Extrait de la scène I,10
La Comtesse, voyant le docteur qui sort de chez son fils. — Ah ! docteur !… (Redescendant en scène avec
lui.) Eh ! bien, vous avez examiné mon fils ?
Vétillé. — Eh ! oui, madame. Il se dispose à aller prendre son bain.
La Comtesse. — Ah ! vous autorisez ?…
Vétillé. — Certes ! Très bon, la mer ! Ca fouette le sang !… Tout ce qui est exercice violent, j’approuve.
La Comtesse. — Et comment l’avez-vous trouvé ? Qu’est-ce qu’il a ?
Vétillé. — Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? C’est un garçon qui fait de la neurasthénie.
La Comtesse, s’effarant. — Ah ! mon Dieu ! C’est grave ?
Vétillé. — En soi, non !… mais enfin, c’est toujours un mauvais terrain.
La Comtesse. — Vous m’effrayez ! Quand je pense que ce garçon doit partir en octobre pour son service
militaire.
Vétillé. — Ah ? Bon, ça ! très bien, parfait !
La Comtesse. — Ah ?
Vétillé. — C’est ce qui peut lui arriver de meilleur. Il trouvera parmi ses camarades des exemples
salutaires à son état, et, s’il a la bonne idée de les suivre…
La Comtesse. — Vraiment, docteur ? Ah ! Vous me tranquillisez ! Mais enfin, étant donné l’état actuel,
comment peut-on enrayer ?…
Vétillé. — Comment ?
La Comtesse. — Oui.
Vétillé, embarrassé et tout en se tortillant la moustache. — Comment ! (Brusquement.) Ecoutez-moi,
madame : je suis un vieux militaire, et, pour moi, un chat est un chat.
La Comtesse. — Oui, docteur, oui.
Vétillé. — Eh ! bien, ce qu’il faudrait à votre fils, dame ! il faudrait !… il faudrait !…
La Comtesse, sur les charbons. — Mais quoi ? Quoi ?
Vétillé, éclatant. — Mais qu’il marche, madame ! qu’il marche !
La Comtesse, qui ne comprend pas. — Qu’il marche ?
Vétillé. — Evidemment !
La Comtesse, très naïvement. — Mais… il marche, docteur.
Vétillé, interloqué. — Hein !… Avec qui ?
La Comtesse. — Mais avec ma cousine, avec moi, avec M. le curé.
Vétillé, ahuri. — Hein ? (Retenant une envie de rire.) Ah ! non, non ! vous n’y êtes pas du tout ! Notez que
je ne trouve pas mauvais qu’il fasse du footing avec madame, ou avec M. le curé, mais ce n’est pas du tout
cela que j’entends.
La Comtesse. — Mais alors, quoi ? Quoi ?
Vétillé, s’emballant. — Mais ne comprenez-vous pas, madame, que ce qui travaille cet enfant, c’est sa
jeunesse, c’est son printemps ! ne comprenez-vous pas qu’il subit la loi de la nature, commune à tous les
êtres, commune aux oiseaux, aux fleurs, aux arbres, à tout ce qui a une vie ? C’est le bourgeon qui crrrève
de sève jusqu’à éclater. (Esquissant le mouvement de remonter pour redescendre aussitôt.) Eh ! bien, nom
de D… ! (Sur ce juron qu’il n’achève pas, Eugénie et la comtesse comme deux poules effarouchées se
rapprochent instinctivement l’une de l’autre. Eugénie fait un rapide signe de croix. La comtesse contracte sa
figure comme lorsqu’on entend scier un bouchon.) qu’on fasse donc ce qu’il faut pour qu’il éclate.
La Comtesse, commençant à s’énerver. — Mais qu’est-ce qu’il faut, docteur ?
Vétillé, à tue-tête. — Mais une femme, madame, une femme !
La Comtesse. — Une femme ?
Eugénie. — Pourquoi faire ?
Vétillé, subitement calmé. — Ah ! ça, madame, vous m’en demandez trop.
La Comtesse. — Une femme !… mon fils !… mais… c’est un saint !
Vétillé. — Eh ! justement, madame, mais c’est un saint-vierge ! Et c’est ce qu’il ne faut pas.