L`Impérialisme colonial français en Afrique

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L'Impérialisme colonial français en Afrique
À mon épouse, Sarnia, pour sa présence et son amour,
À mes parents pour leur patience et compréhension.,
À ma sœur Aby pour on soutien sans faille.
@ L'Harmattan,
2007
5-7, rue de l'Ecole polytech n iq ue ; 75005 Paris
http://Vv'\vw.librairieharmattan.com
diftù[email protected]
hannattan I (Ühvanadoo. fr
ISBN: 978-2-296-04248-3
EAN : 9782296042483
Patrick-Papa DRAMÉ
L'Impérialisme
colonial français en Afrique
Enjeux et impacts de la défense de l'AOF
1918-1940
Chaire Lucienne-Cnockaert
Universités de Bishop et de J..)herbrooke
L'Harmattan
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3
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11
NOTES LIMINAIRES
1.
Principales abréviations utilisées dans les notes
AOB
AN-CARAN
ANS
BCAF-RC
CAOM
CEA
CHETOM
CRA
CST
ECPA
EMA
JMO
JORF
RTC
RFHOM
SHAT
SHM
SHAA
SHGN
Ancre d'Or Bazeilles
Archives
Nationales,
Centre d'accueil
et de
recherche des archives nationales
Archives Nationales du Sénégal
Bulletin du comité de l'Afrique
Français
Renseignements coloniaux
Centre des archives d'outre-mer (Aix)
Cahiers d'Études Africaines (Bordeaux)
Centre d'histoire et d'études des troupes d'outre-mer
(Fréjus)
Centre de Recherches Africaines (Paris)
Commandant supérieur des troupes
Établissement cinématographique et photographique
des armées
État-Major de l'armée
Journal de marche et des opérations
Journal officiel de la République française
Revue des troupes coloniales
Revue Française d'histoire d'outre-mer
Service Historique de l'Armée de Terre (Vincennes)
Service Historique de la Marine (Vincennes)
Service Historique de l'Armée de l'Air (Vincennes)
Service Historique de la Gendarmerie Nationale
(Maison-Alfort).
2. Abréviations
AA
AEF
AOF
BTS
CCA
CCDC
CSDN
DCA
DIC
FFL
FNFL
FAFL
GN
GQG
PC
PM
RAC
RIC
RICMS
RMIC
RTS
SHR
utilisées
dans le texte
Anti-arien.
Afrique Équatoriale Française.
Afrique Occidentale Française.
Bataillon de tirailleurs sénégalais.
Batterie de côte contre avions.
Comité consultatif de défense des colonies.
Conseil supérieur de la Défense nationale.
Défense contre-aéronefs ou avions.
Division d'infanterie coloniale.
Forces françaises libres.
Forces navales françaises libres.
Forces aériennes françaises libres.
Groupe nomade
Grand quartier général de l'Armée.
Poste de commande.
Peloton méhariste.
Régiment d'artillerie coloniale.
Régiment d'infanterie coloniale.
Régiment d'infanterie coloniale mixte sénégalais.
Régiment mixte d'infanterie coloniale.
Régiment de Tirailleurs Sénégalais.
Section Hors rang.
INTRODUCTION
La présence française sur la côte occidentale de l'Afrique est fort
ancienne. Dés la fin du Xyème siècle, dans le sillage des navigateurs
portugais, et sous l'impulsion d'armateurs dieppois; marins et négociants
français s'aventurent dans ces parages que les anciens représentent comme
« étranges et riches », mais « terrifiants et maléfiques 1. » Ainsi, du Xyème au
XYIIIèmesiècle, un trafic s'organisa progressivement sur les côtes africaines,
« riches en or et en hommes ». Des navires abordaient alors les comptoirs de
traite pour en repartir les cales chargées d'épices, d'or et d'esclaves: c'est
l'âge d'or du commerce triangulaire. La constitution d'un corpus de doctrine
colonial, d'inspiration purement « mercantiliste» et l'engagement en matière
coloniale de l'État français ne vîrent cependant le jour que sous Louis XIII,
et se confirmèrent plus tard avec Colbert. Il serait donc abusif d'incorporer
l'Afrique dans le premier empire colonial français, qui reste exclusivement
américain. De fait, jusqu'au milieu du XIX èmesiècle, la France ne maintient
sur la côte occidentale africaine qu'une série d'établissements commerciaux
et stratégiques.
C'est sans doute dans les grandes transformations
techniques,
économiques et politiques de l'Europe des années 1840-1885 qu'il faudrait
rechercher les catalyseurs du développement des impérialismes et de son
corollaire, l'expansion coloniale vers les mondes outre-mer, en particulier en
Afrique2. Les mobiles et arguments évoqués par les promoteurs de l'aventure
coloniale furent partout analogues. La mutation des structures techniques et
économiques (révolutions des transports et des structures techniques)3
facilita ainsi le transport des personnes et des biens4. Le « boom» industriel
s'accompagne de la nécessité de débouchés et la recherche de matières
premières que seule une expansion économique et financière pourrait assurer
aux États colonisateurs5. Les raisons d'ordre économique viennent en
premier lieu, mais ne suffisent pas à expliquer le phénomène d'expansion
coloniale. Des mobiles stratégiques furent aussi avancés. L'entreprise
coloniale fut en fait conçue comme indispensable en vue de l'acquisition de
points d'appui maritimes nécessaires aux grandes puissances, pour agir
partout dans le monde6. Enfin, des arguments politiques et idéologiques sont
1
Catherine
p.
2
COQUER
y
-VIDROVICH,
La découverte de l'Afrique, Paris, Juillard, 1965, 175
Pierre RENOUVIN,
Histoire des relations internationales,
de 1871 à 1945, Paris, Hachette,
1994, Volume III, 977 p, p. 7.
3
Sur la révolution
des techniques,
voir Alain BELTRAN,
Pascal GRISET, Histoire
des
techniques aux XIX ème et.IT ème siècles, Paris, Colin, 1990, 185 p.
4
Pierre RENOUVIN,
Histoire des relations internationales,
de 1789 à 1871, Paris, Hachette,
1994, Volume II, 695 p, p. 442-43.
5
Jean GANIAGE,
L'expansion
coloniale et les rivalités internationales,
Paris, CDU, 1975,
Tome I, 151 p, p. 6.
6
Ibid., p. 12-13.
également évoqués. Le désir de conquête répond au besoin d'accroître le
prestige des États. Les Européens s'estiment, en effet, investis d'une
«mission civilisatrice» à l'égard des populations dites «primitives»
et
« inférieures» 7, qu'il fallait «éveiller à la civilisation », en élevant leur
niveau de vie et en leur apportant l'instruction et la santé. Cet argument de
prestige, d'ailleurs fortement lié au développement du nationalismes joua un
rôle fondamental dans la formation territoriale du deuxième empire colonial
français, qui s'enclencha à la fin des années 18709.
C'est à notre sens dans l'histoire politique de l'Europe de la seconde
moitié du XIX èmesiècle qu'il faudrait rechercher la cause véritable de
l'expansion coloniale française en Afrique, à savoir le prestige et le drapeau.
En fait, relativement en paix jusque vers 1860, le vieux continent fut secoué
par une série de conflits armés imputables à l'unification de l'Allemagne et
de l'Italielo. La défaite française de Sedan (1871) et l'annexion de l'Alsace et
de la Lorraine par la Prusse, suscitèrent un vif sentiment de revanche chez
les Français et de fait une vague de nationalisme et de chauvinisme dans
toute l'Europell. C'est précisément durant la période de « recueillement» de
l'immédiat après-défaite que s'élabora dans certains milieux français, un
important corpus doctrinal et intellectuel servant de support idéologique à
« l'impérialisme colonial français 12».La capacité à conquérir et à posséder
des territoires outre-mer fut donc présentée comme, «l'occasion
d'un
accroissement de prospérité, mais aussi et surtout comme le moyen de
reconquérir dans le monde le prestige et la grandeur que la défaite [de 1871]
vient de compromettre13.» C'est cependant chez Jules Ferry que l'on
retrouva l'élaboration la plus complète de la doctrine coloniale, en
l'occurrence dans son fameux discours du 28 juillet 1885 à la Chambre.
Outre les arguments d'ordre économique et humanitaire qui y sont avancés,
l'homme d'État français met en garde contre toute politique de
« renoncement» hors d'Europe, qui équivaudrait à l'abdication pure et
simple du rang de grande puissance. Bref, pour exister dans le concert des
grandes nations, la France devait exercer son influence, en exportant vers les
territoires outre-mer ses mœurs, sa langue, ses armes, son drapeau et son
7
ème_
ème
Alain RUSCIO, Le credo de l'Homme blanc, regards coloniaux français
XIX
XX
siècles, Paris, Complexe,
1995, 401 p, p. 11-12.
S
Pierre-François
GONIDEC,
Droits d'outre-mer,
de l'empire colonial de la France à la
Communauté,
Paris, Monteschestien,
1959, Tome I, 462 p, p. 62.
9
Denise BOUCHE,
Histoire de la colonisation
française,
flux et reflux, 1815-1962,
Paris,
Fayard, 1991, Tome second, 607 p, p. 54.
ID
Élikia M'BOKOLO,
Afrique Noire:
Histoire
et civilisations,
XIXème-XXème,
Paris,
Hatier, 1992, Volume II, 576 p, p. 272.
IIWinfried
BAUMGART,
expansion:
1880-1914,
12
Raoul GIRARDET,
1983, 271 p, p. 85.
13
Ibid, p. 86.
Imperialism,
Oxford
university
Le
nationalisme
the idea and reality
Press,
français,
10
of British
and French
colonial
1982, p. 55
Anthologie
1871-1914,
Paris,
Seuil,
géniel4. Des débuts du colonel Faidherbe au Sénégal (1854) au partage du
Togo allemand avec la Grande-Bretagne (1914), la France se tailla en
Afrique Occidentale, un territoire vaste de 4 634 000 km215. Compte tenu de
sa contribution militaire et économique à l'effort de guerre métropolitain de
1914-1918, l'empire africain occupe désormais une place prépondérante dans
la politique de Défense nationale élaborée entre 1918 et 1940.
En abordant la problématique de la défense de l'Afrique Occidentale
française dans la période de l' entre-deux-guerres, nous n'entendons
nullement ériger une histoire militaire ou coloniale de la France en Afrique.
Nous nous proposons plutôt de comprendre l'effort de « mise en défense» et
de « maintien de l'ordre» ou du moins l'histoire des forces, des aimes, des
institutions et des doctrines élaborées par la puissance coloniale pour
sauvegarder un espace colonial conçu comme partie intégrante de la
métropolel6.Grâce à de nombreux travaux historiques, plusieurs aspects de la
colonisation française en Afrique subsaharienne, en l'occurrence la conquête
militaire, les rouages du système politique et administratif, de l'économie de
traite, de l'enseignement et de la justice, etc. sont désormais bien connus 17.
Or, la thématique de la défense, c'est-à-dire l'effort de sécurisation déployé
pour maintenir l'ordre colonial dans l'espace territorial de l'AOF, son
interdiction à des ennemis éventuels et sa sauvegarde comme appoint à la
Défense nationale métropolitaine reste le parent pauvre des travaux
consacrés à l'aventure coloniale française. Quelques aspects du système
défensif fédéral, incluant la dimension intérieure et extérieure sont abordés 18,
comme la mission des troupes coloniales, que nous devons aux travaux
d'officiers ou d'administrateurs coloniauxl9, du professeur Marc Michel et de
l'école anglo-saxonne2o. L'épisode de l'attaque de la base de Dakar (23-25
septembre 1940) a suscité l'intérêt des historiens, mais il n'est pas abordé
sous l'angle de la politique de renforcement défensif prônée par le
14
Raoul GIRARDET, L'idée coloniale en France, 1871-1962, Paris, La Table ronde, 1998,
295 p, p. 48-49.
15
En 1895 fut créé le gouvernement général de l'AOF regroupant l'ensemble des territoires
coloniaux français, au fur et à mesure de leur conquête.
16
Pierre-François GONIDEC, Droits d'outre-mer..., p. 62.
17
Voir les actes du colloque « centenaire de l'AOF », Charles BECKER, Saliou et al, AOF:
réalités et héritages, Sociétés ouest-africaines et ordre colonial, Dakar, Direction des archives
du Sénégal, 2 volumes, 1997, 2 538 p.
18
On peut estimer que l'organisation défensive de l'AOF se met en place à partir de la grande
guerre.
19
Voir commandant DUBOC, Les Sénégalais au service de la France (1939), Yves de
BOISBOISSEL, Origine et histoire sommaire
des tirailleurs sénégalais (1956) et Marc
CARLIER, Méharistes du Niger (2002), etc.
2°Marc MICHEL, L'Appel à l'Afrique: contributions et réactions à l'effort de guerre en A OF,
1914-1919, Paris, 1982, 533 p, Myron ECHENBERG, Colonial conscripts, the tirailleurs
senegalais in French West africa, 1857-1960, Portsmouth, Heineman, 1991,236 p et Nancy
LA WLER, Soldats d'infortune: les tirailleurs ivoiriens de la Deuxiéme Guerre mondiale,
Paris, l'harmattan, 1996, 271 p.
Il
gouvernement de Vichy pour empêcher le ralliement de Dakar et de l'AOF21.
L'objectif scientifique de cet ouvrage sera de lire, en filigrane de la
colonisation, les stratégies de défense déployées par la France pour assurer
l'administration, la police, et la sécurité de la Fédération vis-à-vis des forces
intérieures dissidentes et des convoitises des grandes puissances
européennes. La défense n'est en réalité que « [...] l'ensemble des activités
intellectuelles et des moyens matériels qui concourent à la protection d'un
État contre toutes les formes d'agression22.»
La période historique choisie pour cette étude va des débuts de la révolte
des populations Sahoué du Dahomey Guillet 1918) à l'adoption par le
gouverneur général Boisson de nouvelles instructions sur la défense de
l' AOF (décembre 1940). Cette trame chronologique qui s'étend sur la
période de l' entre-deux-guerres
correspond en fait au «zénith de
l'impérialisme à la française23. » Ce qualificatif discutable à certains égards
peut s'appliquer à la colonisation française qui s'enracine alors résolument
dans l'Ouest africain. En effet, ce fut durant cette phase que la mainmise
coloniale s'établit résolument dans l'ensemble fédéral, par le truchement d'un
réseau de rouages économico-militaro-stratégiques et par la densité de son
maillage administratif. Ce fut le cas de la politique dite de « mise en valeur»
qui eût pour effet de multiplier les exigences du colonisateur (impôt de
capitation, travail forcé, prestations de travail, conscription, etc.) vis-à-vis
des populations enclines à remettre en cause le nouvel ordre établi. En
d'autres termes, ce fut durant ces 22 années [1918-1940] que la puissance
coloniale s'ingénia à marquer de son empreinte tous les aspects de la vie
quotidienne des populations africaines.
Au sortir de la grande guerre, l'Afrique Occidentale, en l'occurrence la
base navale de Dakar, outil de puissance impériale prît une nouvelle
dimension stratégique aux yeux de l'État-major et des décideurs politiques
français. Ce fut durant cette période 1918-1940 que se situe la véritable
conceptualisation des plans de défense et la mise sur pied de la logistique
militaire nécessaire à interdire l'accès de la Fédération et à s'assurer la
contribution de ses produits et de ses hommes à la sauvegarde de la
métropole, en cas de nouveau conflit mondial24. En effet, affaibli en Europe
orientale et en Amérique latine, « l'impérialisme à la française» de l' entredeux-guerres ne sembla pouvoir survivre que dans les colonies,
politiquement dépendantes, et donc derniers remparts et ultimes symboles de
la puissance française dans le monde25. Le choix d'étudier .la politique de
défense de la France en Afrique Occidentale relève de plusieurs raisons qui
peuvent d'ailleurs tenir en une seule. L'épisode colonial, en dépit d'une durée
21Jacques MORDAL,
La bataille de Dakar, Paris, Ozane, 1956, 319 p.
22Prançois GÉRÉ, Dictionnaire
de la pensée stratégique,
Paris, Larousse, 2000, 318 p, p. 71
23Jean BOUVIER,
René GIRAUL T, Jacques THOBIE, L'impérialisme
à la Française,
Paris,
la découverte,
1986, 294 P , p. 9.
24
Ibid., p. 257-58.
25
Ibid., p. 258.
12
relativement courte (moins d'un siècle), marqua pourtant profondément
l'Afrique et les Africains' mais aussi le colonisateur. De fait, Il est
extrêmement difficile de comprendre l'Afrique de l'Ouest contemporaine, si
l'on ne saisit pas les fondements de la domination coloniale française sur
cette partie du globe.
D'autre part, la totalité de l'engagement colonial français sur le continent
africain suffit à expliquer l'incapacité de la métropole «à accorder
l'indépendance sans pour autant décoloniser ».Nous avons été préalablement
tenté d'aborder la thématique de la défense uniquement dans le cadre
restreint de la colonie du Sénégal. Or, l'étude des archives de l'Armée de
terre et du Gouvernement général nous a permis de constater que le concept
de défense abordé dans une telle perspective ne serait pas disséqué dans
toute sa complexité. En d'autres termes, si défendre l'AOF supposait d'abord
assurer la sécurité de Dakar, il faut pourtant noter que la capitale fédérale tire
son importance de sa situation de clef de voûte du système stratégique et
politique français dans l'Ouest africain. En procédant à la conquête des
espaces traditionnels africains (émirats, chefferies, royaumes) constitués en
une sphère coloniale, la puissance impériale s'investit de l'exercice des droits
de souveraineté. L'expression de cette souveraineté ou de la mise en
dépendance intégrale des colonies se marqua, en effet, par l'implantation
d'un nouvel ordre administratif, politique, culturel et économique26. En tant
que telle, l'organisation de la défense des colonies constitue une tâche
régalienne, fondamentale des États impérialistes et coloniaux27.
La problématique défensive de l'AOF soulève en effet les questions du
« pourquoi? », du « contre qui? » et du « comment? » de cette entreprise.
Le maintien de la prééminence française en AOF, dans la période de l'entredeux-guerres, appelait un préalable, à savoir l'interdiction de l'espace
colonial à tout ennemi intéri,eur ou extérieur, virtuel ou réel, susceptible de le
menacer, d'y empiéter voire de s'en emparer. À cet effet, l'organisation
défensive fédérale appellait de la part de la France un certain nombre
d'efforts militaires et intellectuels très importants pour assurer d'abord le
« maintien de l'ordre» intérieur qui consiste à veiller à la rentrée des impôts,
à l'exécution des travaux obligatoires et à la lutte contre les révoltes,
insurrections, conflits armés ou razzias. La sécurisation de l'espace fédéral
dans le cadre d'une «défense extérieure» supposait également la
surveillance du littoral, des frontières et des confins sahariens face à tout
ennemi réel ou virtuel. Les principaux plans de défense élaborés à partir de
1924 désignèrent en effet l'Allemagne nazie et l'Italie fasciste Uusqu'en juin
1940), l'Espagne franquiste (entre 1936 et mai 1940), la Grande-Bretagne et
le mouvement de la France Libre du général de Gaulle (après l'Armistice de
juin 1940), comme les menaces à la souveraineté française en AOF. En
26
Pierre-François
27Les colonies
GONIDEC,
Droits d'outre-mer...,
p. 10-11.
de l'AOF furent considérées
comme des parties
métropolitain.
13
intégrantes
du territoire
somme, ce n'est qu'en procédant à une solide organisation des aspects
intérieurs et extérieurs de la défense de l'Ouest africain que la France
pourrait s'assurer la libre disposition des ressources humaines de celui-ci
dans l'optique de sa Défense nationale. Or, il ne saurait être question de
traiter de défense fédérale sans évoquer la place de Dakar, capitale
administrative fédérale et pierre angulaire du système et du dispositif
stratégique français en Afrique noire.
Notre réflexion s'articule donc autour de quatre grands thèmes qui sont
d'ailleurs à la base de tout projet d'organisation défensive. Compte tenu de
l'implantation tardive de notre première borne chronolog.ique (1918) par
rapport à l'implantation coloniale en Afrique Occidentale28, nous avons
estimé indispensable, d'entrée de j eu, de disséquer les rouages du système
d'organisation d'ensemble fédéral, partant des divers décrets fondateurs. Il
conviendra aussi de saisir les origines du gouvernement général, d'en
répertorier les différentes institutions et leur fonctionnement puis les
principes d'organisation défensive (répartition des tâches entre autorités
militaires des différentes armes, modalités d'utilisation des forces maritimes
et aériennes). Enfin, les troupes d'infanterie coloniale comme les tirailleurs,
les méharistes ou encore les gardes de cercles jouent une fonction essentielle
dans la surveillance du territoire fédéral. Aussi est-il indispensable de
comprendre leur mode de recrutement, leur répartition spatiale et enfin leurs
missions, dans l'optique de la garde de l' AOF.
L'historiographie de la colonisation' perçoit la période de l'entre-deuxguerres comme celle du règne d'une paix générale, «[... ]résultat final
d'opérations de pacification, ultimes campagnes au cours desquelles le
vainqueur acheva de désarmer les populations soumises29.» Une telle
conception peut être validée, si l'on conçoit que les populations aofiennes ne
songèrent pas à se constituer en solidarités susceptibles de forger une
oPPQsition unifiée à l'entreprise coloniale30. Or, si cette « pax gallica » assura
une certaine~ sécurité en empêchant des confrontations armées entre
Africains, elle fut pourtant troublée durant la période considérée. Aussi, la
seconde partie de notre étude se propose-t-elle d'aborder la problématique de
la défense intérieure du groupe par les troupes coloniales. La «paix
française» qui devait s'imposer à l'ensemble des populations soumises, fut
en effet celle d'un ordre établi par la force et maintenue par une police
attentive3! .Toutefois la question du «maintien de l'ordre» se posa en
fonction du type d'organisation sociale des populations insurgées et des
conditions naturelles de leurs aires d'habitat. La présence coloniale avec son
cortège d'exigences (impôts, recrutement militaire, prestations de travail etc.)
28
La fédération de l'AOF fut forgée par le décret du 16 juin 1895.
29
Denise BOUCHE,
Histoire de la colonisation...
, p. 144.
30 Jacques FRÉMEAUX,
~es empires coloniaux dans le processus
Maisonneuve
& Larose, 2002, 371 p. p. 262.
31
Denise BOUCHE,
Histoire de la colonisation...
, p. 146.
14
de mondialisation,
Paris,
qu'implique en partie la « mise en valeur des colonies32 », ne manqua pas de
susciter des insurrections et révoltes des populations noires: Sahoué,
Dogon et Lobi de l'AOF, et d'entraîner par ricochet l'intervention brutale des
forces coloniale. Il sera donc essentiel de comprendre l'organisation politique
et sociale de ces populations, de diagnostiquer les causes objectives des
résistances, leurs manifestations, leurs objectifs et enfin d'aborder les
modalités de la répression appliquée par les autorités coloniales. Notre
second chapitre traite de la question de la surveillance du Sahara et des
stratégies militaires élaborées par les troupes françaises aux prises avec les
turbulentes populations nomades, Regueibat, Touareg et Toubou. La frange
désertique « Mauritanie, Nord de Tombouctou et Niger» fut, durant l'entredeux-guerres, le théâtre d'un véritable « bras de fer »33 qui opposa les forces
méharistes françaises - chargées du contrôle et de la police d'un immense
territoire, aux conditions naturelles difficiles - aux populations nomades
farouchement attachées à leur mode de vie traditionnel (pillage,
nomadisation) et nullement disposées à se conformer au nouvel ordre
politique et économique imposé par la colonisation française (instauration de
la notion de frontières, impôts, politique de contrôle des nomades et
sédentarisation. )
La troisième grande problématique de notre réflexion sera consacrée à la
question de la défense extérieure fédérale. Timidement abordé dans la
quinzaine d'années qui suivit la fin de la grande guerre, l'effort d'interdiction
de l'accès de l'espace fédéral à des ennemis extérieurs prît une actualité
particulière au milieu des années 1930. La montée des tensions en Europe
(guerre d'Espagne, formation de l'Axe de fer Rome-Berlin) et la véhémence
des revendications coloniales des belligérants trouvent en effet un
prolongement en AOF, confinée de part et d'autre par des possessions
coloniales espagnoles (Rio de Oro, Canaries, Séguiet el-Hamra), italiennes
(Tripolitaine), britanniques (Gambie, Sierra-Léone, Gold-Coast, Nigeria) et
éventuellement allemandes (mandats du Cameroun et du Togo )34. En
filigrane des facteurs géopolitiques que nous venons d'évoquer, un premier
chapitre s'efforcera de disséquer les différents plans de défense terrestre
fédérale, leur évolution et adaptation en fonction de la situation
internationale de la France. Pour ce faire, il convient de mesurer le poids de
l'Afrique noire dans le système stratégique français et de saisir la nature des
périls aux portes de l'AOF. Dans un second temps, il est important d'aborder
la mission des troupes, l'organisation de leur commandement et les
modalités d'application militaires des plans au niveau des «théâtres
d'opération locaux» des frontières et des confins.
32 Albert SARRAULT, La mise en valeur des coloniesfrançaises, Paris, Payot, 1923, 656 p.
33 Contrairement aux populations noires « sur la défensive », les nomades du Sahara ont su
alterner phase offensive et défensive vis-à-vis des troupes françaises.
34 Depuis 1935, le Reich revendiquait ses deux anciennes colonies devenues mandats français
depuis la fin de la grande guerre.
15
À ce titre, l'étude du plan d'action offensive des troupes de l'Afrique
française contre les possessions espagnoles du Sahara occidental constituera
un exemple inédit de conceptualisation de la couverture des confins
sahariens de l'Afrique Occidentale. Jusqu'à la reddition de la France en juin
1940, les plans de défense de l'empire français ont cessé d'être purement
« coloniaux» pour intégrer le cadre plus général de la Défense nationale d~
la France. Une telle conception qui s'est imposée dès le lendemain du
premier conflit mondial, suppose de la part des populations colonisées une
contribution militaire à la sauvegarde de l'indépendance métropolitaine. Il
s'agit donc de mesurer dans toute sa complexité la participation des
tirailleurs sénégalais à la bataille de France, depuis leur recrutement au sein
de leurs colonies d'origine jusqu'à leur désastreux engagement dans des
combats perdus d'avance contre les forces allemandes.
La dernière partie de notre réflexion tentera de répondre à la question de
savoir, en quoi la place de Dakar peut être considérée comme la pierre
angulaire du système stratégique érigé par la France dans son Afrique
Occidentale. Pour ce' faire, un premier chapitre s'intéresse à l'avènement du
système militaire et défensif français accompagnant l'implantation d'une
ville et d'un port sur la presqu'île du Cap-Vert entre 1857 et 1898. Ensuite,
nous verrons comment la situation géostratégique et tactique privilégiée de
ce point d'appui détermine les principes de son organisation défensive. Un
second chapitre abordera la problématique de -l'évolution de la logistique
défensive de l'espace maritime dakarois et des « ports défendus» fédéraux
en filigrane des problèmes budgétaires métropolitains de l'après-guerre puis
en fonction de l'impact des tensions internationales sur l'effort de
renforcement effectif de la base à partir de la fin des années 1930. Il convient
donc d'évaluer les capacités logistiques et la valeur défensive des fronts
maritimes et terrestres de la base de Dakar et des autres ports maritimes de
l'AOF, partant de l'étude d'une part de la configuration de leurs systèmes de
sécurité fixes, mobiles maritimes et terrestres, et d'autre part de
l'organisation du 6ème RAC et du 7ème RTS chargés de l'interdiction des
différents fronts défensifs de la presqu'île du Cap-Vert.
Enfin, il s'agit de comprendre comment, de la signature de l'Armistice de
juin 1940 à son ralliement en novembre 1942, la place de Dakar a constitué
un enjeu stratégique majeur pour chaque belligérant (Britanniques, FFL et
régime de Vichy) au point de constituer l'objet des violents affrontements
de septembre 40, puis d'un puissant effort de renforcements défensifs par le
gouvernement de Vichy pour empêcher tout ralliement de l'AOF aux forces
alliées.
16
PREMIÈRE
PARTIE:
ADMINISTRATIF, MILITAIRE
L'AOF
LE
SYSTÈME
ET DÉFENSIF DE
La colonisation française des entités traditionnelles africaines s'est
accompagnée de la destruction, de la dénaturation et parfois de l'utilisation
des structures politiques préexistantes. L'ordre colonial qui s'établit au fur et
à mesure de l'avancée de la conquête, érige parallèlement un système
d'organisation politique, administratif et militaire original. Ce cadre fut
cependant régi par des principes autoritaires hérités du régime du Second
Empire français35. L'implantation
de ce nouvel organigramme
de
distribution des pouvoirs politico-administratifs, du commandement et de la
responsabilité Inilitaire et défensive était destinée à assurer la mainmise
coloniale. La puissance impériale n'a pas cherché à organiser ses colonies
selon la spécificité de chacune d'elles, mais seulement en fonction de ses
objectifs propres, de la pression des événements, de l'efficacité de son
administration, alliant centralisation et délégation des responsables militaires
et civils dans les différentes colonies.
Si, la création de l'Afrique occidentale française en juin 1895 répond à la
volonté du colonisateur de résoudre des difficultés d'ordre politique et
administratif rencontrées sur le terrain, les modifications successives
introduites par les divers décrets (1899, 1902, 1904, 1920 etc.) dénotent la
volonté de celui-ci d'asseoir sa domination militaire et s'1-mainmise politique
et économique sur une entité fédérale pilotée depuis le Gouvernement
général à Dakar. Parallèlement à ces exigences politiques et administratives,
le contexte international de rivalités et de tensions impériales de l' entredeux-guerres eût comme conséquence d'ériger des fondements conceptuels
et juridiques de la défense fédérale de la base navale de Dakar et des ports
défendus africains.
En somme, il s'agit dans un premier temps de s'interroger sur les origines
et objectifs de la création d'un gouvernement général de l' AOF (1895). Il
convient par la suite de disséquer l'ossature politico-administrative et les
responsabilités du commandement militaire et défensif qui fondent le
gouvernement fédéral. Enfin, l'occupation militaire de l'espace terrestre
constitue l'élément premier des droits de souveraineté coloniale. Aussi
l'étude de la répartition et des missions des forces d'infanterie coloniale qui
assurent le maintien de l'ordre et la police coloniale, préalables à
l'organisation
d'une défense extérieure s'avère fondamentale
pour
comprendre la stratégie de défense globale déployée par la puissance
coloniale dans l'espace fédéral.
35Pierre-François GONIDEC, Droit d'outre-mer, de l'empire colonial à la Communauté,
Paris, éditions
Montchrestien,
1959, Tome I, 262 p.
D'autre part, l'institution d'un gouvernement général en juin 1895 fixait
les principes politiques et juridiques à partir desquels se fonde l'organisation
de la défense intérieure et extérieure de l'espace fédéral. On comprendra
donc l'utilité et l'importance à analyser la distribution de l'autorité politique
et celle des commandements militaires et de la défense dans le cadre
juridique fédéral. il s'agira enfin de disséquer les fondements du système
d'organisation politique, militaire et défensive sur lesquels s'est appuyée la
domination française des territoires conquis et intégrés dans le cadre de la
Fédération de l'Afrique occidentale.
18
CHAPITRE I : LE CADRE ADMINISTRATIF
ET DÉFENSIF
Les origines et objectifs de]a création de l'AOF
Le 16 juin 1895, en pleine période de conquête militaire française en
Afrique, un décret signé par le Président de la République française, Félix
Faure, institue un gouvernement général pour l'Afrique occidentale française
(AOF)36. Ce décret introduit donc le principe du régime fédéral, c'est-à-dire
le regroupement de collectivités territoriales auxquelles se superpose un État
central ou gouvernement général37. Il s'agit tout d'abord de mettre en
exergue quelques données historiques et géographiques importantes de la
constitution de l'espace fédéral. Ensuite, il conviendra de saisir dans quelles
circonstances et selon quelles motivations, le colonisateur fut amené à
effectuer un regroupement de ses territoires conquis dans un cadre politique,
administratif et militaire centralisé. Or, «vue du bas », c'est-à-dire
considérée dans une perspective africaine, la Fédération pourrait apparaître
comme une construction artificielle, imposée par une puissance coloniale
d'abord soucieuse de satisfaire ses propres aspirations, sans se préoccuper
outre mesure des intérêts des populations concernées38. D'où l'importance à
analyser les objectifs poursuivis par la France dans la création d'une
Fédération qui, en moins d'un siècle d'existence (1895-1959) aura
profondément marqué les colonisés39.
Pourquoi
instituer un gouvernement
général?
Dans son rapport au Président de la République, précédant le texte de
décret de création du gouvernement général, Camille Chautemps, ministre
des colonies, justifie le regroupement des possessions coloniales françaises
de l'Ouest africain du fait des conflits de compétences que gênerait alors
l'extension du domaine colonial africain, et de fait par « la nécessité devenue
impérieuse de donner plus d'unité [...] à la direction politique et à
l'organisation militaire [...]40.» L'extension progressive de la sphère de
36Catherine CAPKO- VODOUHÉ, « Les origines et objectifs de l' AOF », dans AOF, réalités
et héritages
Charles BECKER, Saliou M'BA YB, et al., Actes Colloque sur le centenaire
de l' AOF, Dakar, 1997, Volurne I, 663 p. p. 59-74, p. 66.
37Pierre CHARMEIL, Les Gouverneurs généraux des colonies françaises, leur pouvoir et
attribution, Paris, Sagot, 1927, 143 p, p. 35.
38Pierre-François GONIDEC, « L'AOF, amorce d'un État fédéral? », dans AOF, réalités et
héritages... Charles BECKER, Saliou M'BA YB et al., Actes Colloque sur le centenaire de
l' AOF, p. 28-35, p. 28. y
39Catherine COQUER -VIDROVITCH, « Du territoire à l'État-nation: le cas de l' AOF »,
dans AOF, réalités 'et héritages..., Charles BECKER, Saliou M'BAYE, Actes, Colloque sur
le centenaire de l'AOF, p. 21-27.
40 « Décret du 16 juin 1895 portant création du Gouverneur général de l' Aftique occidentale
.
française », JORF', 162 (17 juin 1895), p. 3883-85.
domination et de l'autorité coloniale françaises en Afrique à la fin du XIX
èmesiècle pose en effet la question des compétences. Surtout entre territoires
frontaliers, mais administrés par des autorités civiles ou militaires jalouses
de leurs prérogatives, et de leur indépendance.
Géohistoire
de l'Afrique
Occidentale
Le processus de formation territoriale de l'empire colonial français
d'Afrique enclenché par le colonel Faidherbe au Sénégal vers 1854 ne s'est
pas opéré sans oppositions de la part des Africains. En fait, cet effort de
conquête territoriale est fonction, d'une part, de la résistance des royaumes,
chefferies ou émirats aux troupes coloniales, d'autre part, de la validité des
traités passés avec les souverains locaux, selon le principe « d'occupation
effective» édicté par l'Acte de Berlin, et enfin de l'âpreté de la concurrence
livrée par d'autres puissances coloniales rivales pour la pénétration des
hinterlands
41
.
La formation territoriale de l'AOF fut un moment important dans les
rapports entre la France et les entités traditionnelles africaines. Elle procède
en effet d'un syncrétisme politique, économique et militaire entre deux
mondes différents. La projection de la puissance coloniale dans le continent
africain s'effectua d'une part par la force armée, appuyée sur des traités
souvent « arrachés» aux chefs africains, et d'autre part sur la volonté de
transformer radicalement la géographie administrative des espaces annexés
et le mode de vie de ses populations dans le cadre d'un nouvel ordre régi
selon la volonté de la puissance dominante.
Si le processus d'horogenèse, c'est-à-dire la formation des frontières du
continent européen s'était étalé sur plusieurs siècles, le découpage territorial
de l'Afrique s'effectua quant à lui dans une période très courte. En 25 ans,
soit de 1885 à 1910, 70 % des frontières africaines furent tracées42. La
formation territoriale d'un empire colonial en Afrique occidentale s'inscrit
dans ce mouvement impérial qui fait de la possession de territoires coloniaux
une marque de standing et de rang dans le concert des grandes puissances.
La pénétration française de l'Ouest africain fût axée sur deux itinéraires:
l'un, maritime, longe le golfe de Guinée, d'escale en escale, sans visée sur
l'hinterland pour aboutir au Congo; la deuxième direction, terrestre et
d'orientation Est, remonte le fleuve Sénégal pour rejoindre le Soudan puis le
Niger et le Tchad: la fameuse « marche vers le Niger ».
41
L'Acte général de la Conférence de Berlin ne lance pas la conquête officielle de l'Afrique,
il établit plutôt le principe de la libéralisation du commerce dans le bassin du Congo d'une
part et édicte par ailleurs diverses procédures pour l'occupation effective des territoires.
42Michel FOUCHER, Fronts et frontières:
un tour du monde géopolitique, Paris, Fayard,
1988, 527 p. p. 110.
20
Elle est le fait d'une « armée coloniale »43 confiée à une poignée
d'officiers comme Faidherbe dont l'influence est prépondérante dans la
nomination de Gallieni et de Binger en 1886 pour le Soudan. Le colonel
Faidherbe fut également à l'origine de la « course vers l'est» entreprise
depuis 1878 par ses successeurs Brière de l'Isle et Borgnis-Desbordes.
Menée à l'origine par des marsouins, troupes blanches de l'infanterie de
marine, la conquête fut par la suite assurée par des troupes recrutées dans le
pays, les fameux bataillons de tirailleurs sénégalais, véritables outils de la
domination et de l'emprise françaises dans l'Ouest africain44. Face à
l'intrusion coloniale et à l'occupation de leurs territoires, l'attitude des
institutions politiques africaines (royaumes, chefferies, émirats maures,
communautés villageoises etc.) fut des plus diverses. Elle va en effet de la
collaboration intéressée ou forcée à l'héroïsme suicidaire, en passant par le
refus frontal ou passif5.
Aussi, jouant des « rivalités de cour », passant de nombreux traités de
protectorat censés écarter des concurrents européens éventuels dans le
scramble46, la France substitue aux territoires traditionnels africains, un
espace colonial vaste d'environ 4 634 000 km2, dans lequel « se succèdent
confins sahariens et zones semi-arides, savanes arborées et grandes forêts
[...]47.» Ces territoires de l'Ouest africain furent de trois types si l'on
considère leur situation, leur géographie et 1'histoire de leur conquête. Il
s'agit d'abord des « colonies de la côte occidentale africaine» (Sénégal.
Soudan français et Guinée), « colonies du golfe de Guinée» (Côte-d'IvoireHaute-Volta, Dahomey et du mandat du Togo) et enfin en « colonies
sahariennes» formées des territoires de Mauritanie et du Niger.
Bien avant la fin de l'ère du scramble et de la formation territoriale de son
domaine colonial africain, le colonisateur avait pris conscience du fait que
celui-ci ne pourrait demeurer qu'une simple entité géographique. On pensa
en effet à donner à ces territoires conquis une expression politique et une
cohérence administrative et à assurer leur occupation militaire, condition
sine qua non de leur mise en défense et donc à leur sauvegarde. Par voie de
conséquence, le décret du 16 juin 1895 crée un Gouvernement général de
l'AOF dans lequel sera intégré l'ensemble des colonies françaises au fur et à
mesure de leur conquête48.
43Marc MICHEL, « L'armée coloniale en Afrique Occidentale Française », p. 57-78, sous la
direction
de Catherine
COQUER Y -VIDROVITCH, L'Afrique Occidentale au temps des
français, colonisateurs et colonisés (1860-1960), 1992.
44
Ibid.,
p. 57.
45Jeanne-Marie
KAMBOU-FERRAND,
Peuples voltaïques
et Conquête
coloniale
(18851914) Paris, ACCT-I'harmattan,
1993,467 p.
46
En 1914, la France
est la deuxième
puissance
coloniale
derrière
l'Angleterre,
ses
possessions
couvrent alors 10 millions de km2, soit 20 fois la superficie de la métropole.
47
Claudine COTTE, « Géopolitique
de la colonisation
», p. 79-104, p. 84, sous la direction de
Catherine
COQUERY-VIDROVITCH,
L'Afrique
occidentale
au temps
des français:
colonisateurs et colonisés (1860-1960),
48
Clément
CAPKO-VODOUHÉ,«
Paris, 1992.
Les origines
21
_
et les objectifs...
», p. 59-74.
La persistance
des résistances
africaines à la conquête
Contrairement à l'optimisme démesuré souvent affiché par les rapports
de situation politique de l' AOF49, l'action de conquête territoriale entreprise
par la France depuis l'époque de Faidherbe, ex~lusivement par la force, se
èmesiècle.
heurta à des résistances dans les colonies africaines à la fin du XIX
A la veille de la fondation du gouvernement général, un regard géographique
sur l'Ouest africain permet en effet de constater qu'outre le Sénégal déjà
bien entamé et les coups d'éclats de quelques récits d'explorateurs sur le
Soudan, les espaces côtiers du golfe de Guinée restèrent encore peu
connus50. Parallèlement à un espace colonial aux limites encore floues,
subsistent, à la fin du XIX èmesiècle, des États africains indépendants tels le
pays de Kong occupé par Samory, le royaume de Sikasso où règne
Babemba, le royaume du Fouta Djallon, le royaume mossi ou encore les
Émirats maures du Trarza et du Brakna dans le Sahara51. La conférence de
Berlin (1884-1885), édicta certes des règles de pénétration des hinterland
africains, mais elle ne partagea pas le continent. Elle contribua plutôt à
accentuer les rivalités entre puissances dans le cadre de la «course au
clocher ». La conquête généra en conséquence des résistances chez les États,
royaumes et émirats africains52.
De fait, en 1895, la prise de possession des espaces traditionnels africains
fut loin d'être achevée. On pouvait alors observer le caractère plutôt
hétérogène des établissements français de l'Ouest africain tant sur le plan
physique, humain qu'économique53. Cette situation ne sembla pas avoir
préoccupé les promoteurs du projet de création d'un gouvernement général.
En revanche, les circonstances spéciales créées par les rivalités et conflits de
compétences entre gouverneurs de colonies voisines par rapport à la
méthode et à la politique à mener vis-à-vis des résistances africaines,
constituèrent très vite des obstacles majeurs que la puissance coloniale
entendait bien surmonter.
49Gouvernement général de l'AOF, Affaires administratives AOF (1893-1920), ANFCARAN, microfilms 200 mi 1079 à 1083.
50 Gérard BRASSEUR, « Un regard géographique de l' AOF de 1895 », Charles BECKER et
al., Actes du Colloque sur le centenaire de l'AOF Dakar, 1997, p. 36-49.
51M'Baye GUÉYE et Albert ADU-BOAHEN, « Initiatives et résistances africaines en Afrique
occidentale de 1880 à 1914 », sous la dir Albert ADU-BOAHEN, Histoire générale de
l'Afrique, Volume VII, UNESCO, 1989,534 p, p. 107-19.
52/bid., p. 109-14.
53 Gérard BRASSEUR, « Un regard géographique... », p. 46-47.
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