160 | La Lettre du Neurologue • Vol. XVII - n° 5-6 - mai-juin 2013
Complications neurologiques de l’alcoolisme
MISE AU POINT
éventuelle consommation chronique. Cette dose est
rarement atteinte grâce au trouble de la vigilance
ou aux nausées et vomissements qui empêchent
la poursuite de l’intoxication. Le coma éthylique,
plus ou moins profond, peut comporter des signes
de gravité comme la dépression ventilatoire, appa-
raissant à partir d’un taux d’alcoolémie de 3 g/l,
l’hypothermie, l’hypotension artérielle, voire une
mydriase et une aréactivité aux stimulations extéro-
ceptives, imposant la prise en charge en milieu de
réanimation. À des concentrations moindres, les
manifestations de l’alcoolisation aiguë sont soma-
tiques et comportementales. L’ivresse aiguë est
faite d’excitation psychique, de relaxation, d’une
désinhibition, mais aussi de troubles de l’humeur,
d’agressivité et de troubles du discernement. Des
concentrations plus élevées sont responsables d’une
part d’une apathie, de troubles de la coordination
et de l’équilibre, d’une augmentation des temps de
réaction, de troubles perceptifs, d’une dysarthrie,
d’une diplopie par décompensation d’hétérophorie,
d’un nystagmus, de troubles de la conscience et,
d’autre part, d’une amnésie lacunaire (10). Les crises
épileptiques sont plus rares lors de l’intoxication
aiguë qu’en contexte de sevrage. Ces manifesta-
tions psychiques et physiques par intoxication
aiguë sont dues à la toxicité directe de l’alcool sur
le fonctionnement du SNC et à sa toxicité indirecte,
notamment par l’intermédiaire d’une hypoglycémie
chez le diabétique, chez le sujet à jeun ou chez le
cirrhotique. Outre l’hypoglycémie, d’autres troubles
métaboliques induits par l’intoxication aiguë ont
été décrits : hypoglycémie, acidose lactique, hypo-
kaliémie, hypomagnésémie, hypoalbuminémie,
hypocalcémie et hypophosphorémie. Des troubles
du rythme cardiaque auriculaires ou ventriculaires
peuvent aussi survenir. À noter que l’intoxication
alcoolique aiguë expérimentale ne s’accompagne pas
d’anomalie particulière à l’imagerie par résonance
magnétique (IRM), y compris à 4T (11).
Les autres manifestations neurologiques secondaires
à une alcoolisation aiguë sont pour la plupart trau-
matiques, conséquences des troubles comportemen-
taux et des actes inconsidérés ou maladroits commis
sous l’emprise de l’alcool. Il s’agit des traumatismes
crâniens plus ou moins sévères, compliqués de contu-
sion hémorragique, d’hématome sous- ou extra-
dural, ou d’une combinaison de ces lésions. Avant de
déclarer qu’un trouble de la conscience a une cause
toxique, il est capital de rechercher par la clinique,
l’imagerie, voire la ponction lombaire, si nécessaire,
une complication neurochirurgicale ou infectieuse.
Par ailleurs, une sédation prolongée alcoolique peut
se compliquer de paralysies par compression troncu-
laire, notamment du nerf radial au bras, ou du nerf
bulaire à la jambe, ou encore d’un tronc sciatique
ou d’une atteinte plexique brachiale. Dans le même
contexte peut être observée une rhabdomyolyse due
à une compression musculaire ou à une ou plusieurs
crises convulsives généralisées.
La succession des intoxications aiguës et de leurs
complications peut être la cause directe de maladies
neurologiques autonomes secondaires. Celles-ci
peuvent être post-traumatiques, comme dans le cas
des crises épileptiques, éventuellement de sevrage,
qui se compliquent de traumatisme crânien lors de
la chute initiale, causes de contusions cérébrales.
Ces crises, au départ conjoncturelles, ne néces-
sitant pas d’autres traitements que l’éviction des
facteurs déclenchants, deviennent une véritable
épilepsie lésionnelle, justiant un traitement au
long cours. Ce traitement sera lui-même souvent
interrompu dans le contexte de la récidive de
l’alcoolisme. Ce cercle vicieux fait de facteurs struc-
turels et conjoncturels synergiques pathogènes sera
souvent couronné au bout d’un délai très variable par
la constatation d’un état de démence multifactorielle
imposant l’institutionnalisation.
Manifestations neurologiques
dues au sevrage alcoolique
Les manifestations neurologiques dues au sevrage
alcoolique comprennent les crises épileptiques et
le syndrome de sevrage proprement dit, le delirium
tremens.
L’épilepsie de sevrage est parfois indiscernable d’une
crise due à une intoxication aiguë, surtout si le patient
est vu à distance. En urgence, c’est le contexte et
l’alcoolémie qui permettront de porter le diagnostic
précis et imposeront de prendre les mesures prévenant
la récidive à court terme, par exemple la prescription
d’une benzodiazépine antiépileptique pendant une
courte période, comme le clobazam, et le syndrome
de sevrage (hydratation orale importante). Comme
pour les troubles de conscience de l’intoxication
aiguë, le bilan diagnostique devra rechercher une
cause structurelle, éventuellement neurochirurgi-
cale, ou une cause infectieuse comme une méningite
due à Streptococcus pneumoniae. Dans tous les cas,
une vitaminothérapie B et PP sera adjointe au traite-
ment et l’hydratation parentérale devra proscrire le
sérum glucosé dont l’administration peut précipiter
les conséquences d’une carence thiaminique sous-
jacente (12).