Cantatrice chauve est un anti-titre qui préfigure l’anti-théâtralité du texte qu’il préfixe. Il
ouvre un certain horizon d’attente au lecteur-spectateur, jouant le jeu de la paratextualité, faisant
semblant d’annoncer le protagoniste, horizon qu’il va contrarier par l’inexistence du personnage de
la cantatrice dans la pièce. Le titre devient ainsi un indicateur pragmatique par lequel l’auteur
signale à son récepteur le caractère absurde du texte.
En ce qui est des didascalies, elles sont des indications scéniques à l’intention des réalisateurs
du spectacle théâtral, esquissant le décor, les costumes et décrivant les attitudes et le ton à adopter
par les acteurs. Tout en étant codifiées au niveau architextuel, en qualité de convention du genre
dramatique, les didascalies appartiennent au paratexte, du fait qu’elles se situent en marge du texte
proprement dit. Si le spectateur est le bénéficiaire indirect des didascalies, à travers le spectacle qui
les met en scène, sans les connaître dans leur aspect littéral, le lecteur a avec elles un contact direct
par la lecture. Mais il les lit à seul titre informatif, comme il le fait, éventuellement, de tout autre
élément paratextuel. La lecture du paratexte est facultative, le texte se suffisant à lui-même.
Extérieures au texte, les didascalies sont supposées avoir deux caractéristiques essentielles –
l’une négative, une sorte de degré zéro stylistique, l’autre positive, la représentativité scénique.
A lire la première didascalie de La Cantatrice chauve, on se rend compte qu’elle ne répond
pas à ces exigences :
Scène I
Intérieur bourgeois, avec des fauteuils anglais. Soirée anglaise. M.Smith, Anglais, dans son
fauteuil et ses pantoufles anglais, fume sa pipe anglaise et lit un journal anglais, près d’un feu
anglais. Il a des lunettes anglaises, une petite moustache grise, anglaise. A côté de lui, dans un
fauteuil anglais, Mme Smith, Anglaise, raccommode des chaussettes anglaises. Un long moment de
silence anglais. La pendule anglaise frappe dix-sept coups anglais.
La répétition de l’adjectif qualificatif anglais y est, sans doute, une marque stylistique. La
récurrence de cette épithète est un marqueur d’ironie à l’adresse du milieu bourgeois anglais,
pétrifié dans le conformisme et à l’adresse de l’esprit conservateur dont les Anglais sont si fiers.
Cette infraction par rapport à la convention de non stylisticité du paratexte est un indicateur
pragmatique à l’intention du lecteur, invité à reconsidérer le statut même de la didascalie et,
corrélativement, son propre rôle de lecteur.
La question qui s’impose est si cette didascalie offre réellement des indications scéniques.
Pour y répondre, il faut mettre en discussion sa représentativité scénique. On peut facilement
constater qu’elle n’est que partielle. Si les référents fauteuil, pipe, pantoufles, journal, chaussettes,
etc., peuvent apparaître sur la scène en tant qu’éléments du décor et que l’on puisse leur assigner
des qualificatifs physiques tels: forme, couleur, matière, etc., également représentables, parce que
directement perceptibles, le qualificatif anglais, au même titre que, par exemple, national,
gouvernemental, plausible, superflu, etc., n’a pas de représentativité scénique, à cause de son
caractère abstrait: un fauteuil ou une pipe ne sont perceptiblement anglais, du fait que l’anglicité
n’est pas physiquement représentable.
L’emploi répété de cette qualité non représentable et son association avec des termes qu’il
n’est pas en état de qualifier à cause de leur incongruence – feu anglais, silence anglais, dix-sept
coups anglais – indiquent l’intention de Ionesco d’édifier un monde à l’envers, absurde, dans lequel
les pendules frappent autant de coups que bon leur semble, un univers où si l’on frappe à la porte
c’est qu’il n’y a le plus souvent personne.
En conclusion, cette didascalie n’est pas destinée uniquement à remplir sa fonction de
donner des indications scéniques, mais, en dépassant son extériorité, elle est conçue et donc doit être
perçue comme faisant partie intégrante du texte, sa lecture devenant de la sorte obligatoire. Ionesco
signale ainsi au lecteur dès le commencement qu’il pénètre dans un univers textuel différent de ceux