158 Reconstruction de l’avant-pied Libération proximale des gastrocnémiens (LPG) Définition, historique La LPG a une place spéciale dans notre chirurgie de l’avant-pied. Nous avons à distinguer, d’une part, l’équinisme permanent qui ne disparaît pas genoux fléchis et, d’autre part, la brièveté des gastrocnémiens où l’équinisme apparaît quand le genou est fléchi (Fig. 20a2). La brièveté des gastrocnémiens est souvent observée, dans notre expérience dans presque 10 % des désordres de l’avant-pied. Cependant certains de ces cas ne nécessitent pas une libéra- tion proximale des gastrocnémiens, par exemple lorsque les patients ont plus de 65 ans, ou bien, et c’est le cas le plus fréquent, quand les gastrocnémiens n’ont pas des conséquences cliniques évidentes. Les conséquences cliniques de la brièveté des gastrocnémiens sont celles d’un équinisme avec certains points particuliers (Fig. 20a4a). La libération proximale des gastrocnémiens est une technique très efficace et sans danger qui représente une amélioration significative concernant le traitement. Historiquement nous avons commencé à pratiquer des LPG chez les enfants spastiques [19], en 1972 avec J. Cadoux à Bordeaux. C’est vrai qu’initialement nous avons pratiqué une libération plus distale type Vulpius. Fig. 20a1. Brièveté des gastrocnémiens et leur correction par une libération proximale. Anatomie (dessin original de Bourgery et Jacobs) [31]). Insertion fémorale des gastrocnémiens. Insertion médiale : l’insertion des fibres musculaires est centrale, c’est-à-dire latérale par rapport au tendon. Le tendon est volumineux et plus épais en sagittal qu’en frontal. Son bord médial est près du tendon du demi-membraneux. Il existe de temps en temps une bourse entre ces deux tendons. Insertion latérale : l’insertion des fibres musculaires est également centrale. L’insertion des fibres aponévrotiques est latérale mais il y a trois différences avec l’insertion médiale. (1) Il s’agit de fibres aponévrotiques. (2) Elles sont moins profondes (et heureusement, en raison du nerf fibulaire commun). (3) Il y a des fibres musculaires plus latéralement. Les techniques – Libération proximale des gastrocnémiens (LPG) Cependant, nous n’avons pas été satisfaits des résultats (problème de cicatrice, douleur, récidive de la brièveté). Nous n’avons pas observé ces mêmes inconvénients avec la LPG. La LPG a été suffisante chez 20 % des enfants spastiques pour corriger l’équinisme à condition de le pratiquer tôt. Cela a évité l’allongement primitif du tendon d’Achille équin modéré et un seul allongement d’Achille a été alors nécessaire à la fin de la croissance. Dans les cas plus importants, nous avons aussi pratiqué l’allongement du tendon d’Achille, mais le fait d’avoir fait des gastrocnémiens a permis de n’avoir de récidive à l’âge adulte que dans 7 % des cas. Notre expérience concernant les troubles statiques a commencé en 1983 et nous avons progressivement étendu nos indications. La LPG va 159 permettre, d’une part d’assurer le résultat d’une chirurgie locale au niveau de l’avant-pied, d’autre part de diminuer les gestes opératoires au niveau de ce même avant-pied. Anatomie locale Anatomiquement et en ce qui concerne la physiopathologie, les gastrocnémiens appartiennent au système suro-achilléo-plantaire. Notre but est de faire disparaître la tension résultant de la brièveté des gastrocnémiens par la section proximale des fibres aponévrotiques ou surtout tendineuses près de leur insertion. La figure 19a1 détaille cette anatomie locale. Fig. 20a2. Dépistage clinique de la rétraction des gastrocnémiens. 1. Quand le genou est fléchi, les gastrocnémiens sont détendus. La flexion dorsale du pied est possible. Quand le genou est étendu, le gastrocnémien est tendu, le pied reste donc en flexion plantaire. On examine d’abord avec le genou en extension corrigeant le valgus et en imprimant une pression douce puis on fléchit le genou et là il ne faut pas que le patient contracte son jambier antérieur. 160 Reconstruction de l’avant-pied Examen des patients présentant une brièveté des gastrocnémiens C. Kowalski a résumé cette phrase en « gastrocourts » ; divers auteurs, dont Rodineau, Di Giovanni [57], ont de même étudié les conséquences et aussi le traitement médical des « gastro-courts » [79-80]. – La mobilisation active ne donne pas assez d’indications sur les gastro-courts, il faut donc recourir à la mobilisation passive. – Il faut éviter toute contraction active du patient, pendant l’examen, notamment sur le tibialis antérieur. – Le valgus du pied doit être corrigé passivement de même que le varus. – La main de l’examinateur est appliquée sur la plante du pied mais sans force importante, ceci est un point important à respecter. (On arrivera pratiquement toujours à réduire un équinisme aux dépens des jumeaux si la pression est trop forte.) – Tout d’abord le genou est étendu et la pression appliquée sur la plante du pied révèle qu’il y a un équinisme. – Ensuite le genou est fléchi et il faut faire très attention à la contraction spontanée du tibialis antérieur pour l’éliminer et alors on voit que l’équinisme est réduit. – Plus de 15° de différence montre que l’équinisme est aux dépens des jumeaux avec en moyenne – 15° en flexion dorsale dans la cheville genou étendu. Fig. 20a3. L’évaluation clinique de la rétraction des gastrocnémiens. 2. 1, 2. La mobilité active, genou fléchi ou non, n’est pas suffisante pour l’évaluation de la rétraction des gastrocnémiens. 4. La flexion dorsale passive de la cheville genou fléchi et non fléchi est le seul test qui permet d’évaluer la rétraction des gastrocnémiens : mais attention à ce que le patient ne contracte pas le muscle tibial antérieur surtout quand le genou est fléchi. 5, 6. Parfois l’examen est plus facile en décubitus ventral. Les techniques – Libération proximale des gastrocnémiens (LPG) Conséquences de la brièveté des gastrocnémiens La première conséquence directe est une hyperpression sur l’avant-pied au niveau des deux derniers temps de la marche mais aussi une mise en tension de tout le pied qui se traduit 161 par des désordres au niveau du médio-pied de l’arrière-pied, enfin une tension directe au niveau du système suro-achilléen-plantaire donc certainement la création ou l’augmentation des épines calcanéennes. Ces conséquences sont aussi décrites par Di Giovanni [57], C. Kowalski [35, 79, 80] par J. Rodineau. Ces conséquences sont décrites figures 20a4a et 20a4b. Fig. 20a4a. Libération proximale des gastrocnémiens (LPG). Les effets de la rétraction des gastrocnémiens. 1. Dans ce cas, il n’y a pas assez de signes cliniques pathologiques dans l’avant-pied pour expliquer les métatarsalgies. L’explication vient d’un équinisme relié à une rétraction des gastrocnémiens (2). 3, 4. L’équin accentue les griffes d’orteils et l’hallux valgus. 5. Augmentation du varus de l’arrière-pied. 6. Augmentation du valgus de l’arrière-pied. 7. Arrière-pied en valgus mais la chaussure présente une déformation en varus. Ceci est également dû à un équinisme (cheville instable). 8. Augmentation des épines calcanéennes par traction sur le système suro-achilléo-plantaire. 9. La pente calcanéenne est inférieure à 15°, ce qui signe un équinisme. Il faut déterminer cliniquement si cet équinisme dépend d’une rétraction des gastrocnémiens. 162 Reconstruction de l’avant-pied Fig 20a4b. Rôle des gastrocnemiens dans les pressions plantaires de l’avant-pied. Dessins de Ducroquet [58]. – Dans les deux premiers temps de la marche, le genou est fléchi, les gastrocnémiens n’interfèrent pas sur les pressions plantaires de l’avant-pied. – Dans les deux temps suivants, le genou est en extension, les gastrocnémiens sont tendus. La répartition des charges est déplacée vers l’avant-pied. La brièveté des gastrocnémiens augmente la charge sur l’avant-pied dans ces deux derniers temps. Technique de la libération proximale Elle est décrite figure 19b1-2. Le patient est en décubitus ventral sous anesthésie générale. Cela représente peut-être le seul problème compte tenu de la vogue actuelle concernant les anesthésies locales. Mais peut-être peut-on faire cela aussi avec une anesthésie locorégionale. L’incision cutanée doit être précise : elle est de 5 cm de long, située exactement dans le pli de flexion postérieure du genou et débutant dans sa partie médiale à 1,5 cm du centre de la fovéa médiale. Tout d’abord, dans la partie médiale de l’incision et directement d’arrière en avant, on va trouver le muscle, puis en le suivant du côté médial, on va trouver facilement le très gros Les techniques – Libération proximale des gastrocnémiens (LPG) tendon du gastrocnémien médial qui sera sectionné en entier : attention à bien sectionner les fibres antérieures pour que toutes les fibres blanches soient sectionnées. Les fibres rouges seront soigneusement respectées et, s’il y a quelques fibres aponévrotiques postérieures, elles le seront aussi. Le ciseau va alors se diriger d’arrière en avant mais un peu aussi latéralement pour aborder le gastrocnémien latéral. La question porte sur le nerf sural : il va, soit être repéré, soit ne même pas être repéré puisqu’il suffira de suivre étroitement le corps musculaire du gastrocnémien latéral pour sans danger trouver le tendon, ou plutôt les fibres aponévrotiques qui sont plus latérales par rapport au muscle et qui seront sectionnées. On remarquera qu’elles sont beaucoup moins importantes que les fibres médiales et qu’elles sont plus aplaties et uniquement postérieures. Ce qui est remarquable c’est qu’il y a encore des fibres musculaires plus latéralement que ces fibres aponévrotiques et ceci est constant. Le nerf sural sera soigneusement écarté vers le 163 haut et en latéral et tiré vers le haut et il n’y aura aucun problème avec lui. Les fibres musculaires seront respectées, en médial comme en latéral. Aspect postopératoire : nous mettons un plâtre ou une attelle maintenant la cheville à angle droit pour simplement deux nuits. Mais, s’il s’agit d’une simple libération du gastrocnémien médial, il n’y a pas besoin de cette attelle. En tout cas, cela est suivi du port de la chaussure à appui talonnier pendant trois semaines, ce qui finira de bien placer le tendon plus vers le bas. Généralement, nous pratiquons la libération des gastrocnémiens dans un temps séparé par rapport à la chirurgie de l’avant-pied car nous pratiquons la libération bilatérale, ce qui est préférable. Il est remarquable de constater qu’aucune douleur ne survient et qu’aucune rééducation ne sera nécessaire dans cette période postopératoire : la cicatrice devient quasi invisible sauf chez les patients ayant tendance à faire des cicatrices chéloïdiennes et il faudra alors être beaucoup plus prudent dans les indications. Fig. 20b1. Libération proximale des jumeaux. Technique 1. Incision transverse dans le pli de flexion poplité : l’incision est d’abord dessinée genou fléchi. Sa longueur est de 5 cm. Son extrémité médiale est située à 1,5 cm de la fossette médiale. 164 Reconstruction de l’avant-pied Fig. 20b2. Libération proximale des jumeaux. Technique 2. 1. Position en décubitus ventral permettant de faire les flexions dorsale et plantaire de la cheville et de réaliser la libération. 2, 4. Seules les fibres aponévrotiques ou tendineuses des gastrocnémiens sont sectionnées, d’abord en médial puis en latéral. 3. Le nerf fibulaire latéral doit être repéré, mais il n’est pas nécessaire d’effectuer une neurolyse. Il est plus latéral que le gastrocnémien latéral, il n’y a aucun risque si l’on suit de près le corps musculaire du gastrocnémien latéral. 5, 6. Avant la LPG : différence genou fléchi et étendu. 7. Pas de différence après la libération. Les techniques – Libération proximale des gastrocnémiens (LPG) 165 Fig. 20c. Libération proximale des gastrocnémiens. Soins postopératoires. 1. Immobilisation plâtrée, cheville à 90°, pour les deux jours postopératoires. 2. On peut aussi utiliser une attelle de marche amovible qui garde la position la nuit. 3. Marche avec la chaussure à appui talonnier à une semaine de l’intervention et pendant trois semaines. Cela maintient le gastrocnémien en position distale. Résultats Avant-pied et LPG Du côté du gastrocnémien médial, nous n’observons jamais de problèmes. Du côté du gastrocnémien latéral, nous observons très rarement quelques dysesthésies ou quelques douleurs, dans la grande majorité des cas elles sont passagères. Mais lorsqu’il y a un petit problème, c’est là qu’il se trouve, d’où la tendance actuelle, si les gastrocnémiens ne sont pas trop courts, de ne pratiquer que la libération du gastrocnémien médial. La marche normale est effectuée au bout d’un mois après le port des chaussures à appui talonnier et à 2 mois et demi la récupération est presque totale. La marche en digitigrade et sur les talons est possible. Le sujet se sent soulagé des troubles ressentis précédemment et on peut distinguer qu’il y avait des troubles directs (tension du mollet, crampes) et des troubles indirects donc la tension au niveau de l’avant-pied mais aussi la tension de toute la chaîne postérieure allant jusqu’aux rachialgies. Enfin, le port de chaussures plates est possible alors qu’avant il était difficile. À ce bien-être et à cette sensation de relâchement des jumeaux que les patients ressentent bien se joint l’action sur l’avant-pied que nous allons décrire maintenant. En ce qui concerne cet avant-pied, l’excès de pression décroît de façon significative. C’est ainsi que les métatarsalgies modérées peuvent être corrigées simplement par la LPG. Mais, de toute façon, dans tous les cas, la chirurgie locale de l’avant-pied est améliorée et sécurisée et ceci pour tous désordres et chirurgies correctrices au niveau de l’avant-pied. – Il est évident que l’hyperappui sur l’avantpied va diminuer si la patiente porte des talons hauts. – Cependant, c’est lorsqu’elle ne va pas porter des talons hauts tout le temps, et lorsqu’elle sera sans talons que le bénéfice de l’opération va se faire sentir. Maintenant, de plus en plus souvent, les chaussures « confort » comportent un talon très modéré, voire un talon inexistant. C’est alors que la LPG donne un confort tout à fait appréciable. En conclusion, la LPG permet, soit de se passer d’un acte chirurgical au niveau de l’avant-pied surtout en ce qui concerne les métatarsalgies, soit d’assurer de façon très significative le résultat d’une chirurgie locale et même de diminuer les gestes opératoires au niveau de l’avant-pied. 166 Reconstruction de l’avant-pied Fig. 20d1. Libération proximale des jumeaux. Résultats 1. 1. La force tricipitale n’est pas diminuée : appui digitigrade deux mois après l’opération. 2. Incision transversale dix semaines après l’opération : nous utilisons cette incision depuis octobre 2000, elle donne de meilleurs résultats cosmétiques que l’incision longitudinale réalisée antérieurement. 3. Marche en digitigrade et sur les talons, trois mois après la libération des jumeaux. 4. Parfois cette chirurgie est réalisée chez des patients ayant des triceps volumineux. Les techniques – Libération proximale des gastrocnémiens (LPG) Fig. 20d2. Libération proximale des jumeaux. Résultats 2. 1, 2. Examen clinique postopératoire après LPG. La flexion dorsale de cheville est correcte et identique quand le genou est fléchi ou étendu. 3, 4. Après chirurgie de l’avant-pied et LPG. Les désordres de l’avant-pied et l’équin sont corrigés. 5. Augmentation de la pente calcanéenne après LPG. 6. Amélioration de la position de l’arrière-pied après LPG et BRT du 1er métatarsien dans un pied creux interne. 167