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Il y a quelques années, il aurait semblé
étrange de parler de démondialisation.
Mais depuis maintenant sept ans, nous vivons
la plus longue période de stagnation du rythme
d’intégration économique au niveau mondial en
plus de 70 ans.
Le ratio des échanges commerciaux mondiaux
par rapport au produit intérieur brut est resté
juste au-dessous de 60 % et le montant des
investissements directs étrangers (IDE) a reculé
d’un niveau record de 1 900 milliards de dollars
en 2007 à 1 200 milliards de dollars en 2014.
Dans les pays développés, le soutien politique
envers ce qui a constitué le projet de politique
étrangère des États-Unis et des pays occidentaux
depuis la fin de la guerre, est en train de décliner.
Graphique 1 : Commerce bilatéral mondial
des biens et des services, 1960-2014
1960
1965
1970
1975
1980
1985
1990
1995
2000
2005
2010
Pourcentage du PIB mondial
Commerce bilatéral mondial
Périodes de stagnation relative
À titre purement indicatif.
Source : Statistiques de la Conférence des Nations unies sur le commerce
et le développement.
Graphique 2 : Les flux mondiaux d’IDE,
1980-2014
0,0
Milliers de milliards de dollars
0,2
0,4
0,6
0,8
1,0
1,2
1,4
1,6
1,8
0,0
0,5
1,0
1,5
2,0
2,5
3,0
3,5
4,0
1980
1984
1988
1992
1996
2000
2004
2008
2012
À titre purement indicatif.
Source : Statistiques de la Conférence des Nations unies sur le commerce
et le développement.
Le soutien de moins en moins marqué pour
la mondialisation n’est pas particulièrement
surprenant. Après tout, les avantages de
la mondialisation n’ont pas toujours été
équitablement répartis, et une tranche
importante de la population, qui représente
plus ou moins la classe ouvrière et la classe
moyenne inférieure des pays développés, a très
peu profité de la croissance mondiale au cours
des 20 dernières années. L’élection de Donald
Trump souligne encore davantage le fait que
la mondialisation souffre de plus en plus d’un
manque d’engouement populaire, et combien
le libre-échange et les économies intégrées ne
coulent pas de source et ne sont pas une fatalité.
Ils sont la conséquence de choix politiques,
et si ces choix ne recueillent plus le soutien
des peuples, alors la mondialisation subira le
même sort.
Il est vrai que les échanges bilatéraux ont été
plus fructueux mais leurs effets resteront faibles
à l’échelle mondiale. De plus, leurs avantages
potentiels sont plus que compensés par des
mesures protectionnistes à l’échelle locale et la
réglementation formulée par les gouvernements
qui favorisent les produits nationaux par
rapport aux importations. Par exemple, le Fonds
monétaire international estime qu’à l’échelle
mondiale, le pourcentage de produits affectés
par des barrières commerciales provisoires est à
son plus haut niveau historique (près de 2,5 %).
Le trilemme de la mondialisation
Un triple arbitrage est au cœur du problème.
Le professeur Dani Rodrik, de l’université
d’Harvard, considère que la démocratie,
la souveraineté nationale et l’intégration
économique mondiale sont mutuellement
incompatibles. Il est possible de combiner
deux des trois composantes, mais elles ne
pourront jamais fonctionner toutes les trois
simultanément et dans leur intégralité.
Il appelle cela le « théorème d’impossibilité »
de l’économie mondiale.
Les risques sont importants pour la
mondialisation. Non seulement beaucoup n’en
ont pas profité, mais si nous voulons conserver
la démocratie et l’État-nation, elle devra
fatalement fixer certaines limites sur le niveau
d’intégration des économies entre elles.
Peut-être le monde a-t-il désormais atteint
le seuil maximum de mondialisation
compatible avec le maintien des États-nations
démocratiques. Mais une telle évolution
impliquerait des transformations fondamentales
de nos sociétés et de leur fonctionnement.
Il s’agit peut-être du remède adéquat, mais il
n’est pas évident que le patient soit du
même avis.
De plus, un recul de la mondialisation affecterait
très certainement le potentiel de croissance de
l’économie, compte tenu de la solidité des liens
empiriques entre les échanges commerciaux
et la croissance à l’échelle mondiale. Les deux
Allemagnes d’avant la réunification sont de
parfaits exemples. Tandis que l’Allemagne de
l’Ouest s’était imposée comme un moteur de
l’activité manufacturière mondiale, l’Allemagne
de l’Est avait fermé ses frontières et avait
sombré économiquement.
Quelle conclusion doit-on alors tirer de
tout ceci pour l’avenir des marchés
obligataires internationaux ?
Un ralentissement de la croissance potentielle
réduirait le taux d’intérêt d’équilibre (le niveau
d’intérêts compatible avec le plein emploi et
l’objectif d’inflation) puisqu’il entraînerait aussi
une baisse de la demande d’investissement,
ce qui réduirait le besoin de liquidité et
provoquerait par conséquent une diminution
équivalente du taux d’intérêt. Parallèlement à la
baisse des taux d’intérêt à long terme,
les taux à court terme pourraient augmenter
plus rapidement, entraînant une correction des
obligations à échéance courte.
En outre, la hausse des taux d’intérêt à court
terme résultant de la diminution de l’intégration
mondiale exercerait des pressions haussières
sur les prix à la consommation. En effet,
la démondialisation permettrait d’accroître la
capacité de négociation des travailleurs dans les
pays développés puisque ces derniers ne seraient
plus en concurrence avec la main-d’œuvre bon
marché des pays en développement. Et même
si cela peut sembler favorable aux travailleurs,
cela supposerait probablement aussi pour les
banques centrales de relever le taux de chômage
afin que la croissance des salaires soit conforme
à leur objectif d’inflation. En fin de compte,
les mêmes travailleurs qui soutiennent la
démondialisation afin de protéger leurs emplois
et de favoriser une hausse des salaires pourraient
aggraver leur situation encore davantage.
Le phénomène de la mondialisation est loin
d’être parfait. Pourtant, rompre totalement
avec lui ne ferait qu’appauvrir les déçus de
la mondialisation. Il est irréaliste d’espérer
qu’une solution à la fois acceptable et
efficace apparaisse l’année prochaine comme
par miracle. Dans le même temps, en tant
qu’investisseurs, nous allons suivre la situation
de près pour détecter le moindre signe de
progrès. Il s’agit d’une problématique qui ne peut
tout simplement pas être ignorée.
Luke Bartholomew
Investment Manager,
gestion obligataire - EMOA