Les déterminants de la croissance économique en République

1
Les déterminants de la non-croissance économique en
République Démocratique du Congo (1920-2000)
Version provisoire pour commentaires
Albert TCHETA-BAMPA*
Résumé : Cette étude analyse de manière quantitative les déterminants de la trappe de non-croissance de la
RDC (1920-2000). Nous trouvons trois principaux résultats. Premièrement, l’insuffisance de capital physique et
humain lié à l’éducation ainsi que la lenteur de progrès technique semblent être responsables de la trappe de
non-croissance dans lesquelles la RDC reste bloquée depuis longtemps. Deuxièmement, un déséquilibre
structurel du rapport entre capital physique par tête (expansif) et capital humain par tête (sous-développé). Ce
déséquilibre empêche l’assimilation du progrès technique externe. Ce résultat suggère donc que le décollage
économique en RDC n’a jamais eu lieu jusqu’à présent. Enfin troisièmement, la RDC une croissance négative de
la productivité globale des facteurs qui représente environ deux tiers de la non-croissance du PIB par tête.
Abstract: This study analyzes quantitatively the determinants of the non-growth economy trap in Democratic
Republic of Congo (DRC) during period of 1920-2000. We find three principals results. First, the insufficiency
of physical and human capital that corresponds to education and slow technical progress are the cause of non-
growth economy trap. It impacts the economic stagnation in DRC since long time. Second, the structural
inequality between physical capital per capita (expansive) and human capital per capita (under developed)
impedes better assimilation of external technical progress. This result suggests that the economic transformation
in DRC has never been held till now. Third, the negative growth of total productivity factors represents
approximately two-thirds of the non-growth of GDP per capita.
Mots-clés : croissance, non-croissance, trappes à non croissance, sous-développement, capital physique, capital
humain, progrès technologique, RDC.
*Centre d’Economie de la Sorbonne, Université Paris 1, E-mail : albert.tchet[email protected]niv-paris1.fr
Maison des Sciences Économiques, 106-112 boulevard de L'Hôpital, 75647 Paris Cedex 13
2
1. Introduction
Cet article traite des déterminants de la croissance économique de la République Démocratique du
Congo (RDC) sur longue période à partir d’un modèle Solow-Romer. La RDC a enregistré selon le
FMI, un taux de 6.5 pour cent de la croissance de son PIB réel en 2011 (contre 7.2 pour cent en 2010).
Depuis dix ans la croissance semble être redevenue, alors que pendant une cinquantaine
d’années le pays n’avait pas connu de croissance sensible du revenu par tête. Les chiffres du tableau 1
donnent une idée de l’état de l’économie après la seconde guerre mondiale. En 1950, le PIB réel par
habitant de la RDC s’élevait à 570 dollars des Etats-Unis (au prix de 1950). Non seulement il se situait
devant plusieurs pays, comme le Botswana, le Burkina Faso, le Cap Vert, la Guinée Equatoriale, la
Chine, etc., mais il était surtout non loin derrière certains pays en développement qui sont devenus
désormais des pays émergents comme l’Inde, la Thaïlande, Taiwan et la Corée du Sud. Le niveau du
PIB par habitant avant 1960 montre que la RDC était proche à cette époque d’avoir engagé son
décollage économique. Le taux de croissance annuel moyen du PIB par habitant de 1950 à 2011
permet d’observer que le pays a vu son PIB par habitant régresser relativement à de nombreux pays
alors qu’il avait un niveau de développement honorable dans les années 1950. Pourquoi cet échec de
croissance ?
Tableau 1 : Comparaison internationale des indicateurs économiques
Pays PIB par habitant (dollars inter 1950) Croissance du PIB réel/hab*.
1920
1950
2000
1950-2000
1950-2008
349
Botswana
4 084
5,2
4,75
Burkina Faso
474
899
1,36
1,47
Cape Verte
450
1 776
2,94
3,31
Guinée
Equatoriale
540
7 677
6,09
7,27
Guinée
303
591
1,38
1,29
Mali
457
894
1,48
1,71
Mauritanie
464
1 085
1,88
1,94
RDC
247
570
218
-1,72
-1,24
China
448
3 421
4,28
4,91
Inde
635
619
1 892
2,31
2,79
Birmanie
396
1 389
2,66
3,76
Cambodge
482
1 148
1,99
3,2
Thaïlande
817
6 398
4,28
4,24
Taiwan
861
916
16 872
6,04
5,59
Corée du Sud
1 092
854
14 375
5,94
5,67
Source : Maddison (2008)
*Il s’agit du taux de croissance annuel moyen.
Pour répondre à cette question un modèle de type Solow-Romer est utilisé. Il s’agit d’expliquer
comment certaines économies peuvent se trouver bloquées dans une trappe à sous-développement
(Berthélemy, 2006a
1
) parce qu’elles manquent d’abord d’épargne (capital physique), ensuite parce que
leur population est insuffisamment formée (capital humain), enfin, parce qu’en conséquence,
l’insuffisance de ces facteurs de production ne permet pas à ces économies de développer le secteur
d’activités technologiques (ou progrès technique). Le modèle proposé repose sur des mécanismes
agrégés et ne tient pas compte des mécanismes microéconomiques qui conduisent à la mise en place
de telles trappes à sous-développement.
L’hypothèse que certaines économies puissent se trouver bloquées dans un état d’équilibre de non-
croissance a été argumentée très tôt dans la théorie de la croissance économique. Elle est associée à la
littérature des précurseurs de la théorie économique du développement (Young 1928 ; Rosenstein-
1
Berthélemy Jean-Claude , « Clubs de convergence et équilibres multiples : comment les économies émergentes ont-elles réussi à
échapper au piège du sous-développement ? » , Revue d'économie du développement, 2006/1 Vol. 20, p. 5-44. DOI : 10.3917/edd.201.05
3
Rodan 1943, 1947 et 1961 et Nurkse 1953). C’est à partir de la fin des années 50 que commence la
formalisation proprement dite de cette hypothèse, alors que le modèle de croissance de Solow semblait
l’ignorer. A cette époque en effet, la théorie néoclassique de la croissance de Solow-Swan (1956), qui
figurait aux frontières des recherches universitaires avait conduit la majorité des économistes à adopter
l’argument selon lequel toutes les nations devaient converger vers un seul et même état régulier,
laissant de côté la possibilité d’équilibre bas. Il faut attendre les preuves empiriques des limites de
modèle néoclassique et l’avènement des théories de la croissance endogène (Romer, 1986 et 1990 ;
Lucas, 1988 ; Barro, 1990 ; Rebelo, 1991 ; King et Rebelo, 1990 entre autre) dans la deuxième moitié
de la décennie 1980, pour que l’hypothèse d’une multiplicité de régimes de croissance d’équilibre soit
approfondie et confrontée aux données d’observation. Cette théorie de la croissance endogène des
années 1980-1990 a une similitude avec la littérature sur le développement des années 1940 et 1950,
qui a également fait valoir que la production ne dépendait que de capital. Les années 1990 ont vu ainsi
se développer une combinaison très prolifique d’avancées théoriques et de nouvelles analyses
empiriques d’existence possible d’équilibres bas dans le processus de croissance des pays. Ceci a été
montré, avec des méthodologies différentes.
Il existe maintenant une littérature abondante sur les clubs de convergence et équilibres multiples.
Depuis les premières contributions empiriques d’Abramovitz (1986) et de Baumol (1986), pour les
pays de l’OCDE, plusieurs chercheurs ont montré certains facteurs susceptibles de bloquer la
croissance dans les pays pauvres. Des nombreuses revues de littérature et des ouvrages entiers leurs
ont été consacrés. Enfin, les principaux résultats sur les équilibres multiples sont traduits depuis une
dizaine d’années en termes de recommandations de politique de développement comme les
propositions de « grande poussées » de Sachs et al (2004)
2
, le Projet du Millénaire des Nations Unies
de Collier (2004)
3
, dans le contexte des discussions initiées par la Commission Blair pour l’Afrique,
ou encore de l’Initiative pour un Plan Marshall mondial soutenue par le Club de Rome et théorisée par
Radermacher (2004). Bref, la notion d’équilibres multiples de croissance a perdu le charme de la
nouveauté. La présente contribution n’a pas pour but de faire une revue de littératures de ces
contributions, ce qui serait impossible dans le cadre restreint adopté ici. Cependant, la principale
question que ce courant a adressée à la science économique est également d’analyser la situation
apparente des pays les plus pauvres. Plus précisément, comment certaines économies en
développement sont-elles bloquées dans piège du sous-développement ? C’est cette question qui n’est
pas encore bien étudiée et mérite de ce fait, une investigation particulière sans la mélanger avec l’autre
question qui a fait l’objet de plusieurs analyses approfondies, à savoir, comment les économies dites
émergentes ont-elles réussi à échapper au piège du sous-développement ?
La principale motivation de l’article est empirique et il s’agit ici à la fois de voir comment un simple
modèle de Solow-Romer permet de rendre compte du taux de croissance en longue période d’un pays
en voie de développement et qualifié d’Etat-rentier du fait de l’importance de ses ressources en
minerai, en l’occurrence la RDC. L’étude est sur une très longue période. Un tel objectif peut paraître
simple et rencontre, pourtant, plusieurs difficultés. La première et finalement la plus difficile à
surmonter est la collecte d’informations statistiques fiables (particulièrement sous la période précédant
l’indépendance). Il est possible, cependant, d’utiliser les séries d’investissement de Kalonji Ntalaja
(2007)
4
, les séries de capital physique de capital physique, de capital humain et d’emplois de Kodila
Tedika et Kyayima Muteba (2010
5
) et de les compléter par les données disponibles dans les ouvrages
de Peeman (1997
6
) et Ndaywelè Nziem (1998
7
) pour résoudre en partie cette première difficulté. La
seconde difficulest théorique. Le modèle de Solow-Romer ignore totalement les facteurs culturels,
2
SACHS, J. D., J. W. MCARTHUR, G. SCHMIDT-TRAUB, M. KRUK, C. BAHADUR, M. FAYE, et G. MCCORD (2004), “Ending
Africa’s Poverty Trap”. Brookings Papers on Economic Activity, 1, p. 117-240.
3
COLLIER, P. (2004), “African Growth Why a ‘Big Push’?”, Article présenté à la session plénière de l’atelier de recherche biannuel du
Consortium pour la Recherche Economique en Afrique, 5 décembre, Nairobi.
4
Kalonji Ntalaja (2007), « Croissance et pauvreté en RDC», Université de Kinshasa (Miméo).
5
Kodila Tedika, O et Kyayima Muteba,F, (2010), « Sources de la croissance en République Démocratique du Congo d’avant indépendance.
Une analyse par la cointégration ». Document de travail Université de Kinshasa.
6
Peemans, (1997), Le Congo-Zaïre au gré du XXème siècle : Etat, Economie, Socié. 279 p Ed. L'Harmattan, Paris.
7
NDAYWEL è NZIEM, I., 1998, Histoire générale du Congo. De l'héritage ancien à la République Démocratique. Paris/Bruxelles,
Duculot/De Boeck
4
et plus généralement institutionnel du sous-développement. Il n’apparaît en ce sens que comme une
première approximation des déterminants de la croissance dans un pays en voie de développement
comme la RDC. La grande généralité du modèle utilisé est à la fois une force et une faiblesse. Elle est
une faiblesse car elle ne réussit pas à expliquer pourquoi le capital humain et physique est insuffisant
et ne réussit pas à produire du progrès technique. Elle est une force parce qu’elle traite les PED comme
les pays développés et permet de poser un diagnostic simple et général qui ensuite peut faire l’objet
d’études complémentaires sur les raisons de cette insuffisance de capital. L’article est alors organisé de
la manière suivante. La première section présente le cadre théorique et ses principales hypothèses. La
deuxième section spécifie l’équation de croissance, présente les données et la technique d’estimation
qui est mobilisée. Le principal résultat de l’article est de montrer qu’à l’origine des défaillances de la
croissance congolaise il y a l’insuffisance d’épargne et de capital physique, la faiblesse des niveaux
d’éducation moyen de la population, mais surtout très faible niveau de la productivité globale de
facteurs (PGF). La croissance économique de la RDC obéirait ainsi aux mêmes déterminants que la
croissance économique de n’importe quel pays développé.
2. Modèles de croissance et hypothèses à non-croissance
Le modèle de croissance présenté dans cette section articule les modèles de Solow (1956) et Romer
(1990). Il s’agit de rendre compte théoriquement de l’origine des trappes à sous-développement. Le
modèle de Solow conduit à soutenir qu’un taux d’épargne faible (capital physique) et un faible niveau
de progrès technique explique les faibles taux de croissance enregistré par la RDC. Le modèle de
Romer de son côté focalise l’attention sur l’insuffisance de capital humain et ses effets sur la
croissance économique.
2.1 Présentation succincte du modèle de Solow
Le modèle traditionnel néoclassique de croissance exogène tel que celui proposé par Solow-Swan
(1956) considère une économie fermée qui produit un seul bien (composite) pouvant alternativement
servir à l’investissement ou à la consommation. Il y a concurrence parfaite sur le marché du bien
comme sur celui des facteurs de production, lesquels sont au nombre de deux : le capital et le travail.
Toutes ces hypothèses en font un modèle de croissance de long terme. La grande popularité de ce
modèle rend inutile sa présentation détaillée.
L’équation de la dynamique fondamentale s’écrit dans ce modèle comme suit :
knksfk)()(
(1)
avec
,
k
le capital par tête,
k
sa variation, δ est le taux de dépréciation du capital,
s
désigne le taux d’épargne supposé constant et exogène et
n
taux de croissance de la population
(exogène).
En dynamique de transition le revenu par tête d’une économie converge vers son propre état régulier
et, le cas échéant, vers les revenus par tête d’autres économies. Le taux de croissance du capital par
tête s’écrit :
)(
)(
n
kksf
k
k
k
(2)
Les expressions des valeurs par tête du capital et du revenu à l’état stationnaire sont données par :
5
et
1
** )( nsA
AkAy
(3)
On voit que
*
y
est une fonction positive de
s
et
A
et une fonction négative de
n
et
. Un taux
d’épargne permet d’atteindre un niveau de capital plus élevé et par conséquent une production
supérieure.
Une question qui a attiré une attention considérable dans la littérature empirique de la croissance est de
savoir si les pays pauvres ont tendance à croître plus vite que les pays riches ; c’est-à-dire qu’un
processus de convergence des taux de croissance se produit au cours du temps. Le modèle de Solow
prédit que les pays ayant des technologies de production, des taux d’épargne et des taux de croissance
de la population différents, mais le même taux de progrès technique, convergeront tous vers un sentier
de croissance équilibré dans lequel le taux de croissance du revenu par tête est égal au taux du progrès
technique.
Mais dans la mesure les pays sont à des points différents dans leur transition vers un sentier de
croissance équilibré, des différences de production par travailleur augmenteront ; on devrait donc
s’attendre à ce que les pays pauvres croissent plus vite que les pays riches, même avec une technologie,
des taux d’épargne et des taux de croissance de la population identiques. La raison est que les
rendements de capital décroissants impliquent que chaque addition au stock de capital génère des
additions importantes de production quand le stock de capital de départ est faible. Le contraire est vrai
quand le stock de capital est au départ important. Cette observation a des implications importantes
pour les tests économétriques.
Mankiw et al. (1992), ont approfondi cette question en procédant à une estimation économétrique de
l’hypothèse de la productivité décroissante qui implique que les rendements sont plus élevés dans les
pays pauvres. Pour ce faire, ils ont pris en considération un échantillon hétérogène de 98 pays, et en
même temps sur un autre échantillon plus restreint de 22 pays de l’OCDE et donc homogène. Pour le
premier échantillon d’un nombre important de pays (échantillon hétérogène), le taux de croissance
économique dépend positivement du revenu par tête initial. Le modèle de Solow n’implique pas que
des pays riches croissent moins vite que des pays pauvres. Il n’existe pas de phénomène de rattrapage
dans les faits. En revanche, en restreignant l’échantillon à 22 pays de l’OCDE, (échantillon
homogène), les auteurs mettent en évidence une influence négative du revenu initial sur le taux de
croissance futur. Les pays pauvres dans cet échantillon croissent alors plus vite que les pays riches. Il
existe donc, un phénomène de rattrapage lorsque l’on restreint l’échantillon à un nombre de pays
particuliers, retrouvant en cela les résultats obtenus par Baumol en 1986.
Au total, un rattrapage se produit si les économies sont structurellement identiques, si elles
appartiennent à un même club de convergence. La convergence prédite par le modèle de Solow ne se
ferait alors que de manière conditionnelle aux paramètres structurels (
ns,
et
) et des dotations
initiales des économies.
De ce rejet de l’hypothèse selon laquelle une économie pauvre peut connaître une croissance plus vite
et plus élevé puisqu’elle a une faible valeur initiale du capital par tête, nous défissions les deux des
hypothèses que cette étude teste. L’argument sous-jasant est le suivant : moins une économie épargne,
moins elle ne repousse pas son niveau des variables d’état stationnaire (capital et revenu). Moins elle
est éloignée de son état régulier, moins fort est son taux de croissance économique. Chaque économie
va donc converger vers son propre état régulier (Galor, 1996). Il est donc possible d’avoir plusieurs
équilibres stables d’état stationnaire ; avec des niveaux de capital et de revenu par tête différents. Il y a
possibilité que certaines économies pauvres comme la RDC du fait de leurs caractéristiques
structurelles, convergent vers un équilibre d’état stationnaire de bas niveau. Et elles risquent à long
terme d’enregistrer que la croissance faible ou négative. D’’où les trappes à non-croissance que
montrons maintenant.
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