
La Lettre du Psychiatre • Vol. IX - no 6 - novembre-décembre 2013 | 173
Résumé
La troisième vague des thérapies comportementales et cognitives (TCC), développée depuis les années 1990,
regroupe un ensemble de thérapies marquées par l’importance de l’expérience vécue et de la subjectivité.
Elles ont en commun de s’ouvrir à différents modèles psychopathologiques et philosophiques, intégrant des
perspectives développementales et environnementales, et de placer la relation thérapeutique au cœur du
processus de soins, contrairement aux vagues précédentes. L’enrichissement du champ théorique permet
l’élaboration de nouveaux cadres pour des pathologies difficiles à traiter, comme les états-limites. Cet
article décrit 4 de ces thérapies parmi les plus connues : la thérapie des schémas, la thérapie fondée sur la
pleine conscience, la thérapie d’acceptation et d’engagement et la thérapie dialectique et comportementale.
Mots-clés
Thérapie cognitivo-
comportementale
Thérapie émotionnelle
Troisième vague
Relation
thérapeutique
Summary
The third wave of cognitive
behavior therapy developed in
the last twenty years includes
several therapies which are
characterized by the impor-
tance of real-life experience
feeling and subjectivity. They
have in common to enlarge
their psychopathological
and philosophical patterns,
including developmental and
environmental theories and
consider therapeutic relation-
ship as crucial in the care
process, unlike previous waves.
Opening the theoretical field
allows to work out new frames
for complex pathologies such
as borderline personality
disorder. This article describes
4 of these therapies: schema
therapy, mindfulness-based
cognitive therapy, acceptation
and commitment therapy and
dialectical behavior therapy.
Keywords
Cognitive behavior therapy
Emotional therapy
Third wave
Therapeutical relationship
tégies visant à remplacer les adaptations dysfonc-
tionnelles. La première étape consiste en une phase
de diagnostic et d’intervention qui va permettre
l’explication du modèle au patient, l’identification
du schéma, de ses origines infantiles et des réac-
tions adaptatives dysfonctionnelles auxquelles il
conduit. Elle a pour support des questionnaires et
des tâches d’autosurveillance à domicile. Lui succède
la phase de changement : J.E. Young parle de “faire
la guerre au schéma” (2) par des interventions
cognitives, émotionnelles (par imagerie et jeux de
rôle), comportementales mais également inter-
personnelles, en ayant recours à des techniques de
confrontation empathique, qui permettent la mise
en évidence des réactions dysfonctionnelles envers
le thérapeute, et à un rematernage partiel.
À l’inverse, quels schémas le patient et son histoire
vont-ils activer chez le thérapeute ? En effet, les
thérapeutes n’échappent pas à l’influence de
leurs propres schémas, et S. Saddichha et al. (3)
ont retrouvé chez les professionnels de la santé
mentale des schémas inadaptés prédominant dans
les domaines du manque de limites, de la survigilance
et de l’inhibition. La question de l’influence de ces
schémas sur le déroulement de la thérapie se pose.
Thérapie cognitive reposant
sur la pleine conscience
La pleine conscience se définit comme “un état
mental qui résulte du fait de centrer notre attention,
volontairement, sur notre expérience présente dans ses
aspects sensoriels et mentaux, cognitifs et émotionnels,
sans poser de jugement” (4). La pleine conscience ne
constitue donc pas une thérapie en soi, il s’agit d’une
approche expérientielle du vécu, hors de toute interpré-
tation intellectuelle. Elle passe par l’expérience médi-
tative issue de la philosophie bouddhiste, marquée
par la prégnance de l’ici et maintenant : “Quand tu es
assis, sois assis ; quand tu es debout, sois debout ; quand
tu marches, marche. Et surtout, n’hésite pas.”1
C’est l’association de ces pratiques, dégagées de
leur contexte religieux, à des techniques psycho-
thérapiques cognitivistes qui fonde la thérapie repo-
sant sur la pleine conscience. Les événements de
vie négatifs, ou perçus comme tels, vont entraîner
la réactivation automatique de schémas cognitifs
de la dépression, d’où vont découler des pensées,
des émotions négatives à l’origine de distorsions
cognitives et d’interprétations erronées des phéno-
mènes. Or, les tentatives de fuir ces événements, de
les modifier ou de lutter contre eux sont à l’origine
du maintien des circuits de pensée négative. L’idée
est de se servir des techniques de méditation pour
modifier son rapport à soi et au monde et ainsi
échapper à ses automatismes mentaux.
J. Kabat-Zinn a développé le premier programme
de réduction du stress dans les années 1970, dont
se sont inspirés Z.V. Segal et al. pour élaborer la
thérapie fondée sur la pleine conscience afin de
prévenir la rechute dépressive. Il s’agit d’accepter
les pensées comme “des événements dans le champ
de la conscience, indépendamment de leur contenu,
de leur ‘charge’ émotionnelle, sans essayer de les
changer, de les remplacer par d’autres pensées ou
de résoudre quoi que ce soit” (6).
S’exerce alors, grâce à la pleine conscience, une
prise de distance qui permet d’aborder les choses
sous une autre perspective, phénomène connu en
thérapie cognitive sous le nom de décentration (capi-
tale dans la prévention des rechutes dépressives
[6]), qui s’étend ici également aux sentiments et
aux sensations corporelles. Elle conduit à envisager
qu’une pensée, notamment si elle est négative, n’est
pas nécessairement le reflet de la réalité et permet
donc d’échapper aux distorsions cognitives par une
démarche d’accueil et d’acceptation des difficultés.
La thérapie s’organise en 8 séances hebdomadaires,
en groupe, avec des exercices quotidiens à domicile
entre les séances, formels (méditation guidée par
des enregistrements audio, journal de la pratique
quotidienne) et informels (exercices de pleine
conscience dans les activités quotidiennes). Elle
nécessite également l’expérimentation personnelle
de cette méthode par le thérapeute.
La première moitié des séances vise à développer la
concentration, la prise de conscience et l’acceptation
des sensations corporelles, des sentiments et des
pensées, quelle que soit leur valence affective. La
deuxième moitié permet d’apprendre à contrôler
ses variations thymiques par l’utilisation d’activités
1 Phrase de Yunmen, maître zen, cité par Jollien (5).