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UNIVERSITE PANTHEON-ASSAS (PARIS II)
Année universitaire 2016-2017
TRAVAUX DIRIGES 1ère année Licence Droit
DROIT CIVIL
Cours de Monsieur le Professeur Nicolas MOLFESSIS
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Distribution : du 28 novembre au 3 décembre 2016.
NEUVIEME SEANCE
LA CHARGE DE LA PREUVE
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I.- La présente séance est consacrée à létude de la charge de la preuve. On entend par
évoquer la question de savoir à qui revient lobligation de prouver les éléments nécessaires à
la solution du litige.
Le droit de la preuve a été modifié à loccasion de lordonnance 2016-131 du 10
février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des
obligations, dont les dispositions sont entrées en vigueur le 1er octobre. Ce sont donc les
articles 1353 et suivants du Code civil quil vous faut désormais connaître.
Larticle 1353 du Code civil énonce que cest à celui qui réclame lexécution dune obligation
den rapporter la preuve (al. 1er). La charge de la preuve pèse sur le demandeur. Cest parce
que cest lui qui vient mettre en cause ce qui préexistait et réclame un changement dans une
situation établie quil lui appartient de prouver ce quil sollicite. Le demandeur, qui se prétend
créancier, devra dès lors prouver lacte juridique (ex. : un contrat) ou le fait juridique (ex. : un
délit) quil estime être à lorigine de sa créance.
Sil échoue, il perdra son procès et sera débouté : le risque de la preuve pèse sur lui. On doit
dailleurs souligner quen droit, ne pas être prouvé équivaut à ne pas être.
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Un dialogue se noue alors avec le défendeur : pour se soustraire aux conséquences des
preuves apportées par le demandeur, le défendeur peut également faire valoir tel ou tel fait. Il
lui appartient den rapporter la preuve : « Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit
justifier le paiement ou le fait qui a produit lextinction de son obligation » (art. 1353, al. 2).
Le défendeur, en proposant ses moyens de défense, devient en réalité demandeur. La charge
de la preuve se déplace ainsi, suivant les alternances de la discussion judiciaire.
Chaque partie a la charge de la preuve des faits et actes juridiques quelle allègue. La règle est
dailleurs énoncée à larticle 9 du Code de procédure civile : « il incombe à chaque partie de
prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ».
Document 1 : Cass. civ. 1ère, 3 nov. 2016, n° 15-25348.
Dès lors que le fait de ne pas pouvoir rapporter la preuve de son obligation conduit le
demandeur à être débouté la charge de la preuve est un risque on comprend que des
considérations de politique juridique puissent ici influer. On le constatera à létude de
lobligation dinformation dont sont par exemple tenus les professionnels, le médecin, etc. :
qui doit prouver que lobligation a bien ou non été remplie ?
Document 2 : Cass. civ. 1ère, 25 février 1997, Bull. civ. I, 75 ; Les grands arrêts de la
jurisprudence civile, tome 1, 17 ; Gaz. Pal. 1997.1.274, rapp. Sargos ; JCP 1997.I.4025,
obs. Viney ; CCC, 1997, chr. 5, L. Leveneur ; RTD civ., 1997.434, obs. Jourdain et 924, obs.
Mestre ; Defrénois 1997.751, obs. Aubert.
Document 3 : Cass. civ., 1ère, 28 oct. 2010, Bull. civ. I, 215 ; D. 2010, act. 2580 ; RDI
2010.616, obs. Ph. Malinvaud ; Defrénois 2010.2309, note Rabu ; CCC, 2011, 1, obs. L.
Leveneur ; RLDC 2011/78, n° 4076, obs. Paulin.
Document 4 : Cass. civ. 1ère, 12 juin 2012, D. 2012.2826, obs. I. Darret-Courgeon.
On relèvera par ailleurs que le nouvel article 1112-1 al. 4 concernant l’obligation
d’information dispose : « Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de
prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a
fournie ».
II.- Des règles spécifiques viennent cependant ici interférer, de façon essentielle. Cest le cas
des présomptions, conséquences que la loi ou le magistrat tire dun fait connu à un fait
inconnu. Les présomptions opèrent un déplacement de lobjet de la preuve : le fait inconnu ne
sera pas prouvé, mais présumé à partir de la preuve du fait connu. Le mécanisme des
présomptions influe toutefois sur la charge de la preuve. Par exemple, larticle 2274 du Code
civil présume la bonne foi : cest donc toujours à celui qui allègue la mauvaise foi de la
prouver.
On distingue à cet égard les présomptions simples des présomptions irréfragables. Seules les
premières sont susceptibles dune preuve contraire (C. civ., art. 1354, al. 2).
Document 5 : Cass. civ. 1ère, 7 mars 2000, RTD civ. 2000.333, obs. J. Mestre et B. Fages.
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Document 6 : Civ. 1ère, 17 juin 2010 : Bull. civ. I, 137 ; Dalloz, 2010, act. 1625, obs.
Gallmeister.
III.- Il reste à savoir si les parties sont libres daménager les règles dattribution de la charge
de la preuve. Avant la réforme du 10 février 2016, le Code civil ne contenait aucune
disposition à ce sujet. Cest donc à la jurisprudence quil revint dencadrer les conventions
renversant la charge de la preuve.
Document 7 : Cass. civ. 1ère, 30 oct. 2007, Bull. civ. 2007, 328 ; D. 2008.2820, obs. Ph.
Delebecque.
Un tel aménagement contractuel a quelque peu évolué. Dune part, larticle R. 212-1 du Code
de la consommation présume irréfragablement abusives les clauses, conclues entre un
professionnel et un consommateur, qui imposeraient au consommateur la charge de la preuve.
Dautre part, la réforme fut loccasion dinsérer, dans le Code civil, des dispositions sur ce
point. En ce sens, le nouvel article 1356 du Code civil admet la validité de tels aménagements
contractuels, « lorsquils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition » (al.
1er). Mais il faut compter avec des exceptions : « Néanmoins, ils ne peuvent contredire les
présomptions irréfragables établies par la loi, ni modifier la foi attachée à laveu ou au
serment. Ils ne peuvent davantage établir au profit de lune des parties une présomption
irréfragable » (al. 2).
Document 8 : Cass. civ. 1ère, 12 mai 2016, n° 14-24.698.
II.- Exercice.
- Les étudiants doivent dresser les fiches de tous les arrêts.
- Commentaire dun arrêt de la fiche, au choix de lenseignant.
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Document 1 : Cass. civ. 1ère, 3 nov. 2016.
Sur le moyen unique :
Attendu, selon larrêt attaq(Aix-en-Provence, 16 octobre 2014),que Mme X... a été opérée, le 6
octobre 2004, par M. Y..., chirurgien, à la Clinique Saint-Michel pour une hystérectomie totale par
laparotomie et, le 10 octobre 2005, par M. Z..., chirurgien digestif, à la Clinique du Coudon, pour une
récidive de hernie hiatale par laparotomie ; que, le 4 décembre 2007, lors dune nouvelle laparotomie,
une compresse chirurgicale a été retrouvée dans labdomen de Mme X... ; quaprès avoir sollicité une
expertise en référé, la patiente a assigné en responsabilité et indemnisation M. Z..., M. Y... et la
Clinique Saint-Michel, et mis en cause la caisse primaire dassurance maladie du Var qui a demandé le
remboursement de ses débours ;
Attendu que Mme X... fait grief à larrêt de rejeter ses demandes, alors, selon le moyen, que lorsque la
preuve dune négligence fautive consistant en loubli dun matériel chirurgical dans le corps dun
patient est rapportée, il appartient à chaque professionnel et établissement de santé mis en cause de
prouver quil nest pas à lorigine de la faute ; quen déboutant la patiente de sa demande
dindemnisation au motif quelle nétablissait pas lacte chirurgical au cours duquel la compresse avait
été oubliée dans son abdomen, la cour dappel a violé larticle 1315, ensemble larticle L. 1142-1 du
code de la santé publique ;
Mais attendu quen vertu de larticle L. 1142-1, I, alinéa 1er , du code de la santé publique, hors le cas
leur responsabilité est encourue en raison dun défaut dun produit de santé, les professionnels de
santé ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes
individuels de prévention, de diagnostic ou de soins, ne sont responsables des conséquences
dommageables dactes de prévention, de diagnostic ou de soins quen cas de faute ; que la preuve
dune faute incombe au demandeur ; que sagissant dune responsabilité personnelle, elle implique que
soit identifié le professionnel de santé ou létablissement de santé auquel elle est imputable ou qui
répond de ses conséquences ;
Et attendu quaprès avoir retenu lexistence dune négligence fautive liée à loubli dune compresse
sur le site opératoire dune des interventions, larrêt relève, en se fondant sur le rapport dexpertise,
quaucune donnée ne permet de rattacher la présence de la compresse à lintervention du 6 octobre
2004 ou à celle du 10 octobre 2005, pratiquées par des chirurgiens différents dans des cliniques
distinctes et qui ont lune et lautre nécessité lusage de compresses, et quaucun comportement fautif
de tel ou tel médecin exerçant à titre libéral ou auxiliaire nest démontré ; que la cour dappel na pu
quen déduire que leur responsabilité ne pouvait être engagée ; que le moyen nest pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.
Document 2 : Cass. civ. 1ère, 25 février 1997.
Sur le moyen unique pris en ses deux dernières branches :
Vu larticle 1315 du Code civil ;
Attendu que celui qui est légalement ou contractuellement tenu dune obligation particulière
dinformation doit rapporter la preuve de lexécution de cette obligation ;
Attendu quà loccasion dune coloscopie avec ablation dun polype réalisée par le docteur X..., M.
Y... a subi une perforation intestinale ; quau soutien de son action contre ce médecin, M. Y... a fait
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valoir quil ne lavait pas informé du risque de perforation au cours dune telle intervention ; que la
cour dappel a écarté ce moyen et débouté M. Y... de son action au motif quil lui appartenait de
rapporter la preuve de ce que le praticien ne lavait pas averti de ce risque, ce quil ne faisait pas dès
lors quil ne produisait aux débats aucun élément accréditant sa thèse ;
Attendu quen statuant ainsi, alors que le médecin est tenu dune obligation particulière dinformation
vis-à-vis de son patient et quil lui incombe de prouver quil a exécuté cette obligation, la cour dappel
a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans quil y ait lieu de statuer sur les deux premières branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, larrêt rendu le 5 juillet 1994, entre les parties, par
la cour dappel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans létat elles se
trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour dappel dAngers.
Document 3 : Cass. civ., 1ère, 28 oct. 2010.
Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :
Vu les articles 1147 et 1315 du code civil ;
Attendu que M. et Mme X... ont acheté à la société Ateliers de la terre cuite (la société ATC) divers
lots de carrelage ; quayant constaté la désagrégation des carreaux qui avaient été posés autour de leur
piscine, ils en ont informé la sociéATC qui a procéà un remplacement partiel du carrelage ; que
le phénomène persistant, les époux X... ont obtenu la désignation dun expert dont le rapport a fait
apparaître que les désordres étaient liés à lincompatibilité entre la terre cuite et le traitement de leau
de la piscine effectué selon le procédé de lélectrolyse au sel, puis, afin dêtre indemnisés, ils ont
assigné le vendeur qui a attrait en la cause son assureur, la société Generali assurances ;
Attendu que pour rejeter la demande fondée sur larticle 1147 du code civil, la cour dappel a énoncé
que sil appartient au vendeur professionnel de fournir à son client toutes les informations utiles et de
le conseiller sur le choix approprié en fonction de lusage auquel le produit est destiné, en sinformant
si nécessaire des besoins de son client, il appartient également à ce dernier dinformer son vendeur de
lemploi qui sera fait de la marchandise commandée puis a retenu quil nétait pas établi que le
vendeur eût été informé par les époux X... de lutilisation spécifique, sagissant du pourtour dune
piscine, quils voulaient faire du carrelage acquis en 2003, de même type que celui dont ils avaient fait
précédemment lacquisition ;
Quen statuant ainsi alors quil incombe au vendeur professionnel de prouver quil sest acquitté de
lobligation de conseil lui imposant de se renseigner sur les besoins de lacheteur afin dêtre en mesure
de linformer quant à ladéquation de la chose proposée à lutilisation qui en est prévue, la cour
dappel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans quil y ait lieu de statuer sur la première branche :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, larrêt rendu le 17 mars 2009, entre les parties, par
la cour dappel de Nîmes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans létat elles se
trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour dappel de Toulouse ;
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