilité de maintien des acquis
sur le long terme. Les techniques apprises en cours de
séance pourront ainsi être mieux automatisées ainsi
que généralisées à la vie quotidienne, et favoriser le
processus de réhabilitation dans son ensemble.
En insistant sur les éléments métacognitifs de la
prise en charge, nous soulignons la place importante du thérapeute, qui agit comme un médiateur entre les déficits observés, leurs répercussions
dans la vie quotidienne du patient et les objectifs
visés par le programme. Sans ce rôle de médiation
et sans les capacités du thérapeute à modifier la
relation qu’entretient le patient avec son environnement, le maintien et la généralisation des progrès
rencontrés au terme du programme seraient fortement compromis. La formation des thérapeutes au
programme RECOS est ainsi une condition préalable
à son utilisation.
■
Références
bibliographiques
1. Vianin P. Programme de remédiation cognitive pour patients
présentant une schizophrénie ou
un trouble associé. Manuel du
thérapeute. Charleroi : Socrate
Éditions Promarex, 2007.
2. Vianin P. Remédiation cognitive de la schizophrénie. Présentation du programme RECOS.
Annales médico-psychologiques
2007;165:200-5.
3. Vianin P, Jaugey L. Pourquoi
et comment évaluer les troubles
cognitifs des patients schizophrènes ? Revue francophone
de clinique comportementale
et cognitive 2007;12(1):14-24.
La Lettre du Psychiatre • Vol. V - n° 4-5 - juillet-octobre 2009 | 93
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