août
2008
S
le
ouffleur
Fr. 2.-
no 12
LA CANTATRICE CHAUVE
d’Eugène Ionesco
Billet
du comité de l’association
des amis du TPR
Sommaire
Eugène Ionesco
Repères biographiques 3
LA CANTATRICE CHAUVE
Argument et résumé de la pièce 4
Pour remettre quelqu’un à sa place,
dites-lui : « et La cantatrice Chauve ? »
Analyse 5
« ( …) A propos, la cantatrice chau-
ve, (… ) elle se coiffe toujours de la
même façon ( …) ? »
Interview de Cédric du Bois 7
Andrea Novicov
Francy Schori
Genette Lasserre
Bienvenue 10
Le Comité
« Comme c’est curieux, comme c’est curieux, comme c’est curieux et quelle
coïncidence ! »
Cette réplique de La Cantatrice chauve pourrait parfaitement illustrer le contenu
du Souffleur que vous tenez en mains. Coïncidence en effet car la pièce fut publiée
pour la première fois il y a 56 ans, presque jour pour jour. Coïncidence qu’évoque
aussi Gaston Verdon, membre de notre comité, en nous rappelant qu’il y a bien
longtemps, certains de ceux qui allaient créer le TPR avaient déjà convoqué sur les
planches la Cantatrice, qui se coiffait déjà « de la même façon » à l’époque. Curieux
de voir comment ce texte baptisé « anti-pièce » par son auteur – a déjoué les rigu-
eurs du temps et continue à interloquer le public. A tel point que Cédric du Bois, qui
anime l’Ecole de théâtre du TPR, n’a pas hésité à engager ses élèves dans l’aventure
du « théâtre de l’absurde », avec l’audace et le talent qu’on lui connaît. Coïncidence
enfin ( un peu pilotée, il est vrai… ), que d’avoir demandé à la comédienne et met-
teure en scène Isabelle Bonillo, qui connaît bien La Cantatrice chauve pour l’avoir
jouée et montée, de s’entretenir avec Cédric du Bois et de se pencher avec lui sur
cette œuvre si riche et décoiffante. Quant à Théo Huguenin-Elie, il nous livre une
belle analyse de cette humanité chancelante que nous dépeint Ionesco.
* * *
Le précédent Souffleur a été pour nous l’occasion de prendre congé de Gino Zam-
pieri, de Claudine Blanchard et de Michael Kinzer et de saluer l’immense travail qu’ils
ont accompli pour le TPR. Nous avons maintenant le plaisir d’accueillir la toute
nouvelle équipe, qui réunit Andrea Novicov, directeur artistique, Francy Schori,
adjoint à la direction artistique, et Genette Lasserre, directrice administrative.
Vous trouverez dans le présent numéro un portrait de chacun d’eux et les réponses
qu’ils ont réservées à un petit questionnaire que nous leur avons soumis. Une ma-
nière comme une autre de faire mieux connaissance avec ceux qui dirigeront le TPR
et l’heure bleue dans les années à venir.
Nous vous souhaitons d’ores et déjà une excellente saison théâtrale 2008-2009.
3
1909 13 novembre, Eugène Ionesco
voit le jour à Slatina ( Roumanie ).
d’un père roumain et d’une mère
française, il passe sa petite enfance en
France.
1920 • Il écrit à onze ans ses premiers
poèmes, un scénario de comédie et un
« drame patriotique ».
1925 Le divorce de ses parents le
conduit à retourner en Roumanie avec
son père. Il y fait des études de lettres
françaises à l’université de Bucarest,
participant à la vie de diverses revues
avant-gardistes.
1938 Il regagne la France pour prépa-
rer une thèse, interrompue par le dé-
clenchement de la guerre qui l’oblige à
regagner la Roumanie.
1942 Il se fixe définitivement en
France, il obtient sa naturalisation
après la guerre.
1950 Sa première œuvre dramatique,
LA CANTATRICE CHAUVE, sous-titrée
« anti-pièce », est représentée au théâ-
tre des Noctambules. Échec lors de sa
création, cette parodie de pièce va dura-
blement marquer le théâtre contempo-
rain, et faire de Ionesco l’un des pères du
« théâtre de l’absurde », une dramaturgie
dans laquelle le non-sens et le grotesque
recèlent une portée satirique et méta-
physique, présente dans la plupart de ses
pieces, notamment :
1950 • LA LEÇON
1952 • LES CHAISES
1953 AMÉDÉE OU COMMENT S’EN
DÉBARRASSER
1956 • L’IMPROMPTU DE L’ALMA
1959 RHINOCÉROS, dont la création
par Jean-Louis Barrault à l’Odéon-
Théâtre de France apporte à son auteur
la véritable reconnaissance.
1962 • LE ROI SE MEURT
1964 • LA SOIF ET LA FAIM
1972 • MACBETH
Auteur de plusieurs ouvrages de ré-
flexion sur le théâtre, dont le célèbre
NOTES ET CONTRE-NOTES, Eugène
Ionesco connaît à la fin de sa vie la
consécration d’être le premier auteur à
être publié de son vivant dans la presti-
gieuse bibliothèque de la Pléiade.
22 janvier 1970 Eugène Ionesco
est élu à l’Académie française par 18
voix contre 9 à Jules Roy, au fauteuil de
Jean Paulhan.
28 mars 1994 Il meurt à Paris
Repères biographiques
Eugène Ionesco
4
La plupart des répliques échangées dans cette pièce ont pour origine un manuel de conversation franco-anglaise. Ce
manuel fait parler les Smith, petits-bourgeois anglais, leur domestique Mary et leurs amis Martin. Chez Ionesco, les répli-
ques se dérèglent : la semaine ne compte plus que trois jours, le réel s’effondre, et un capitaine des pompiers intervient pour
éteindre un incendie qui n’existe pas. L’insolite a surgi au cœur du lieu commun : on parle pour dire des choses absurdes,
exactement comme si on parlait pour ne rien dire. Le titre, lui aussi, parle pour ne rien dire : il n’a aucun rapport avec le sujet,
qui lui-même n’existe pas vraiment. C’est la première des « anti-pièces » de l’auteur.
Dictionnaire des littératures, Larousse
Argument et résumé de la pièce
La cantatrice chauve
«On m’a souvent prié de dire quel
était mon but, quelles étaient mes
intentions quand j’écrivais telle ou
telle pièce. Lorsqu’on m’a demandé de
m’expliquer sur La Cantatrice chauve
par exemple, ma première pièce, j’ai
dit qu’elle était une parodie du théâtre
de boulevard, une parodie du théâtre
tout court, une critique des clichés de
langage et du comportement auto-
matique des gens ; j’ai dit aussi qu’elle
était l’expression d’un sentiment de
l’insolite dans le quotidien, un inso-
lite qui se révèle à l’intérieur même de
la banalité la plus usée ; on a dit que
c’était une critique de la petite bour-
geoisie, voire plus précisément de la
bourgeoisie anglaise que d’ailleurs je
ne connaissais nullement ; on a dit que
c’était une tentative de désarticulation
du langage ou de destruction du théâ-
tre ; on a dit aussi que c’était du théâ-
tre abstrait, puisqu’il n’y a pas d’action
dans cette pièce ; on a dit que c’était du
comique pur, ou la pièce d’un nouveau
Labiche utilisant toutes les recettes du
comique traditionnel ; on a appelé cela
de l’avant-garde, bien que personne ne
soit d’accord sur la définition du mot
« avant-garde », on a dit que c’était du
théâtre à l’état pur, bien que personne
non plus ne sache exactement ce que
c’est que le théâtre à l’état pur.
Si je dis moi-même que ce n’était
qu’un jeu tout à fait gratuit, je n’in-
firme ni ne confirme les définitions ou
explications précédentes, car même
le jeu gratuit, peut-être surtout le jeu
gratuit, est chargé de toutes sortes
de significations qui ressortent du jeu
même. En réalité, en écrivant cette
pièce, puis en écrivant celles qui ont
suivi, je n’avais pas une « intention » au
départ, mais une pluralité d’intentions
mi-conscientes mi-inconscientes. En
effet, pour moi, c’est dans et grâce à la
création artistique que l’intention ou les
intentions se précisent. La construction
n’est que le surgissement de l’édifice
intérieur se laissant ainsi découvrir… »
«Le dialogue des Martin était sim-
plement un jeu. Je l’avais inventé avec
ma femme, un jour, dans le métro.
Nous étions séparés par la foule, elle
était montée par une porte et moi par
une autre et au bout de deux ou trois
stations, les passagers commençant à
descendre et le wagon à se vider, ma
femme, qui a beaucoup d’humour,
est venue vers moi et m’a dit : « Mon-
sieur, il me semble que je vous ai ren-
contré quelque part » J’ai accepté le jeu
et nous avons ainsi presque inventé la
scène ».
Extraits de
« Ionesco »,
par Simone Benmussa,
collection
« Théâtre de tous les temps »
Editions Seghers
Pour remettre
quelqu’un à sa place,
dites-lui : « Et la
cantatrice chauve ? »
Théo Huguenin-Elie
5
« Au début de 1950, avec une perspi-
cacité peu commune, Bataille décide de
représenter un texte que Ionesco vient
de lui porter, plus tard appelé La Can-
tatrice chauve, dont Beckett, un jour,
dit qu’il y discerne un peu de génie.
Tout y est subverti : l’espace, le temps,
la parole, les personnages. Et le mira-
cle, c’est qu’une plénitude de sens jaillit
de cette mise à sac universelle. »
Jean-Paul Aron, Les Modernes
J’imagine un petit homme mali-
cieux, poète inconnu, sous le néon de
la cuisine, écoutant grâce à un vieux
magnétophone un cours d’anglais
de la méthode « Assimil ». Il articule
poussivement des sons étrangers pour
répondre à un Monsieur Smith dont le
patronyme en anglais est à peu près ce
que le sien est en roumain. Son ânon-
nement n’est rien d’autre qu’une ges-
ticulation buccale vaine et incompré-
hensible. Soudain ça lui crève les tym-
pans : la scène qu’il joue révèle ce qu’un
autre avant lui a appelé l’« inhuma-
nité » ou l’« étrangeté ». L’inhumanité
et l’étrangeté de ce petit homme dans
sa cuisine débordent les quatre murs,
s’épanchent au dehors et deviennent
celles de tous, deviennent celles de
l’existence de toute chose. Alors, sur
la toile cirée à carreaux de couleurs,
le petit homme se met à écrire d’un
geste dérisoire et improbable une pièce
dérisoire et improbable au titre vague-
ment antithétique : LA CANTATRICE
CHAUVE.
Il s’attelle à considérer la condition
de ses semblables. Dans le magné-
tophone, la cassette tourne toujours
et la première observation qu’il fait
concerne la communication entre
les êtres. Dépourvue de sens vérita-
ble, privée de fil conducteur, débridée
par la rupture de la logique de la pen-
sée, elle n’a qu’une vertu : elle établit
un contact entre les locuteurs en
d’autres termes, elle comble un silence
explicite sur la tragédie existentielle. Le
bavardage est une diversion universelle,
fondée sur l’énumération de banalités
et sur des conventions ridicules : aussi
la conversation de M. et Mme Smith
commence-t-elle naturellement par
évoquer un repas, comme elle aurait
pu évoquer le temps qu’il fait.
Mais la réalité humaine n’est pas
loin et les personnages malgré leurs
efforts frénétiques n’évitent pas la
collusion : la mort, certes risible, cer-
tes parfois étrangement révocable,
affleure. Il y a l’énigmatique Parker,
mort d’une opération que le docteur
Mackenzie-King avait pourtant parfai-
tement supportée sur lui-même, et il y
a surtout ce « pauvre » Bobby Watson
( comme tous les personnages reflets
de nous-mêmes ) :
M. Smith, toujours dans son journal :
Tiens, c’est écrit que Bobby Watson est
mort.
Mme Smith :
Mon Dieu, le pauvre, quand est-ce qu’il
est mort ?
Analyse
1 / 12 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans l'interface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer l'interface utilisateur de StudyLib ? N'hésitez pas à envoyer vos suggestions. C'est très important pour nous!