Complications neurologiques de l`alcoolisme

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MISE AU POINT
Complications neurologiques
de l’alcoolisme
Neurological complications of alcohol abuse
T. de Broucker*
L’
alcoolisme est la plus fréquente des toxicomanies en France métropolitaine. Parmi la
population d’âge compris entre 11 et 75 ans,
soit environ 49 millions de personnes, 8,8 millions
sont des consommateurs réguliers. Dans la population adulte, 8 % des personnes déclarent en 2010
au moins 3 épisodes d’ivresse dans les 12 derniers
mois écoulés, avec une nette prédominance
masculine (2,5 hommes pour 1 femme). Parmi les
buveurs, 28 % sont à risque ponctuel de complications, tandis que 9 % sont à risque chronique. La
fréquence des comportements à risque ponctuels
diminue avec l’âge alors que la fréquence de la
consommation à risque chronique diminue jusqu’à
45 ans pour augmenter au-delà1. La prévalence
de l’alcoolodépendance était en moyenne de 6 %
chez les hommes et de 1 % chez les femmes en
Europe dans les années 1990 et de 4 % (hommes
et femmes confondus) aux États-Unis (1, 2). En
population générale adulte en France, 7,3 % des
hommes et 1,5 % des femmes étaient considérés
comme abuseurs ou dépendants à l’alcool au début
des années 20002. Le nombre de décès attribuables
à l’alcool était d’environ 20 000 en 2006, dont 80 %
d’hommes. Parmi les causes de décès recensées, les
pathologies neurologiques en représentaient 22,9 %
chez les hommes et 34,5 % chez les femmes. La
moitié environ étaient classées “troubles mentaux
et du comportement liés à l’alcool” (3).
http://www.ofdt.fr/ofdtdev/live/produits/alcool/conso.
html#aff_rech
2 http://www.invs.sante.fr/publications/2007/jvs_2007/sante
mentale/1.pdf
1
* Service de neurologie,
hôpital Delafontaine, Saint-Denis.
158 | La Lettre du Neurologue • Vol. XVII - n° 5-6 - mai-juin 2013
Chez l’enfant :
la fœtopathie alcoolique
Avant d’être la cause, directe ou indirecte, de manifestations neurologiques chez les adolescents ou
les adultes, l’alcool est directement responsable de
manifestations neurologiques sévères touchant des
enfants ayant subi l’impact de l’alcoolisation maternelle sur l’embryogenèse, le développement et la
maturation du système nerveux central (SNC) fœtal
durant la gestation. La fœtopathie alcoolique (Fetal
Alcohol Syndrome [FAS] et Fetal Alcohol Spectrum
Disorders [FASD]) est, probablement, la première
cause exogène de retards mentaux et de troubles
dysmorphiques et, sûrement, la première cause
évitable. La fréquence de la fœtopathie alcoolique
est variable d’une étude à l’autre et n’est pas connue
en France. Les désordres associés à une alcoolisation fœtale toucheraient entre 0,1 % et 0,7 à 0,8 %
de toutes les naissances selon le lien où l’étude a
été faite (3). Le syndrome d’alcoolisation fœtale,
à l’extrémité la plus sévère du spectre clinique, a
été décrit pour la première fois par P. Lemoine en
1968 (4). Il est responsable d’un tableau associant
une hypotrophie avec microcéphalie, une dysmorphie faciale (figure 1), une altération des capacités
intellectuelles mesurées par le quotient intellectuel (QI) – parfois normal mais dont la moyenne se
trouve autour de 70 –, et des troubles comportementaux (6). Divers tableaux atténués ont ensuite été
décrits, responsables d’un syndrome un peu moins
sévère, avec un QI variable mais dont la moyenne,
tout de même basse, est aux alentours de 80. Cliniquement, la symptomatologie associe des troubles
Points forts
»» L’alcoolisation aiguë, l’alcoolisme chronique et le sevrage en alcool sont autant de situations pouvant
entraîner des complications neurologiques, de même que l’alcoolisme gravidique sur l’enfant à venir.
»» L’alcoolisation aiguë se complique des mêmes pathologies que les intoxications aiguës en stupéfiants ou en sédatifs.
»» Un tableau d’ivresse aiguë peut masquer une complication neurologique grave.
»» L’alcoolisme chronique peut nuire au système nerveux central comme au système nerveux périphérique.
»» Tout trouble neurologique chez un alcoolique chronique doit faire compenser avant tout une éventuelle carence vitaminique en B1 et PP.
»» L’IRM permet de confirmer les diagnostics d’encéphalopathie de Gayet-Wernicke, de maladie
de Marchiafava-Bignami ou de myélinolyse centro- ou extrapontine.
Complications neurologiques
de l’alcoolisme chez l’adulte
Pli épicanthal marqué,
ensellure nasale large,
nez court retroussé,
pommettes plates,
philtrum émoussé
lèvre supérieure fine.
Figure 1. Caractéristiques morphologiques de la
dysmorphie de la fœtopathie alcoolique (adapté
de [5] par E. Prissette).
de la mémoire, de l’apprentissage, de l’attention,
du langage, des capacités visuospatiales et exécutives. Les capacités motrices fines ou la coordination
et le fonctionnement adaptatif social sont aussi
touchés (7). Les structures cérébrales dont le développement est le plus perturbé par l’alcoolisation
fœtale sont le corps calleux, le cervelet, le noyau
caudé, et la substance blanche hémisphérique. Le
moment de survenue de l’intoxication fœtale intervient fortement dans la genèse des manifestations.
Ainsi, l’imprégnation alcoolique fœtale durant la
troisième semaine de la gestation (gastrulation)
est responsable de la dysmorphie faciale caractéristique, d’altérations de la constitution du stock
de cellules neurales progénitrices et d’un défaut de
développement du cerveau antérieur. La deuxième
période cruciale de l’embryogenèse cérébrale se situe
entre 7 et 20 semaines de gestation. Une intoxication
est alors cause de défauts de migration neuronale
et d’anomalies de conformation du néocortex, de
l’hippocampe et des noyaux sensoriels mais aussi de
malformations du corps calleux, dont la formation
débute à la septième semaine, sous forme d’une
agénésie, d’une hypoplasie ou d’autres anomalies
morphologiques. À l’âge adulte, la dysmorphie
faciale est modifiée, avec une face allongée, un nez
et un menton volumineux. La microcéphalie persiste,
associée à un retard mental ou, à un degré moindre,
à des difficultés d’apprentissage et, toujours, à des
troubles comportementaux et une instabilité (8).
Chez l’adulte, les complications de l’alcoolisme
peuvent être d’ordre sanitaire, médical, et médicosocial, en rapport avec la dégradation des conditions
sociales, les infractions à la loi et les conséquences
nutritionnelles et physiques dues à la précarité. Ces
dégradations retentissent en retour sur la vulnérabilité de l’organisme et les risques carentiels, infectieux, traumatiques.
Les risques peuvent être liés à une consommation
aiguë d’alcool, éventuellement associée à la prise
d’un autre toxique psychotrope ou psycholeptique.
La neurotoxicité de l’alcool éthylique met en jeu
plusieurs mécanismes. Il exerce un effet sur les
membranes neuronales par désorganisation des
canaux ioniques et des arrangements protéiques. Il a
une action antiglutamatergique et pro-GABAergique,
et entraîne au long cours une régulation augmentée
des récepteurs NMDA au glutamate et diminuée
des récepteurs du GABA. Les modifications de la
sensibilité à ces neuromédiateurs sont la cause de
la tolérance à l’alcool et des phénomènes observés
lors du sevrage. L’alcool éthylique exerce aussi une
hépatotoxicité en cas d’exposition chronique, en
modifiant l’activité d’enzymes intervenant dans le
métabolisme de la méthionine (cycle de transméthylation) et du glutathion (voie de la transsulfuration),
ce qui entraîne une augmentation de la production
d’homocystéine et de S adénosyl-homocystéine et,
surtout, une diminution du donneur de méthyle, le
S adénosyl-méthionine, et du glutathion, antioxydant. L’existence d’une malnutrition protéique et
vitaminique (vitamines B6 – pyridoxine –, B9 – acide
folique –, B12 et A), très fréquemment associée à
l’alcoolisme chronique, aggrave directement cette
hépatotoxicité, car ces vitamines (sauf la vitamine A) jouent des rôles cruciaux dans ces 2 métabolismes (9).
Mots-clés
Alcoolisme
Sevrage alcoolique
Système nerveux
Carence vitaminique
Highlights
»» Acute alcohol intoxication, chronic alcoholism, and
alcohol withdrawal all are
situations threatening the
nervous system, as well as
alcohol intake during pregnancy threatens the newborn
to come.
»» Acute alcohol intake leads
to the same neurologic complications as sedative legal and
illegal drugs.
»» An acute drunkenness can
hide a serious life threatening
neurological complication of
alcoholism.
»» Chronic alcoholism is deleterous as well to the central
and the peripheral nervous
system.
»» A possible B1 or niacin
déficit must be substituted in
case of neurologic manifestation in a chronic alcoholic.
»» MRI allows the confirmation of Wernicke-Korsakoff’s
syndrome, MarchaifavaBignami disease and central
pontine myelinolysis.
Keywords
Alcoholism
Alcohol withdrawal
Nervous system
Vitamin shortage
Intoxications aiguës
La concentration mortelle chez l’homme d’alcool
éthylique pur dans le sang est de 4 g/l ou plus, pour
une part fonction de la tolérance induite par une
La Lettre du Neurologue • Vol. XVII - n° 5-6 - mai-juin 2013 | 159
MISE AU POINT
Complications neurologiques de l’alcoolisme
éventuelle consommation chronique. Cette dose est
rarement atteinte grâce au trouble de la vigilance
ou aux nausées et vomissements qui empêchent
la poursuite de l’intoxication. Le coma éthylique,
plus ou moins profond, peut comporter des signes
de gravité comme la dépression ventilatoire, apparaissant à partir d’un taux d’alcoolémie de 3 g/l,
l’hypothermie, l’hypotension artérielle, voire une
mydriase et une aréactivité aux stimulations extéro­
ceptives, imposant la prise en charge en milieu de
réanimation. À des concentrations moindres, les
manifestations de l’alcoolisation aiguë sont somatiques et comportementales. L’ivresse aiguë est
faite d’excitation psychique, de relaxation, d’une
désinhibition, mais aussi de troubles de l’humeur,
d’agressivité et de troubles du discernement. Des
concentrations plus élevées sont responsables d’une
part d’une apathie, de troubles de la coordination
et de l’équilibre, d’une augmentation des temps de
réaction, de troubles perceptifs, d’une dysarthrie,
d’une diplopie par décompensation d’hétérophorie,
d’un nystagmus, de troubles de la conscience et,
d’autre part, d’une amnésie lacunaire (10). Les crises
épileptiques sont plus rares lors de l’intoxication
aiguë qu’en contexte de sevrage. Ces manifestations psychiques et physiques par intoxication
aiguë sont dues à la toxicité directe de l’alcool sur
le fonctionnement du SNC et à sa toxicité indirecte,
notamment par l’intermédiaire d’une hypoglycémie
chez le diabétique, chez le sujet à jeun ou chez le
cirrhotique. Outre l’hypoglycémie, d’autres troubles
métaboliques induits par l’intoxication aiguë ont
été décrits : hypoglycémie, acidose lactique, hypokaliémie, hypomagnésémie, hypoalbuminémie,
hypocalcémie et hypophosphorémie. Des troubles
du rythme cardiaque auriculaires ou ventriculaires
peuvent aussi survenir. À noter que l’intoxication
alcoolique aiguë expérimentale ne s’accompagne pas
d’anomalie particulière à l’imagerie par résonance
magnétique (IRM), y compris à 4T (11).
Les autres manifestations neurologiques secondaires
à une alcoolisation aiguë sont pour la plupart traumatiques, conséquences des troubles comportementaux et des actes inconsidérés ou maladroits commis
sous l’emprise de l’alcool. Il s’agit des traumatismes
crâniens plus ou moins sévères, compliqués de contusion hémorragique, d’hématome sous- ou extradural, ou d’une combinaison de ces lésions. Avant de
déclarer qu’un trouble de la conscience a une cause
toxique, il est capital de rechercher par la clinique,
l’imagerie, voire la ponction lombaire, si nécessaire,
une complication neurochirurgicale ou infectieuse.
Par ailleurs, une sédation prolongée alcoolique peut
160 | La Lettre du Neurologue • Vol. XVII - n° 5-6 - mai-juin 2013
se compliquer de paralysies par compression tronculaire, notamment du nerf radial au bras, ou du nerf
fibulaire à la jambe, ou encore d’un tronc sciatique
ou d’une atteinte plexique brachiale. Dans le même
contexte peut être observée une rhabdomyolyse due
à une compression musculaire ou à une ou plusieurs
crises convulsives généralisées.
La succession des intoxications aiguës et de leurs
complications peut être la cause directe de maladies
neurologiques autonomes secondaires. Celles-ci
peuvent être post-traumatiques, comme dans le cas
des crises épileptiques, éventuellement de sevrage,
qui se compliquent de traumatisme crânien lors de
la chute initiale, causes de contusions cérébrales.
Ces crises, au départ conjoncturelles, ne nécessitant pas d’autres traitements que l’éviction des
facteurs déclenchants, deviennent une véritable
épilepsie lésionnelle, justifiant un traitement au
long cours. Ce traitement sera lui-même souvent
interrompu dans le contexte de la récidive de
l’alcoolisme. Ce cercle vicieux fait de facteurs structurels et conjoncturels synergiques pathogènes sera
souvent couronné au bout d’un délai très variable par
la constatation d’un état de démence multifactorielle
imposant l’institutionnalisation.
Manifestations neurologiques
dues au sevrage alcoolique
Les manifestations neurologiques dues au sevrage
alcoolique comprennent les crises épileptiques et
le syndrome de sevrage proprement dit, le delirium
tremens.
L’épilepsie de sevrage est parfois indiscernable d’une
crise due à une intoxication aiguë, surtout si le patient
est vu à distance. En urgence, c’est le contexte et
l’alcoolémie qui permettront de porter le diagnostic
précis et imposeront de prendre les mesures prévenant
la récidive à court terme, par exemple la prescription
d’une benzodiazépine antiépileptique pendant une
courte période, comme le clobazam, et le syndrome
de sevrage (hydratation orale importante). Comme
pour les troubles de conscience de l’intoxication
aiguë, le bilan diagnostique devra rechercher une
cause structurelle, éventuellement neurochirurgicale, ou une cause infectieuse comme une méningite
due à Streptococcus pneumoniae. Dans tous les cas,
une vitaminothérapie B et PP sera adjointe au traitement et l’hydratation parentérale devra proscrire le
sérum glucosé dont l’administration peut précipiter
les conséquences d’une carence thiaminique sousjacente (12).
MISE AU POINT
Le delirium tremens, syndrome de sevrage de l’alcool réalise un tableau de confusion agitée souvent
sévère, pouvant menacer le pronostic vital. Il s’installe progressivement en 24 à 72 heures. Le contexte
est le plus souvent celui d’une hospitalisation d’urgence pour complication traumatique (fracture) ou
infectieuse (pneumonie) de l’alcoolisme chronique,
mais ce dernier peut être totalement méconnu et
le motif de prise en charge complètement étranger.
La symptomatologie initiale comporte des manifestations somatiques, des sueurs, des trémulations
des extrémités, une fébricule, une irritabilité et/
ou une anxiété. Lorsque le tableau est pleinement
installé, il comporte une confusion mentale agitée
avec inversion du rythme nycthéméral, et délire à
thèmes fréquemment animaliers, professionnels
ou alcooliques, dû à des illusions/hallucinations
terrifiantes se nourrissant de l’environnement
sensoriel du patient. Les tremblements peuvent
devenir violents, voire se compliquer d’une rhabdomyolyse. La fièvre élevée et la déshydratation
doivent impérativement être prévenues au plus
tôt. L’imagerie cérébrale n’est pas spécifique. Elle
est justifiée en cas d’état de mal épileptique ou de
signes de localisation pour éliminer ou détecter
les complications traumatiques et infectieuses
fréquentes de l’alcoolisme chronique, qui peuvent
elles-mêmes être les facteurs déclenchants d’un
sevrage par défaut d’accès à l’alcool. Elle peut aussi
être nécessaire en cas de troubles de la vigilance
pour permettre une étude du liquide céphalorachidien (LCR). L’imagerie montre souvent une atrophie cortico-sous-corticale. En IRM, un état de mal
épileptique voire le sevrage peuvent entraîner des
anomalies de signal réversibles en diffusion et FLAIR
pouvant faire discuter une encéphalopathie postérieure réversible (13, 14) mais devant en premier
lieu faire discuter les complications toxicocarentielles usuelles sur ce terrain. Le traitement repose
sur les agonistes GABA (benzodiazépines) associés
aux traitements symptomatiques et aux corrections
systématiques des carences vitaminiques prévisibles
dans ce contexte, notamment en vitamines B1
et PP. L’évolution du patient sous traitement doit
faire l’objet d’un monitorage attentif, en particulier
l’adaptation des doses de benzodiazépines à l’état
clinique et l’adaptation des apports aux données
hydroélectrolytiques (15). Un score clinique peut
être utilisé au lit du malade, comportant le suivi
des symptômes digestifs, du tremblement, de la
sudation, de l’anxiété, de l’agitation, des symptômes sensitifs, visuels et auditifs, des céphalées,
de l’orientation et de la vigilance (16).
Complications neurologiques
de l’alcoolisme chronique
Les complications neurologiques de l’alcoolisme
chronique touchent le SNC et le système nerveux
périphérique. Il s’agit des grands syndromes encéphalopathiques que sont l’encéphalopathie de
Gayet-Wernicke, l’encéphalopathie pellagreuse,
le syndrome de Korsakoff, le syndrome de démyélinisation osmotique et le syndrome de Marchiafava-Bignami. L’ataxie cérébelleuse qui complique
les intoxications aiguës peut devenir chronique et
progressive en rapport avec une atrophie vermienne.
L’encéphalopathie hépatique hyperammoniémique
est moins spécifique de l’alcoolisme chronique mais
celui-ci reste la première cause de cirrhose hépatique parmi toutes les causes d’hépatopathies.
La démence alcoolique est une entité à part, car
elle est moins bien définie et pose des problèmes
diagnostiques particuliers. La pathologie cérébrovasculaire est clairement favorisée par l’alcoolisme
aigu et chronique. La polyneuropathie alcoolique
accompagne souvent ces complications centrales ;
elle est même partie intégrante de la définition du
syndrome de Korsakoff. La neuropathie optique est
de cause probablement mixte, carentielle et toxique,
comme la polyneuropathie.
L’encéphalopathie de Gayet-Wernicke est une
encéphalopathie carentielle due à l’association d’un
défaut d’apport de thiamine (vitamine B1) et d’une
surconsommation des réserves de l’organisme par la
métabolisation de l’alcool ingéré (17). L’alcool n’en
est pas la seule cause et une intolérance alimentaire
prolongée, comme dans les cas de vomissements
gravidiques, peut se compliquer de Gayet-Wernicke.
La reconnaissance de la carence en thiamine comme
cause de l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke a
justifié des mesures de santé publique d’enrichissement systématique des farines de céréales en
vitamine B1. Les lésions concernent principalement
la substance grise périaqueducale, les tubercules
mamillaires, les trigones, les noyaux dorsomédians
et antérieurs des thalamus. Neuropathologiquement, ces régions sont le siège d’un œdème, de
pétéchies et d’une démyélinisation pouvant évoluer
vers une atrophie. Il s’agit d’une encéphalopathie
aiguë ou subaiguë associant une confusion mentale,
une hypertonie oppositionniste, une ataxie, une
ophtalmoplégie variée et un nystagmus. La symptomatologie syndromique est en fait rarement
complète, ainsi que l’a montré la fréquence des
lésions d’encéphalopathie de Gayet-Wernicke chez
des patients non diagnostiqués de leur vivant dans
La Lettre du Neurologue • Vol. XVII - n° 5-6 - mai-juin 2013 | 161
MISE AU POINT
Complications neurologiques de l’alcoolisme
une cohorte autopsique (18). Les caractéristiques
cliniques des sujets étaient rarement évocatrices,
même a posteriori, ne comportant le plus souvent
que 1 ou 2 items de l’ensemble du syndrome (19).
La triade classique : trouble oculomoteur, confusion
mentale et ataxie, ne serait présente que dans un
tiers des cas et aucun symptôme classique ne serait
présent dans les présentations précoces dans 19 %
des cas (17). Compte tenu de la pauvreté de la symptomatologie évocatrice chez de nombreux patients
et de l’innocuité d’un traitement vitaminique administré par excès, l’utilisation des critères diagnostiques proposés par D. Caine et al. (1997) peut être
recommandée. Ainsi, la présence de 2 des éléments
suivants doit faire évoquer le diagnostic et traiter
sans tarder : déficit nutritionnel, anomalies oculomotrices, syndrome cérébelleux, et soit un trouble
de la vigilance, soit un trouble de la mémoire (18).
Le traitement précoce par vitamine B1 parentérale
à forte dose (500 mg/j [20]) est urgent pour éviter
la constitution de séquelles définitives sous la forme
d’un syndrome amnésique de Korsakoff, dont l’alcoolisme chronique est le premier facteur de risque,
probablement du fait de la neurotoxicité propre de
l’alcool (21). L’efficacité thérapeutique permet aussi
d’affirmer le diagnostic en observant la réversion
des symptômes dans les 24 à 48 heures suivant
le commencement du traitement. L’IRM apporte
des arguments diagnostiques très spécifiques
dans la moitié des cas en montrant les lésions en
T2/FLAIR au niveau de la substance grise périaqueducale, des corps mamillaires, des thalamus internes,
du plancher du quatrième ventricule, et du tectum
(figure 2). Ces lésions peuvent prendre le contraste
sur les séquences T1 injectées (13, 22).
Souvent nommé syndrome de Wernicke-Korsakoff
pour des raisons de physiopathologie probablement
uniciste dans la littérature anglo-saxonne (19),
le syndrome de Korsakoff constitué représente
une catastrophe neurologique définitive car il est
irréversible. Il constitue le plus souvent la suite
malheureuse chez l’alcoolique chronique d’une
encéphalopathie de Gayet-Wernicke non traitée ou
traitée trop tard. Dans certains cas, la présentation
fait même abstraction de la phase aiguë-subaiguë de
confusion mentale, et le tableau amnésique caractéristique est d’emblée présent sans prodromes,
ce qui indique sa pathogénie carentielle par défaut
de vitamine B1 mais aussi un rôle neurotoxique
direct probable de l’absorption d’alcool en conditions carentielles (19). La symptomatologie associe
une amnésie antérograde massive à une amnésie
rétrograde de durée limitée variable de quelques
années à plusieurs décennies, si bien que le patient
conserve une mémoire épisodique autobiographique,
sociale et sémantique correcte jusqu’à une période
déterminée qui ne peut pas être plus proche que la
date de début de l’encéphalopathie initiale (23).
Des fabulations et fausses reconnaissances sont
associées à ce syndrome amnésique avec intégration fantaisiste de l’environnement humain et
physique au stock personnel de souvenirs du malade.
L’anosognosie est majeure, voire totale. Les lésions
neuropathologiques typiques concernent les corps
A
Figure 2. Encéphalopathie de Gayet-Wernicke. IRM séquences SE T2.
A) h
ypersignal caractéristique de la substance grise périaqueducale et B) des noyaux médians du thalamus.
162 | La Lettre du Neurologue • Vol. XVII - n° 5-6 - mai-juin 2013
B
MISE AU POINT
mamillaires, le trigone, les noyaux dorsomédian et
antérieur du thalamus et les gyrus cingulaires (24,
25). Une polyneuropathie sensitive axonale distale
symétrique est classiquement associée. Des tableaux
moins sévères peuvent être observés avec persistance de quelques apprentissages possibles, le
plus souvent implicites et ne permettant jamais le
retour à une autonomie responsable. En fonction
de l’environnement sociofamilial, souvent dégradé,
le recours à un hébergement au long cours dans un
établissement de type “Maison d’Accueil Spécialisée”
est souvent indispensable, ainsi que la mise en place
d’une mesure de protection juridique des majeurs.
L’encéphalopathie pellagreuse, parfois dite
“pseudo-pellagreuse” chez l’alcoolique, est due
à une carence en vitamine PP (pour “pellagra
preventive”), appelée aussi vitamine B3, niacine,
acide nicotinique ou nicotinamide. À noter que la
transformation du tryptophane en acide nicotinique
nécessite la présence de pyridoxine (vitamine B6)
dont l’alcoolique est souvent aussi carencé. L’encéphalopathie pellagreuse est devenue rare depuis
les années 1940 du fait de la supplémentation de
la farine en acide nicotinique. Elle associe, sur un
terrain dénutri multicarencé, une confusion mentale
à une hypertonie oppositionniste sévère. Les autres
signes neurologiques possibles sont des myoclonies,
une ataxie et des signes cérébelleux (26). Il peut s’y
associer des signes cutanés, un érythème des zones
découvertes et une desquamation, très inconstants
et en l’absence desquels on parle de pellagra sine
pellagra, et des troubles digestifs à type de glossite,
de nausées et vomissements, de douleurs abdominales et de diarrhée (plus tardive, celle-ci résiste au
traitement) [27]. L’imagerie cérébrale ne montrerait
pas d’anomalie spécifique en dehors d’une atrophie.
Sur le plan neuropathologique, les anomalies sont
faites d’une atteinte neuronale avec chromatolyse
centrale touchant le plus souvent les noyaux du
tronc cérébral et du cervelet. Elles sont parfois associées à des lésions du corps calleux de la maladie de
Marchiafava-Bignami ou des lésions indiquant une
encéphalopathie de Gayet-Wernicke associée (28).
Le traitement par vitamine PP : 500-1 500 mg/j
permet la résolution des symptômes digestifs et
dermatologiques en 48 heures. La résolution des
troubles neurologiques est moins constante et peut
laisser place à des troubles neurocognitifs de gravité
variable. Le meilleur traitement, préventif, consiste
à administrer dès que possible de la vitamine PP à
la dose de 500 mg/j.
Le syndrome de Marchiafava-Bignami est dû
à une démyélinisation et à une nécrose du corps
calleux (29). Sa cause reste indéterminée mais
est plus probablement une toxicité directe qu’une
carence. Il est le plus souvent observé au cours d’une
période d’alcoolisation massive associée à une dénutrition concomitante. Le tableau comporte classiquement l’association d’un trouble de conscience à des
crises épileptiques pouvant réaliser un état de mal
convulsif. Parfois moins dramatique et aigu, il peut
être fait d’un état de mutisme akinétique ou d’une
astasie-abasie. Les anomalies neuropsychologiques
à type de dysconnexion calleuse sont généralement
repérées par l’examen neuropsychologique réalisé
après amélioration de la phase aiguë. Le diagnostic
repose sur le contexte, le tableau clinique et sur
l’imagerie, scanner et surtout IRM, qui montre une
anomalie de signal au centre du corps calleux prédominant le plus souvent au niveau du splénium et plus
ou moins étendue longitudinalement vers l’avant et
latéralement vers les centres ovales (figure 3) [13,
22]. Une diminution du coefficient de diffusion des
lésions est un marqueur de mauvais pronostic (29).
Le traitement est purement symptomatique, associé
à la prévention des carences vitaminiques habituelles
dans le contexte, notamment B1 et PP. Le syndrome
de Marchiafava-Bignami était autrefois d’évolution toujours mortelle. L’avènement de méthodes
permettant un diagnostic de vivo par l’imagerie a
montré la possibilité de formes évoluant vers des
séquelles modérées voire légères.
A
B
C
Figure 3. Syndrome de Marchiafava-Bignami.
A) S
canner cérébral sans injection : hypodensité du splénium du corps calleux. B
) I RM
séquence FLAIR : hypersignal du splénium du corps calleux. C) IRM séquence SE T1 après
injection de gadolinium : coupe sagittale médiane montrant des zones de nécrose du
corps calleux rehaussées par le produit de contraste.
La myélinolyse centropontine est une complication
neurologique d’un trouble métabolique fréquent au
cours de l’alcoolisme chronique, notamment à la
bière qui s’accompagne d’une hyponatrémie. Elle
est due à un différentiel d’osmolalité trop rapide
lors de la correction d’un trouble ionique ou osmolaire, comme on peut en rencontrer aussi lors de
La Lettre du Neurologue • Vol. XVII - n° 5-6 - mai-juin 2013 | 163
MISE AU POINT
Complications neurologiques de l’alcoolisme
la prise de diurétiques ou chez les grands brûlés.
La conséquence en est une démyélinisation aiguë
siégeant le plus souvent dans le pied de la protubérance annulaire (pont de Varole) mais pouvant aussi
toucher d’autres zones en association ou isolément,
réalisant une myélinolyse extrapontine dans le cadre
d’un syndrome de démyélinisation osmotique (30).
La symptomatologie est de gravité extrêmement
variable, allant de la tétraplégie voire du syndrome
de désafférentation (locked-in syndrome) à une
découverte d’imagerie chez un patient présentant
un signe de Babinski bilatéral inexpliqué au sortir
de la correction d’une hyponatrémie génératrice
d’une encéphalopathie. L’IRM est beaucoup plus
puissante que le scanner X pour détecter les anomalies centro- et/ou extrapontines (31). Elle montre
une lésion hyperintense en diffusion dont le coefficient apparent de diffusion est réduit, au moins
dans les premières 24 heures. Dans la myélinolyse
centro­pontine, la lésion qui siège dans le pied de la
protubérance annulaire est grossièrement symétrique et médiane et épargne le tegmentum, les
faisceaux pyramidaux et les parties ventrolatérales
du pont (figure 4). Une prise de contraste est parfois
observée à la périphérie de la lésion (32). Dans la
myélinolyse extra­pontine les lésions bilatérales
symétriques touchent les noyaux gris centraux dont
les thalamus et les corps genouillés, le cervelet et
le cortex (13, 22).
L’encéphalopathie hépatique est due au dysfonctionnement cérébral secondaire à l’insuffisance
hépatocellulaire ou aux shunts portocaves de causes
diverses. Elle peut aussi être observée en cas d’hyper­
ammoniémie sans hépatopathie de cause toxique,
comme dans l’encéphalopathie compliquant la
A
B
Figure 4. Myélinolyse centropontine.
A)IRM séquence FLAIR : hypersignal du pied de la protubérance annulaire. B) Séquence
T1 écho de gradient : hyposignal de même topographie.
164 | La Lettre du Neurologue • Vol. XVII - n° 5-6 - mai-juin 2013
prise de valproate de sodium. Dans le contexte de
l’alcoolisme chronique, l’encéphalopathie hépatique
complique une cirrhose chronique ou une hépato­
pathie alcoolique aiguë. La symptomatologie est faite
d’une altération plus ou moins rapide de l’état de
vigilance, réalisant une confusion mentale apathique
associée à des signes neurologiques comme une
hypertonie extrapyramidale et, surtout, un astérixis (myoclonus négatif d’attitude). Les symptômes
peuvent aller de la simple obnubilation au coma
aréactif. Le pronostic vital est fonction de la cause de
l’hépatopathie, de l’hypertension intracrânienne, de
la prise en charge en soins intensifs spécialisés et de
la possibilité de greffe hépatique si nécessaire (33).
L’électroencéphalogramme (EEG) est en avance sur
la clinique et montre un ralentissement initial du
tracé, avec un alpha paradoxal à l’ouverture des
yeux, puis l’apparition d’ondes lentes généralisées
triphasiques monomorphes envahissant progressivement toute la durée du tracé. L’EEG permet de suivre
l’évolution et de présager de l’évolution des jours
suivants, sous traitement, en fonction de la quantité
de tracé envahi par les ondes delta tri­phasiques.
L’IRM est très évocatrice quand elle montre un
hypersignal lenticulaire en séquences T1 (figure 5)
[13]. Le pronostic de récupération est fonction de la
possibilité de corriger les anomalies métaboliques au
premier rang desquelles il y a l’hyperammoniémie,
l’insuffisance hépatocellulaire et les shunts porto-
Figure 5. Encéphalopathie hépatique chronique.
IRM séquence SE T1 sans contraste : hypersignal
lenticulaire bilatéral.
MISE AU POINT
caves. La récupération peut effectivement rester
incomplète et donner lieu à l’installation d’un état
d’encéphalopathie hépatique chronique éventuellement fluctuante, parfois même pseudodémentielle.
L’EEG, l’IRM et l’ammoniémie sont dans ces cas des
arguments essentiels du diagnostic. Le pronostic
à long terme repose sur l’éviction de tout facteur
potentiellement aggravant, en particulier de l’administration de benzodiazépines, et sur les traitements
classiques (lactulose, antibiotiques, L‑ornithineL‑aspartate et bêtabloquants) [34].
En ce qui concerne la démence alcoolique, l’impact
de la consommation de l’alcool sur la cognition et
sur le risque de démence a fait l’objet de multiples
publications (3). Inversement, la méta-analyse de
R. Peters et al., en 2008, confirmait l’association
d’une consommation faible à modérée d’alcool à
une réduction du risque de survenue d’une démence
(sauf pour les démences vasculaires) par rapport
à une abstinence totale (35). Le risque cognitif
associé à l’alcool suit donc une courbe en J, avec
une prévalence des démences liées à l’alcoolisme
chronique estimée à 10 % (3). La démence alcoolique
est une entité dont on perçoit la réalité en pratique
clinique quotidienne mais dont l’individualité fait
toujours débat. Elle serait due à l’association de la
neurotoxicité de l’alcool à la carence thiaminique
chronique. Sa survenue est favorisée par l’ancienneté de l’intoxication alcoolique, par la fréquence
des alcoolisations massives, par les antécédents de
syndromes de sevrage et par les séquelles des événements neurologiques qui marquent fréquemment les
parcours médicaux des alcooliques. Dans la population alcoolique, les causes possibles de détérioration intellectuelle sont souvent trop nombreuses
et intriquées pour permettre le diagnostic d’une
entité unique suffisamment spécifique autorisant
une description syndromique et, peut-être, une
prise en charge thérapeutique dédiée. Des critères
diagnostiques ont été proposés : trouble démentiel
persistant au moins 60 jours après l’arrêt de toute
intoxication, consommation hebdomadaire d’au
moins 35 verres standard pour les hommes, 28 pour
les femmes, et intoxication significative durant les
3 années précédant le début du trouble cognitif (36).
Les pathologies dont il s’agit d’écarter le diagnostic
avant d’envisager celui de démence alcoolique sont,
d’une part, les séquelles directes ou indirectes de
l’intoxication alcoolique chronique – notamment les
séquelles traumatiques et carentielles –, et l’encéphalopathie hépatique chronique et, d’autre part,
les diverses pathologies sources de démence dans
la pathologie générale au premier rang desquelles
la maladie d’Alzheimer, les démences frontotemporales et les pseudodémences dues aux syndromes
dépressifs sévères chez les sujets âgés. La démence
alcoolique comme entité semble néanmoins
rassembler certaines caractéristiques constantes
réalisant un tableau de démence frontale ou souscorticale (37). Les troubles de la personnalité et du
comportement de type caractériel sont au premier
plan. Les troubles mnésiques sont variables dans
le temps. Les troubles sont surtout attentionnels,
et concernent le jugement, le raisonnement et les
activités de synthèse. L’imagerie cérébrale n’est pas
spécifique et montre une atrophie cortico-souscorticale avec éventuelle dilatation des espaces de
Virchow-Robin de la substance blanche sous-corticale hémisphérique (figure 6). Il faut rapprocher la
démence alcoolique des anomalies notées à l’IRM
chez les alcooliques chroniques, même asymptomatiques, à type d’atrophie concernant principalement
la substance blanche hémisphérique et vermienne.
La réversibilité potentielle de ces anomalies peut
être un argument de poids dans le cadre de la prise
en charge addictologique de ces patients (38). Sur
le plan neuropathologique, une perte neuronale a
été décrite dans plusieurs régions encéphaliques
parmi lesquelles le cortex frontal associatif supérieur, l’hypothalamus et les hémisphères cérébelleux
et, moins fréquemment, l’hippocampe, le noyau
amygdalien et le locus cœruleus (39).
Figure 6. Démence alcoolique. IRM séquence SE
T2 : atrophie corticale et visibilité des espaces de
Virchow-Robin dans la substance blanche hémisphérique.
La Lettre du Neurologue • Vol. XVII - n° 5-6 - mai-juin 2013 | 165
MISE AU POINT
Complications neurologiques de l’alcoolisme
L’atteinte cérébelleuse est fréquente au cours de
l’intoxication alcoolique chronique. Un syndrome cérébelleux statique fait partie intégrante de la symptomatologie de l’intoxication alcoolique aiguë. L’atrophie
vermienne supérieure est le premier signe radiologique
de l’atteinte cérébelleuse alcoolique. Neuropatho­
logiquement, chez des patients décédés d’un syndrome
de Wernicke-Korsakoff, l’atteinte comportait une
perte neuronale des cellules de Purkinje du vermis,
corrélée aux symptômes moteurs, alors que la perte
neuronale hémisphérique cérébelleuse était corrélée
aux atteintes cognitives (40). En revanche, l’étude
neuropatho­logique de cerveaux de patients alcooliques
n’ayant pas présenté de complications ne montrait pas
d’atteinte cérébelleuse, ce qui suggère une implication
partagée de l’atteinte cérébelleuse constituée au long
cours et de l’encéphalopathie de Wernicke-Korsakoff,
c’est-à-dire l’association de la carence en thiamine à la
neurotoxicité de l’alcool (41). Cliniquement, la symptomatologie peut s’installer de manière insidieuse : il
y a alors principalement un trouble locomoteur avec
élargissement du polygone de sustentation, impossibilité de la marche en tandem, trouble de l’équilibre,
mais, en l’absence d’intoxication aiguë, les chutes sont
rares. Dans un contexte d’alcoolisation aiguë prolongée
peut survenir un syndrome cérébelleux cinétique aigu
des membres inférieurs, entraînant une astasie majeure
dont la régression plus ou moins complète est parfois
obtenue, au moins lors des épisodes initiaux.
La consommation chronique d’alcool est un facteur
de risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) tant
ischémique qu’hémorragique. Pour les consommateurs de quantités moyennes à importantes, le
risque augmente progressivement avec la consommation quotidienne, de manière plus accentuée
néanmoins chez les femmes que chez les hommes.
Pour les infarctus cérébraux, les consommateurs
légers (moins de 3 verres standard par jour)
semblent plutôt protégés par rapport aux nonconsommateurs ou aux consommateurs lourds,
alors que cette courbe en J n’est pas retrouvée
pour les accidents hémorragiques (42). L’impact
de l’alcoolisme sur le métabolisme de la méthionine, la carence en folate, les troubles végétatifs
et les troubles du rythme cardiaque observés dans
l’alcoolisation aiguë peut être invoqué dans les
mécanismes sous-tendant cette augmentation
du risque vasculaire. La consommation chronique
modérée à élevée d’alcool s’accompagne d’une
augmentation de la prévalence de la fibrillation
auriculaire (43). Le tabagisme, très fréquemment
associé, et les anomalies nutritionnelles sont aussi
évidemment en cause.
166 | La Lettre du Neurologue • Vol. XVII - n° 5-6 - mai-juin 2013
La polyneuropathie observée chez les patients alcooliques chroniques est fréquente. Elle toucherait, selon
des critères électrophysiologiques, le tiers des patients
alcooliques chroniques (44). Elle a 2 causes principales,
le plus souvent intriquées. D’une part, l’intoxication
alcoolique elle-même est responsable d’une atteinte
lentement progressive sensitive thermo­algique associée à des douleurs neuropathiques et à une atteinte
dysautonomique. Il existe dans ce cas une perte axonale
des petites fibres, associée en cas d’atteinte chronique
à un aspect de régénération. D’autre part, la carence
thiaminique fréquemment associée à l’alcoolisme
chronique est responsable d’une atteinte à prédominance motrice aiguë associée à des troubles sensitifs
superficiels et profonds, bien connue par l’étude des
neuropathies du béribéri. L’étude pathologique du
nerf montre dans ces cas une perte axonale des fibres
de grand calibre. Dans les cas de neuropathies alcooliques associées à une carence en vitamine B1, l’étude
neuropathologique montre l’association des 2 patterns
d’atteinte, et la clinique est faite d’une atteinte mixte
sensitivomotrice (45, 46). La carence en vitamine B6
fréquemment observée chez l’alcoolique chronique
peut aussi être impliquée dans la physiopathologie
de la polyneuropathie.
Les neuropathies optiques liées à l’alcool sont
aussi manifestement multifactorielles : la toxicité probable de l’alcool s’ajoute à une toxicité
directe du tabagisme, fréquemment présent, et aux
carences vitaminiques et nutritionnelles (47). Il s’agit
d’atteintes lentement progressives bilatérales de type
neuropathie optique rétrobulbaire. Les dosages des
vitamines B1, B6, B12 et de l’acide folique sont recommandés dans ces cas (48). Une neuropathie optique
due au disulfirame doit être évoquée et ce traitement stoppé s’il survient une perte visuelle (49). En
cas d’atteinte optique aiguë, une intoxication par de
l’alcool frelaté (méthanol) doit être recherchée (50).
Conclusion
La consommation aiguë ou chronique d’alcool éthylique et les comportements associés traumatisants
ou alimentaires sont responsables d’un large éventail
de complications neurologiques. Ces complications
plus ou moins sévères peuvent aller jusqu’à menacer
le pronostic vital ou provoquer des séquelles justifiant une institutionnalisation pour dépendance. Elles
peuvent aussi retentir plus ou moins directement
sur les proches, soit par les comportements violents
ou dangereux, soit par le retentissement fœtal d’un
alcoolisme maternel. Les mesures de prévention
MISE AU POINT
sont simples, en théorie, mais leur mise en pratique
effective, de la prohibition aux alcootests, se heurte
à des difficultés à ce jour non surmontées.
La fréquence des encéphalopathies liées à l’alcool et
aux carences associées et la gravité de leur pronostic
impliquent une attitude thérapeutique systématique
devant tout tableau neurologique survenant chez un
alcoolique, comprenant une vitaminothérapie B1
dans tous les cas et une démarche diagnostique
activiste adaptée au tableau clinique.
■
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