
1
Introduction
Tandis que l’Union européenne est secouée par une crise aux multiples visages – financière,
démocratique, sociale, idéologique –, crise dont certains intellectuels affirment qu’elle est
nécessaire, qu’elle est un passage naturel sur la voie lente mais sûre de la jeune construction
européenne1, un nouveau concept a fait son apparition dans la campagne présidentielle
française, sans pour le moment trouver un écho très large dans le reste de l’opinion publique
internationale, c’est celui de la « démondialisation »2. De façon a priori désarçonnante, il a
mis d’accord aussi bien l’extrême droite (Marine Le Pen) que l’extrême gauche (Jean-Luc
Mélenchon) et la gauche modérée (Arnaud Montebourg, qui en avait fait son slogan de
campagne)3. À gauche, chez le candidat malheureux aux primaires socialistes, Arnaud
Montebourg, on défend un protectionnisme européen – dans l’intérêt du Nord comme du Sud,
affirme-t-on –, un protectionnisme « altruiste et solidaire »4.
Au-delà de ces programmes politiques particuliers, il convient d’interroger ce nouveau
concept et ses enjeux, en ciblant les problèmes auxquels ses partisans prétendent apporter une
réponse et en évaluant cette réponse à l’aune de critères de justice. Le propos de ce travail ne
consistera pas à recenser la liste exhaustive des problèmes politiques, économiques, sociaux,
environnementaux et culturels que pose la mondialisation, mais d’en cibler quelques-uns des
principaux – nous avons choisi 1/ le délitement des États providence, qui concerne les
démocraties libérales occidentales essentiellement ; 2/ l’homogénéisation culturelle, politique
et économique, ou « occidentalisation du monde », qui inquiète notamment les pays en voie
de développement ; 3/ la perte d’autonomie démocratique des États-nations, qui est constatée
par tous et fait le lien entre les deux premiers problèmes. C’est donc sur ces points que nous
allons successivement nous pencher, au moyen d’apports théoriques divers, qui ne se
cantonnent pas aux écrits explicitement « démondialistes »5, mais qui sont de nature à soutenir
ou remettre en cause ce projet.
En toile de fond, c’est bien entendu la crise écologique qui constitue le problème majeur
engendré par la mondialisation des échanges et la dérégulation des marchés. Ce problème est
trop évident que pour être rappelé et analysé spécifiquement ici, mais il est bien entendu que
toute solution aux autres problèmes soulevés devra apporter en premier lieu une réponse
crédible à cette crise aux conséquences potentiellement désastreuses pour les générations
futures.
1 Cf. VAN MIDDELAAR Luuk, Le passage à l’Europe. Histoire d’un commencement, Paris, Gallimard, 2012.
2 En anglais : deglobalization. En français on utilise également « déglobalisation ». La démondialisation n’est
pas identique à l’altermondialisme ; elle implique, dans ses différentes variantes, une certaine dynamique de
repli, de retour à des formes plus locales d’autonomie et d’économie.
3 Cela paraît moins étonnant si l’on tient compte du fait que Marine Le Pen semble avoir déplacé le
positionnement politique du Front National de l’extrême droite au « socialisme ethnique », pour reprendre
l’expression du politologue Dominique Reynié. Tandis que son père, Jean-Marie, prônait « moins d’État », elle
centre son programme sur une préservation des avantages de l’État social…pour les Français uniquement. Cf.
REYNIÉ Dominique, Populisme : la pente fatale, Paris, Plon, 2011, cité dans MORA Miguel, « Du AAA pour Le
Pen », dans Courrier international n° 1107, 19-25 janvier 2012, p. 9.
4 MONTEBOURG Arnaud, Votez pour la démondialisation. La République plus forte que la mondialisation, Paris,
Flammarion, 2011, p. 52.
5 Nous n’en avons identifié que deux, outre le manifeste de Montebourg : La démondialisation. Idées pour une
nouvelle économie mondiale, du sociologue philippin Walden Bello, fondateur et directeur de l’ONG Focus on
the Global South, initialement paru en 2002 chez Zed Books, ainsi que La démondialisation de l’économiste
français Jacques Sapir, paru l’an dernier aux éditions du Seuil. L’idée d’un protectionnisme européen est
défendue notamment par Emmanuel Todd dans Après l’Empire, Paris, Gallimard, 2003.