MISE AU POINT Complications neurologiques de l’alcoolisme Neurological complications of alcohol abuse T. de Broucker* L’ alcoolisme est la plus fréquente des toxicomanies en France métropolitaine. Parmi la population d’âge compris entre 11 et 75 ans, soit environ 49 millions de personnes, 8,8 millions sont des consommateurs réguliers. Dans la population adulte, 8 % des personnes déclarent en 2010 au moins 3 épisodes d’ivresse dans les 12 derniers mois écoulés, avec une nette prédominance masculine (2,5 hommes pour 1 femme). Parmi les buveurs, 28 % sont à risque ponctuel de complications, tandis que 9 % sont à risque chronique. La fréquence des comportements à risque ponctuels diminue avec l’âge alors que la fréquence de la consommation à risque chronique diminue jusqu’à 45 ans pour augmenter au-delà1. La prévalence de l’alcoolodépendance était en moyenne de 6 % chez les hommes et de 1 % chez les femmes en Europe dans les années 1990 et de 4 % (hommes et femmes confondus) aux États-Unis (1, 2). En population générale adulte en France, 7,3 % des hommes et 1,5 % des femmes étaient considérés comme abuseurs ou dépendants à l’alcool au début des années 20002. Le nombre de décès attribuables à l’alcool était d’environ 20 000 en 2006, dont 80 % d’hommes. Parmi les causes de décès recensées, les pathologies neurologiques en représentaient 22,9 % chez les hommes et 34,5 % chez les femmes. La moitié environ étaient classées “troubles mentaux et du comportement liés à l’alcool” (3). http://www.ofdt.fr/ofdtdev/live/produits/alcool/conso. html#aff_rech 2 http://www.invs.sante.fr/publications/2007/jvs_2007/sante mentale/1.pdf 1 * Service de neurologie, hôpital Delafontaine, Saint-Denis. 158 | La Lettre du Neurologue • Vol. XVII - n° 5-6 - mai-juin 2013 Chez l’enfant : la fœtopathie alcoolique Avant d’être la cause, directe ou indirecte, de manifestations neurologiques chez les adolescents ou les adultes, l’alcool est directement responsable de manifestations neurologiques sévères touchant des enfants ayant subi l’impact de l’alcoolisation maternelle sur l’embryogenèse, le développement et la maturation du système nerveux central (SNC) fœtal durant la gestation. La fœtopathie alcoolique (Fetal Alcohol Syndrome [FAS] et Fetal Alcohol Spectrum Disorders [FASD]) est, probablement, la première cause exogène de retards mentaux et de troubles dysmorphiques et, sûrement, la première cause évitable. La fréquence de la fœtopathie alcoolique est variable d’une étude à l’autre et n’est pas connue en France. Les désordres associés à une alcoolisation fœtale toucheraient entre 0,1 % et 0,7 à 0,8 % de toutes les naissances selon le lien où l’étude a été faite (3). Le syndrome d’alcoolisation fœtale, à l’extrémité la plus sévère du spectre clinique, a été décrit pour la première fois par P. Lemoine en 1968 (4). Il est responsable d’un tableau associant une hypotrophie avec microcéphalie, une dysmorphie faciale (figure 1), une altération des capacités intellectuelles mesurées par le quotient intellectuel (QI) – parfois normal mais dont la moyenne se trouve autour de 70 –, et des troubles comportementaux (6). Divers tableaux atténués ont ensuite été décrits, responsables d’un syndrome un peu moins sévère, avec un QI variable mais dont la moyenne, tout de même basse, est aux alentours de 80. Cliniquement, la symptomatologie associe des troubles Points forts »» L’alcoolisation aiguë, l’alcoolisme chronique et le sevrage en alcool sont autant de situations pouvant entraîner des complications neurologiques, de même que l’alcoolisme gravidique sur l’enfant à venir. »» L’alcoolisation aiguë se complique des mêmes pathologies que les intoxications aiguës en stupéfiants ou en sédatifs. »» Un tableau d’ivresse aiguë peut masquer une complication neurologique grave. »» L’alcoolisme chronique peut nuire au système nerveux central comme au système nerveux périphérique. »» Tout trouble neurologique chez un alcoolique chronique doit faire compenser avant tout une éventuelle carence vitaminique en B1 et PP. »» L’IRM permet de confirmer les diagnostics d’encéphalopathie de Gayet-Wernicke, de maladie de Marchiafava-Bignami ou de myélinolyse centro- ou extrapontine. Complications neurologiques de l’alcoolisme chez l’adulte Pli épicanthal marqué, ensellure nasale large, nez court retroussé, pommettes plates, philtrum émoussé lèvre supérieure fine. Figure 1. Caractéristiques morphologiques de la dysmorphie de la fœtopathie alcoolique (adapté de [5] par E. Prissette). de la mémoire, de l’apprentissage, de l’attention, du langage, des capacités visuospatiales et exécutives. Les capacités motrices fines ou la coordination et le fonctionnement adaptatif social sont aussi touchés (7). Les structures cérébrales dont le développement est le plus perturbé par l’alcoolisation fœtale sont le corps calleux, le cervelet, le noyau caudé, et la substance blanche hémisphérique. Le moment de survenue de l’intoxication fœtale intervient fortement dans la genèse des manifestations. Ainsi, l’imprégnation alcoolique fœtale durant la troisième semaine de la gestation (gastrulation) est responsable de la dysmorphie faciale caractéristique, d’altérations de la constitution du stock de cellules neurales progénitrices et d’un défaut de développement du cerveau antérieur. La deuxième période cruciale de l’embryogenèse cérébrale se situe entre 7 et 20 semaines de gestation. Une intoxication est alors cause de défauts de migration neuronale et d’anomalies de conformation du néocortex, de l’hippocampe et des noyaux sensoriels mais aussi de malformations du corps calleux, dont la formation débute à la septième semaine, sous forme d’une agénésie, d’une hypoplasie ou d’autres anomalies morphologiques. À l’âge adulte, la dysmorphie faciale est modifiée, avec une face allongée, un nez et un menton volumineux. La microcéphalie persiste, associée à un retard mental ou, à un degré moindre, à des difficultés d’apprentissage et, toujours, à des troubles comportementaux et une instabilité (8). Chez l’adulte, les complications de l’alcoolisme peuvent être d’ordre sanitaire, médical, et médicosocial, en rapport avec la dégradation des conditions sociales, les infractions à la loi et les conséquences nutritionnelles et physiques dues à la précarité. Ces dégradations retentissent en retour sur la vulnérabilité de l’organisme et les risques carentiels, infectieux, traumatiques. Les risques peuvent être liés à une consommation aiguë d’alcool, éventuellement associée à la prise d’un autre toxique psychotrope ou psycholeptique. La neurotoxicité de l’alcool éthylique met en jeu plusieurs mécanismes. Il exerce un effet sur les membranes neuronales par désorganisation des canaux ioniques et des arrangements protéiques. Il a une action antiglutamatergique et pro-GABAergique, et entraîne au long cours une régulation augmentée des récepteurs NMDA au glutamate et diminuée des récepteurs du GABA. Les modifications de la sensibilité à ces neuromédiateurs sont la cause de la tolérance à l’alcool et des phénomènes observés lors du sevrage. L’alcool éthylique exerce aussi une hépatotoxicité en cas d’exposition chronique, en modifiant l’activité d’enzymes intervenant dans le métabolisme de la méthionine (cycle de transméthylation) et du glutathion (voie de la transsulfuration), ce qui entraîne une augmentation de la production d’homocystéine et de S adénosyl-homocystéine et, surtout, une diminution du donneur de méthyle, le S adénosyl-méthionine, et du glutathion, antioxydant. L’existence d’une malnutrition protéique et vitaminique (vitamines B6 – pyridoxine –, B9 – acide folique –, B12 et A), très fréquemment associée à l’alcoolisme chronique, aggrave directement cette hépatotoxicité, car ces vitamines (sauf la vitamine A) jouent des rôles cruciaux dans ces 2 métabolismes (9). Mots-clés Alcoolisme Sevrage alcoolique Système nerveux Carence vitaminique Highlights »» Acute alcohol intoxication, chronic alcoholism, and alcohol withdrawal all are situations threatening the nervous system, as well as alcohol intake during pregnancy threatens the newborn to come. »» Acute alcohol intake leads to the same neurologic complications as sedative legal and illegal drugs. »» An acute drunkenness can hide a serious life threatening neurological complication of alcoholism. »» Chronic alcoholism is deleterous as well to the central and the peripheral nervous system. »» A possible B1 or niacin déficit must be substituted in case of neurologic manifestation in a chronic alcoholic. »» MRI allows the confirmation of Wernicke-Korsakoff’s syndrome, MarchaifavaBignami disease and central pontine myelinolysis. Keywords Alcoholism Alcohol withdrawal Nervous system Vitamin shortage Intoxications aiguës La concentration mortelle chez l’homme d’alcool éthylique pur dans le sang est de 4 g/l ou plus, pour une part fonction de la tolérance induite par une La Lettre du Neurologue • Vol. XVII - n° 5-6 - mai-juin 2013 | 159 MISE AU POINT Complications neurologiques de l’alcoolisme éventuelle consommation chronique. Cette dose est rarement atteinte grâce au trouble de la vigilance ou aux nausées et vomissements qui empêchent la poursuite de l’intoxication. Le coma éthylique, plus ou moins profond, peut comporter des signes de gravité comme la dépression ventilatoire, apparaissant à partir d’un taux d’alcoolémie de 3 g/l, l’hypothermie, l’hypotension artérielle, voire une mydriase et une aréactivité aux stimulations extéro­ ceptives, imposant la prise en charge en milieu de réanimation. À des concentrations moindres, les manifestations de l’alcoolisation aiguë sont somatiques et comportementales. L’ivresse aiguë est faite d’excitation psychique, de relaxation, d’une désinhibition, mais aussi de troubles de l’humeur, d’agressivité et de troubles du discernement. Des concentrations plus élevées sont responsables d’une part d’une apathie, de troubles de la coordination et de l’équilibre, d’une augmentation des temps de réaction, de troubles perceptifs, d’une dysarthrie, d’une diplopie par décompensation d’hétérophorie, d’un nystagmus, de troubles de la conscience et, d’autre part, d’une amnésie lacunaire (10). Les crises épileptiques sont plus rares lors de l’intoxication aiguë qu’en contexte de sevrage. Ces manifestations psychiques et physiques par intoxication aiguë sont dues à la toxicité directe de l’alcool sur le fonctionnement du SNC et à sa toxicité indirecte, notamment par l’intermédiaire d’une hypoglycémie chez le diabétique, chez le sujet à jeun ou chez le cirrhotique. Outre l’hypoglycémie, d’autres troubles métaboliques induits par l’intoxication aiguë ont été décrits : hypoglycémie, acidose lactique, hypokaliémie, hypomagnésémie, hypoalbuminémie, hypocalcémie et hypophosphorémie. Des troubles du rythme cardiaque auriculaires ou ventriculaires peuvent aussi survenir. À noter que l’intoxication alcoolique aiguë expérimentale ne s’accompagne pas d’anomalie particulière à l’imagerie par résonance magnétique (IRM), y compris à 4T (11). Les autres manifestations neurologiques secondaires à une alcoolisation aiguë sont pour la plupart traumatiques, conséquences des troubles comportementaux et des actes inconsidérés ou maladroits commis sous l’emprise de l’alcool. Il s’agit des traumatismes crâniens plus ou moins sévères, compliqués de contusion hémorragique, d’hématome sous- ou extradural, ou d’une combinaison de ces lésions. Avant de déclarer qu’un trouble de la conscience a une cause toxique, il est capital de rechercher par la clinique, l’imagerie, voire la ponction lombaire, si nécessaire, une complication neurochirurgicale ou infectieuse. Par ailleurs, une sédation prolongée alcoolique peut 160 | La Lettre du Neurologue • Vol. XVII - n° 5-6 - mai-juin 2013 se compliquer de paralysies par compression tronculaire, notamment du nerf radial au bras, ou du nerf fibulaire à la jambe, ou encore d’un tronc sciatique ou d’une atteinte plexique brachiale. Dans le même contexte peut être observée une rhabdomyolyse due à une compression musculaire ou à une ou plusieurs crises convulsives généralisées. La succession des intoxications aiguës et de leurs complications peut être la cause directe de maladies neurologiques autonomes secondaires. Celles-ci peuvent être post-traumatiques, comme dans le cas des crises épileptiques, éventuellement de sevrage, qui se compliquent de traumatisme crânien lors de la chute initiale, causes de contusions cérébrales. Ces crises, au départ conjoncturelles, ne nécessitant pas d’autres traitements que l’éviction des facteurs déclenchants, deviennent une véritable épilepsie lésionnelle, justifiant un traitement au long cours. Ce traitement sera lui-même souvent interrompu dans le contexte de la récidive de l’alcoolisme. Ce cercle vicieux fait de facteurs structurels et conjoncturels synergiques pathogènes sera souvent couronné au bout d’un délai très variable par la constatation d’un état de démence multifactorielle imposant l’institutionnalisation. Manifestations neurologiques dues au sevrage alcoolique Les manifestations neurologiques dues au sevrage alcoolique comprennent les crises épileptiques et le syndrome de sevrage proprement dit, le delirium tremens. L’épilepsie de sevrage est parfois indiscernable d’une crise due à une intoxication aiguë, surtout si le patient est vu à distance. En urgence, c’est le contexte et l’alcoolémie qui permettront de porter le diagnostic précis et imposeront de prendre les mesures prévenant la récidive à court terme, par exemple la prescription d’une benzodiazépine antiépileptique pendant une courte période, comme le clobazam, et le syndrome de sevrage (hydratation orale importante). Comme pour les troubles de conscience de l’intoxication aiguë, le bilan diagnostique devra rechercher une cause structurelle, éventuellement neurochirurgicale, ou une cause infectieuse comme une méningite due à Streptococcus pneumoniae. Dans tous les cas, une vitaminothérapie B et PP sera adjointe au traitement et l’hydratation parentérale devra proscrire le sérum glucosé dont l’administration peut précipiter les conséquences d’une carence thiaminique sousjacente (12). MISE AU POINT Le delirium tremens, syndrome de sevrage de l’alcool réalise un tableau de confusion agitée souvent sévère, pouvant menacer le pronostic vital. Il s’installe progressivement en 24 à 72 heures. Le contexte est le plus souvent celui d’une hospitalisation d’urgence pour complication traumatique (fracture) ou infectieuse (pneumonie) de l’alcoolisme chronique, mais ce dernier peut être totalement méconnu et le motif de prise en charge complètement étranger. La symptomatologie initiale comporte des manifestations somatiques, des sueurs, des trémulations des extrémités, une fébricule, une irritabilité et/ ou une anxiété. Lorsque le tableau est pleinement installé, il comporte une confusion mentale agitée avec inversion du rythme nycthéméral, et délire à thèmes fréquemment animaliers, professionnels ou alcooliques, dû à des illusions/hallucinations terrifiantes se nourrissant de l’environnement sensoriel du patient. Les tremblements peuvent devenir violents, voire se compliquer d’une rhabdomyolyse. La fièvre élevée et la déshydratation doivent impérativement être prévenues au plus tôt. L’imagerie cérébrale n’est pas spécifique. Elle est justifiée en cas d’état de mal épileptique ou de signes de localisation pour éliminer ou détecter les complications traumatiques et infectieuses fréquentes de l’alcoolisme chronique, qui peuvent elles-mêmes être les facteurs déclenchants d’un sevrage par défaut d’accès à l’alcool. Elle peut aussi être nécessaire en cas de troubles de la vigilance pour permettre une étude du liquide céphalorachidien (LCR). L’imagerie montre souvent une atrophie cortico-sous-corticale. En IRM, un état de mal épileptique voire le sevrage peuvent entraîner des anomalies de signal réversibles en diffusion et FLAIR pouvant faire discuter une encéphalopathie postérieure réversible (13, 14) mais devant en premier lieu faire discuter les complications toxicocarentielles usuelles sur ce terrain. Le traitement repose sur les agonistes GABA (benzodiazépines) associés aux traitements symptomatiques et aux corrections systématiques des carences vitaminiques prévisibles dans ce contexte, notamment en vitamines B1 et PP. L’évolution du patient sous traitement doit faire l’objet d’un monitorage attentif, en particulier l’adaptation des doses de benzodiazépines à l’état clinique et l’adaptation des apports aux données hydroélectrolytiques (15). Un score clinique peut être utilisé au lit du malade, comportant le suivi des symptômes digestifs, du tremblement, de la sudation, de l’anxiété, de l’agitation, des symptômes sensitifs, visuels et auditifs, des céphalées, de l’orientation et de la vigilance (16). Complications neurologiques de l’alcoolisme chronique Les complications neurologiques de l’alcoolisme chronique touchent le SNC et le système nerveux périphérique. Il s’agit des grands syndromes encéphalopathiques que sont l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke, l’encéphalopathie pellagreuse, le syndrome de Korsakoff, le syndrome de démyélinisation osmotique et le syndrome de Marchiafava-Bignami. L’ataxie cérébelleuse qui complique les intoxications aiguës peut devenir chronique et progressive en rapport avec une atrophie vermienne. L’encéphalopathie hépatique hyperammoniémique est moins spécifique de l’alcoolisme chronique mais celui-ci reste la première cause de cirrhose hépatique parmi toutes les causes d’hépatopathies. La démence alcoolique est une entité à part, car elle est moins bien définie et pose des problèmes diagnostiques particuliers. La pathologie cérébrovasculaire est clairement favorisée par l’alcoolisme aigu et chronique. La polyneuropathie alcoolique accompagne souvent ces complications centrales ; elle est même partie intégrante de la définition du syndrome de Korsakoff. La neuropathie optique est de cause probablement mixte, carentielle et toxique, comme la polyneuropathie. L’encéphalopathie de Gayet-Wernicke est une encéphalopathie carentielle due à l’association d’un défaut d’apport de thiamine (vitamine B1) et d’une surconsommation des réserves de l’organisme par la métabolisation de l’alcool ingéré (17). L’alcool n’en est pas la seule cause et une intolérance alimentaire prolongée, comme dans les cas de vomissements gravidiques, peut se compliquer de Gayet-Wernicke. La reconnaissance de la carence en thiamine comme cause de l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke a justifié des mesures de santé publique d’enrichissement systématique des farines de céréales en vitamine B1. Les lésions concernent principalement la substance grise périaqueducale, les tubercules mamillaires, les trigones, les noyaux dorsomédians et antérieurs des thalamus. Neuropathologiquement, ces régions sont le siège d’un œdème, de pétéchies et d’une démyélinisation pouvant évoluer vers une atrophie. Il s’agit d’une encéphalopathie aiguë ou subaiguë associant une confusion mentale, une hypertonie oppositionniste, une ataxie, une ophtalmoplégie variée et un nystagmus. La symptomatologie syndromique est en fait rarement complète, ainsi que l’a montré la fréquence des lésions d’encéphalopathie de Gayet-Wernicke chez des patients non diagnostiqués de leur vivant dans La Lettre du Neurologue • Vol. XVII - n° 5-6 - mai-juin 2013 | 161 MISE AU POINT Complications neurologiques de l’alcoolisme une cohorte autopsique (18). Les caractéristiques cliniques des sujets étaient rarement évocatrices, même a posteriori, ne comportant le plus souvent que 1 ou 2 items de l’ensemble du syndrome (19). La triade classique : trouble oculomoteur, confusion mentale et ataxie, ne serait présente que dans un tiers des cas et aucun symptôme classique ne serait présent dans les présentations précoces dans 19 % des cas (17). Compte tenu de la pauvreté de la symptomatologie évocatrice chez de nombreux patients et de l’innocuité d’un traitement vitaminique administré par excès, l’utilisation des critères diagnostiques proposés par D. Caine et al. (1997) peut être recommandée. Ainsi, la présence de 2 des éléments suivants doit faire évoquer le diagnostic et traiter sans tarder : déficit nutritionnel, anomalies oculomotrices, syndrome cérébelleux, et soit un trouble de la vigilance, soit un trouble de la mémoire (18). Le traitement précoce par vitamine B1 parentérale à forte dose (500 mg/j [20]) est urgent pour éviter la constitution de séquelles définitives sous la forme d’un syndrome amnésique de Korsakoff, dont l’alcoolisme chronique est le premier facteur de risque, probablement du fait de la neurotoxicité propre de l’alcool (21). L’efficacité thérapeutique permet aussi d’affirmer le diagnostic en observant la réversion des symptômes dans les 24 à 48 heures suivant le commencement du traitement. L’IRM apporte des arguments diagnostiques très spécifiques dans la moitié des cas en montrant les lésions en T2/FLAIR au niveau de la substance grise périaqueducale, des corps mamillaires, des thalamus internes, du plancher du quatrième ventricule, et du tectum (figure 2). Ces lésions peuvent prendre le contraste sur les séquences T1 injectées (13, 22). Souvent nommé syndrome de Wernicke-Korsakoff pour des raisons de physiopathologie probablement uniciste dans la littérature anglo-saxonne (19), le syndrome de Korsakoff constitué représente une catastrophe neurologique définitive car il est irréversible. Il constitue le plus souvent la suite malheureuse chez l’alcoolique chronique d’une encéphalopathie de Gayet-Wernicke non traitée ou traitée trop tard. Dans certains cas, la présentation fait même abstraction de la phase aiguë-subaiguë de confusion mentale, et le tableau amnésique caractéristique est d’emblée présent sans prodromes, ce qui indique sa pathogénie carentielle par défaut de vitamine B1 mais aussi un rôle neurotoxique direct probable de l’absorption d’alcool en conditions carentielles (19). La symptomatologie associe une amnésie antérograde massive à une amnésie rétrograde de durée limitée variable de quelques années à plusieurs décennies, si bien que le patient conserve une mémoire épisodique autobiographique, sociale et sémantique correcte jusqu’à une période déterminée qui ne peut pas être plus proche que la date de début de l’encéphalopathie initiale (23). Des fabulations et fausses reconnaissances sont associées à ce syndrome amnésique avec intégration fantaisiste de l’environnement humain et physique au stock personnel de souvenirs du malade. L’anosognosie est majeure, voire totale. Les lésions neuropathologiques typiques concernent les corps A Figure 2. Encéphalopathie de Gayet-Wernicke. IRM séquences SE T2. A) h ypersignal caractéristique de la substance grise périaqueducale et B) des noyaux médians du thalamus. 162 | La Lettre du Neurologue • Vol. XVII - n° 5-6 - mai-juin 2013 B MISE AU POINT mamillaires, le trigone, les noyaux dorsomédian et antérieur du thalamus et les gyrus cingulaires (24, 25). Une polyneuropathie sensitive axonale distale symétrique est classiquement associée. Des tableaux moins sévères peuvent être observés avec persistance de quelques apprentissages possibles, le plus souvent implicites et ne permettant jamais le retour à une autonomie responsable. En fonction de l’environnement sociofamilial, souvent dégradé, le recours à un hébergement au long cours dans un établissement de type “Maison d’Accueil Spécialisée” est souvent indispensable, ainsi que la mise en place d’une mesure de protection juridique des majeurs. L’encéphalopathie pellagreuse, parfois dite “pseudo-pellagreuse” chez l’alcoolique, est due à une carence en vitamine PP (pour “pellagra preventive”), appelée aussi vitamine B3, niacine, acide nicotinique ou nicotinamide. À noter que la transformation du tryptophane en acide nicotinique nécessite la présence de pyridoxine (vitamine B6) dont l’alcoolique est souvent aussi carencé. L’encéphalopathie pellagreuse est devenue rare depuis les années 1940 du fait de la supplémentation de la farine en acide nicotinique. Elle associe, sur un terrain dénutri multicarencé, une confusion mentale à une hypertonie oppositionniste sévère. Les autres signes neurologiques possibles sont des myoclonies, une ataxie et des signes cérébelleux (26). Il peut s’y associer des signes cutanés, un érythème des zones découvertes et une desquamation, très inconstants et en l’absence desquels on parle de pellagra sine pellagra, et des troubles digestifs à type de glossite, de nausées et vomissements, de douleurs abdominales et de diarrhée (plus tardive, celle-ci résiste au traitement) [27]. L’imagerie cérébrale ne montrerait pas d’anomalie spécifique en dehors d’une atrophie. Sur le plan neuropathologique, les anomalies sont faites d’une atteinte neuronale avec chromatolyse centrale touchant le plus souvent les noyaux du tronc cérébral et du cervelet. Elles sont parfois associées à des lésions du corps calleux de la maladie de Marchiafava-Bignami ou des lésions indiquant une encéphalopathie de Gayet-Wernicke associée (28). Le traitement par vitamine PP : 500-1 500 mg/j permet la résolution des symptômes digestifs et dermatologiques en 48 heures. La résolution des troubles neurologiques est moins constante et peut laisser place à des troubles neurocognitifs de gravité variable. Le meilleur traitement, préventif, consiste à administrer dès que possible de la vitamine PP à la dose de 500 mg/j. Le syndrome de Marchiafava-Bignami est dû à une démyélinisation et à une nécrose du corps calleux (29). Sa cause reste indéterminée mais est plus probablement une toxicité directe qu’une carence. Il est le plus souvent observé au cours d’une période d’alcoolisation massive associée à une dénutrition concomitante. Le tableau comporte classiquement l’association d’un trouble de conscience à des crises épileptiques pouvant réaliser un état de mal convulsif. Parfois moins dramatique et aigu, il peut être fait d’un état de mutisme akinétique ou d’une astasie-abasie. Les anomalies neuropsychologiques à type de dysconnexion calleuse sont généralement repérées par l’examen neuropsychologique réalisé après amélioration de la phase aiguë. Le diagnostic repose sur le contexte, le tableau clinique et sur l’imagerie, scanner et surtout IRM, qui montre une anomalie de signal au centre du corps calleux prédominant le plus souvent au niveau du splénium et plus ou moins étendue longitudinalement vers l’avant et latéralement vers les centres ovales (figure 3) [13, 22]. Une diminution du coefficient de diffusion des lésions est un marqueur de mauvais pronostic (29). Le traitement est purement symptomatique, associé à la prévention des carences vitaminiques habituelles dans le contexte, notamment B1 et PP. Le syndrome de Marchiafava-Bignami était autrefois d’évolution toujours mortelle. L’avènement de méthodes permettant un diagnostic de vivo par l’imagerie a montré la possibilité de formes évoluant vers des séquelles modérées voire légères. A B C Figure 3. Syndrome de Marchiafava-Bignami. A) S canner cérébral sans injection : hypodensité du splénium du corps calleux. B ) I RM séquence FLAIR : hypersignal du splénium du corps calleux. C) IRM séquence SE T1 après injection de gadolinium : coupe sagittale médiane montrant des zones de nécrose du corps calleux rehaussées par le produit de contraste. La myélinolyse centropontine est une complication neurologique d’un trouble métabolique fréquent au cours de l’alcoolisme chronique, notamment à la bière qui s’accompagne d’une hyponatrémie. Elle est due à un différentiel d’osmolalité trop rapide lors de la correction d’un trouble ionique ou osmolaire, comme on peut en rencontrer aussi lors de La Lettre du Neurologue • Vol. XVII - n° 5-6 - mai-juin 2013 | 163 MISE AU POINT Complications neurologiques de l’alcoolisme la prise de diurétiques ou chez les grands brûlés. La conséquence en est une démyélinisation aiguë siégeant le plus souvent dans le pied de la protubérance annulaire (pont de Varole) mais pouvant aussi toucher d’autres zones en association ou isolément, réalisant une myélinolyse extrapontine dans le cadre d’un syndrome de démyélinisation osmotique (30). La symptomatologie est de gravité extrêmement variable, allant de la tétraplégie voire du syndrome de désafférentation (locked-in syndrome) à une découverte d’imagerie chez un patient présentant un signe de Babinski bilatéral inexpliqué au sortir de la correction d’une hyponatrémie génératrice d’une encéphalopathie. L’IRM est beaucoup plus puissante que le scanner X pour détecter les anomalies centro- et/ou extrapontines (31). Elle montre une lésion hyperintense en diffusion dont le coefficient apparent de diffusion est réduit, au moins dans les premières 24 heures. Dans la myélinolyse centro­pontine, la lésion qui siège dans le pied de la protubérance annulaire est grossièrement symétrique et médiane et épargne le tegmentum, les faisceaux pyramidaux et les parties ventrolatérales du pont (figure 4). Une prise de contraste est parfois observée à la périphérie de la lésion (32). Dans la myélinolyse extra­pontine les lésions bilatérales symétriques touchent les noyaux gris centraux dont les thalamus et les corps genouillés, le cervelet et le cortex (13, 22). L’encéphalopathie hépatique est due au dysfonctionnement cérébral secondaire à l’insuffisance hépatocellulaire ou aux shunts portocaves de causes diverses. Elle peut aussi être observée en cas d’hyper­ ammoniémie sans hépatopathie de cause toxique, comme dans l’encéphalopathie compliquant la A B Figure 4. Myélinolyse centropontine. A)IRM séquence FLAIR : hypersignal du pied de la protubérance annulaire. B) Séquence T1 écho de gradient : hyposignal de même topographie. 164 | La Lettre du Neurologue • Vol. XVII - n° 5-6 - mai-juin 2013 prise de valproate de sodium. Dans le contexte de l’alcoolisme chronique, l’encéphalopathie hépatique complique une cirrhose chronique ou une hépato­ pathie alcoolique aiguë. La symptomatologie est faite d’une altération plus ou moins rapide de l’état de vigilance, réalisant une confusion mentale apathique associée à des signes neurologiques comme une hypertonie extrapyramidale et, surtout, un astérixis (myoclonus négatif d’attitude). Les symptômes peuvent aller de la simple obnubilation au coma aréactif. Le pronostic vital est fonction de la cause de l’hépatopathie, de l’hypertension intracrânienne, de la prise en charge en soins intensifs spécialisés et de la possibilité de greffe hépatique si nécessaire (33). L’électroencéphalogramme (EEG) est en avance sur la clinique et montre un ralentissement initial du tracé, avec un alpha paradoxal à l’ouverture des yeux, puis l’apparition d’ondes lentes généralisées triphasiques monomorphes envahissant progressivement toute la durée du tracé. L’EEG permet de suivre l’évolution et de présager de l’évolution des jours suivants, sous traitement, en fonction de la quantité de tracé envahi par les ondes delta tri­phasiques. L’IRM est très évocatrice quand elle montre un hypersignal lenticulaire en séquences T1 (figure 5) [13]. Le pronostic de récupération est fonction de la possibilité de corriger les anomalies métaboliques au premier rang desquelles il y a l’hyperammoniémie, l’insuffisance hépatocellulaire et les shunts porto- Figure 5. Encéphalopathie hépatique chronique. IRM séquence SE T1 sans contraste : hypersignal lenticulaire bilatéral. MISE AU POINT caves. La récupération peut effectivement rester incomplète et donner lieu à l’installation d’un état d’encéphalopathie hépatique chronique éventuellement fluctuante, parfois même pseudodémentielle. L’EEG, l’IRM et l’ammoniémie sont dans ces cas des arguments essentiels du diagnostic. Le pronostic à long terme repose sur l’éviction de tout facteur potentiellement aggravant, en particulier de l’administration de benzodiazépines, et sur les traitements classiques (lactulose, antibiotiques, L‑ornithineL‑aspartate et bêtabloquants) [34]. En ce qui concerne la démence alcoolique, l’impact de la consommation de l’alcool sur la cognition et sur le risque de démence a fait l’objet de multiples publications (3). Inversement, la méta-analyse de R. Peters et al., en 2008, confirmait l’association d’une consommation faible à modérée d’alcool à une réduction du risque de survenue d’une démence (sauf pour les démences vasculaires) par rapport à une abstinence totale (35). Le risque cognitif associé à l’alcool suit donc une courbe en J, avec une prévalence des démences liées à l’alcoolisme chronique estimée à 10 % (3). La démence alcoolique est une entité dont on perçoit la réalité en pratique clinique quotidienne mais dont l’individualité fait toujours débat. Elle serait due à l’association de la neurotoxicité de l’alcool à la carence thiaminique chronique. Sa survenue est favorisée par l’ancienneté de l’intoxication alcoolique, par la fréquence des alcoolisations massives, par les antécédents de syndromes de sevrage et par les séquelles des événements neurologiques qui marquent fréquemment les parcours médicaux des alcooliques. Dans la population alcoolique, les causes possibles de détérioration intellectuelle sont souvent trop nombreuses et intriquées pour permettre le diagnostic d’une entité unique suffisamment spécifique autorisant une description syndromique et, peut-être, une prise en charge thérapeutique dédiée. Des critères diagnostiques ont été proposés : trouble démentiel persistant au moins 60 jours après l’arrêt de toute intoxication, consommation hebdomadaire d’au moins 35 verres standard pour les hommes, 28 pour les femmes, et intoxication significative durant les 3 années précédant le début du trouble cognitif (36). Les pathologies dont il s’agit d’écarter le diagnostic avant d’envisager celui de démence alcoolique sont, d’une part, les séquelles directes ou indirectes de l’intoxication alcoolique chronique – notamment les séquelles traumatiques et carentielles –, et l’encéphalopathie hépatique chronique et, d’autre part, les diverses pathologies sources de démence dans la pathologie générale au premier rang desquelles la maladie d’Alzheimer, les démences frontotemporales et les pseudodémences dues aux syndromes dépressifs sévères chez les sujets âgés. La démence alcoolique comme entité semble néanmoins rassembler certaines caractéristiques constantes réalisant un tableau de démence frontale ou souscorticale (37). Les troubles de la personnalité et du comportement de type caractériel sont au premier plan. Les troubles mnésiques sont variables dans le temps. Les troubles sont surtout attentionnels, et concernent le jugement, le raisonnement et les activités de synthèse. L’imagerie cérébrale n’est pas spécifique et montre une atrophie cortico-souscorticale avec éventuelle dilatation des espaces de Virchow-Robin de la substance blanche sous-corticale hémisphérique (figure 6). Il faut rapprocher la démence alcoolique des anomalies notées à l’IRM chez les alcooliques chroniques, même asymptomatiques, à type d’atrophie concernant principalement la substance blanche hémisphérique et vermienne. La réversibilité potentielle de ces anomalies peut être un argument de poids dans le cadre de la prise en charge addictologique de ces patients (38). Sur le plan neuropathologique, une perte neuronale a été décrite dans plusieurs régions encéphaliques parmi lesquelles le cortex frontal associatif supérieur, l’hypothalamus et les hémisphères cérébelleux et, moins fréquemment, l’hippocampe, le noyau amygdalien et le locus cœruleus (39). Figure 6. Démence alcoolique. IRM séquence SE T2 : atrophie corticale et visibilité des espaces de Virchow-Robin dans la substance blanche hémisphérique. La Lettre du Neurologue • Vol. XVII - n° 5-6 - mai-juin 2013 | 165 MISE AU POINT Complications neurologiques de l’alcoolisme L’atteinte cérébelleuse est fréquente au cours de l’intoxication alcoolique chronique. Un syndrome cérébelleux statique fait partie intégrante de la symptomatologie de l’intoxication alcoolique aiguë. L’atrophie vermienne supérieure est le premier signe radiologique de l’atteinte cérébelleuse alcoolique. Neuropatho­ logiquement, chez des patients décédés d’un syndrome de Wernicke-Korsakoff, l’atteinte comportait une perte neuronale des cellules de Purkinje du vermis, corrélée aux symptômes moteurs, alors que la perte neuronale hémisphérique cérébelleuse était corrélée aux atteintes cognitives (40). En revanche, l’étude neuropatho­logique de cerveaux de patients alcooliques n’ayant pas présenté de complications ne montrait pas d’atteinte cérébelleuse, ce qui suggère une implication partagée de l’atteinte cérébelleuse constituée au long cours et de l’encéphalopathie de Wernicke-Korsakoff, c’est-à-dire l’association de la carence en thiamine à la neurotoxicité de l’alcool (41). Cliniquement, la symptomatologie peut s’installer de manière insidieuse : il y a alors principalement un trouble locomoteur avec élargissement du polygone de sustentation, impossibilité de la marche en tandem, trouble de l’équilibre, mais, en l’absence d’intoxication aiguë, les chutes sont rares. Dans un contexte d’alcoolisation aiguë prolongée peut survenir un syndrome cérébelleux cinétique aigu des membres inférieurs, entraînant une astasie majeure dont la régression plus ou moins complète est parfois obtenue, au moins lors des épisodes initiaux. La consommation chronique d’alcool est un facteur de risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) tant ischémique qu’hémorragique. Pour les consommateurs de quantités moyennes à importantes, le risque augmente progressivement avec la consommation quotidienne, de manière plus accentuée néanmoins chez les femmes que chez les hommes. Pour les infarctus cérébraux, les consommateurs légers (moins de 3 verres standard par jour) semblent plutôt protégés par rapport aux nonconsommateurs ou aux consommateurs lourds, alors que cette courbe en J n’est pas retrouvée pour les accidents hémorragiques (42). L’impact de l’alcoolisme sur le métabolisme de la méthionine, la carence en folate, les troubles végétatifs et les troubles du rythme cardiaque observés dans l’alcoolisation aiguë peut être invoqué dans les mécanismes sous-tendant cette augmentation du risque vasculaire. La consommation chronique modérée à élevée d’alcool s’accompagne d’une augmentation de la prévalence de la fibrillation auriculaire (43). Le tabagisme, très fréquemment associé, et les anomalies nutritionnelles sont aussi évidemment en cause. 166 | La Lettre du Neurologue • Vol. XVII - n° 5-6 - mai-juin 2013 La polyneuropathie observée chez les patients alcooliques chroniques est fréquente. Elle toucherait, selon des critères électrophysiologiques, le tiers des patients alcooliques chroniques (44). Elle a 2 causes principales, le plus souvent intriquées. D’une part, l’intoxication alcoolique elle-même est responsable d’une atteinte lentement progressive sensitive thermo­algique associée à des douleurs neuropathiques et à une atteinte dysautonomique. Il existe dans ce cas une perte axonale des petites fibres, associée en cas d’atteinte chronique à un aspect de régénération. D’autre part, la carence thiaminique fréquemment associée à l’alcoolisme chronique est responsable d’une atteinte à prédominance motrice aiguë associée à des troubles sensitifs superficiels et profonds, bien connue par l’étude des neuropathies du béribéri. L’étude pathologique du nerf montre dans ces cas une perte axonale des fibres de grand calibre. Dans les cas de neuropathies alcooliques associées à une carence en vitamine B1, l’étude neuropathologique montre l’association des 2 patterns d’atteinte, et la clinique est faite d’une atteinte mixte sensitivomotrice (45, 46). La carence en vitamine B6 fréquemment observée chez l’alcoolique chronique peut aussi être impliquée dans la physiopathologie de la polyneuropathie. Les neuropathies optiques liées à l’alcool sont aussi manifestement multifactorielles : la toxicité probable de l’alcool s’ajoute à une toxicité directe du tabagisme, fréquemment présent, et aux carences vitaminiques et nutritionnelles (47). Il s’agit d’atteintes lentement progressives bilatérales de type neuropathie optique rétrobulbaire. Les dosages des vitamines B1, B6, B12 et de l’acide folique sont recommandés dans ces cas (48). Une neuropathie optique due au disulfirame doit être évoquée et ce traitement stoppé s’il survient une perte visuelle (49). En cas d’atteinte optique aiguë, une intoxication par de l’alcool frelaté (méthanol) doit être recherchée (50). Conclusion La consommation aiguë ou chronique d’alcool éthylique et les comportements associés traumatisants ou alimentaires sont responsables d’un large éventail de complications neurologiques. Ces complications plus ou moins sévères peuvent aller jusqu’à menacer le pronostic vital ou provoquer des séquelles justifiant une institutionnalisation pour dépendance. Elles peuvent aussi retentir plus ou moins directement sur les proches, soit par les comportements violents ou dangereux, soit par le retentissement fœtal d’un alcoolisme maternel. Les mesures de prévention MISE AU POINT sont simples, en théorie, mais leur mise en pratique effective, de la prohibition aux alcootests, se heurte à des difficultés à ce jour non surmontées. La fréquence des encéphalopathies liées à l’alcool et aux carences associées et la gravité de leur pronostic impliquent une attitude thérapeutique systématique devant tout tableau neurologique survenant chez un alcoolique, comprenant une vitaminothérapie B1 dans tous les cas et une démarche diagnostique activiste adaptée au tableau clinique. ■ Références bibliographiques 1. Friedmann PD. Clinical practice. Alcohol use in adults. N Engl J Med 2013;368(4):365-73. 2. Rehm J, Room R, Van den Brink W, Jacobi F. Alcohol use disorders in EU countries and Norway: an overview of the epidemiology. Eur Neuropsychopharmacol 2005;15(4):377-88. 3. Brust JC. Ethanol and cognition: indirect effects, neurotoxicity and neuroprotection: a review. Int J Environ Res Public Health 2010;7(4):1540-57. 4. Lemoine P. The history of alcoholic fetopathies. 1997. J Popul Ther Clin Pharmacol 2012;19(2):e224-6. 5. Medina AE. Fetal alcohol spectrum disorders and abnormal neuronal plasticity. 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