UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAIN CHAIRE HOOVER D’ÉTHIQUE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE La démondialisation Un défi à la justice globale ETES 2004 : Travail de synthèse personnel Pr. Philippe Van Parijs Pierre-Etienne Vandamme Année académique 2011-2012 Introduction Tandis que l’Union européenne est secouée par une crise aux multiples visages – financière, démocratique, sociale, idéologique –, crise dont certains intellectuels affirment qu’elle est nécessaire, qu’elle est un passage naturel sur la voie lente mais sûre de la jeune construction européenne1, un nouveau concept a fait son apparition dans la campagne présidentielle française, sans pour le moment trouver un écho très large dans le reste de l’opinion publique internationale, c’est celui de la « démondialisation »2. De façon a priori désarçonnante, il a mis d’accord aussi bien l’extrême droite (Marine Le Pen) que l’extrême gauche (Jean-Luc Mélenchon) et la gauche modérée (Arnaud Montebourg, qui en avait fait son slogan de campagne)3. À gauche, chez le candidat malheureux aux primaires socialistes, Arnaud Montebourg, on défend un protectionnisme européen – dans l’intérêt du Nord comme du Sud, affirme-t-on –, un protectionnisme « altruiste et solidaire »4. Au-delà de ces programmes politiques particuliers, il convient d’interroger ce nouveau concept et ses enjeux, en ciblant les problèmes auxquels ses partisans prétendent apporter une réponse et en évaluant cette réponse à l’aune de critères de justice. Le propos de ce travail ne consistera pas à recenser la liste exhaustive des problèmes politiques, économiques, sociaux, environnementaux et culturels que pose la mondialisation, mais d’en cibler quelques-uns des principaux – nous avons choisi 1/ le délitement des États providence, qui concerne les démocraties libérales occidentales essentiellement ; 2/ l’homogénéisation culturelle, politique et économique, ou « occidentalisation du monde », qui inquiète notamment les pays en voie de développement ; 3/ la perte d’autonomie démocratique des États-nations, qui est constatée par tous et fait le lien entre les deux premiers problèmes. C’est donc sur ces points que nous allons successivement nous pencher, au moyen d’apports théoriques divers, qui ne se cantonnent pas aux écrits explicitement « démondialistes »5, mais qui sont de nature à soutenir ou remettre en cause ce projet. En toile de fond, c’est bien entendu la crise écologique qui constitue le problème majeur engendré par la mondialisation des échanges et la dérégulation des marchés. Ce problème est trop évident que pour être rappelé et analysé spécifiquement ici, mais il est bien entendu que toute solution aux autres problèmes soulevés devra apporter en premier lieu une réponse crédible à cette crise aux conséquences potentiellement désastreuses pour les générations futures. 1 Cf. VAN MIDDELAAR Luuk, Le passage à l’Europe. Histoire d’un commencement, Paris, Gallimard, 2012. En anglais : deglobalization. En français on utilise également « déglobalisation ». La démondialisation n’est pas identique à l’altermondialisme ; elle implique, dans ses différentes variantes, une certaine dynamique de repli, de retour à des formes plus locales d’autonomie et d’économie. 3 Cela paraît moins étonnant si l’on tient compte du fait que Marine Le Pen semble avoir déplacé le positionnement politique du Front National de l’extrême droite au « socialisme ethnique », pour reprendre l’expression du politologue Dominique Reynié. Tandis que son père, Jean-Marie, prônait « moins d’État », elle centre son programme sur une préservation des avantages de l’État social…pour les Français uniquement. Cf. REYNIÉ Dominique, Populisme : la pente fatale, Paris, Plon, 2011, cité dans MORA Miguel, « Du AAA pour Le Pen », dans Courrier international n° 1107, 19-25 janvier 2012, p. 9. 4 MONTEBOURG Arnaud, Votez pour la démondialisation. La République plus forte que la mondialisation, Paris, Flammarion, 2011, p. 52. 5 Nous n’en avons identifié que deux, outre le manifeste de Montebourg : La démondialisation. Idées pour une nouvelle économie mondiale, du sociologue philippin Walden Bello, fondateur et directeur de l’ONG Focus on the Global South, initialement paru en 2002 chez Zed Books, ainsi que La démondialisation de l’économiste français Jacques Sapir, paru l’an dernier aux éditions du Seuil. L’idée d’un protectionnisme européen est défendue notamment par Emmanuel Todd dans Après l’Empire, Paris, Gallimard, 2003. 2 1 1. La fin de l’État providence ? Le principe de l’État providence est simple : assurer à tous les citoyens un ensemble de droits fondamentaux qui, au contraire du paradigme du droit libéral, ne se contentent pas d’être des droits formels, mais également économiques et sociaux (droit à une aide aux soins de santé, à une protection sociale en cas de perte d’emploi, à une pension de retraite, etc.). Pour financer cette redistribution, un impôt de solidarité proportionnel est prélevé sur l’ensemble des citoyens et sur les entreprises. On peut considérer cela comme le grand acquis (et le grand compromis apaisant la lutte des classes) des démocraties libérales occidentales dans l’aprèsguerre, bien qu’une révision des fondements éthiques de l’État providence soit encore envisageable, voire souhaitable1. Cependant, ce n’est pas tant cette révision potentielle à la hausse qui inquiète nos contemporains, mais plutôt le démantèlement, entamé depuis quelques années déjà, de ces acquis sociaux obtenus de longue lutte. La menace vient, outre de la crise économique, plus fondamentalement du contexte mondialisé dans lequel se jouent désormais l’ensemble des relations économiques. Ce contexte se caractérise très simplement par la concurrence, qui consiste en ceci que les niveaux de vie et les législations étant extrêmement variables d’un pays et d’un continent à l’autre, le coût du travail varie en conséquence énormément. Dès lors, l’enjeu pour les entreprises est de produire dans les meilleures conditions, ces dernières se définissant en fonction 1/ du coût local du travail, 2/ de la réglementation concernant ce travail, et 3/ des charges fiscales. C’est ce phénomène d’une simplicité désarçonnante qui engendre celui des délocalisations multiples, qui façonnent désormais le quotidien des travailleurs du monde entier2. Cette logique compétitrice, dans laquelle s’inscrivent naturellement les entreprises n’ayant d’autre objectif que le profit maximal, a des répercussions évidentes sur le comportement des États, obligés d’eux-mêmes se muer en entreprises3. En effet, leur capacité à réaliser leurs fonctions redistributive et régulatrice dépend des recettes fiscales, menacées par la possibilité permanente de la délocalisation, tant au niveau des individus (c’est facile, il suffit de se domicilier sous des cieux plus cléments) que des entreprises (plus ardu, mais plus évident, car aucun théoricien n’a jamais supposé à celles-ci un sens de la justice ou de la solidarité). Comme l’illustre la courbe dite de Laffer, il existe un point de tangence à partir duquel les recettes de l’État diminuent en fonction de l’augmentation du taux d’imposition. Or, plus la circulation est aisée entre des zones de taxation différenciée, plus le taux optimal d’imposition diminue. Dès lors, la configuration actuelle d’économie mondialisée (et de marché commun en Europe), tandis que le pouvoir de taxation demeure la prérogative des États nations, contribue évidemment à limiter drastiquement la marge de manœuvre de ces derniers en matière redistributive. « Tous les diagnostics finissent en effet par admettre que les gouvernements nationaux sont contraints de s’engager dans un jeu à somme nulle dans lequel les valeurs nominales, exigées par l’économie, ne peuvent être atteintes qu’au détriment des objectifs sociaux et politiques. »4 1 Cf. VAN PARIJS Philippe, « Assurance, solidarité, équité. Les fondements éthiques de l’État-Providence », dans Cahiers de l’École de sciences philosophiques et religieuses, n° 12, 1992, p. 49-72. 2 D’après Jacques Sapir, près de la moitié du chômage actuel en France serait causée par les pertes directes et indirectes liées aux délocalisations. Cf. SAPIR Jacques, La démondialisation, Paris, Seuil, 2011, cité dans MONTEBOURG Arnaud, op. cit., p. 31. 3 VAN PARIJS Philippe, Sauver la solidarité, Paris, Cerf, 1995, p. 65 sq. 4 HABERMAS Jürgen, Après l’État-nation. Une nouvelle constellation politique, Paris, Fayard, 2000, p. 30. 2 En contexte de crise, de surcroît, quand les dettes se rappellent à nos bons souvenirs, les États se voient priés par des agences de notations indépendantes, du jugement desquelles dépendent les crédits bancaires, d’instaurer des mesures d’austérité (réduction des dépenses, du nombre de fonctionnaires, etc.), afin de redevenir compétitifs. Les victimes de cette situation sont avant tout les chômeurs, considérés même par la gauche comme « inadaptés ». Il y aurait évidemment lieu, dans un tel contexte, de repenser l’hypocrisie du droit au travail et la transition vers un droit inconditionnel au revenu, mais la mode n’est ni aux dépenses ni à l’innovation socio-économique. Au contraire, c’est un conservatisme néolibéral qui s’impose, vraisemblablement oublieux des leçons du passé. Les autres victimes sont les immigrants économiques, repoussés au prétexte qu’ils n’ont « pas de bonnes raisons » de vouloir quitter leur misère pour une misère moindre (ou du moins offrant davantage de perspectives d’amélioration). Par ailleurs, les budgets consacrés à la coopération au développement sont gelés, comme si cette question n’était pas liée à la précédente. Bref, la solidarité se délite autant à l’intérieur des États qui avaient le mieux réussi le « compromis historique » de l’État social1 qu’entre le Nord et le Sud. Pire encore, les États d’Europe qui avaient pris le risque de mutualiser leurs économies en adoptant une monnaie unique s’avèrent incapables de réagir à la crise par des pactes de solidarité, préférant l’austérité chacun chez soi. En conclusion, selon Arnaud Montebourg, « la mondialisation est désormais un système perdant pour tous les travailleurs, classes laborieuses, populaires et moyennes du monde entier ; les uns parce qu’ils perdent ce qu’ils ont chèrement acquis, les autres parce qu’ils ne gagnent rien ou pas grand-chose »2. 2. Mondialisation et colonialité Alors que nous venons de voir ce que la mondialisation coûte aux démocraties occidentales, il convient dans ce deuxième point de décentrer quelque peu la pensée pour examiner la situation d’un autre point de vue : celui des pays dits « en voie de développement », expression qui semble annoncer la promesse d’une « égalisation » à venir des niveaux de développement. Et si le développement, pourtant, n’était qu’une idéologie ? D’après Paul Ricœur, la fonction de l’idéologie est double : légitimer et occulter3. Ce qui est occulté, refoulé par les consciences occidentales, c’est le coût que l’« émancipation » européenne fait porter aux autres cultures, c’est la destruction et l’oppression qu’engendre son expansion. Le développement, la défense de la démocratie et des droits de l’homme ne seraient-ils que des outils permettant de légitimer l’ordre des relations socio-économiques mondiales en dissimulant la réalité de l’exploitation et de la paupérisation de nombreuses populations du Sud ? C’est dans cette voie que s’inscrit Serge Latouche, notamment4. Mais mieux vaut sans doute opérer ici un geste de « désobéissance épistémologique »5 et donner la parole à des voix non occidentales. En effet, en Amérique du Sud, notamment, il existe un groupe de travail qui vise une critique décoloniale des modes de pensée (occidentaux) dominants, enfermés dans ce qu’ils définissent comme la « matrice coloniale de pouvoir ». Si la période de colonisation du monde, au sens d’une entreprise politique expansionniste, est à peu près achevée, le processus 1 Cf. ibid., p. 25-27. MONTEBOURG Arnaud, op. cit., p. 32. 3 Cf. RICŒUR Paul, « Science et idéologie », dans Revue philosophique de Louvain, 72, n°14, p. 328-356. 4 Cf. LATOUCHE Serge, L’occidentalisation du monde. Essai sur la signification, la portée et les limites de l’uniformisation planétaire, Paris, La Découverte, 2005. 5 L’expression est de Walter Mignolo. 2 3 de mondialisation manifeste à l’évidence des relents de colonialité, c’est-à-dire une relation de domination hiérarchique qui se joue autant sur les plans politique et socio-économique que culturel et intellectuel1. L’ère qui s’est ouverte avec la naissance du capitalisme en Europe et l’expansion vers le Nouveau Monde ne s’est pas refermée ; l’eurocentrisme (à entendre dans un sens large) domine. Intellectuellement, notre conception du monde est intimement liée à l’avènement de la modernité. Or, à en croire les tenants de la critique décoloniale, l’histoire de la modernité occidentale est l’histoire de la volonté de domination de l’Occident sur le monde. Et l’avènement du capitalisme, qui a marqué de son sceau la modernité, était, dans son essence, colonial. Comme le faisait remarquer Marx, en effet, « le marché mondial constitue la base du capitalisme [et] c’est la nécessité pour celui-ci de produire à une échelle constamment élargie qui l’incite à étendre continuellement le marché mondial »2. D’emblée, « les Européens générèrent une nouvelle perspective temporelle de l’histoire et resituèrent les peuples colonisés, ainsi que leurs histoires et cultures respectives, dans le passé sur une trajectoire historique dont l’aboutissement était l’Europe »3. Et cet aboutissement se caractérise grossièrement par le libre marché, les droits de l’homme et la démocratie, indissociés, du haut desquels l’Occident peut désormais contempler le monde et le juger. Cependant, le projet moderne, considéré comme émancipatoire par les Occidentaux, serait indissociable de son pendant négatif, hégémonique et destructeur. « Modernity as a discourse and as a practice would not be possible without coloniality, and coloniality continues to be an inevitable outcome of modern discourses. »4 Le caractère autocentré du projet moderne se fait plus évident encore si l’on songe au paradoxe de la prétention à l’universalité du modèle occidental de développement. En effet, ce que dissimule cette prétention, c’est le caractère non universalisable du modèle. Du point de vue environnemental, c’est évident, et il semble presque d’une affligeante banalité de rappeler qu’une généralisation mondiale de l’empreinte écologique moyenne des Occidentaux ne serait absolument pas soutenable – d’où naît en Occident une forme de néo-malthusianisme encourageant les pays émergents à veiller à leur croissance démographique. Du point de vue socio-économique, par ailleurs, l’Occident se nourrit des inégalités mondiales permettant de profiter de main-d’œuvre à moindre coût pour faire circuler et s’accroître les capitaux – et il est fort probable qu’il lui soit préférable de maintenir cet écart de richesses. Ce paradoxe de l’universalisme ethnocentré permet de mieux comprendre en quoi les politiques occidentales de développement sont fondamentalement coloniales : c’est la défense d’intérêts privés sous prétexte de civilisation. Ainsi, l’ancienne hiérarchie raciale demeure encore dans les relations internationales, comme en témoignent la « division internationale du travail »5 et ce que David Harvey, inspiré par Marx, a appelé « l’accumulation par 1 Voir le numéro des Cultural Studies consacré à la question (vol. 21, Nos 2-3, Mars-Mai 2007). MARX Karl, « Le Capital, III », dans Œuvres, Paris, Gallimard, 1968, p. 1101. 3 QUIJANO Aníbal, « Colonialité du pouvoir, eurocentrisme et Amérique latine », http://www.decolonial translation.com/francais/colonialite-du-pouvoir-eurocentrisme-et-amerique-latine.html, page consultée le 15 mars 2012. 4 MALDONADO-TORRES Nelson, « On the coloniality of being. Contribution to the development of a concept », dans Cultural studies, op. cit., p. 244. 5 GROSFOGUEL Ramón, « The espistemic decolonial turn. Beyond political-economy paradigms », dans Cultural Studies, op. cit., p. 219. 2 4 dépossession »1, qui caractérisent l’économie mondiale. La reprise en main du FMI et de la Banque mondiale par les puissances occidentales fut la réponse de l’ère Reagan-Bush (père) à la montée en puissance des revendications tiers-mondistes à l’ONU2. L’aide au développement fut dès lors placée sous le signe de la soumission aux règles du libre-marché3. Or, ce marché mondial n’est « libre » que dans le sens où il s’est affranchi d’un maximum de barrières étatiques, mais ne sont réellement libres, en son sein, que les pays qui y sont entrés les poches pleines. En effet, crédits et dettes engendrent une nouvelle structure hiérarchique de dépendance entre États créditeurs et débiteurs, dépendance qui, comme le reconnaît Charles Beitz, est le descendant direct de l’impérialisme colonial4.Les politiques migratoires européennes et nord-américaines, enfin, témoignent également de l’hypocrisie de l’universalisme occidental qui, sous cette forme, fait plutôt figure de globalisme hiérarchisé. Ici, ce n’est donc pas tant le pouvoir ou la souveraineté des nouveaux États-nations qui est en jeu, mais plutôt leur véritable marge de manœuvre dans l’affirmation d’une spécificité (culturelle, politique, économique, sociale, etc.) au sein d’un monde globalisé. Il ne s’agit plus, désormais, pour les ex-colonies, d’affirmer leur indépendance formelle, mais leur indépendance réelle. Que des peuples soient libres de choisir leurs représentants politiques est une chose ; qu’ils choisissent leur organisation économique en est une autre aujourd’hui bien plus malaisée. 3. Quelle autodétermination pour les peuples ? Un bref détour historique permet de bien saisir comment l’économie politique, conçue comme un outil d’autodétermination des peuples par Rousseau, est devenue un composé hybride de science et d’idéologie imposant sa loi au politique et l’obéissance aux peuples. L’économie politique est née du désir qu’avaient les gouvernements européens, aux XVIIe et XVIIIe siècles, d’organiser la production des biens et la redistribution des richesses en fonction de données quantifiables. « Politique » parce qu’opposée à l’économie « domestique »5 (celle des ménages), cette science était donc d’emblée placée sous le signe de de l’organisation collective. Deux écoles concurrentes, cependant, proposaient à l’époque des visions inconciliables de la vie en société. L’école du contrat social plaçait au premier plan le politique, l’État évoluant progressivement du pouvoir d’un seul (Hobbes) à l’autodétermination collective (Rousseau). Dans cette dernière version, l’exercice du pouvoir, de la décision, était entièrement soumis à la volonté générale, de même que l’étaient toutes les décisions d’ordre économique. La seconde école, essentiellement britannique, découvrait quant à elle une forme de régulation immanente, sans « chef d’orchestre », émergeant spontanément des échanges économiques, ces derniers concourant, comme par l’effet d’une main invisible (Smith), à réconcilier les vices privés (la poursuite de l’intérêt personnel) et le bénéfice public (la prospérité économique). 1 HARVEY David, The new imperialism, 2003, cité dans GROSFOGUEL Ramón, « Les implications des altérités épistémiques dans la redéfinition du capitalisme global. Transmodernité, pensée-frontalière et colonialité globale », 11 mars 2010, http://www.humandee.org/spip.php?article110. 2 Cf. BELLO Walden, La démondialisation. Idées pour une nouvelle économie mondiale, Éditions du Rocher, Le Serpent à Plumes, 2011, p. 116-121. 3 Ibid., p. 215-216. 4 Cf. BEITZ Charles R., Political theory and international relations, Princeton University Press, 1999, p. 116. 5 Cf. ROUSSEAU Jean-Jacques, Discours sur l’économie politique, Paris, Vrin, 2002. 5 Bien plus séduisante, en ce qu’elle semblait rendre superflue la morale et l’autorité, la seconde approche fut sans surprise celle qui séduisit le plus, donnant naissance au « libéralisme utopique »1. La maxime était simple : puisque l’ordre social est généré spontanément par les échanges, il faut libérer ceux-ci, leur permettre de s’étendre, et minimiser l’intervention de l’État qui, à terme, deviendra superflu. C’est dans ce contexte qu’émergea le capitalisme, apportant avec lui son lot de désillusions, tant ses conséquences sociales s’avéraient éloignées de l’utopie libérale. L’économie politique devint une science indépendante, se détachant de la morale et du registre normatif2, et l’utopie se transforma en idéologie politique, comme en atteste l’abrogation des lois sur la pauvreté, au XIXe siècle, et la montée en puissance, en réaction, de la critique marxiste. À en croire Karl Polanyi, 1929 marqua la fin de l’utopie libérale3. Cependant, dans l’après-guerre, a fortiori après la chute du rideau de fer, le libéralisme connut un regain surprenant de puissance et s’imposa bientôt au-delà de l’Occident, relançant comme nous l’avons vu un mouvement colonial, apolitique cependant. Les conséquences furent désastreuses d’un point de vue écologique, mais également socio-économique (§1), culturel (§2) et politique. La crise politique, profondément liée aux autres, peut être examinée, selon Serge Latouche, de deux points de vue : « vue d’en haut, il s’agit de la soumission des appareils d’État aux contraintes de la technoéconomie ; vue d’en bas, cela concerne la dépolitisation des citoyens »4. 1) L’actualité de ces derniers mois illustre à merveille (si l’on peut dire) le premier point. Dépassés par la crise systémique de l’euro, certains dirigeants européens ont été destitués pour être remplacés par des techniciens, des spécialistes de la gestion économique, naturellement non élus (un peu comme ces dictateurs tolérés à Rome en situation de guerre, par « l’état d’exception »5). Ailleurs, ce sont des agences de notation, censées exprimer un jugement privé sur la santé financière des États, qui se sont mises à émettre des recommandations à ces derniers pour retrouver la « confiance des marchés ». Le verdict de ces dernières décennies est sans appel : face à une économie mondialisée, les États nations ont les mains liées ; ils ne peuvent que se soumettre aux dictats du marché et de la concurrence. Bien entendu, il existe toujours différentes manières de prélever les recettes fiscales et d’organiser les dépenses, mais le montant de toutes deux n’est généralement pas augmentable de beaucoup. Dès lors, si le processus démocratique possède encore du sens, il a perdu énormément de pouvoir. Par rapport à l’idéal du contrat social, l’autodétermination des peuples européens semble se limiter aujourd’hui à un choix extrêmement restreint : 1/ assumer la voie néolibérale et laisser en plan une frange de plus en plus précaire de la population ; 2/ lutter seul et à contre-courant pour ralentir le démantèlement inexorable de l’État providence ; 3/ choisir le repli sur soi en s’exposant à des conséquences pires encore ; 4/ abandonner l’État-nation, prendre le risque d’une perte de souveraineté (formelle) dans l’espoir d’une souveraineté supranationale plus réelle. Quoi qu’il en soit, le choix du cadre déterminant l’espace des possibles politiques n’est plus offert aux citoyens. Il n’y a plus d’autodétermination économique possible (au niveau de l’État nation, du moins). Hors l’Occident, la réalité est la même de ce point de vue, mais plus 1 Cf. ROSANVALLON Pierre, Le libéralisme économique. Histoire de l’idée de marché, Paris, Seuil, 1989, p. 211. Cf. ibid., p. 214-221. C’est ce que regrette Amartya Sen dans Éthique et économie. Et autres essais, Paris, PUF, 1987, p. 5-83. 3 Cf. POLANYI Karl, La grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris, Gallimard, 2003. 4 LATOUCHE Serge, Les dangers du marché planétaire, Paris, Presses de Sciences Po, 1998, p. 29. 5 Voir AGAMBEN Giorgio, État d’exception. Homo sacer II, 1, Paris, Seuil, 2003, pour une analyse de la généralisation de l’état d’exception. 2 6 brutale et humiliante encore, du fait que l’ordre imposé est une création de l’Occident et que les flux des marchés répètent une hiérarchie coloniale toujours pas dépassée. 2) Le second point découle du premier avec une certaine évidence. Du fait que les dirigeants sont dépouillés de leur pouvoir réel d’action, que les peuples perdent en autodétermination, les citoyens se désintéressent du politique. « La mondialisation, c’est l’effondrement du pouvoir d’achat des bulletins de vote. »1 Sans doute ce désintérêt tient-il également d’autres facteurs, comme la complexification de la politique – sa dimension technique impliquée par la gestion économique – ou sa structure largement représentative. Cependant, il serait malhonnête de prétendre que des forums publics de discussion permettraient un regain d’autodétermination réelle. Le déficit démocratique invoqué à tort et à travers ne concerne pas tant les espaces politiques nationaux que le processus d’intégration européen, monétaire d’abord, budgétaire désormais, mais certainement pas politique. Ainsi se retrouve-t-on dans une situation paradoxale où la seule possibilité théorique d’autodétermination se situe à un niveau supranational qui ne met pas à disposition les conditions de participation politique. Dès lors, il existe non seulement une tendance chez les citoyens à se désintéresser de la politique, mais également une tendance des pouvoirs publics à se désintéresser de l’opinion publique, la seconde tendance renforçant évidemment la première. 4. La démondialisation : une tendance ou un projet ? La mondialisation des échanges économiques fait peser sur l’environnement un poids incontestable, extrêmement difficile à justifier au vu de l’absurdité écologique de certains de ces échanges. Elle tendrait également à renforcer et accroître les inégalités intra- et internationales2. Elle s’avère par ailleurs, de par son instabilité financière et monétaire, facteur de risques à l’échelle mondiale3, comme en atteste sa dernière crise (en date). En outre, comme nous l’avons vu, elle apparaît pour le moins problématique en ce qu’elle réduit drastiquement la marge de manœuvre des États nations, obligés de substituer la gestion économique à la créativité politique, et du fait qu’elle tend à imposer au monde entier un système unique de lien social, un modèle « eurocentré », à l’exclusion de la diversité culturelle, politique, et économique. Pour toutes ces raisons, on ne peut se satisfaire de cet état de fait. La démondialisation prétend apporter une solution à ces divers problèmes par la relocalisation. À en croire Jacques Sapir, cependant, la démondialisation ne serait pas seulement un projet politique, mais également une tendance systémique. D’après ses observations, nous vivons aujourd’hui « l’amorce d’un reflux de cette globalisation économique […]. C’est le retour des États, que l’on disait naguère impuissants, et le recul des marchés, que l’on prétendait omniscients. »4 Pourtant, reconnaît-il, il ne s’agit pas non plus d’un pur processus systémique, puisqu’elle « ne se fera 1 HABERMAS Jürgen, cité dans MONTEBOURG Arnaud, op. cit., p. 29. VELTZ Pierre, « L’économie mondiale, une économie d’archipel », dans CORDELLIER Serge (dir.), La mondialisation au-delà des mythes, Paris, La Découverte, 2000, p. 61-62. Il se pourrait, cependant, que l’accroissement des inégalités internationales ne soit la conséquence que d’une première phase de mondialisation, celle de transition au capitalisme pour les pays du Tiers monde. Ensuite, ces inégalités pourraient se réduire. Mais ces pays verraient leurs inégalités internes augmenter, ce qui n’est de toute façon pas satisfaisant du point de vue de la justice sociale. Cf. GIRAUD Pierre-Noël, « Mondialisation, emplois et inégalités », dans CORDELLIER Serge (dir.), op. cit., p. 101-115. 3 PLIHON Dominique, « Les enjeux de la globalisation financière », dans CORDELLIER Serge (dir.), op. cit., p. 7677. 4 SAPIR Jacques, La démondialisation, op. cit., p. 9. 2 7 pas sans nous, sans notre action »1. L’ambiguïté demeure, cependant, entre un volontarisme revendiqué et l’affirmation d’un processus qui paraît inévitable, dès lors que Sapir affirme : « il n’est pas niable que les vingt ou trente prochaines années sont appelées à voir la globalisation régresser comme se retire le flot d’une marée »2. Chez Arnaud Montebourg et Walden Bello, par contre, l’intention est plus claire. Le texte du premier est un manifeste politique : il s’agit de convaincre les électeurs que s’ils ne votent pas pour la démondialisation, la mondialisation continuera de répandre son lot de misère. Chez le second, également, on ne se leurre pas : la tendance dominante, chez ceux qui possèdent le pouvoir, est à perpétuer l’idéologie libre-échangiste ; les mouvements altermondialistes doivent dès lors se rassembler autour d’un projet commun ; la critique de la mondialisation doit faire place à un programme – la démondialisation. C’est ce projet qu’il nous faut maintenant examiner dans ses différentes variantes. Chez ces trois auteurs, on peut distinguer trois tendances divergentes (sans doute pas indépendantes de leurs positions respectives sur le Globe) : la voie française (a), la voie européenne (b) et la nouvelle gouvernance mondiale (c). A) Jacques Sapir estime que deux scénarios sont envisageables. Soit la globalisation, arrivée à ses limites, ayant épuisé les ressources naturelles, démantelé les systèmes de protection sociale et dressé les peuples les uns contre les autres, se repliera de façon anarchique et violente, soit la voie de la démondialisation sera empruntée volontairement et résolument, pour en finir avec le libre-échange mondial3. Dès lors que personne ne semble oser s’engager dans cette deuxième voie, il exhorte la France à montrer l’exemple, à instaurer un protectionnisme, entraînant probablement dans ce mouvement la dissolution de la zone euro, et peut-être de l’UE. Les voisins, d’après lui, comprendront la nécessité de faire de même et le mouvement se répandra rapidement. Il ne s’agirait donc pas tant pour la France de se replier sur elle-même et de faire cavalier seul que de provoquer le choc salutaire. Ensuite, le protectionnisme généralisé devra être orienté dans une disposition « altruiste »4, les taxes sur les importations pouvant servir à nourrir un fonds redistributif mondial. Sur ces bases, chaque État visera à relancer sa croissance (verte), le plein-emploi et à se réindustrialiser5. À la monnaie unique se substituerait une monnaie commune régionale, chargée d’opérer la transition vers une « déglobalisation ordonnée », servant d’instrument pour les transactions internationales, mais « laissant aux monnaies nationales, donc aux politiques monétaires nationales, la responsabilité de jeter les bases d’un régime de croissance adapté aux conditions de chaque pays »6. Ensuite, on pourrait imaginer une évolution vers une monnaie internationale commune inspirée du bancor keynésien. B) Arnaud Montebourg reprend en grande partie les analyses et propositions de Jacques Sapir, mais leur donne une tournure plus européenne. La démondialisation ne devra pas être initiée par la France seule, mais par une union de pays européens articulée autour du couple francoallemand. Il ne s’agit donc pas de démanteler l’UE ni l’euro, mais de les orienter, fût-ce en comité plus restreint, vers les objectifs sociaux et environnementaux de la démondialisation ; faire pression sur l’OMC pour intégrer à sa législation des normes non-marchandes visant la préservation de l’environnement ; promouvoir une loi visant à sanctionner les entreprises multinationales basées en Europe en fonction des dommages sociaux et environnementaux 1 Ibid., p. 11. Ibid., p. 247. 3 Ibid., p. 238. 4 Cf. ibid., p. 254. 5 Ibid., p. 252-253. 6 Ibid., p. 243. 2 8 commis par leurs filiales ou sous-traitants à l’étranger ; viser un protectionnisme vert en veillant à reverser les recettes des taxes carbone au Fons d’Adaptation prévu par le protocole de Kyoto1 ; harmoniser la fiscalité européenne et évoluer vers un salaire minimum dans chaque État2. C) Walden Bello, philippin, perçoit la mondialisation sous l’influence de la critique tiersmondiste. Il n’est pas question, à ses yeux, que le projet de démondialisation soit amorcé de manière unilatérale par certains. Il s’agit plutôt de remodeler l’ordre économique mondial et de repenser sa gouvernance globale. « La déglobalisation ne consiste pas à se retirer de l’économie internationale. Elle consiste plutôt en la réorientation des économies d’une focalisation sur la production pour l’export vers la production pour le marché local […]. »3 Pour ce faire, il faudra viser à convertir le FMI en institution consultative ; rompre le consensus sur le libre-échange à l’OMC tout en contestant l’inégalité de poids des États dans les négociations intergouvernementales ; transférer la fonction de prêteur de la Banque mondiale à des institutions régionales démocratiques4. Les principes guidant alors l’économie l’économie mondiale devraient être l’équité et l’équilibre plutôt que la croissance, la démocratie plutôt que la technocratie, et le principe de subsidiarité devrait devenir le « principe sacré de la vie économique »5. 5. Démondialiser : trois scénarios On le perçoit mieux, maintenant, le projet de démondialisation poursuit pour l’essentiel un objectif de relocalisation de la production et des échanges, ainsi que de reconquête d’autodétermination économique et politique. Il convient maintenant d’examiner la désirabilité et la faisabilité pratique de ce projet de démondialisation. Loin d’une approche « réaliste », qui consiste à légitimer le statu quo du fait de la difficulté de le changer, nous examinerons ici trois scénarios envisageables pour une démondialisation, en les évaluant au moyen des critères suivants 1/ respect des libertés fondamentales ; 2/ équilibre écologique ; 3/ solidarité ; 4/ efficacité ; 5/ plausibilité ; notre postulat étant que ces critères priment l’un sur l’autre dans un ordre lexical. Pourquoi placer les libertés individuelles devant l’écologie ? Tout simplement afin d’éviter toute forme de « totalitarisme écologique » ou d’écologie autoritaire. Ce dernier point ne va pas de soi, si l’on considère par exemple la méfiance légitime avec laquelle Hans Jonas regardait (et pour laquelle il écartait) la démocratie 6. Toutefois, il nous semble que ce principe de priorité des libertés individuelles est à relier directement avec celui de plausibilité. Il est fort peu probable, en effet, que les peuples du monde acceptent tous de se soumettre au dictat d’un groupe d’experts ou d’un consortium d’États « éclairés ». Quant à la priorité de l’équilibre écologique sur la solidarité, elle à la condition de l’équité intergénérationnelle. Cela étant posé, si l’on admet, donc, la nécessité d’une démondialisation, quelle transition peut-on imaginer à partir du contexte actuel de mondialisation ? 1) Une stratégie serait de faire progresser, dans le débat public mondial, ainsi que dans les sphères politiques nationales, l’idée que la mondialisation est néfaste pour toutes les raisons 1 Fonds qui doit permettre aux industries du Sud une conversion écologique. Cf. MONTEBOURG Arnaud, op. cit., p. 83-87. 3 BELLO Walden, La démondialisation, op. cit., p. 251. 4 Cf. ibid., p. 242-246. 5 Ibid., p. 252. 6 Cf. pour une discussion des thèses de Jonas sur la démocratie NGAMBELE NSASAY René, La cosmodémocratie. Un principe de gouvernance pour la société technologique et mondialisée, Bruxelles, Peter Lang, 2008. 2 9 exposées plus haut, en espérant que tous les États du monde prennent conscience de la nécessité de réduire leur interaction économique et décident d’opérer un certain repli économique, chacun veillant avant tout à produire au niveau domestique de quoi satisfaire ses besoins fondamentaux. Deux problèmes majeurs se posent : celui de la solidarité (1) et celui de la plausibilité (2). 1/ Le risque d’une telle forme de repli spontané est en effet de consacrer les inégalités actuelles de répartition des ressources (naturelles et sociales) et d’admettre une forme de « chacun pour soi », à l’avantage inéquitable de ceux qui sont « bien nés ». 2/ En outre, à court-terme et dans la configuration actuelle de l’économie, tous les États tirent un certain avantage des échanges économiques mondialisés, en comparaison avec l’hypothèse où ils arrêteraient la coopération tandis que les autres continueraient1. Cela signifie que soit tout le monde arrête en même temps (ce qui est peu plausible, car les plus riches y gagnent beaucoup), soit personne n’a intérêt à arrêter (le protectionnisme semble n’être une solution avantageuse à long terme que pour les seuls pays riches, à condition que tous ne choisissent pas la même option). Ni plausible, ni souhaitable, donc. 2) Un deuxième scénario – celui que défendent chacun à leur manière Sapir et Montebourg – serait que certains pays avancés et conscients de la problématique écologique montrent la voie, en adoptant une forme de protectionnisme. Les problèmes se posent alors au niveau de la justice, de l’écologie, de l’efficacité et de la plausibilité. Si un pays entreprend seul cette mesure, il se trouvera rapidement en marge des autres, verra son État providence (s’il existe) se démanteler et ne demandera qu’à réintégrer le circuit global. Si ce projet est appliqué à une échelle plus large, comme au niveau de l’Union européenne, par exemple, la plausibilité augmente, de même que l’efficacité, mais elles restent insuffisantes, de même que la satisfaction des objectifs écologiques et sociaux, du fait que la coordination avec le reste du monde est quelque peu rompue et le risque est pris d’avoir un continent écologique dans un océan de pollution, un havre de bien-être dans une marée de misère. Sans compter que le développement du commerce mondial a contribué à pacifier les relations internationales, substituant l’interdépendance aux jeux de puissance que tend à renforcer le protectionnisme2. Montebourg défend cette voie d’un protectionnisme européen lié à un mouvement global de relocalisation. Afin de s’assurer, toutefois, que chacun tienne ses engagements, il propose de « renforcer la coopération judiciaire et fiscale, par exemple entre États membres du G20, pour lutter contre la corruption et sanctionner les États qui refusent de coopérer »3. Mais avec quelle légitimité ? Et quel pouvoir auront les membres sur les non-membres du G20 ? Il semblerait que Montebourg souhaite l’efficacité d’une coordination politique mondiale sans l’intégration politique mondiale, qui constitue le troisième scénario. 3) En somme, les critiques de la mondialisation visent un ordre mondial sans chef d’orchestre, un ordre injuste qui brise les autonomies locales. Or, c’est précisément parce que cet ordre est économique et non pas politique que les revendications de démondialisation ou de relocalisation sont, dans une certaine mesure, inefficaces. Aucune entité politique mondiale ne peut accéder à cette requête, qui ne pourrait surgir que de la coordination spontanée et peu plausible des États du monde. Tandis que si une intégration politique mondiale, de type fédéral (cf. infra), rattrapait l’intégration économique mondiale, alors ces revendications 1 On peut y voir une forme de macro-dilemme du prisonnier, où la rationalité de chacun mène à l’irrationalité collective. 2 Il ne faut pas perdre de vue le fait que les accords de Bretton-Woods ont été conclus dans la foulée de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cf. CATO Molly S., Green economics. An Introduction to Theory, Policy and Practice, Londres, Earthscan, 2009, p. 134. 3 MONTEBOURG Arnaud, op. cit., p. 71. 10 pourraient prendre la forme légitime de revendications de décentralisation. La structure fédérale pourrait permettre de favoriser le retour aux autonomies locales ; instaurer une taxation écologique mondiale ; garantir les exigences de justice sociale à l’échelle de solidarité la plus élevée possible, tout en maintenant la production à l’échelle la plus locale possible. Ainsi l’écologie pourrait-elle être satisfaite en parallèle de la justice sociale de manière efficace. Bello incline en partie vers ce dernier modèle. Constatant que les initiatives d’échange local (avec monnaies locales) tendent à être bridées par les autorités publiques, à quoi s’ajoute la pression de la concurrence mondiale sur les initiatives nationales, il affirme que « la déglobalisation ou reconquête du pouvoir au niveau local et national ne peut réussir que si elle a lieu dans un système alternatif de gouvernance économique globale »1. Cependant, comme le souligne Raffaele Marchetti, il faut distinguer la gouvernance mondiale, basée sur un modèle de coordination polycentrique, d’un fédéralisme mondial, plus intégré encore 2 – nous reviendrons sur cette distinction. Quant à la plausibilité de ce scénario, elle est peut-être faible, mais pas forcément moindre que celle des autres stratégies, qu’elle dépasse certainement sur les autres critères. Il convient dès lors, dans les parties qui suivent, de l’examiner de plus près afin de déterminer si elle peut réellement prétendre répondre aux défis soulevés par les demandes de démondialisation. 6. Un ordre sans chef d’orchestre A priori, la mondialisation politique semble s’opposer aux exigences de démondialisation, même s’il est entendu que cette dernière vise le plus souvent (mais pas uniquement, comme en atteste la critique décoloniale) une réalité économique. On voit mal, notamment, comment préserver la diversité dans un système politique unique. Kant lui-même mettait en garde contre l’avènement d’un État mondial. Pourtant, comme nous venons de le souligner, il se pourrait qu’il s’agisse là, parmi les solutions qui s’offrent aux critiques constructives de la mondialisation (celles qui visent des propositions normatives au-delà de la simple dénonciation), de la plus satisfaisante eu égard aux critères mentionnés. Le fait que mondialisation politique et démondialisation économique, culturelle, etc., pourraient se combiner se comprend à partir des réclamations mêmes des démondialistes. À qui sont-elles adressées ? Certainement pas à un gouvernement, ni à des institutions ou individus politiquement responsables de cette situation. On estime que les citoyens du monde entier sont victimes plutôt que coupables. On n’a pas non plus la naïveté de s’adresser aux entreprises. Bref, c’est à un ordre sans responsable qu’on s’en prend, ou, à la rigueur, à l’ensemble des gouvernements des pays développés qui imposent leur hégémonie sur l’ordre économique mondial, en oubliant qu’ils ne forment précisément pas un ensemble, qu’ils ne font que tirer parti d’une situation d’avantage mutuel relatif. Dans un sens, le FMI, la Banque mondiale, l’OMC, ne peuvent être la cible de nos revendications, car elles n’ont aucun compte à nous rendre – elles ne sont pas démocratiques3. L’OMC est réputée neutre, en ce qu’elle ne fait qu’imposer à tous les mêmes règles de libremarché. Ce faisant, cependant, elle défend et propage, au mépris de la diversité des préférences nationales, une approche de l’organisation économique. Naïvement, on pourrait 1 BELLO Walden, La démondialisation, op. cit., p. 254-255. MARCHETTI Raffaele, « Models of global democracy. In defence of cosmo-federalism », dans ARCHIBUGI Daniele, KOENIG-ARCHIBUGI Mathias et MARCHETTI Raffaele, Global democracy. Normative and empirical perspectives, Cambridge University Press, 2012, p. 23. 3 BELLO Walden, op. cit., p. 147-159 et 197-207. 2 11 prétendre qu’elle ne le fait pas par la force, que tous les pays sont libres d’adhérer ou non à ses règles acceptées à l’unanimité. Cependant, la distinction relevée par Brian Barry entre négociation d’avantage mutuel et discussion impartiale attire l’attention sur le fait que ces négociations intergouvernementales s’opèrent sur base d’une importante inégalité de pouvoir, contraignant les moins puissants à se satisfaire d’accords largement insatisfaisants plutôt que de prendre le risque de ne pas trouver d’accord1. Deux voies doivent alors être empruntées par ceux qui refusent le statu quo. D’une part, la société civile mondiale qui émerge doit dénoncer avec vigueur la non-légitimité des institutions de régulation mondiale. De l’autre, les sociétés civiles représentées politiquement (les nations et les ensembles supranationaux en voie de démocratisation, telle l’UE) doivent faire pression sur leurs gouvernements respectifs pour les faire avancer sur la voie d’une intégration politique mondiale2. Ainsi apparaîtrait un demos mondial sans démocratie mondiale, faisant pression pour la constitution de cette dernière. Par ailleurs, à l’argument normatif soutenant la troisième option de transition vers une forme de « démondialisation », on peut adjoindre un argument systémique. À bien des égards, la globalisation marchande et financière apparaît comme un processus irréversible. Elle serait le développement d’une logique systémique d’expansion entropique du capitalisme. Dans une telle perspective, plus sociologique que normative, on ne peut pas lutter contre l’expansion, mais bien contre l’entropie, en renouant à un niveau plus élevé les liens qui se délient dans les sphères politiques inférieures à mesure que l’expansion s’accroît. Le politique a alors pour tâche de « rattraper » l’économique. Cette expansion, cependant, possède un terme : le marché global, auquel nous sommes plus ou moins parvenus. Cela signifie que le politique ne sera pas toujours désespérément en retard sur l’économique. Si devait se constituer quelque chose comme un ordre politique mondial intégré, l’économie pourrait redevenir un instrument politique comme elle l’était chez Rousseau. Dans cette perspective systémique, il n’y a donc plus que deux voies possibles : le libéralisme économique et le libre-échange sans entraves, dirigés par une organisation mondiale du commerce non élue (puisque ce n’est que de gestionnaires dont on a besoin) ou une régulation politique mondiale des marchés dans le cadre d’un ordre politique mondial, dont il convient maintenant d’esquisser brièvement la forme, en commençant par soulever son défi majeur. 7. Réconcilier autonomie et solidarité La raison principale pour laquelle la justice entre les nations a toujours été pensée (quand elle l’était) du point de vue de la guerre et de la paix, et non d’exigences de justice distributive3, est sans doute à chercher du côté de la structuration politique du monde en États nations plus ou moins stables. On doit cette structure à l’émergence de l’idéal d’autodétermination des peuples, qui a donné naissance aux États nations européens aux XVIIIe et XIXe siècles et a contribué à démanteler les empires et colonies4 au XXe siècle. Il s’accompagne de l’idée de souveraineté inaliénable des peuples, qu’aucun droit supérieur ne peut contraindre. 1 Cf. BARRY Brian, Justice as impartiality. A treatise on social justice. Vol. II, Oxford, Clarendon Press, 1995, p. 39-46. 2 Sans cette deuxième dimension, il est probable que les réclamations du premier type demeurent lettre morte. 3 Cf. l’introduction de BEITZ Charles R., op. cit. 4 Ainsi que les États multinationaux, devrait-on rajouter, au vu des nombreux mouvements contemporains de sécession au sein de tels États. Dans ce cadre, toutefois, le droit à l’autodétermination est bien plus discutable. Cf. notamment HABERMAS Jürgen, L’intégration républicaine. Essais de théorie politique, Paris, Fayard, 1998, p. 137. 12 John Rawls, auquel on doit les avancées majeures effectuées dans la philosophie politique contemporaine, est demeuré prisonnier de cette conception de la nation et des relations internationales1, sans pour autant tout concéder à la souveraineté des peuples2. L’égal respect, à ses yeux, est dû aux peuples et à leurs conceptions de la justice, avant de l’être aux individus. C’est pourquoi il ne convoque, dans la position originelle globale, que les représentants des peuples, non des citoyens de ces peuples3. Au lieu de sélectionner des droits et libertés de base égaux et identiques pour tous les individus, ces représentants vont donc vraisemblablement choisir un principe permettant de protéger la souveraineté de leur peuple, comme des individus sont d’abord enclins à défendre leur liberté personnelle « négative ». Le premier principe de justice entre les peuples est donc le suivant : « Les peuples sont libres et indépendants, et leurs liberté et indépendance doivent être respectées par les autres peuples »4. C’est ainsi que Rawls évite, à ses yeux, l’ethnocentrisme qu’impliquerait une position plus universaliste visant à l’expansion mondiale du modèle libéral 5. De cette indépendance des peuples ne résulte pas une indifférence vis-à-vis les uns des autres, car la défense de Droits humains gravement bafoués, par exemple, pourrait justifier une intervention armée de pays libéraux coalisés dans un pays hors-la-loi6. Cependant, dans cette perspective, on ne conçoit pas de justice redistributive à l’échelle mondiale. Comment, dès lors, réconcilier autonomie et solidarité ? Laissons un moment encore la question en suspens, le temps de clarifier pour quelles raisons il convient de préserver les deux. Comme l’explique Charles Beitz, on peut comprendre l’autonomie dans un sens négatif comme positif7 – c’est également vrai de l’autodétermination. Dans le premier, elle exige la non-intervention des États dans les affaires de leurs voisins, et s’avère donc extrêmement conservatrice du point de vue de l’ordre mondial. Dans le second, il s’agit de trouver un équilibre entre la capacité d’autodétermination collective et l’individuelle. Dans un contexte de mondialisation, la première augmente à mesure que la seconde diminue. En effet, comme nous l’avons vu, les États nations perdent de leur pouvoir décisionnel et on constate, selon la formule de Habermas, « l’effondrement du pouvoir d’achat des bulletins de vote ». Cependant, un transfert de la souveraineté à un niveau supranational, qui augmenterait le pouvoir politique de l’Union européenne, impliquerait une dilution accrue de chaque voix 1 Cf. RAWLS John et VAN PARIJS Philippe, « Three letters on The Law of Peoples and the European Union », dans Revue de philosophie économique, n° 7, 2003, p. 7-20. Van Parijs suggère à Rawls que sa conception des « peuples » est largement influencée par l’exemple des États-Unis, particulièrement stable, mais marginal à l’échelle mondiale du fait que la plupart des autres États regroupent une pluralité de langues officielles. En outre, les peuples évoluent largement en fonction des institutions, comme en atteste notamment l’exemple de la naissance de l’État centralisé en France. 2 Cf. RAWLS John, Paix et démocratie. Le droit des peuples et la raison publique, Paris, La Découverte, 2006, p. 40-41. 3 Ibid., p. 47. La justification est apportée dans la section 11, p. 102-106. 4 Ibid., p. 52. 5 Cf. ibid., p. 147-148. 6 Cf. ibid., sections 13 et 14. Cette restriction à l’indépendance des peuples témoigne de ce que Rawls demeure libéral et donc prioritairement concerné par les droits individuels. Dès lors, si l’on admet que l’indépendance d’un peuple doit être, à cette exception près, respectée par les autres peuples, on devrait du moins adjoindre un principe selon lequel un individu a le droit de ne pas se reconnaître dans les lois de son peuple et d’émigrer – sans quoi les individus sont prisonniers de leurs frontières. Mais ce droit, prévu dans l’article 13 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, est purement formel et hypocrite tant que n’y est pas adjoint un droit global à l’immigration. Ce raisonnement, si on l’accepte, pourrait constituer un argument de poids en faveur d’une justice redistributive mondiale. En effet, il n’est souhaitable pour personne qu’un droit à l’immigration provoque une concentration massive de populations hétérogènes dans les quelques zones les plus riches de la planète. Dès lors, le seul moyen d’éviter cette situation, tout en respectant ce droit, est de réduire sensiblement les inégalités mondiales. 7 Cf. BEITZ Charles R., op. cit., p. 92-93. 13 individuelle dans l’ensemble de celles-ci. Cela explique en partie les résistances à ce transfert de souveraineté, du fait d’une incapacité de nombreux citoyens à concevoir le vote comme une action collective. Un autre problème concerne plus spécifiquement (mais pas uniquement) l’autodétermination économique. Plus la souveraineté est transférée aux échelons supérieurs, moins la possibilité d’alternatives économiques existe. En fait, cet argument est valable dans les deux sens. Négativement, il peut impliquer une uniformisation nuisible à la diversité ; positivement une réduction des différences, donc des inégalités. Dans la configuration mondiale actuelle, on mesure aisément le problème de l’uniformisation économique : tout le monde est contraint d’adopter une économie capitaliste plus ou moins tempérée ou de s’isoler du reste du monde (Cuba, la Corée du Nord, sont des exemples frappants). Or, s’il est raisonnable d’imaginer une configuration politique universellement acceptable (car visant l’impartialité), cela apparaît beaucoup moins évident pour la configuration économique, difficilement dissociable d’une certaine conception de la vie bonne. Dès lors, la diversité fait figure de valeur à préserver1. C’est un argument majeur pour la démondialisation économique. Par ailleurs, l’autonomie s’oppose à l’hétéronomie qui caractériserait un ordre mondial eurocentré, danger contre lequel la critique décoloniale doit nous prémunir. Cette crainte explique sans doute en grande partie la prudence de Rawls sur la justice internationale. Le Droit des Peuples n’est pas ethnocentrique. « Il ne demande en effet aux autres sociétés que ce qu’elles peuvent raisonnablement accepter dès lors qu’elles sont prêtes à se tenir dans un rapport d’égalité avec toutes les autres sociétés. Elles ne peuvent objecter que ce rapport est une idée occidentale ! Dans quel autre rapport un peuple et son régime peuvent-ils raisonnablement espérer se placer ? »2 Dans un rapport d’interdépendance assumée, répondrions-nous. De la sorte, l’autonomie est tempérée et se comprend différemment. Ce n’est plus la simple liberté négative qui me protège d’autrui, mais la liberté kantienne de choisir ses propres lois. Dans cette perspective, pour peu qu’un ordre politique mondial soit démocratique, tant dans son fonctionnement que dans sa construction3, l’autonomie n’est pas en danger. Les demandes d’autonomie, au sens kantien, sont indiscutablement légitimes. Celles qui se définissent par la négative, impliquant éventuellement la sécession, la rupture de la solidarité, s’avèrent beaucoup plus problématiques. Comme le dit Beitz, en effet, l’autodétermination n’est qu’un moyen de poursuivre la justice sociale, et non une valeur en soi4. Or, il s’agit là d’une question fondamentale, qui concerne aujourd’hui de nombreux États multinationaux : pourquoi faire tenir ensemble des groupes qui ne le souhaitent plus ? À cette question ne peuvent être apportés que des arguments moraux. Par exemple, l’idée que toute forme d’inégalité non justifiable raisonnablement devant ceux qui en pâtissent est inacceptable, étant donné l’égal respect dû à chaque être humain. Or, plus on multiplie les groupes autonomes, plus les inégalités tendent à s’accroître entre ceux-ci, étant donné que rien, si ce n’est la 1 Sans compter 1/ sa dimension créative et 2/ sa plus grande imperméabilité à l’idéologie, l’illusion collective. RAWLS John, Paix et démocratie, op. cit., p. 148. 3 Ceci constitue un point extrêmement important. La visée d’un ordre politique mondial n’implique pas des États libéraux, comme le craint Rawls, qu’ils imposent leur modèle politique aux autres, mais qu’ils défendent par la raison publique ce modèle et s’unissent progressivement en laissant perpétuellement ouverte leur union, afin que quiconque le désire puisse la rejoindre. Comme le dit Rawls, « on ne peut pas raisonnablement exiger de tous les peuples qu’ils soient libéraux » (ibid.), mais on peut cependant raisonnablement les encourager à le devenir, tout en étant prêt à quelques inflexions éventuelles du modèle. 4 Cf. BEITZ Charles R., op. cit., p. 104. 2 14 charité interétatique ou l’aide d’urgence, ne motive la redistribution des richesses entre États indépendants. Cela nous permet de résoudre théoriquement le dilemme des entités politiques « holding together ». Cependant, il se pose également aux groupes « coming together »1. En effet, afin de rendre possible une redistribution à l’échelle supranationale, il faut concevoir un système supranational de taxation et de légitimation démocratique, ce qui revient pour les pays membres à abandonner une (importante) part de leur autonomie économique et politique. Ici intervient un argument d’efficacité, généralement utilisé pour le premier cas (holding together), mais également convaincant dans le deuxième contexte : en Belgique comme en Europe, à savoir des zones de libre circulation et de mobilité (relativement) aisée, la pluralité des systèmes de taxation entraîne une concurrence néfaste pour les États. L’harmonisation (ou le non-démantèlement) peut donc être défendue sans même devoir recourir à un argument moral. Enfin, il faut concevoir l’articulation solidarité-autonomie en ce qui concerne les relations entre ces fédérations « coming together » et ceux qui demeurent en-dehors de leur association. Dans ce cas, laquelle de l’autonomie ou de la solidarité doit primer ? Sommesnous obligés moralement à une justice distributive à l’échelle internationale dès lors que beaucoup d’inégalités reposent sur les choix politiques de certains États ? La réponse à cette difficulté soulevée par Rawls se trouve également chez lui2. L’objet de la justice, tel que défini dans Théorie de la justice, est la « structure de base de la société », c’est-à-dire la manière dont les institutions sociales majeures déterminent la distribution des coûts et avantages de la coopération sociale. Il doit être fait appel à la justice dès lors que les effets de cette structure « sont très profonds et se font sentir dès le début »3. Or, quatre arguments soutiennent l’idée qu’il existe, au niveau mondial, une telle structure de base, bien qu’il n’y ait pas d’État mondial. 1/ Les dernières décennies, particulièrement en Europe, ont vu l’apparition de législations supranationales contraignantes pour les États. 2/ Depuis plus longtemps déjà, se sont développées des organisations mondiales aux compétences parfois distributives, comme la Banque mondiale, le FMI, l’OIT, le PNUD et l’OMC, qui imposent également leur propre régulation. 3/ L’interdépendance économique croissante au niveau mondial a pour conséquence l’émergence d’un ordre mondial qui contraint les individus du monde entier sans leur consentement et affecte largement leur vie quotidienne. 4/ Enfin, l’existence même de frontières nationales, conjuguée aux inégalités de répartition des ressources et du pouvoir entre les nations, exerce un pouvoir coercitif indéniable sur les individus. Tous ces éléments contribuent donc à fonder la nécessité d’une solidarité au-delà des nations, quoi qu’il en soit de l’autonomie de ces dernières4. En effet, 1 La distinction est empruntée à FØLLESDAL Andreas, « Federalism », dans The Stanford Encyclopedia of Philosophy, printemps 2010, http://plato.stanford.edu/archives/spr2010/entries/federalism 2 Nous reconstruisons, dans le paragraphe qui suit, l’argumentation de VAN PARIJS Philippe, « International distributive justice », dans GOODIN Robert E., PETTIT Philip et POGGE Thomas W. (éd.), A Companion to Contemporary Political Philosophy, vol. 2, Oxford, Blackwell, 2007, p. 638-652. 3 RAWLS John, Théorie de la justice, Paris, Seuil, 1997, p. 33. 4 Une autre question importante est alors la suivante : la redistribution doit-elle être conditionnelle ou inconditionnelle ? Doit-on verser leur part aux États autoritaires, voire criminels, ou la solidarité doit-elle être conditionnée au respect des droits fondamentaux, à la redistribution effective au sein des États, ou encore au bon usage fait de l’argent ? Cf. FERRY Jean-Marc, L’Europe, l’Amérique et le monde, Éditions Pleins-Feux, 2004, p. 50-53. La différence entre les deux approches n’est en fait pas tant une différence de stratégie que de motif. Est-ce par souci humanitaire ou dans une visée de justice qu’est exigée cette solidarité ? Si c’est une affaire de justice, comme nous le défendons, alors la conditionnalité n’est pas justifiable. Par contre, des situations de graves violations du droit international peuvent entraîner des sanctions financières, comme c’est déjà le cas aujourd’hui. Cf. BARRY Brian, « Humanity and justice in global perspective », dans ID., Liberty and justice. Essays in political theory. Vol. II, Oxford University Press, 1991, p. 207-208. 15 comme le souligne Thomas Pogge, nous vivons dans un ordre mondial injuste, dont nous sommes responsables, en tant que nations qui en tirons avantage sans nous soucier de le changer1. 8. Démondialisation et décentralisation Il ne suffit toutefois pas de reconnaître la validité universelle des devoirs moraux – et donc la nécessité de protéger les Droits humains et de supprimer les inégalités injustifiables moralement – pour s’entendre sur le design institutionnel dans lequel tel programme se réaliserait. On peut distinguer quatre modèles principaux, outre l’impérialisme. 1/ L’internationalisme libéral, qui vise l’instauration d’un monde pacifié par la propagation du modèle stato-national de la démocratie libérale2. En outre, de l’association confédérale entre États pourrait résulter une législation transnationale contraignante et éventuellement des accords de redistribution. 2/ Le confédéralisme macro-régional, qui élève l’échelle de référence politique des États-nations aux ensembles supranationaux régionaux tels UE, ALENA, ASEAN, CEN-SAD, MERCOSUR3. 3/ La gouvernance mondiale multipolaire, qui vise essentiellement la démocratisation des institutions transnationales actuelles et donc le rattrapage politique de la mondialisation économique4. 4/ Le fédéralisme mondial, qui vise l’avènement d’un gouvernement mondial, d’un parlement mondial, d’une constitution mondiale et, dans l’idée de Raffaele Marchetti, d’une Cour suprême mondiale arbitrant la répartition fédérale des compétences. L’avantage de ce dernier modèle sur tous les autres, c’est qu’il offre la meilleure garantie de protection universelle des droits fondamentaux et la plus grande plausibilité de justice distributive mondiale tout en permettant, pour le reste, une autonomie locale ou nationale la plus élevée possible (garantie par le principe de subsidiarité5). L’idéal est le « modèle capuccino » : la même base pour tous et une liberté d’organisation et d’initiative pour le reste. Bien entendu, il existe une certaine tension entre les exigences redistributives et celles d’autonomie. L’égalité sera plus facilement poursuivie dans un État unitaire centralisé. Cependant, l’argument d’impartialité qui, s’adressant aux individus, recommande l’égalisation des conditions, peut aussi soutenir la légitimité d’inégalités inter-groupes lorsqu’il devient égal respect des sous-groupes6. L’impartialité recommande donc autant la solidarité que l’autonomie. Cette dernière concernerait, dans l’arrangement fédéral mondial, les questions culturelles, bien entendu, mais également des matières politiques (éducation, soins de santé, indemnités de chômage ou revenu inconditionnel, etc.) à trois conditions : 1/ que les principes de base retenus (concernant les libertés et droits fondamentaux ainsi que 1 Cf. POGGE Thomas W., Realizing Rawls, Ithaca, Cornell University Press, 1989, p. 234 et 277. Certains défenseurs cyniques de la démondialisation rétorqueront que nous ne tirons précisément plus avantage de la mondialisation. Cela ne suffit pas à se dédouaner de tout devoir moral envers les autres nations, que notre (in)action politique passée a maintenues, voire renforcées dans la misère. 2 On constate que les États démocratiques sont très peu enclins à se faire la guerre. Dès lors, l’expansion de ce modèle devrait garantir la pacification des relations internationales. Cf. DOYLE Michael W., « Kant, liberal legacies, and foreign affairs », dans Philosophy & Public Affairs, Vol. 12, n° 3, été 1983, p. 205-235. 3 Cf. FERRY Jean-Marc, L’Europe, l’Amérique et le monde, op. cit., p. 62-67. 4 Cf. MARCHETTI Raffaele, loc. cit., p. 31-36. 5 Selon l’interprétation choisie (althusienne, confédéraliste, fiscal-féderaliste, personnaliste ou libéralecontractualiste), les implications du principe de subsidiarité peuvent varier énormément. C’est dans la dernière que l’autonomie des sous-entités fédérées sera la plus réduite et l’égalité la plus grande. Cf. FØLLESDAL Andreas, « Survey article: Subsidiarity », dans The Journal of political philosophy, Vol. 6, n° 2, 1998, p. 190-218. 6 Cf. FØLLESDAL Andreas, « Federal inequality among equals: a contractualist defense », dans POGGE Thomas W. (éd.), Global justice, Blackwell Publishing, 2001, p. 242-261. 16 la répartition des ressources) soient satisfaits en toutes parties ; 2/ que les variations régionales d’organisation politique dépendent de variations régionales de préférences ; 3/ que soit garantie la liberté de circulation entre les régions ou entités fédérées1. Par rapport aux exigences soulevées par le projet de démondialisation, ce modèle est particulièrement intéressant en ce qu’il permet 1/ d’imposer des normes contraignantes pour le respect de l’environnement et la préservation des ressources naturelles : 2/ de domestiquer la concurrence fiscale et celle liée aux différences de coût du travail (vs démantèlement des États providence et inégalités internationales) ; 3/ de garantir l’autodétermination par la décentralisation et le principe de subsidiarité (vs obsolescence de l’État-nation) ; 4/ de réconcilier autonomie et solidarité. Daniele Archibugi envisage une « démocratie cosmopolitique » organisée à cinq niveaux : local, étatique, intergouvernemental (passage de l’unanimité à la majorité ; transparence ; suppression du droit de vote conditionné par la contribution financière, etc.), macro-régional (« niveau le plus approprié de gouvernance ») ; et mondial2. Dans cette structure, qui combine les avantages de la centralisation autant que de la décentralisation3, l’objectif n’est pas tant la subordination des nations à un pouvoir le plus élevé possible que la coordination efficace de leurs politiques. On peut présumer qu’étant donné l’extrême diversité des traditions rassemblées sous cet ordre politique englobant, les demandes de décentralisation et d’autodétermination seront puissantes et contribueront ainsi à préserver la diversité sans compromettre la possibilité d’une liberté réelle égale pour tous et toutes. Cela étant, il ne sera pas aisé de trouver la formule d’équilibre entre centralisation et décentralisation, celle-ci ne se résumant pas à l’alliage d’une égalité politique (individuelle) et d’une autonomie culturelle (collective). Se pose par exemple la question monétaire, qui implique la possibilité d’une autodétermination économique. Il est fort vraisemblable qu’une monnaie unique mondiale soit une mauvaise idée, en ce qu’elle encouragerait les importsexports, notamment, et réduirait extrêmement la diversité économique. Le fonctionnement actuel est également largement insatisfaisant, étant donné l’avantage énorme dont bénéficient les monnaies de réserve (yen, dollar, livre) et la dépendance énorme du Sud par rapport au Nord4. Si l’on souhaite, comme le suggère Bello, appliquer également le principe de subsidiarité au domaine économique, il est probable qu’il faille libérer la création de monnaies locales, éventuellement encadrées par une monnaie commune, inspirée du bancor keynésien, comme le suggère Sapir. En effet, l'objectif de Keynes semblait être de « préserver l'autonomie des politiques économiques nationales à travers la centralisation monétaire »5. Mais alors, si l’on tolère ou promeut l’autodétermination économique pour les entités fédérées, comme cela semble se recommander, peut-on encore défendre un principe de différence global ? Dans ce contexte, il semble que l’argument de Rawls contre l’élargissement de ce principe à l’échelle mondiale – les inégalités dépendent avant tout de 1 Cf. POGGE Thomas W., Realizing Rawls, op. cit., p. 156, note 60. D’après Pogge, la construction rawlsienne, laissant à la procédure démocratique ce qui excède les principes de justice, constitue un argument en faveur du fédéralisme : la même structure de base pour tous et l’autodétermination pour le reste. 2 Cf. ARCHIBUGI Daniele, La démocratie cosmopolitique. Sur la voie d’une démocratie mondiale, Paris, Cerf, 2009, p. 43-56. 3 Cf. MARCHETTI Raffaele, loc. cit., p. 40. 4 Cf. CATO Molly S., Green economics, op. cit., p. 74-77. 5 SUÁREZ Alfredo, « La monnaie internationale dans la pensée économique », Faculté d’Économie et de Gestion de l’Université de Picardie Jules Verne, http://sceco.univ-poitiers.fr/franc-euro/articles/ASuarez.PDF, p. 9. 17 choix politiques1 – prenne plus de poids. En effet, si une entité fédérée choisit la frugalité collective et une autre la croissance soutenable – politiques économiques toutes deux acceptables – on voit mal pourquoi la justice exigerait d’égaliser sans cesse les conditions des deux. Dans ce cas, où règne l’hétérogénéité économique, le principe distributif devrait donc plutôt être un principe d’égalité des chances de prospérer2, adressé aux entités fédérées, qui aurait pour visée essentielle de compenser les inégalités naturelles de ressources et l’exposition aux catastrophes naturelles – deux dimensions arbitraires d’un point de vue moral –, ainsi que les inégalités de ressources sociales3 (éducation, santé, développement technique, etc.) largement imputables aux effets des injustices passées. Les réticences face à ce modèle fédéral mondial, auquel on ne peut opposer les mêmes arguments que Kant formulait à l’encontre d’une monarchie mondiale qui combinerait anarchie et despotisme4, sont souvent dictées par le réalisme. On doute que les États abandonnent si aisément cette souveraineté formelle à laquelle ils semblent si attachés. Cependant, d’une part, ils pourraient se rendre compte de ce qu’ils ont à gagner à s’associer toujours davantage ; et d’autre part, les dernières décennies, avec la mondialisation de la communication, ont vu l’apparition d’un véritable espace public mondial5, et de demandes de solidarité à la même échelle. En attendant le moment hypothétique où cet idéal sera partagé par une majorité d’individus, il convient d’envisager ce modèle fédéral comme un idéal régulateur, voire comme une utopie, qui sert de principe d’action même s’il pourrait s’avérer irréalisable (mais comme le reconnaît Rawls lui-même, « les limites du possible ne sont pas données par le réel »6). Les autres modèles, dès lors, ne doivent pas être opposés à cet idéal, mais peuvent être conçus comme des étapes intermédiaires sur la voie de l’idéal, des objectifs de (plus) court-terme7. 1 Cf. RAWLS John, Paix et démocratie, op. cit., p. 142. Principe continuellement renouvelé, cependant, afin d’éviter que des générations soient excessivement victimes des choix de leurs prédécesseurs. Il s’agit d’éviter le piège libertarien de la juste distribution de départ qui ne passe pas l’écueil de la première génération. On pourrait, par exemple, imaginer une forme de revenu national de base inconditionnel, versé annuellement, puisé sur un fonds global financé par des taxes sur la pollution et l’utilisation des ressources naturelles d’une planète considérée comme bien commun de l’humanité. 3 Comme l’explique bien Charles Beitz, ce n’est pas tout d’égaliser les ressources naturelles, car le lien entre la dotation d’un pays en ressources naturelles et son niveau de prospérité est loin d’être évident. Ce dernier dépendrait plutôt de la position occupée dans l’économie politique mondiale et du type de régime politique en place ; conditions qui seraient égalisées dans la configuration idéale, mais qui importent en attendant. Cf. BEITZ Charles R., op. cit., p. 206. 4 Cf. FERRY Jean-Marc, L’Europe, l’Amérique et le monde, op. cit., p. 62. 5 Cf. HABERMAS Jürgen, Après l’État-nation, op. cit. et ARCHIBUGI Daniele, La démocratie cosmopolitique, op. cit., p. 65. 6 RAWLS John, Paix et démocratie, op. cit., p. 25. 7 Cf. MARCHETTI Raffaele, loc. cit., p. 37. 2 18 Conclusion En définitive, la distinction entre démondialisation et altermondialisme réside essentiellement en ceci que la première est un projet politique constructif, tandis que le second est une posture critique, englobant une série de réponses, dont celles ici articulées. Ce qui est partagé, comme hypothèse de base, c’est que l’état actuel de la mondialisation ne peut en aucun cas être considéré comme satisfaisant d’un point de vue moral. Cela étant posé, il s’agit de mentionner une dimension positive de la mondialisation : l’élargissement de la communauté morale, de la communauté communicationnelle et, à l’horizon, de la communauté politique. Démondialiser, dès lors, ce n’est pas tant légitimer le repli sur soi qu’organiser la pluralité des préférences, des traditions, dans un ordre global satisfaisant de tous les points de vue – économique, social, politique, écologique. Selon que l’on mette davantage l’accent sur la solidarité et les droits individuels ou sur l’autonomie collective, la forme de cet ordre mondial penchera vers le fédéralisme ou le confédéralisme. Il nous a semblé que la priorité des droits individuels sur les droits collectifs (s’ils existent) impliquait le choix de la première option (dont on a vu qu’elle est compatible avec une large autonomie collective), malgré les craintes que suscite l’imaginaire de l’État mondial. Quoi qu’il en soit de l’idéal retenu, le choix du modèle de transition du désordre à l’ordre mondial sera déterminant. Il y a fort à parier qu’autant la voie « Sapir » que la voie « Montebourg », chacune à sa manière unilatérale, aient des conséquences largement négatives, qu’on aurait ensuite à regretter. La transition vers la gouvernance globale paraît, à bien des égards, plus prometteuse. En tous cas, il s’agit aujourd’hui de comprendre que si l’idéal d’une justice politique mondiale paraît fort lointain, il n’a sans doute jamais dans l’histoire été aussi proche. 19 Bibliographie AGAMBEN Giorgio, État d’exception. Homo sacer II, 1, Paris, Seuil, 2003. ARCHIBUGI Daniele, La démocratie cosmopolitique. Sur la voie d’une démocratie mondiale, Paris, Cerf, 2009. BARRY Brian, « Humanity and justice in global perspective », dans ID., Liberty and justice. Essays in political theory. Vol. II, Oxford University Press, 1991, p. 207-208. – Justice as impartiality. A treatise on social justice. Vol. II, Oxford, Clarendon Press, 1995. 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