PERSPECTIVES À LONG TERME 99
compagnies ne sont pas des marchandises. Elles
jouent un rôle essentiel dans la répartition des
ressources, la détermination des niveaux d’investis-
sement, la promotion de l’innovation et la création
d’emplois. Elles contribuent à la productivité et à
la prospérité. En traitant les compagnies comme
des marchandises — c’est-à-dire en se contentant
d’échanger leurs actions à court terme plutôt que
d’investir en elles — nous risquons de compromettre
les perspectives de croissance à long terme de notre
économie.
Pourquoi ? Parce que dans la mesure où les
opérateurs de marché insistent sur les résultats à
court terme, les dirigeants d’entreprises sont forcés
de concentrer leurs stratégies sur les performances
trimestrielles, au détriment de plans d’investisse-
ment à long terme qui peuvent être plus coûteux
dans l’immédiat, mais qui améliorent souvent le
potentiel de croissance. Répliquée à l’échelle de
notre économie, cette dynamique contribue à la
croissance anémique qu’on observe sur les marchés
internationaux.
Cette préoccupation est partagée par beaucoup
de gens. En fait, l’importance d’investir selon une
philosophie de long terme fait l’objet de nombreuses
discussions aujourd’hui, comme en témoigne l’ini-
tiative Focusing Capital on the Long Term1. Il semble
que la nécessité d’un changement de direction
commence à faire consensus.
Cela étant dit, l’investissement à long terme
demeure difcile. Surtout aujourd’hui, alors que
l’information fait le tour du globe en quelques
minutes, que la pression sur les résultats à court
terme n’a jamais été aussi intense, et que les inter-
médiaires nanciers sont devenus omniprésents,
augmentant la complexité, les risques et les coûts.
Ce sont des obstacles importants. Pour évoluer
avec succès dans un tel environnement, les inves-
tisseurs à long terme doivent pouvoir compter sur
des mécanismes de gouvernance indépendants,
une culture et des processus renforcés, une solide
gestion du risque, et bien sûr, les bonnes personnes.
Par-dessus tout, ils doivent revenir à l’essence de
1 Focusing Capital on the Long Term est une initiative internationale
regroupant plusieurs investisseurs institutionnels, grandes multina-
tionales et gestionnaires de portefeuille qui cherchent à favoriser
l’investissement à long terme de manière concrète. Cet article a d’abord
été publié dans le cadre d’un sommet tenu à New York le 10mars2015.
Pour plus d’informations, voir : www.fclt.org.
ce qu’implique la propriété d’actifs : investir dans
l’économie réelle avec une mentalité de propriétaire
d’entreprise.
INVESTIR COMME UN PROPRIÉTAIRE
Que signie le fait d’investir comme un
propriétaire ? Quels sont les traits distinctifs
des propriétaires d’entreprise ? Qu’est-ce qui
les distingue des opérateurs de marché ?
Mentionnons d’abord la connaissance —
la connaissance profonde. Les propriétaires
d’entreprise ne se satisfont pas d’analyses indirectes
ou d’examens périodiques d’états nanciers. Ils
connaissent et comprennent les caractéristiques
fondamentales de la compagnie ou de l’actif
qu’ils acquièrent. Ils connaissent sa culture, son
personnel, ses opérations, ses forces et ses fai-
blesses. Ils comprennent l’industrie et connaissent
leurs concurrents. Et ils ont un sens aigu de la valeur
intrinsèque de leur entreprise – sans égard pour
les uctuations et les extravagances du marché à
court terme.
Cette expertise n’est ni passive, ni détachée :
les propriétaires discutent avec les dirigeants. Ils
exercent leur jugement et prennent des décisions
rééchies sur la base d’analyses rigoureuses. Ils ont
une idée précise de la direction de leur entreprise.
Enn, les propriétaires sont loyaux envers leur
compagnie, mais pas à n’importe quel prix. En
retour, ils attendent un certain niveau de perfor-
mance et, en collaboration avec les dirigeants, ils
travaillent fort pour l’obtenir. Ils ont l’esprit indé-
pendant. Ils sont conscients de l’opinion des autres,
mais ils sont prêts à voir plus loin. Ils sont disposés
à prendre des décisions pénibles et à endurer des
périodes difciles.
Évidemment, tout ceci n’est qu’une métaphore.
Les investisseurs institutionnels ne sont pas
propriétaires d’entreprise, et ils ne devraient pas
se substituer à la direction des sociétés. Cela dit,
Dans le système nancier actuel, le problème est
que trop — beaucoup trop — d’investisseurs sont
devenus des opérateurs de marché, qui traitent
les entreprises comme des marchandises. Mais
lescompagnies ne sont pas des marchandises.