Fiche sur le drame romantique

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Le drame romantique. XIX°siècle
On range les pièces de V. Hugo (Hernani 1830, Ruy Blas 1838), de Vigny (Chatterton 1834), de
Musset (Les Caprices de Marianne 1833, Lorenzaccio 1834) dans la catégorie du drame romantique car ces
œuvres présentent de nombreuses analogies. D’une part, elles ont été écrites par des auteurs appartenant à la
même génération (Musset = 23 ans, Hugo = 28 ans, Vigny = 37) et reflètent donc les préoccupations de
jeunes écrivains français des années 1830 qui veulent renouveler l’univers dramaturgique, qui sont lassés
de la tragédie classique. Ainsi les 25 ou 30 premières années du siècle travaillent à l’installation du drame
romantique. D’autre part, le drame romantique reflète aussi les influences venues d’autres pays européens
(tout particulièrement l’Allemagne et l’Angleterre). Mais ce désir de renouvellement du théâtre implique avant
tout une réflexion : ainsi théories et manifestes vont se multiplier.
1. Une révolte contre le Classicisme.
Durant huit ans (1830-1838), les dramaturges français vont exprimer leur révolte contre le théâtre
classique du XVII° siècle, codifié, rigoureux, contraignant, qui , à leurs yeux , semble désuet . Racine
symbolise la perfection de la tragédie classique : intrigue dépouillée, conformité aux règles des trois unités,
respect de la vraisemblance, des bienséances, de la séparation des genres et des tons.(Tragédie = genre noble ;
pers. illustres aux prises avec un destin exceptionnel ; doit susciter peur , pitié . Comédie = genre bas ; pers. de
toutes classes sociales dépeints ridicules ; doit susciter le rire) Son théâtre était en accord avec les
préoccupations et l’idéal de son siècle ; ce n’est plus le cas au début du XIX°, déjà plus courant XVIII°.
Déjà au XVIII° siècle , quelques voix s’étaient élevées (Querelles des Anciens et des Modernes) insistant
sur le fait que la tragédie n’était plus adaptée au monde contemporain et qu’il serait bon , pour intéresser le
public , d’emprunter des sujets à la vie bourgeoise , de proposer des décors fidèles à la réalité , d’utiliser la prose
plutôt que le vers , de ne pas mettre en scène des héros mais des personnages marqués par leur condition sociale
, familiale , leur vie privée , leurs soucis d’argent ... Beaumarchais voulait faire une « tragédie bourgeoise » ou
une « comédie sérieuse » : La Mère coupable . Idem pour Diderot : Le Fils naturel, Le Père de famille. Le but
de ce théâtre est de provoquer des émotions fortes, de moraliser un public populaire ou bourgeois avec des
pièces qui sont le reflet de ses propres aventures. Cette forme théâtrale est nommée Mélodrame (drame en
prose à grand spectacle) ; elle connaît ses années de succès fin XVIII°s - début XIX°s (1770 1830) ; elle
prépare la voie au drame.
Genre déprécié par les Classiques, le mélodrame se voit interdite la porte des grands théâtres (Théâtre
Français, l’Odéon) ; c’est sur les boulevards qu’il est joué, d’où son autre nom : Théâtre de Boulevard.
(Gymnase, Théâtre de la Porte Saint-Martin.) Les Classiques refusent le mélodrame mais refusent aussi les
représentations de théâtre européen.
Le 25 février 1830 est marqué par la fameuse « Bataille d’Hernani » : Célèbre querelle entre
Classiques et Romantiques, qui eut lieu au Théâtre-Français à l'occasion de la première du drame Hernani
de V. Hugo. Pressentant un climat hostile, les amis d’Hugo décident d’aller soutenir la pièce le premier soir
pour s’opposer aux tenants d’un théâtre traditionnel, À la tête de ce mouvement se trouve Théophile Gautier, en
gilet rouge accompagné de Balzac, Nerval, Berlioz…L’œuvre surprend par l’audace des situations, l’exaltation
d’un amour impossible, la dénonciation d’un pouvoir sclérosé ... Les acteurs jouent devant une salle houleuse où
la violence d’un clan domine l’exubérance du clan adverse. Ce soir-là, le théâtre romantique remporte une
victoire historique mais brève sur le théâtre d’esprit classique !
2. Les influences étrangères.
Dès le XVII° siècle, des dramaturges français sont sensibles au théâtre anglais de Shakespeare ou de
Richarson, au théâtre allemand de Goethe ou de Schiller, au théâtre espagnol de Calderon. Mais il n’est pas
question d’accueillir une de ces pièces au Théâtre Français ou à l’Odéon. Ex. En 1822, une troupe anglaise qui
s’était aventurée à présenter une pièce de Shakespeare avait dû quitter les lieux dès la deuxième représentation.
(conséquence de Waterloo?) Pourquoi ce protectionnisme ? Croyance chauvine en une supériorité de la tragédie
classique française. Pourtant des esprits novateurs rêvent d’introduire en France des pièces étrangères.
B. Constant, 1809, propose une adaptation d’une pièce de Schiller et ses Réflexions sur le théâtre
allemand. Il souligne les intérêts de celui-ci, le montre comme « un exemple utile » car il ancre le drame dans
l’Histoire. Mme de Staël dans De l’Allemagne (1813) expose les qualités de la littérature allemande en général
et insiste sur l’intérêt des traductions pour les Français, l’intérêt de voir des spectacles nouveaux.
La découverte du théâtre de Shakespeare constitue peut-être l’influence la plus décisive. Shakespeare
devient un modèle des dramaturges français : on admire ses pièces soumises à aucune règle, le lyrisme, le
mélange de tragique et de comique (bouffon). Preuve d’une évolution : en 1822=troupe anglaise chassée ;
1828=troupe anglaise acclamée.
Face à la difficulté de représenter sur une scène française une pièce étrangère, il est utile de familiariser
le lecteur (futur spectateur) par des écrits théoriques nombreux à l’idée qu’un théâtre différent du classique
existe et qu’il est fondé sur une action mouvementée, des coups d’éclat et un spectacle grandiose. Ces 25- 30
premières années du siècle correspondent donc à une période de fermentation où l’on veut essayer d’imposer un
théâtre nouveau au nom de la liberté et la vérité.
3. Théories et manifestes.
La création du drame romantique ne passe pas par la seule représentation de pièces novatrices ;
elle est avant tout le fruit de réflexions et polémiques qui se développent dans des cercles littéraires à partir
d’une meilleure connaissances de la littérature étrangère .Trois textes sont importants : Racine et Shakespeare,
Stendhal , Préface de Cromwell , Hugo , La Lettre à Lord *** sur la soirée du 24 octobre 1829 , Vigny.
a) Racine et Shakespeare ; A son retour d’Italie en 1823 , Stendhal découvre Paris agité par les déboires de la
troupe anglaise obligée de quitter la scène et publie son Racine et Shakespeare (qu’il complétera deux ans plus
tard) . Il imagine un dialogue fictif entre un classique et un romantique sur le théâtre. (La 2° partie est une
réflexion sur le rire .) Pour intéresser le public contemporain faut-il persister à « faire du Racine » ou bien
faut-il s’inspirer de Shakespeare ? Il montre que le théâtre doit répondre aux aspirations d’une époque et
traiter en prose de grands sujets nationaux. Le spectateur du XIX°siècle ne prend aucun plaisir à la
représentation d’une tragédie classique car le vers, l’alexandrin « s’oppose à la naissance de moments
d’illusion. » Le vers n’est pas naturel, la prose s’apparente davantage au langage courant et la règle des
trois unités est artificielle : « Une tragédie romantique est écrite en prose, la succession des événements
qu’elle présente aux yeux des spectateurs dure plusieurs mois, et ils se passent dans des lieux différents. » Les
sujets abordés doivent être proche de lui : « Les événements y ressemblent à ceux que nous voyons tous les jours
sous nos yeux (...) Ceux qui parlent ou agissent dans cette comédie sont tels que nous les rencontrons tous les
jours dans les salons, pas plus affectés, pas plus guindés qu’ils ne le sont de nature. » Stendhal ouvre la voie à
une rénovation de la tragédie et affirme son goût de la modernité : « Le romanticisme est l’art de présenter aux
peuples les œuvres d’art qui, dans l’état actuel de leurs habitudes et de leurs croyances, sont susceptibles de
leur donner le plus de plaisir possible. (...)Le classicisme , au contraire , leur présente la littérature qui donnait
le plus grand plaisir possible à leurs arrière-grands-pères. »
b) La préface de Cromwell : Hugo propose en 1827 une esthétique du drame. Pour lui, le drame est
l’expression des temps modernes, il présente la double nature de l’homme , mi-ange mi-bête , tiraillé
entre ses appétits matériels et son idéalisme ; le tragique , le comique et le grotesque se mêlent . Cinq
points principaux du drame :
Rejet des unités de temps et de lieu car arbitraires et absurdes. Il préfère parler « d’unité d’ensemble »
que d’unité d’action car il tolère des actions secondaires reliées à l’action principale.
Affirmation de la liberté créatrice et du droit à l’originalité : « Il n’y a ni règles ni modèles » Les
Classiques se référaient toujours aux modèles de l’Antiquité.
L e drame romantique doit être le miroir de la réalité, il « ramasse et condense »= ce n’est pas une
imitation servile.
« Le drame peint la vie » il traduit les mœurs propres à un peuple ou à une époque donnée
Le drame doit être rédigé en vers. (il sera le seul auteur à revendiquer le vers, tous les autres écriront
en prose.)
c) La Lettre à Lord*** sur la soirée du 24 octobre 1829 : Après le succès de la représentation de son More de
Venise (traduction d’Othello) , Vigny rédige une lettre à Lord *** sur cette soirée triomphale : au lieu d’un
personnages intemporel de tragédie classique il met en scène « l’individu » libre de son destin ; une foule
d’événements secondaires se greffent à l’action principale « car l’art sera tout semblable à la vie , et dans la
vie une action principale entraîne autour d’elle un tourbillon de faits nécessaires et innombrables . » , les
genres se mêlent, et au lieu du « langage noble mais parfaitement artificiel » qu’est l’alexandrin il utilise « ce
récitatif simple et franc dont Molière est le plus beau modèle » = la prose.
Dans les années qui suivent lettres, préfaces , manifestent vont compléter les réflexions sur le drame
(1830 préface d’Hernani , 1833 préface Marie Tudor , 1838 préface de Lucrèce Borgia , 1838 préface de Ruy
Blas) insistant essentiellement que le drame romantique doit être une œuvre engagée qui fasse part des
préoccupations du peuple («une mission nationale , une mission sociale , une mission humaine ») Mais très vite
, on fait aux romantiques le reproche de ne pas écrire des œuvres à la mesure de leurs ambitions . A lire les
manifestes tout paraît facile ; mais bien vite apparaît la difficulté d’appliquer les théories sur la scène.
4. Le drame romantique = un théâtre à lire ?
Le paradoxe du drame romantique est d’avoir donné le jour à des pièces injouables alors les manifestes
exposent le désir d’une pièce séduisante et nouvelle. Les auteurs se contentent de lire devant un petit cercle
d’amis mais ne publient pas toujours leurs œuvres. Musset et Hugo se laissent tenter par un théâtre à lire.
Musset, suite à l’échec de sa pièce La Nuit vénitienne (1830, 2 représentations et c’était fini!) décide de
ne plus faire jouer ses pièces. Ses œuvres sont publiées dans un recueil Spectacle dans un fauteuil (1832, 1834)
ou dans la Revue des deux mondes (1833 = Les Caprices de Marianne, Lorenzaccio, c’est Le grand drame
romantique de Musset. Mais il ne sera représenté qu’en 1896 pour la première fois par le Théâtre de la
Renaissance. (Musset est mort depuis 40 ans ! 1857) . Sarah Bernhardt joue le rôle travesti de Lorenzo. (pièce
jouée 71 fois puis reprise en 1912). La pièce sera plus tard reprise sous forme d’adaptations cinématographiques
ou théâtrales.
Le premier drame romantique d’Hugo est Cromwell, 1827. L’auteur prétend l’avoir composé pour la
scène mais reconnaît sa pièce trop longue, insolente, injouable. (+6000 vers, 60 personnages environ + le
peuple, intrigue touffue ...). Il fera représenter d’autres drames, avec succès (Hernani, Marie Tudor, Lucrèce
Borgia, Ruy-Blas) de 1830 à 1843, date de l’échec des Burgraves . Alors, il publiera un recueil Théâtre dans un
fauteuil contenant des pièces non représentées sur scène.
Le drame romantique ne sera en somme joué qu’une douzaine d’années, entre le succès d’Hernani
1830 et l’échec des Burgraves 1843, donc durant une très courte durée. Pourquoi est-ce un genre qui n’a que
vivoter ?
Les salles qui lui étaient réservées n’étaient que celles « non nobles » des Boulevards et pouvant très
difficilement accueillir les mises en scènes grandioses.
L’exubérance des décors, des costumes ... très onéreuse.
Le public déconcerté parfois par des intrigues touffues.
L’engagement des pièces qui se heurte à la censure d’une part et d’autre part aux mentalités qui évoluent
et les préoccupations politiques du drame ne correspondent plus aux préoccupations du public.
Plus tard, seule survivance du drame romantique : Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand qui est une
pièce proche de l’idéal des romantiques.
A. Besnard, La Première d’Hernani, Huile sur toile, 1903
Caricature représentant Victor Hugo comme chef de file des auteurs "romantiques" et "modernes". Maison de
Victor Hugo, 6 Place des Vosges, Paris.
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