La sophia-analyse, une psychothérapie humaniste

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La sophia-analyse, une psychothérapie humaniste
Marie-Cécile Letor et Paul KESTEMONT
Filiations communes aux psychothérapies humanistes
Les thérapies humanistes sont aussi appelées : « Les nouvelles thérapies ». Cette appellation n’est
pas fausse puisqu’elles sont nées après la seconde guerre mondiale, dans la seconde moitié du XX°
siècle alors que la Psychanalyse et la Thérapie comportementale datent du début du XX° siècle.
Mais, elle doit être nuancée car les psychothérapies humanistes puisent leurs racines dans un
terreau très ancien.
Petit détour historique :
Pour réaliser ce détour par l’histoire de la psychologie clinique, je me suis appuyé sur le livre de
Patrick TRAUBE : « Les Psychothérapies humanistes, une troisième voie entre psychanalyse et
comportementalisme » (2004) ainsi que sur l’ouvrage de Winfrid HUBER : « La psychologie clinique
aujourd’hui » (1987).
En Europe occidentale, le dix-neuvième siècle est marqué par une révolution techno-économique de
grande envergure : l’avènement de l’ère industrielle et sa conséquence : le début du processus de
remplacement de l’énergie humaine par celle de la machine. Cette révolution technologique aura
une influence directe sur le mode de vie des individus et sur leur manière de considérer le monde.
Comme le fait remarquer Patrick TRAUBE: « La société occidentale enfourche, comme cheval de
bataille intellectuelle, le scientisme mécaniciste, héritage du philosophe Descartes et du physicien
Newton ». Qu’est-ce que le scientisme mécaniciste ? C’est une façon hyper rationnelle de concevoir
les phénomènes naturels comme résultants d’une succession de causes à effets. Cet idéal s’est
retrouvé dans toutes les sciences, y compris dans la sociologie positiviste d’Auguste Comte qui
n’hésite pas à parler de la science de la société comme d’une « physique sociale », soit d’une
transposition des règles du comportement moléculaire au comportement des individus dans la
société. La psychologie naissante se voudra quant à elle EXPLICATIVE et se calquera sur le modèle des
sciences naturelles. Deux courants vont alors émerger : d’une part, le courant de la psychologie
expérimentale (Wundt) qui va observer les comportements des humains et des animaux en
laboratoire et en dégager des lois semblables à celles de la physique, et d’autre part, le courant
psychanalytique qui à bien y réfléchir s’attache également à dégager les forces inconscientes, donc
non contrôlées, qui régissent les conduites humaines. Ces deux courants vont donner naissance à
deux approches qui se veulent opposées, à savoir le « behaviorisme » et la psychanalyse. Mais, en
réalité, ils se rejoignent dans une conception mécaniciste de l’homme : déterminisme pulsionnel
inconscient, lois de cause à effet, circulation énergétique, principe d’homéostasie etc. Cette
conception ne conviendra pas à tous les psychanalystes. Il y aura beaucoup de dissidences, beaucoup
de ruptures, parfois très violentes. Adler, Jung, Rank seront chassés sans ménagement par Freud, le
père de la Psychanalyse. L’édifice de la Psychanalyse en sera ébranlé car ils claqueront la porte
derrière eux. Ferenczi, disciple préféré de Freud, restera dans la maison du maître, mais il critiquera
la rigidité de la technique analytique, sa froideur, son aspect impersonnel. Il finira également par être
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chassé. Parmi ces psychanalystes « dissidents », certains feront école et peuvent aujourd’hui être
considérés comme précurseurs pour les thérapeutes humanistes. Ainsi, Jung et son concept
d’inconscient collectif prépare à la psychothérapie de groupe et son élaboration de l’animus et de
l’anima se retrouvera dans les recherches sur le masculin et le féminin. Reich est considéré comme le
précurseur des thérapies psychocorporelles et l’approche de Ferenczi prépare à la construction d’un
« dispositif chaud » à l’inverse du « dispositif froid » de la psychanalyse freudienne, dispositif chaud
que l’on retrouvera dans toutes les thérapies humanistes. Sur l’autre bord, à une science de la psyché
purement explicative au sens des sciences de la nature va venir s’opposer une psychologie
COMPREHENSIVE. Ce sera Wilhem Dilthey (1833-1911) qui initiera le mouvement. Pour les
promoteurs de cette nouvelle attitude de pensée, les sciences humaines ne sont pas réductibles aux
sciences naturelles. Elles obéissent à d’autres critères épistémologiques. « Leur tâche est de
comprendre les phénomènes dans leur intimité et leur spécificité, non de les expliquer selon des
modèles importés de la physique et de la chimie » (2) Ceci ne veut pas dire, comme le souligne Robert
FRANCK (3) qu’elles doivent être privées d’explication, mais que si les sciences de la nature peuvent
se passer de compréhension, les sciences humaines ne peuvent s’en passer sinon à réduire l’homme
à une machine. Pour cela, il est nécessaire de s’extraire d’une perspective mécaniciste, causaliste et
élémentariste et appréhender l’homme dans sa SINGULARITE, sa TOTALITE (l’homme forme un tout)
et sa COMPLEXITE.
L’histoire de la psychologie clinique se poursuit donc sur deux versants : la pensée explicative qui
donne naissance à la psychanalyse et sur l’autre versant, la dasein-analyse (ou analyse
phénoménologique) crée par Ludwig Binswanger et Eugène Minkowski s’appuyant sur les
philosophies de Husserl, Dilthey et Heidegger. Pour la dasein-analyse, l’homme n’est pas réductible à
une mécanique pulsionnelle. S’il est déterminé par ses pulsions, il ne se réduit pas à cette seule
détermination. Il est d’abord un être-en-devenir, mu par un besoin d’autoréalisation. Pour
comprendre sa réalité singulière, il faut se mettre à l’écoute de sa parole en tant qu’elle exprime son
univers subjectif. Ainsi, pour Minkowski : « La première qualité essentielle que doit avoir une
philosophie fondée sur la phénoménologie, c’est l’échange vécu le plus vivant, le plus intensif, le plus
direct avec le monde même et en particulier avec les choses qui se donnent elles-mêmes dans l’actedu-vivre. Il faut que la lumière de la réflexion n’éclaircisse que ce qui est « là » dans ce contact le plus
dense et le plus vivant ». L’homme est la seule créature qui parle à la première personne du
singulier, le seul à savoir dire « je » et à vouloir se dépasser lui-même, à vouloir exister et réaliser ses
potentialités. Sa vie est orientée par un projet, un mouvement de propulsion vers l’avant. Pour la
philosophie existentielle, cette capacité donne à l’être humain une liberté qui le différencie des
autres espèces du vivant. Mais cette liberté donne une énorme responsabilité à l’homme envers sa
vie et son destin. « L’angoisse existentielle en est le revers indissociable ». (Patrick Traube in « Les
Psychothérapies humanistes »). « Lorsque le patient s’exprime en thérapie, il parle de son univers
personnel, des significations qu’il donne aux situations qu’il vit. Si le thérapeute veut appréhender cet
univers singulier, il doit faire le deuil de ses propres significations, de ses propres catégories, de son
cadre de référence personnel » (Patrick Traube).
En résumé, la psychologie humaniste hérite à partir de penseurs tels que : Dilthey, Husserl, Bergson
et Heidegger, de l’approche phénoménologique. En effet, on retrouve dans cette psychologie, les
mêmes concepts que dans la phénoménologie et dans l’existentialisme; à savoir : l’actualisation des
potentialités individuelles, la réalisation de soi, la possibilité d’une croissance personnelle donc d’un
projet existentiel. L’individu humain est considéré comme libre et responsable de son destin. Ces
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concepts vont ensuite être opérationnalisés par des psychothérapeutes américains qui vont d’une
certaine manière (…) « donner à la psychologie humaniste, les moyens de ses ambitions » (Patrick
TRAUBE). Trois noms contribuent à cette réalisation : Erich FROMM, Abraham MASLOW et Carl
ROGERS.
De Fromm, nous retiendrons l’accent mis sur l’unité de la personne par-delà la diversité de ses
aspects, sur l’apaisement des antagonismes entre les différentes facettes du sujet, sur la recherche
d’une synthèse des opposés.
Maslow sera l’initiateur du Mouvement du Potentiel humain dans les années septante. Il est à
l’origine de la création de l’Institut d’Esalen en Californie où des méthodes comme la Gestaltthérapie (F.PERLS), l’Analyse Transactionnelle (E.BERN), l’Analyse bioénergétique (LOWEN) ainsi que
le Rebirthing (L.ORR) verront le jour.
Ce sera finalement chez Carl Rogers que nous trouverons la première systématisation d’une nouvelle
attitude clinique : le thérapeute est une personne réelle, authentique et congruente. Rogers sera
également l’initiateur d’une nouvelle forme d’écoute qu’il nommera empathie. C’est lui qui, le
premier, définira la relation thérapeutique comme une rencontre interpersonnelle et une expérience
de maturation. Si la thérapie peut être considérée comme un voyage entrepris à deux, le patient
tient le gouvernail, le thérapeute occupe la place du convoyeur, il accompagne son patient, est le
témoin de l’évolution et des régressions nécessaires, il aide son patient à développer de nouvelles
réponses à ses difficultés existentielles en l’ouvrant à des options comportementales plus larges, ce
qui le rapproche également du behaviorisme.
Si le besoin s’en fait sentir, le thérapeute humaniste n’hésitera pas à utiliser dans son arsenal
thérapeutique des procédures telles que : la confrontation, la provocation ou la dramatisation.
Exemple de confrontation : « Vous me posez une question et vous ne me laissez pas vous répondre ».
Exemple de provocation : Une patiente me rapporte en entretien individuel un échange que son
conjoint a eu avec la thérapeute de couple qu’ils consultent ensemble et qui la beaucoup fait
réfléchir. Elle m’explique qu’elle s’est plainte en séance de couple de l’attitude méprisante et
humiliante que son partenaire a vis-à-vis d’elle lorsqu’ils se trouvent en compagnie de leurs amis. Le
conjoint ayant reconnu la situation et son caractère répétitif, la thérapeute de couple lui propose de
s’engager auprès de ma patiente à tout mettre en œuvre pour que cela ne se reproduise plus. Le
patient répond alors que cela est hors de question, qu’il ne changera pas. La thérapeute lui demande
s’il veut tout de même essayer et il refuse avec un air de défi. La thérapeute lui dit : « Vous ne voulez
pas changer ? ». Réponse : « Non ». La thérapeute termine alors l’échange en disant : « Je comprends
pourquoi je n’ai pas ressenti de culpabilité quand j’ai quitté mon mari, lui non plus ne voulait pas
changer ».Exemple de dramatisation : un patient exprime des choses tristes, mais il le fait
constamment avec le sourire aux lèvres. Le thérapeute intervient en lui demandant de se mettre en
contact avec son ressenti profond et de garder son sourire dans sa poche.
En résumé : 1. la démarche humaniste apparaît tout d’abord comme une approche HISTORIQUE.
L’être humain est un être engendré, il s’inscrit dans une histoire. Cette histoire commence dès la vie
intra-utérine et elle inclut l’histoire des deux parents ainsi que le contexte socioculturel. Cette
histoire sera réécrite dans la relation thérapeutique avec l’espoir d’en corriger certaines failles et
d’en résoudre certains conflits. La démarche humaniste est de ce fait une démarche HOLISTIQUE (qui
vise la totalité de l’être) et SYSTEMIQUE.
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2. Comme la psychanalyse, la thérapie humaniste est une démarche PSYCHODYNAMIQUE, elle prend
en compte la dimension inconsciente et préconsciente ou infra-consciente. Cette position l’amène à
tenir compte de la signification des symptômes, des phénomènes de résistance au changement, des
mécanismes de répétitions, des bénéfices du symptôme etc.
3. La démarche humaniste est une démarche INTER-RELATIONNELLE. La psychothérapie est
considérée comme une nouvelle histoire qui se construit entre le patient et son thérapeute. Comme
l’écrit constamment Irvin Yalom, c’est la relation qui guérit. Relation duelle avec le thérapeute et
relation multilatérale dans un groupe thérapeutique.
4. L’entrée dans la thérapie est le fruit d’une décision, expression de la volonté du patient à
reprendre du pouvoir sur son existence. La démarche et le postulat qu’elle contient est donc une
démarche DECISIONNELLE. Suivre une thérapie humaniste, c’est accepter implicitement que
l’humanité de l’homme n’est ni un donné, ni un acquis. Elle est, au contraire, un processus
d’humanisation jamais achevé.
5. Comme la thérapie comportementale, la thérapie humaniste vise le changement, ce qui en fait
une démarche PRAGMATIQUE et OPERATIVE, dans le sens où elle cherche à se donner les moyens
d’intervention pour aider au mieux au processus de guérison.
Et la Sophia-analyse ?
Dans la préface à l’édition française de son ouvrage : « La vie comme œuvre d’art » (1988), Antonio
MERCURIO écrit : « L’homme est le thème de cet ouvrage, l’homme dans son être, l’homme dans son
devenir ». Cette seule citation nous indique d’emblée le courant humaniste qui traverse la pensée de
son auteur. En effet, l’homme « dans son être » fait référence à l’existentialisme, l’homme « dans son
devenir » met l’accent sur le projet. Et de projet, il est beaucoup question dans la pensée de
Mercurio, projet créatif, d’une part ; projet destructif, d’autre part. A la phrase suivante, Mercurio
nous parle d’une méthode qui concerne l’homme et ses possibilités de s’ouvrir à une nouvelle façon
d’être, de penser et d’agir ; il appelle cette méthode la Sophia-Analyse. Cette méthode de travail
individuel et de groupe, il la conçoit dans le but d’aider l’être humain à se réaliser en tant que
Personne, projet qui le rapproche très clairement de celui de Carl ROGERS. Sa définition du mot
« Personne », Mercurio la donne dans une anthropologie qu’il appellera : Anthropologie
personnalistique existentielle. L’Homme Personne, qu’il différencie de l’Homme de masse, est un
homme doté de liberté et d’identité propre. En outre, cet homme est capable de s’aimer et d’aimer
les autres afin d’obtenir la joie et de promouvoir la vie. Vaste programme ! Programme qui nécessite
un travail personnel et qui peut être facilité lorsqu’il s’accomplit dans et avec l’aide d’un groupe
thérapeutique. Dans un premier temps, il appelle sa méthode : Psychothérapie analytique
existentielle. Le mot existentiel est ici le terme important car il permet à Antonio Mercurio de
différencier son approche de celle de la psychanalyse en introduisant une instance dans la psyché
qu’il nomme : le Moi Personne, c’est-à-dire une instance décisionnelle. Il y introduit également le Soi
Personnel ainsi que la présence positive de son agir. Quelle différence alors avec la sophia-analyse ?
Pour Antonio Mercurio, la Psychothérapie analytique existentielle avait comme but de soigner la
psyché (dimension psychanalytique) et faire naître la personne (dimension existentielle). La Sophiaanalyse, quant à elle, a comme objectif la plénitude de la Personne et la vie comme œuvre d’art ; ce
qui apporte une dimension créative à la méthode et à sa finalité. Elle est aussi une réponse à
l’angoisse de mort. Qu’est ce que la mort sinon l’expérience de la finitude de l’être. La mort fait peur.
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Toute personne qui s’introspecte un peu ressent cette peur de perdre les personnes qu’il aime et de
qui il se sent aimé, les plaisirs et les joies de l’existence. Quelle réponse donner à cette peur ? Les
grands artistes ont donné la leur, ils conçoivent des œuvres immortelles, des œuvres qui laissent une
trace sur la terre et qui leurs survivent bien au-delà de leur mort. L’idée n’est peut-être pas neuve,
mais Antonio Mercurio dans sa proposition de faire de notre vie une œuvre d’art entend appliquer à
la psychothérapie certains principes que l’on retrouve dans la création des œuvres d’art. Par
exemple, travailler à la synthèse la plus harmonieuse possible des opposés, mettre de la beauté dans
sa vie, dans ses liens. Car comme le fait remarquer Irvin Yalom, si tout le monde a peur de la mort, il
semblerait que le sentiment d’avoir une vie bien accomplie diminue fortement cette angoisse (Irvin
YALOM, in « Le bourreau de l’amour », 2006).
Dans un second chapitre, le père de la sophia-analyse explicite davantage ce qu’il entend par
« sophia ». Le terme, bien évidemment, renvoie à la sagesse. De nouveau, l’ambition semble
démesurée si elle devient un état que nous devrions atteindre, par exemple à la suite d’une
psychothérapie sophia-analytique. En réalité, il n’en n’est rien. La sagesse dont il est question dans la
pensée de Mercurio concerne la capacité de rechercher des solutions « sages » à nos problèmes et
aux problèmes posés par l’histoire de l’humanité. Les solutions sages sont des solutions, en général,
qui tiennent compte de la totalité de notre être et pas seulement d’une partie comme cela arrive
souvent lorsque nous choisissons des solutions partielles. Pour Antonio Mercurio, nous avons le
pouvoir de créer de nouvelles solutions, chaque homme possède en lui les solutions à ses
problèmes. Cette conception d’une démarche qui vise la totalité de l’être inscrit la sophia-analyse
dans la filiation d’Erich FROMM. Nous y reviendrons.
En quoi consiste alors le travail d’un psychothérapeute sophia-analyste ? Mercurio répond à propos
de la thérapie de groupe (in « La vie comme œuvre d’art », p.23) : « Le travail personnel
d’interprétation d’un sophia-analyste consiste à faire toucher du doigt, à chaque membre du groupe ;
a. le problème central posé par le groupe ;
b. les différents niveaux du même problème : historique, social, familial, individuel, psychique ou
existentiel, abordés pendant la séance à son insu ;
c. toutes les solutions, partiellement bonnes ou mauvaises apportées par les membres du groupe ;
d. la solution nouvelle que le groupe a trouvé de lui-même et en lui-même ;
e. pour finir, les sophia-analystes, personnes parmi les autres, partageant le même chemin, donnent
leurs solutions aux problèmes posés par le groupe.
Mercurio conclut ce paragraphe en disant que : « Le sophia-analyste n’est pas un sage parvenu et
installé dans sa position et sa toute puissance ».
D’autres concepts me semblent également importants.
Tout d’abord, le fait que la sophia-analyse crée une source expérientielle de connaissance de soi
(p28). Qu’est-ce qu’une source expérientielle ? Il s’agit pour Antonio Mercurio d’aider le patient à
avoir accès aux sources de l’information par un travail sur soi et non seulement par une
connaissance intellectuelle.
Ensuite, la recherche de la vérité sur soi-même et dans son rapport à l’autre, vérité à découvrir grâce
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à l’interprétation ou par soi-même, mais toujours dans l’amour et le respect de la personne et non
dans la violence. A cet égard, Mercurio considère que si une vérité est dite dans la violence, il vaut
mieux qu’elle reste cachée car, dans le cas contraire, elle produira plus de problèmes qu’elle n’en
résoudra.
La sophia-analyse propose un passage de la pensée linéaire (principe aristotélicien) à la pensée
dialectique (Hegel) et de la pensée dialectique à la pensée circulaire qui contient la synthèse de la
pensée linéaire ou causaliste et de la pensée dialectique. Ce mode de pensée fait de la sophiaanalyse une démarche systémique. Il n’y a donc pas de rejet de la conception mécaniciste chère aux
sciences naturelles, comme nous l’évoquions au début de cet exposé, mais cette conception doit être
complétée par la dialectique : thèse-antithèse-synthèse, plus proche du fonctionnement de l’être
humain. En effet, si dans les sciences de la nature, le principe de non-contradiction (Aristote) est
généralement de mise, principe qui définit qu’une chose et son contraire ne peuvent coexister, dans
les sciences humaines, force est de constater que c’est au contraire souvent le cas. Par exemple,
j’aime et je déteste telle personne et/ou moi-même.
La dramaturgie trouve également sa place dans l’approche, en particulier dans le travail de groupe.
Comme le fait remarquer Antonio Mercurio : « Quiconque arrive dans un groupe de sophia-analyse
vient avec l’intention de faire jouer sa « pièce », à la différence près, et c’est énorme, qu’il vient pour
découvrir la pièce qu’il joue et apprendre comment la modifier pour ne pas avoir à la rejouer
indéfiniment » (p62). Toujours en considérant cette métaphore de la pièce de théâtre, les membres
du groupe incarnent généralement chacun une dimension de l’être de la personne qui sollicite l’aide
du groupe. Tout se passe comme si la personne diffractait dans le groupe les différentes parties en
conflit dans sa psyché, chaque participant devenant le dépositaire d’un des termes du conflit.
L’interprétation quant à elle portera sur l’ensemble de la dynamique afin de dépasser les clivages.
Pour terminer, je proposerai l’idée que si Antonio Mercurio est le père de la Sophia-Analyse, Erich
FROMM en est le « grand-père ». Ecoutons les propos de Mercurio : « Je dois beaucoup à Erich
Fromm dont le livre « L’Art d’Aimer » a été pour moi le point de départ. J’ai essayé de développer ses
principes et de les rendre concrètement réalisables à travers l’expérience et la méthodologie des
groupes de Sophia-analyse » (p68 et 69). Pour Fromm, l’amour est un art et pour Mercurio, il doit
devenir aussi une science. Une science humaine, bien entendu !
J’espère avoir pu montrer par cet exposé que la Sophia-analyse peut se revendiquer pleinement de
l’approche humaniste quant à sa filiation et quant aux concepts sur lesquels sa pratique s’étaye.
Bibliographie :
Huber W. La psychologie clinique aujourd’hui, Bruxelles, Mardaga, 1987
Mercurio A. La vie comme œuvre d’art, Rome, Editions de la Sophia University of Rome, 1988
Mercurio A. L’amour et la personne, Rome, Editions de la Sophia University of Rome, 1976
Minkowski E. Phénoménologie et analyse existentielle en psychopathologie, L’Evolution
psychiatrique, 1948 ;1 :137-185
Traube P. Les psychothérapies humanistes, Namur, Les Editions namuroises, 2004
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Yalom I. Le bourreau de l’amour, Lonrai, Normandie
Roto impression, 2010
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