158 | La Lettre du Neurologue Vol. XVII - n° 5-6 - mai-juin 2013
MISE AU POINT
Complications neurologiques
de l’alcoolisme
Neurological complications of alcohol abuse
T. de Broucker*
* Service de neurologie,
hôpital Delafontaine, Saint-Denis.
L’
alcoolisme est la plus fréquente des toxico-
manies en France métropolitaine. Parmi la
population d’âge compris entre 11 et 75 ans,
soit environ 49 millions de personnes, 8,8 millions
sont des consommateurs réguliers. Dans la popula-
tion adulte, 8 % des personnes déclarent en 2010
au moins 3 épisodes d’ivresse dans les 12 derniers
mois écoulés, avec une nette prédominance
masculine (2,5 hommes pour 1 femme). Parmi les
buveurs, 28 % sont à risque ponctuel de compli-
cations, tandis que 9 % sont à risque chronique. La
fréquence des comportements à risque ponctuels
diminue avec l’âge alors que la fréquence de la
consommation à risque chronique diminue jusqu’à
45 ans pour augmenter au-delà
1
. La prévalence
de l’alcoolodépendance était en moyenne de 6 %
chez les hommes et de 1 % chez les femmes en
Europe dans les années 1990 et de 4 % (hommes
et femmes confondus) aux États-Unis (1, 2). En
population générale adulte en France, 7,3 % des
hommes et 1,5 % des femmes étaient considérés
comme abuseurs ou dépendants à l’alcool au début
des années 20002. Le nombre de décès attribuables
à l’alcool était d’environ 20 000 en 2006, dont 80 %
d’hommes. Parmi les causes de décès recensées, les
pathologies neurologiques en représentaient 22,9 %
chez les hommes et 34,5 % chez les femmes. La
moitié environ étaient classées “troubles mentaux
et du comportement liés à l’alcool” (3).
Chez l’enfant :
la fœtopathie alcoolique
Avant d’être la cause, directe ou indirecte, de mani-
festations neurologiques chez les adolescents ou
les adultes, l’alcool est directement responsable de
manifestations neurologiques sévères touchant des
enfants ayant subi l’impact de l’alcoolisation mater-
nelle sur l’embryogenèse, le développement et la
maturation du système nerveux central (SNC) fœtal
durant la gestation. La fœtopathie alcoolique (Fetal
Alcohol Syndrome [FAS] et Fetal Alcohol Spectrum
Disorders [FASD]) est, probablement, la première
cause exogène de retards mentaux et de troubles
dysmorphiques et, sûrement, la première cause
évitable. La fréquence de la fœtopathie alcoolique
est variable d’une étude à l’autre et nest pas connue
en France. Les désordres associés à une alcoolisa-
tion fœtale toucheraient entre 0,1 % et 0,7 à 0,8 %
de toutes les naissances selon le lien où l’étude a
été faite (3). Le syndrome d’alcoolisation fœtale,
à l’extrémité la plus sévère du spectre clinique, a
été décrit pour la première fois par P. Lemoine en
1968 (4). Il est responsable d’un tableau associant
une hypotrophie avec microcéphalie, une dysmor-
phie faciale (figure 1), une altération des capacités
intellectuelles mesurées par le quotient intellec-
tuel (QI) – parfois normal mais dont la moyenne se
trouve autour de 70 –, et des troubles comportemen-
taux (6). Divers tableaux atténués ont ensuite été
décrits, responsables d’un syndrome un peu moins
sévère, avec un QI variable mais dont la moyenne,
tout de même basse, est aux alentours de 80. Clini-
quement, la symptomatologie associe des troubles
1 http://www.ofdt.fr/ofdtdev/live/produits/alcool/conso.
html#aff_rech
2 http://www.invs.sante.fr/publications/2007/jvs_2007/sante
mentale/1.pdf
Figure 1. Caractéristiques morphologiques de la
dysmorphie de la fœtopathie alcoolique (adapté
de [5] par E. Prissette).
Pli épicanthal marqué,
ensellure nasale large,
nez court retroussé,
pommettes plates,
philtrum émoussé
lèvre supérieure fine.
La Lettre du NeurologueVol. XVII - n° 5-6 - mai-juin 2013 | 159
Points forts
»
L’alcoolisation aiguë, l’alcoolisme chronique et le sevrage en alcool sont autant de situations pouvant
entraîner des complications neurologiques, de même que l’alcoolisme gravidique sur l’enfant à venir.
»
L’alcoolisation aiguë se complique des mêmes pathologies que les intoxications aiguës en stupé-
fiants ou en sédatifs.
»Un tableau d’ivresse aiguë peut masquer une complication neurologique grave.
»
L’alcoolisme chronique peut nuire au système nerveux central comme au système nerveux périphérique.
»Tout trouble neurologique chez un alcoolique chronique doit faire compenser avant tout une éven-
tuelle carence vitaminique en B1 et PP.
»
L’IRM permet de confirmer les diagnostics d’encéphalopathie de Gayet-Wernicke, de maladie
deMarchiafava-Bignami ou de myélinolyse centro- ou extrapontine.
Mots-clés
Alcoolisme
Sevrage alcoolique
Système nerveux
Carence vitaminique
Highlights
»
Acute alcohol intoxica-
tion, chronic alcoholism, and
alcohol withdrawal all are
situations threatening the
nervous system, as well as
alcohol intake during preg-
nancy threatens the newborn
to come.
»
Acute alcohol intake leads
to the same neurologic compli-
cations as sedative legal and
illegal drugs.
»
An acute drunkenness can
hide a serious life threatening
neurological complication of
alcoholism.
»
Chronic alcoholism is dele-
terous as well to the central
and the peripheral nervous
system.
»
A possible B1 or niacin
déficit must be substituted in
case of neurologic manifesta-
tion in a chronic alcoholic.
»
MRI allows the confirma-
tion of Wernicke-Korsakoff’s
syndrome, Marchaifava-
Bignami disease and central
pontine myelinolysis.
Keywords
Alcoholism
Alcohol withdrawal
Nervous system
Vitamin shortage
de la mémoire, de l’apprentissage, de l’attention,
du langage, des capacités visuospatiales et exécu-
tives. Les capacités motrices nes ou la coordination
et le fonctionnement adaptatif social sont aussi
touchés (7). Les structures cérébrales dont le déve-
loppement est le plus perturbé par l’alcoolisation
fœtale sont le corps calleux, le cervelet, le noyau
caudé, et la substance blanche hémisphérique. Le
moment de survenue de l’intoxication fœtale inter-
vient fortement dans la genèse des manifestations.
Ainsi, l’imprégnation alcoolique fœtale durant la
troisième semaine de la gestation (gastrulation)
est responsable de la dysmorphie faciale caracté-
ristique, d’altérations de la constitution du stock
de cellules neurales progénitrices et d’un défaut de
développement du cerveau antérieur. La deuxième
période cruciale de l’embryogenèse cérébrale se situe
entre 7 et 20 semaines de gestation. Une intoxication
est alors cause de défauts de migration neuronale
et d’anomalies de conformation du néocortex, de
l’hippocampe et des noyaux sensoriels mais aussi de
malformations du corps calleux, dont la formation
débute à la septième semaine, sous forme d’une
agénésie, d’une hypoplasie ou d’autres anomalies
morphologiques. À l’âge adulte, la dysmorphie
faciale est modiée, avec une face allongée, un nez
et un menton volumineux. La microcéphalie persiste,
associée à un retard mental ou, à un degré moindre,
à des difcultés d’apprentissage et, toujours, à des
troubles comportementaux et une instabilité (8).
Complications neurologiques
de l’alcoolisme chez l’adulte
Chez l’adulte, les complications de l’alcoolisme
peuvent être d’ordre sanitaire, médical, et médico-
social, en rapport avec la dégradation des conditions
sociales, les infractions à la loi et les conséquences
nutritionnelles et physiques dues à la précarité. Ces
dégradations retentissent en retour sur la vulnéra-
bilité de l’organisme et les risques carentiels, infec-
tieux, traumatiques.
Les risques peuvent être liés à une consommation
aiguë d’alcool, éventuellement associée à la prise
d’un autre toxique psychotrope ou psycholeptique.
La neurotoxicité de l’alcool éthylique met en jeu
plusieurs mécanismes. Il exerce un effet sur les
membranes neuronales par désorganisation des
canaux ioniques et des arrangements protéiques. Il a
une action antiglutamatergique et pro-GABAergique,
et entraîne au long cours une régulation augmentée
des récepteurs NMDA au glutamate et diminuée
des récepteurs du GABA. Les modications de la
sensibilité à ces neuromédiateurs sont la cause de
la tolérance à l’alcool et des phénomènes observés
lors du sevrage. L’alcool éthylique exerce aussi une
hépatotoxicité en cas d’exposition chronique, en
modiant l’activité d’enzymes intervenant dans le
métabolisme de la méthionine (cycle de transméthy-
lation) et du glutathion (voie de la transsulfuration),
ce qui entraîne une augmentation de la production
d’homocystéine et de S adénosyl-homocystéine et,
surtout, une diminution du donneur de méthyle, le
S adénosyl-méthionine, et du glutathion, antioxy-
dant. L’existence d’une malnutrition protéique et
vitaminique (vitamines B6 – pyridoxine –, B9 – acide
folique –, B12 et A), très fréquemment associée à
l’alcoolisme chronique, aggrave directement cette
hépatotoxicité, car ces vitamines (sauf la vita-
mine A) jouent des rôles cruciaux dans ces 2 méta-
bolismes (9).
Intoxications aiguës
La concentration mortelle chez l’homme d’alcool
éthylique pur dans le sang est de 4 g/l ou plus, pour
une part fonction de la tolérance induite par une
160 | La Lettre du Neurologue Vol. XVII - n° 5-6 - mai-juin 2013
Complications neurologiques de l’alcoolisme
MISE AU POINT
éventuelle consommation chronique. Cette dose est
rarement atteinte grâce au trouble de la vigilance
ou aux nausées et vomissements qui empêchent
la poursuite de l’intoxication. Le coma éthylique,
plus ou moins profond, peut comporter des signes
de gravité comme la dépression ventilatoire, appa-
raissant à partir d’un taux d’alcoolémie de 3 g/l,
l’hypothermie, l’hypotension artérielle, voire une
mydriase et une aréactivité aux stimulations extéro-
ceptives, imposant la prise en charge en milieu de
réanimation. À des concentrations moindres, les
manifestations de l’alcoolisation aiguë sont soma-
tiques et comportementales. L’ivresse aiguë est
faite d’excitation psychique, de relaxation, d’une
désinhibition, mais aussi de troubles de l’humeur,
d’agressivité et de troubles du discernement. Des
concentrations plus élevées sont responsables d’une
part d’une apathie, de troubles de la coordination
et de l’équilibre, d’une augmentation des temps de
réaction, de troubles perceptifs, d’une dysarthrie,
d’une diplopie par décompensation d’hétérophorie,
d’un nystagmus, de troubles de la conscience et,
d’autre part, d’une amnésie lacunaire (10). Les crises
épileptiques sont plus rares lors de l’intoxication
aiguë qu’en contexte de sevrage. Ces manifesta-
tions psychiques et physiques par intoxication
aiguë sont dues à la toxicité directe de l’alcool sur
le fonctionnement du SNC et à sa toxicité indirecte,
notamment par l’intermédiaire d’une hypoglycémie
chez le diabétique, chez le sujet à jeun ou chez le
cirrhotique. Outre l’hypoglycémie, d’autres troubles
métaboliques induits par l’intoxication aiguë ont
été décrits : hypoglycémie, acidose lactique, hypo-
kaliémie, hypomagnésémie, hypoalbuminémie,
hypocalcémie et hypophosphorémie. Des troubles
du rythme cardiaque auriculaires ou ventriculaires
peuvent aussi survenir. À noter que l’intoxication
alcoolique aiguë expérimentale ne s’accompagne pas
d’anomalie particulière à l’imagerie par résonance
magnétique (IRM), y compris à 4T (11).
Les autres manifestations neurologiques secondaires
à une alcoolisation aiguë sont pour la plupart trau-
matiques, conséquences des troubles comportemen-
taux et des actes inconsidérés ou maladroits commis
sous l’emprise de l’alcool. Il s’agit des traumatismes
crâniens plus ou moins sévères, compliqués de contu-
sion hémorragique, d’hématome sous- ou extra-
dural, ou d’une combinaison de ces lésions. Avant de
déclarer qu’un trouble de la conscience a une cause
toxique, il est capital de rechercher par la clinique,
l’imagerie, voire la ponction lombaire, si nécessaire,
une complication neurochirurgicale ou infectieuse.
Par ailleurs, une sédation prolongée alcoolique peut
se compliquer de paralysies par compression troncu-
laire, notamment du nerf radial au bras, ou du nerf
bulaire à la jambe, ou encore d’un tronc sciatique
ou d’une atteinte plexique brachiale. Dans le même
contexte peut être observée une rhabdomyolyse due
à une compression musculaire ou à une ou plusieurs
crises convulsives généralisées.
La succession des intoxications aiguës et de leurs
complications peut être la cause directe de maladies
neurologiques autonomes secondaires. Celles-ci
peuvent être post-traumatiques, comme dans le cas
des crises épileptiques, éventuellement de sevrage,
qui se compliquent de traumatisme crânien lors de
la chute initiale, causes de contusions cérébrales.
Ces crises, au départ conjoncturelles, ne néces-
sitant pas d’autres traitements que l’éviction des
facteurs déclenchants, deviennent une véritable
épilepsie lésionnelle, justiant un traitement au
long cours. Ce traitement sera lui-même souvent
interrompu dans le contexte de la récidive de
l’alcoolisme. Ce cercle vicieux fait de facteurs struc-
turels et conjoncturels synergiques pathogènes sera
souvent couronné au bout d’un délai très variable par
la constatation d’un état de démence multifactorielle
imposant l’institutionnalisation.
Manifestations neurologiques
dues au sevrage alcoolique
Les manifestations neurologiques dues au sevrage
alcoolique comprennent les crises épileptiques et
le syndrome de sevrage proprement dit, le delirium
tremens.
Lépilepsie de sevrage est parfois indiscernable d’une
crise due à une intoxication aiguë, surtout si le patient
est vu à distance. En urgence, c’est le contexte et
l’alcoolémie qui permettront de porter le diagnostic
précis et imposeront de prendre les mesures prévenant
la récidive à court terme, par exemple la prescription
d’une benzodiazépine antiépileptique pendant une
courte période, comme le clobazam, et le syndrome
de sevrage (hydratation orale importante). Comme
pour les troubles de conscience de l’intoxication
aiguë, le bilan diagnostique devra rechercher une
cause structurelle, éventuellement neurochirurgi-
cale, ou une cause infectieuse comme une méningite
due à Streptococcus pneumoniae. Dans tous les cas,
une vitaminothérapie B et PP sera adjointe au traite-
ment et l’hydratation parentérale devra proscrire le
sérum glucosé dont l’administration peut précipiter
les conséquences d’une carence thiaminique sous-
jacente (12).
La Lettre du NeurologueVol. XVII - n° 5-6 - mai-juin 2013 | 161
MISE AU POINT
Le delirium tremens, syndrome de sevrage de l’al-
cool réalise un tableau de confusion agitée souvent
sévère, pouvant menacer le pronostic vital. Il s’ins-
talle progressivement en 24 à 72 heures. Le contexte
est le plus souvent celui d’une hospitalisation d’ur-
gence pour complication traumatique (fracture) ou
infectieuse (pneumonie) de l’alcoolisme chronique,
mais ce dernier peut être totalement méconnu et
le motif de prise en charge complètement étranger.
La symptomatologie initiale comporte des manifes-
tations somatiques, des sueurs, des trémulations
des extrémités, une fébricule, une irritabilité et/
ou une anxiété. Lorsque le tableau est pleinement
installé, il comporte une confusion mentale agitée
avec inversion du rythme nycthéméral, et délire à
thèmes fréquemment animaliers, professionnels
ou alcooliques, à des illusions/hallucinations
terrifiantes se nourrissant de l’environnement
sensoriel du patient. Les tremblements peuvent
devenir violents, voire se compliquer d’une rhab-
domyolyse. La fièvre élevée et la déshydratation
doivent impérativement être prévenues au plus
tôt. L’imagerie cérébrale n’est pas spécifique. Elle
est justifiée en cas d’état de mal épileptique ou de
signes de localisation pour éliminer ou détecter
les complications traumatiques et infectieuses
fréquentes de l’alcoolisme chronique, qui peuvent
elles-mêmes être les facteurs déclenchants d’un
sevrage par défaut d’accès à l’alcool. Elle peut aussi
être nécessaire en cas de troubles de la vigilance
pour permettre une étude du liquide céphalorachi-
dien (LCR). L’imagerie montre souvent une atro-
phie cortico-sous-corticale. En IRM, un état de mal
épileptique voire le sevrage peuvent entraîner des
anomalies de signal réversibles en diffusion et FLAIR
pouvant faire discuter une encéphalopathie posté-
rieure réversible (13, 14) mais devant en premier
lieu faire discuter les complications toxicocaren-
tielles usuelles sur ce terrain. Le traitement repose
sur les agonistes GABA (benzodiazépines) associés
aux traitements symptomatiques et aux corrections
systématiques des carences vitaminiques prévisibles
dans ce contexte, notamment en vitamines B1
et PP. Lévolution du patient sous traitement doit
faire l’objet d’un monitorage attentif, en particulier
l’adaptation des doses de benzodiazépines à l’état
clinique et l’adaptation des apports aux données
hydroélectrolytiques (15). Un score clinique peut
être utilisé au lit du malade, comportant le suivi
des symptômes digestifs, du tremblement, de la
sudation, de l’anxiété, de l’agitation, des symp-
tômes sensitifs, visuels et auditifs, des céphalées,
de l’orientation et de la vigilance (16).
Complications neurologiques
de l’alcoolisme chronique
Les complications neurologiques de l’alcoolisme
chronique touchent le SNC et le système nerveux
périphérique. Il s’agit des grands syndromes encé-
phalopathiques que sont l’encéphalopathie de
Gayet-Wernicke, l’encéphalopathie pellagreuse,
le syndrome de Korsakoff, le syndrome de démyé-
linisation osmotique et le syndrome de Marchia-
fava-Bignami. Lataxie cérébelleuse qui complique
les intoxications aiguës peut devenir chronique et
progressive en rapport avec une atrophie vermienne.
Lencéphalopathie hépatique hyperammoniémique
est moins spécique de l’alcoolisme chronique mais
celui-ci reste la première cause de cirrhose hépa-
tique parmi toutes les causes d’hépatopathies.
La démence alcoolique est une entité à part, car
elle est moins bien dénie et pose des problèmes
diagnostiques particuliers. La pathologie cérébro-
vasculaire est clairement favorisée par l’alcoolisme
aigu et chronique. La polyneuropathie alcoolique
accompagne souvent ces complications centrales ;
elle est même partie intégrante de la dénition du
syndrome de Korsakoff. La neuropathie optique est
de cause probablement mixte, carentielle et toxique,
comme la polyneuropathie.
L’encéphalopathie de Gayet-Wernicke est une
encéphalopathie carentielle due à l’association d’un
défaut d’apport de thiamine (vitamine B1) et d’une
surconsommation des réserves de l’organisme par la
métabolisation de l’alcool ingéré (17). L’alcool n’en
est pas la seule cause et une intolérance alimentaire
prolongée, comme dans les cas de vomissements
gravidiques, peut se compliquer de Gayet-Wernicke.
La reconnaissance de la carence en thiamine comme
cause de l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke a
justié des mesures de santé publique d’enrichis-
sement systématique des farines de céréales en
vitamine B1. Les lésions concernent principalement
la substance grise périaqueducale, les tubercules
mamillaires, les trigones, les noyaux dorsomédians
et antérieurs des thalamus. Neuropathologique-
ment, ces régions sont le siège d’un œdème, de
pétéchies et d’une démyélinisation pouvant évoluer
vers une atrophie. Il s’agit d’une encéphalopathie
aiguë ou subaiguë associant une confusion mentale,
une hypertonie oppositionniste, une ataxie, une
ophtalmoplégie variée et un nystagmus. La symp-
tomatologie syndromique est en fait rarement
complète, ainsi que l’a montré la fréquence des
lésions d’encéphalopathie de Gayet-Wernicke chez
des patients non diagnostiqués de leur vivant dans
Figure 2. Encéphalopathie de Gayet-Wernicke. IRM séquences SE T2.
A) hypersignal caractéristique de la substance grise périaqueducale et B) des noyaux médians du thalamus.
A B
162 | La Lettre du Neurologue Vol. XVII - n° 5-6 - mai-juin 2013
Complications neurologiques de l’alcoolisme
MISE AU POINT
une cohorte autopsique (18). Les caractéristiques
cliniques des sujets étaient rarement évocatrices,
même a posteriori, ne comportant le plus souvent
que 1 ou 2 items de l’ensemble du syndrome (19).
La triade classique : trouble oculomoteur, confusion
mentale et ataxie, ne serait présente que dans un
tiers des cas et aucun symptôme classique ne serait
présent dans les présentations précoces dans 19 %
des cas (17). Compte tenu de la pauvreté de la symp-
tomatologie évocatrice chez de nombreux patients
et de l’innocuité d’un traitement vitaminique admi-
nistré par excès, l’utilisation des critères diagnos-
tiques proposés par D. Caine et al. (1997) peut être
recommandée. Ainsi, la présence de 2 des éléments
suivants doit faire évoquer le diagnostic et traiter
sans tarder : décit nutritionnel, anomalies oculo-
motrices, syndrome cérébelleux, et soit un trouble
de la vigilance, soit un trouble de la mémoire (18).
Le traitement précoce par vitamine B1 parentérale
à forte dose (500 mg/j [20]) est urgent pour éviter
la constitution de séquelles dénitives sous la forme
d’un syndrome amnésique de Korsakoff, dont l’alcoo-
lisme chronique est le premier facteur de risque,
probablement du fait de la neurotoxicité propre de
l’alcool (21). L’efcacité thérapeutique permet aussi
d’afrmer le diagnostic en observant la réversion
des symptômes dans les 24 à 48 heures suivant
le commencement du traitement. L’IRM apporte
des arguments diagnostiques très spécifiques
dans la moitié des cas en montrant les lésions en
T2/FLAIR au niveau de la substance grise périaque-
ducale, des corps mamillaires, des thalamus internes,
du plancher du quatrième ventricule, et du tectum
(figure 2). Ces lésions peuvent prendre le contraste
sur les séquences T1 injectées (13, 22).
Souvent nommé syndrome de Wernicke-Korsakoff
pour des raisons de physiopathologie probablement
uniciste dans la littérature anglo-saxonne (19),
le syndrome de Korsakoff constitué représente
une catastrophe neurologique dénitive car il est
irréversible. Il constitue le plus souvent la suite
malheureuse chez l’alcoolique chronique d’une
encéphalopathie de Gayet-Wernicke non traitée ou
traitée trop tard. Dans certains cas, la présentation
fait même abstraction de la phase aiguë-subaiguë de
confusion mentale, et le tableau amnésique carac-
téristique est d’emblée présent sans prodromes,
ce qui indique sa pathogénie carentielle par défaut
de vitamine B1 mais aussi un rôle neurotoxique
direct probable de l’absorption d’alcool en condi-
tions carentielles (19). La symptomatologie associe
une amnésie antérograde massive à une amnésie
rétrograde de durée limitée variable de quelques
années à plusieurs décennies, si bien que le patient
conserve une mémoire épisodique autobiographique,
sociale et sémantique correcte jusqu’à une période
déterminée qui ne peut pas être plus proche que la
date de début de l’encéphalopathie initiale (23).
Des fabulations et fausses reconnaissances sont
associées à ce syndrome amnésique avec inté-
gration fantaisiste de l’environnement humain et
physique au stock personnel de souvenirs du malade.
L’anosognosie est majeure, voire totale. Les lésions
neuropathologiques typiques concernent les corps
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