Spicilège
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Benoît-le-Bétourné. Probablement, malgré les accidents de son exis-
tence, il la conserva jusqu'à la fin de sa vie ; car le dernier document qui
nous ait transmis un détail de sa vie intime nous montre qu'en 1463 il
pouvait encore recevoir des amis dans cette chambre de la Porte Rouge,
sous le cadran de Saint-Benoît.
Ce fut un triste temps pour les Parisiens, après l'entrée du roi Charles
VII, en 1437. Ils venaient de subir l'occupation des Anglais ; et l'hiver
qui suivit, en 1438, fut terrible. La peste éclata dans la cité, et la famine
fut si dure que les loups erraient par les rues et attaquaient les hommes.
On a conservé de curieux mémoires qui nous renseignent sur un petit
cercle de la société à cette époque. C'est le registre des dépenses de
table du prieur de Saint-Martin-des-Champs, Jacques Seguin, du 16
août 1438 au 21 juin 1439. Jacques Seguin était un pieux homme,
simple et frugal, faisant parfois lui-même ses achats, car il était friand
de poisson et il aimait le choisir. Son receveur tenait un compte exact
de ses dépenses. D'ailleurs, le prieur de Saint-Martin-des-Champs était
un grand seigneur ecclésiastique, et pendant cette famine de l'hiver
1438-1439, il invita souvent ses amis à dîner. Nous connaissons les
noms des convives, grâce aux notes consciencieuses du receveur Gilles
de Damery. C'étaient des gens de marque, prélats, capitaines, bouteil-
lers, procureurs et avocats. Entre autres, maître Guillaume de Villon
apparaît comme un commensal ordinaire du prieur de Saint-Martin-des-
Champs. On peut supposer sans trop de hardiesse qu'il avait des rela-
tions communes avec le prieur, et que les convives de Jacques Seguin
étaient pour la plupart choisis dans le cercle de ses amis. Les dîners
n'étaient point très graves, puisque deux femmes y assistaient, que le
receveur appelle la Davie et Regnaulde. Mais ce qui frappe d'abord,
c'est le nombre de procureurs et d'avocats au Châtelet. Il y a là maîtres
Jacques Charmolue, Germain Rapine, Guillaume de Bosco, Jean Tillart,
examinateur à la chambre criminelle, Raoul Crochetel, Jean Chouart,
Jean Douxsire et d'autres encore, jusqu'à Jean Truquan, lieutenant cri-
minel du prévôt de Paris. Voilà quelle était la société habituelle du cha-
pelain de Saint-Benoît-le-Bétourné. On comprend dès lors que François
Villon ait connu nombre de gens du Châtelet, outre ceux avec qui il eut
relation par force, et qu'il ait entretenu commerce d'amitié avec le pré-
vôt Robert d'Estouteville. On est moins surpris que le chapelain de
Saint-Benoît ait pu tirer son fils adoptif « de maint bouillon » ; on ap-