CHIRURGIE DE L’APPAREIL LOCOMOTEUR Volume 1 Professeur J.J. ROMBOUTS et Professeur Ch. DELLOYE AVERTISSEMENT Ce syllabus est un aide-mémoire complémentaire aux notes manuscrites. Il est rédigé de façon à ce vous puissiez rapidement retrouver l’information souhaitée. Cette information a été volontairement limitée à l’essentiel pour que ce manuel reste compact et pratique. Il ne saurait en aucune manière se substituer à un traité de chirurgie osseuse. Certains chapitres ont dans cette troisième édition été développés et vous sont soumis à titre d’information. Ils ne doivent pas être étudiés en détail. Il est plus important de saisir l’essentiel de leur contenu (ch. 4, 5, 6). Ils sont présentés en simple interligne. Toute suggestion ou commentaire à propos de la présentation ou du contenu du syllabus sera la bienvenue. Livres conseillés Elémentaires HEIM U. BALTENSWEILER J. Traumatologie. Collection : Checklists de Médecine. Thieme Flexibook. BAUMGARTNER R., OCHSNER P.E. Orthopedie. Collection : Checklists de Médecine. Thieme Flexibook. JODOIN A. et al. Orthopédie et Traumatologie. Un guide clinique. Université de Montréal. Decarie. Maloine (Quelques affirmations discutables). DEJEAN O. Orthopédie - Traumatologie. Editions MED-LINE Paris (questions d’internat.) G.E.O.P. Orthopédie pédiatrique. Méditions. Lyon. (tél. : 0033.4.72.78.01.30) (un classique !). N.B.: ce syllabus sera en libre accès par internet sur le site du G.E.O.P. dès janvier 2000. L’équivalent en anglais, richement illustré Mc RAE R., KINNINMONTH A.W.G. Orthopaedics and trauma. Churchill. Livingstone 1977, 152 pages. An illustrated colour text. Pour ceux qui se destinent à la médecine d’urgence SKINNER D., DRISCOLL P., EARLAM R. ABC of Major trauma. BMJ Publishing Group. Second edition 1996, 146 pages. Plus documenté R. DEE, L.C. HURST, M.A. GRUBER, S.A. KOTTMEIER. Principles of Orthopaedic Science. McGRAW-HILL ISBN0070163561 (l’achat des futurs orthopédistes...). Le « must » des futurs pédiatres A. DIMEGLIO. Orthopédie pédiatrique quotidienne. Sauramps Médical. (épuisé en 11.99) Pour ceux qui souhaitent surfer sur internet 1 1 http://www.worldortho.com/ Electronic Orthopaedic Textbook. Ed. Eugène Sherry. (une petite merveille de précision et de concision...) Voir "orthopédie" dans la bibliothèque didactique sur le site de l'UCL: http://www.md.ucl.ac.be/luc/netlinks.htm Correspondance : Pr. Rombouts : Service d’Orthopédie, Clin. St-Luc, Bruxelles. Pr. Delloye : UCL, T. Pasteur, Ortho 5388. CHAPITRE I : GENERALITES 1. Définitions L’Orthopédie et la Traumatologie sont deux disciplines de la médecine dont le but est de prévenir et de traiter les affections de l’appareil locomoteur sans limite d’âge, par des moyens médicaux et/ou chirurgicaux. La conservation ou la restitution de la fonction articulaire nécessite la plupart du temps la collaboration des infirmiers et des kinésithérapeutes. L’appareil locomoteur comprend la colonne vertébrale et les quatre membres. Il est constitué de segments osseux articulés et animés par les tendons et les muscles. Ces différentes structures sont innervées et vascularisées à l’exception du cartilage. L’appareil locomoteur a pour fonction de permettre à l’homme de se déplacer et de pouvoir réaliser de nombreuses activités par le mouvement. 2. Structures de l’appareil locomoteur Le squelette est un ensemble de structures osseuses fixes et résistantes, reliées entre elles par des articulations. Les muscles et leurs tendons mobilisent efficacement, à un coût énergétique réduit, les segments de membres sous le contrôle du système nerveux. Enfin, la vascularisation assure l’apport nutritif pour le fonctionnement de l’ensemble. 2.1. L’os L’ensemble des os forme le squelette qui constitue la charpente du corps et sert d’ancrage aux tissus mous (tendon, muscle, ligament). Le squelette a un rôle de soutien et un rôle métabolique (hématopoïèse de la moelle osseuse, phagocytose des hématies âgées, réservoir de calcium, cfr. notes de rhumatologie). L’os est un tissu vivant, élaboré et régulé par différentes cellules osseuses (ostéoblastes, ostéocytes, ostéoclastes), elles-mêmes sous contrôle d’autres systèmes régulateurs (cfr. notes de rhumatologie). 2 2 Environ 5 % de la masse osseuse totale sont renouvelés annuellement chez l’adulte. A l’échelle microscopique, l’os est constitué de minéral (65 % du poids total de l’os), de matière organique (25 %) et d’eau (10 %). La phase minérale est faite de phosphate et de calcium sous forme cristalline (principalement l’hydroxyapatite). Pour un individu de 70 kg, le calcium représente 1,300 g dont 99 % sont dans les os et les dents. Environ 1 % est échangeable avec les liquides extracellulaires. Le phosphore est présent sous forme de phosphate. Chez une personne de 70 kg, il représente environ 700 g dont 80 % sont dans les os sous forme d’hydroxyapatite [Bonjour et Rizzoli, Med. hyg. 47 ; 815, 1989]. La phase organique est représentée à 90 % par le collagène, le reste étant d’autres protéines (protéoglycanes, glycopeptides) qui semblent jouer un rôle régulateur dans le métabolisme du tissu osseux. Ce sont les cellules osseuses qui synthétisent la matrice osseuse et qui contrôlent ensuite dans un deuxième temps sa minéralisation. Le minéral est situé dans et autour de la fibre collagène. Cette intrication confère à l’os des propriétés mécaniques remarquables et adaptées à sa fonction de charpente. La fibre collagène lui donne sa résistance à la traction tandis que le minéral apporte la résistance à la compression. Macroscopiquement, on distingue dans le squelette des os plats (crâne et les os de la face, omoplate, bassin) et des os longs (squelette appendiculaire). Un os long est composé d’une diaphyse (partie centrale de l’os) qui circonscrit la cavité médullaire et, de part et d’autre, d’une métaphyse et d’une épiphyse, séparées par la physe ou cartilage de la croissance. La diaphyse est faite d’os compact dit « os cortical ». L’épiphyse et la métaphyse sont composées d’ « os spongieux » constitué d’os disposé en travées entre lesquelles circule la moelle osseuse. L’os spongieux assure une répartition plus uniforme des contraintes et un transfert de celles-ci à la diaphyse. Cet os est riche en cellules capables de produire de l’os (ostéoblastes). La crête iliaque du bassin contient également de grandes quantités d’os spongieux (voir à greffe). 2.2. Les articulations L’articulation est la structure de base du mouvement et celle par laquelle les os s’unissent entre eux. Elle permet aux muscles de mobiliser le squelette. 3 3 On distingue surtout deux types d’articulation dans l’appareil locomoteur : − l’amphiarthrose ou symphyse unit les os par un tissu composé de cartilage et de fibrocartilage (pubis, disque intervertébral). Elle ne permet que peu de mouvement; − la diarthrose est une articulation synoviale, caractérisée par une cavité entre les surfaces osseuses qui sont recouvertes de cartilage hyalin. La cavité peut être divisée par une structure fibrocartilagineuse appelée ménisque, qui assure une meilleure juxtaposition (coaptation) des surfaces articulaires. Elle permet le mouvement le plus grand. 2.3. Le cartilage Le cartilage articulaire est un cartilage hyalin, lisse et brillant. Il est constitué d’une matrice solide, synthétisée par les chondrocytes (cellules du cartilage) et d’eau. La matrice, très hydrophile, contient 70 % de fibres collagènes et 30 % de protéoglycanes. La matrice hydrophile assure la résistance aux pressions, capable de supporter une charge de 350 kg/cm2 (rôle d’amortisseur) et constitue une surface de glissement idéale. Le cartilage est une structure particulière car il est dépourvu d’innervation et d’irrigation sanguine. Le liquide synovial, sécrété par le tissu synovial, apporte par diffusion les nutriments nécessaires au cartilage et par sa viscosité, le lubrifie. 2.4. Le cartilage de croissance Le cartilage de croissance est un tissu cartilagineux spécialisé et temporaire qui assure la croissance longitudinale de l’os. Schématiquement il est composé, de l’épiphyse vers la diaphyse : − d’une zone de cellules de réserve dites germinales (couche de réserve), − d’une zone de croissance (couche sériée), où les cellules commencent à proliférer et à se grouper en colonne (c’est ici que se fait la véritable croissance par division cellulaire), − d’une zone d’hypertrophie (couche hypertrophique) des cellules qui progressivement dégénèrent (c’est ici que se fera la fracture du cartilage de croissance), − d’une zone de transformation (couche dégénérative) avec l’apparition d’une calcification de la matrice entourant les cellules qui s’hypertrophient, − enfin, la zone d’ossification où l’invasion vasculaire du cartilage calcifié détruit celui-ci et est remplacée par de l’os nouvellement formé. 4 4 2.5. L’appareil capsulo-ligamentaire La membrane synoviale tapisse l’intérieur de la cavité articulaire et les ligaments intraarticulaires. Le liquide synovial est riche en acide hyaluronique qui lui confère une haute viscosité. La capsule articulaire est constituée d’un tissu fibreux dense. Elle soutient la synoviale. Elle est renforcée à certains endroits par des épaississements de la capsule appelés ligaments. D’autres ligaments possèdent la même structure qu’un tissu fibreux mais sont individualisés de la capsule. Cet ensemble capsule et ligament confère la stabilité à l’articulation et permet de résister à des sollicitations importantes. Le ligament peut être considéré comme un frein passif, par opposition au muscle qui peut agir comme frein volontaire. 2.6. Le tendon Le tendon est constitué d’un tissu conjonctif dense. Le collagène en est le constituant le plus important et est synthétisé par les fibroblastes. Il contient en plus de l’élastine. Certains tendons sont entourés d’une gaine synoviale. La vascularisation du tendon est assurée via une structure conjonctive lâche (paratendon) permettant sa course. Le tendon unit son muscle à l’os par un tissu fibreux très résistant. Le tendon d’Achille, composé du soléaire et du gastrocnémien, est le plus puissant du corps, pouvant supporter des charges d’environ 5 kg/mm2 (+ 400 kg chez l’adulte) [Dupuis-Leclaire, Pathologie de l’appareil locomoteur, Maloine, 1986]. 2.7. Le muscle La puissance d’un muscle est proportionnelle au nombre de fibres musculaires (masse musculaire), de sa morphologie et du bras de levier : plus le bras est long (c.-à-d. éloigné du centre du mouvement), plus la force résultante est grande. Les muscles sont richement vascularisés et innervés. 2.8. Le nerf périphérique Le nerf périphérique est constitué d’un ensemble de fascicules nerveux constitués de fibres nerveuses. Chaque fibre est composée d’un axone, prolongement cytoplasmique du neurone et dont la longueur peut varier d’un millimètre à plus d’un mètre. L’axone est entouré d’une fine gaine (gaine de Schwann). Le nerf est entouré d’une gaine externe dite épinèvre. Chaque fascicule est également limité par une périnèvre. 5 5 3. La consultation - l’examen clinique 3.1. Anamnèse C’est le premier temps de la démarche clinique et il est fondamental. Interrogatoire général : famille, hérédité, grossesse, naissance, école, profession, reclassement professionnel, loisirs, invalidité, etc. Interrogatoire orthopédique : début des symptômes : aigu, progressif ? durée des symptômes, intensité, etc. Antécédents éventuels. Symptômes actuels : permanents, intermittents. Caractère de la douleur : lancinant, fond douloureux, mécanique (rythmé par l’effort) ou inflammatoire (composante nocturne) ? Horaire de la douleur : nocturne, au lever ? Marche : périmètre de marche (temps ou distance) ? avec ou sans canne ? plus facile en montée ou descente ? dépendance partielle ou totale ? Dépendance d’une aide extérieure : habillage, toilette, repas, déplacements, etc. Aides utilisées : prothèse, orthèse, canne, chaussure, fauteuil roulant. Traitement antérieur : évolution, résultats. 3.2. L’examen clinique L’examen se fait sur un patient dont la région à examiner est dévêtue. Outre l’inspection, la palpation, la mobilisation, l’examinateur peut réaliser certaines manœuvres pour préciser un diagnostic. La sémiologie propre à chaque région sera détaillée dans le chapitre relatif à cette région. 3.3. Goniométrie La mesure de la mobilité du segment douloureux ou symptomatique est nécessaire pour suivre l’évolution d’une pathologie ostéoarticulaire. Position de référence Patient debout, bras le long du corps, paume de la main vers l’avant. L’amplitude du mouvement est notée en degrés par rapport à la position neutre. Ex.: poignet : flexion-extension 60°/ 60° ou 60°-0-60° 6 6 si déficit d’extension de 40° (flessum) : 60°/40° ou 60°-40°-0. On peut apprécier les degrés à l’aide d’un cadran de montre : ex. 1 h. = 30°, 4 h. = 120°, 6 h. = 180°. 3.4. Testing musculaire La force d’un muscle peut être mesurée cliniquement. L’échelle internationale de la force musculaire est la plus utilisée. 0 : aucune contraction 1 : contraction palpable sans mouvement articulaire 2 : mouvement articulaire complet gravité éliminée ou incomplet contre gravité (triceps) 3 : mouvement articulaire complet contre gravité 4 : mouvement articulaire complet contre résistance modérée 5 : mouvement articulaire complet contre résistance maximale. Il s’agit d’une échelle assez grossière qui peut être raffinée en utilisant des plus ou des moins. Par exemple, on utilisera un 3- pour un mouvement incomplet contre gravité et un 2+ pour une ébauche de mouvement contre gravité. 3.5. Examens complémentaires Ceux-ci peuvent être très utiles pour le diagnostic ou le suivi d’une pathologie. Citons pour mémoire : l’imagerie médicale, la scintigraphie osseuse, l’électromyographie (EMG), etc. 4. Moyens thérapeutiques L’orthopédie-traumatologie met en œuvre selon la pathologie tantôt des traitements conservateurs, tantôt des traitements chirurgicaux. 4.1. Traitements conservateurs Outre les médicaments, il existe plusieurs formes de traitements : − traitement par immobilisation : plâtre, attelle, bandage, orthèse − traitement mobilisateur : kinésithérapie − traitement antalgique : physiothérapie − traitement de substitution : semelle, prothèse pour amputé − traitement de stimulation : électrothérapie pour paralysie ou pseudarthrose. 7 7 Seuls seront abordés ici l’appareil plâtré et la traction. Les autres moyens seront détaillés dans le cours de médecine physique et de réadaptation. 4.2. L’appareil plâtré Celui-ci reste le moyen le plus utilisé et le plus rigoureux pour immobiliser un segment du squelette. Il est sans danger à condition d’être bien réalisé et surveillé. 4.2.1. Définition L’appareil plâtré est un appareil de contention rigide, confectionné à l’aide de bandes ou d’une attelle plâtrée. Celle-ci est fabriquée à base d’un tissu à larges mailles, imprégné de sulfate de calcium (« gypse » ou « plâtre de Paris ») et d’un adhésif. Lors du contact avec l’eau, le plâtre durcit avec un dégagement de chaleur. L’attelle plâtrée est une gouttière ne renfermant pas complètement le membre à immobiliser et qui est maintenue par des bandes de gaze souple. Le plâtre circulaire entoure complètement le membre. Il est rigide. 4.2.2. Matériel Attelle : superposition de 4 épaisseurs de bandes de plâtre de largeurs variables et dont la longueur est déterminée par le chirurgien. Plâtre circulaire : bandes de plâtre sous forme de rouleaux emballés sous cellophane (éviter l’humidité) et disponibles en plusieurs largeurs. Ce sont des bandes sèches, prêtes à l’emploi. 4.2.3. Réalisation Préparation de la peau : toute plaie sera soignée et recouverte d’un pansement. La peau est protégée par un jersey tubulé pour éviter l’adhérence des poils au plâtre. Les reliefs osseux sont aussi protégés par de l’ouate ou de la feutrine. Application : la bande ou l’attelle est plongée dans de l’eau tiède. Attendre qu’il n’y ait plus de bulles d’air remontant à la surface (+ 30 secondes). On la retire, l’essore et on l’applique sans serrer, autour du membre. Bien l’étaler, en évitant les plis. - Ne pas la serrer mais la poser en moulant la surface. -Ne pas provoquer de pressions localisées avec les doigts sous peine de faire des aspérités, sources d’escarre. 8 8 - 6 à 8 épaisseurs suffisent pour obtenir un plâtre très solide après 10 minutes. - Le plâtre immobilise les articulations sus- et sous-jacentes au segment concerné (voir aussi à Sarmiento). - L’extrémité du membre est laissée libre pour la surveillance de la circulation. - La position du membre dépendra de la fracture (tenir compte de la stabilité) mais se fera si possible en position physiologique, c.-à-d. celle qui permet une fonction maximale (en cas de raideur). - Le plâtre est tout à fait sec après 48 heures. 4.2.4. Indications d’une attelle plâtrée Immobilisation temporaire : - fracture récente - intervention chirurgicale. 4.2.5. Indications d’un plâtre circulaire Immobilisation secondaire jusqu’à consolidation. Il n’est jamais utilisé en urgence, mais seulement quelques jours après le traumatisme ou l’opération, pour éviter un risque de compression du membre suite à l’œdème. Exceptionnellement, il sera posé d’emblée sur une fracture fraîche des 2 os de l’avant-bras de l’enfant si celle-ci est très instable et à la seule condition que celui-ci soit fendu complètement du haut jusqu’en bas. Différents types de plâtre existent en fonction du degré d’immobilisation requis et de la localisation. 4.2.6. Le plâtre de Sarmiento Ce chirurgien a contesté la nécessité d’immobiliser les articulations sus- et sous-jacentes à la fracture jusqu’à consolidation de celle-ci. Il préconise de libérer ces articulations après 4 semaines; un moulage précis et une géométrie adaptée du plâtre empêchent toute rotation et déplacement secondaire de la fracture et autorisent une mise en charge précoce. Cette technique reste séduisante mais nécessite une bonne expérience des plâtres. 4.2.7. Les plâtres synthétiques Réalisés en résine à durcissement rapide, ils ont comme avantage de pouvoir pallier les défauts du plâtre, c’est-à-dire : - faible résistance à l’eau - faible résistance aux chocs et à l’usure - faible résistance à la mise en charge. 9 9 Ces nouveaux matériaux sont légers, plus solides et lavables. Ils sont parfois mal supportés par la peau à cause de leur imperméabilité. Non remboursés par la sécurité sociale, ils coûtent chers. 4.2.8. Surveillance d’une fracture plâtrée Une fracture immobilisée n’entraîne plus qu’une gêne douloureuse supportable. On sera donc attentif à toute douleur persistante après la pose d’un plâtre : - celle-ci peut être localisée à un doigt (le pouce le plus souvent) et être due à une compression très localisée du plâtre; - la douleur peut être plus diffuse c.-à-d. dans le segment immobilisé et s’accompagnant de paresthésies dans les doigts ou orteils. Un syndrome des loges doit alors être exclu formellement (voir syndrome des loges). En présence de fracture dite instable (susceptible de se redéplacer), une radiographie de contrôle sera réalisée endéans le 3e jour après fracture, aux 8e et 15e jours pour s’assurer de l’absence de déplacement secondaire. On se rappellera qu’une fracture plâtrée peut se redéplacer durant les trois premières semaines. L’attelle sera remplacée par un plâtre circulaire après une semaine, c.-à-d. quand il n’y a plus de risque d’œdème. Ce délai sera plus long en cas de fracture instable. On encouragera le patient à contracter activement les muscles durant la période d’immobilisation pour lutter contre la stase veineuse et le risque de thrombose veineuse et pour lutter contre l’atrophie musculaire. Toute immobilisation plâtrée du membre inférieur impose chez un sujet de plus de 30 ans, même sans antécédents ou facteurs de risque, la mise en œuvre d’un traitement anticoagulant jusqu’à reprise de l’appui sans plâtre. 4.3. La traction La traction permanente dans l’axe d’un membre réalise une immobilisation relative mais suffisante pour obtenir une consolidation ou servir de traitement provisoire par l’antalgie qu’elle procure, permettant divers gestes thérapeutiques : - réduction progressive d’une fracture (ex. : # du fémur chez l’enfant) - maintien d’une réduction osseuse par l’application permanente d’une force s’opposant au déplacement et au tonus musculaire (ex. : luxation de la hanche, # du tibia distal) - mobilisation relative du membre fracturé par la suspension associée à la traction, facilitant les soins 10 10 infirmiers (ex. : # du col du fémur). Elle nécessite cependant un alitement obligatoire et par conséquent une hospitalisation. 4.3.1. Moyens d’application Traction via une bande adhésive à la peau (« traction cutanée »). Cette méthode est utilisée chez l’enfant ou la personne âgée lorsque la traction ne dépasse pas 4-5 kg. Traction via un appui trans-osseux. La traction sur l’os se fait par l’intermédiaire d’une broche dite « de Kirschner » (du nom de la société qui l’a commercialisée). Cette méthode laisse le membre apparent et permet de faire des pansements. La broche se met avec un moteur après anesthésie locale de la peau et du périoste aux points d’entrée et de sortie de celle-ci. La broche est le plus souvent mise dans la partie proximale du tibia ou les condyles fémoraux. Elle peut être mise également dans le calcanéum en cas de fracture de tibia. La broche est tendue et fixée sur une attelle pour supporter la jambe. On peut y joindre un système de suspension à partir de l’étrier qui permet une mobilisation plus facile du membre. Les forces sont exercées par différents poids et transmises par un système de cordes et de poulies. Pour les fractures de la colonne cervicale et pour certaines scolioses, une traction peut se faire sur le crâne via 2 ou 4 pointeaux vissés dans la table externe de l’os (« halo crânien »). 4.3.2. Surveillance d’une traction La broche reste un point d’entrée potentiel pour un germe et fera donc l’objet de soins locaux réguliers pour éviter toute infection. Elle doit être tendue ou retendue via l’étrier pour éviter une douleur locale importante. Le libre jeu des cordes et poids sera vérifié et le patient sera mis en léger Trendelenburg pour s’opposer par son propre poids à la traction. 5. Les matériaux en chirurgie de l’appareil locomoteur Utilisés quotidiennement en orthopédie-traumatologie, les biomatériaux orthopédiques peuvent être définis comme « tout matériau qui interagit avec les systèmes biologiques pour traiter, renforcer ou remplacer un tissu » Les matériaux doivent être : - résistants à l’usure, à la fatigue mécanique, à la corrosion - être biocompatibles. 11 11 On distingue quatre types de matériaux : les métaux, les polymères, les céramiques et les matériaux biologiques tels que les greffes osseuses. 5.1. Les métaux Les métaux sont utilisés sous forme d’alliage qui est une combinaison de deux éléments ou plus et dont un doit être métallique (ex. : acier inoxydable, alliage à base de chrome-cobalt, etc.). La seule exception est le titane qui peut être utilisé pur ou en alliage. Mis en contact avec le milieu biologique, le métal peut subir une corrosion, c.-à-d. une altération chimique (par oxydation) qui le fragilise et qui libère des produits de corrosion (ions) dans l’organisme. 5.2. Les polymères Un polymère est constitué de molécules géantes produites par la répétition d’une molécule de base ou monomère. Il s’agit d’une famille de matériaux très diversifiée et dont les applications thérapeutiques sont très variées; certains sont résorbables par l’organisme. Ils sont utilisés comme composant prothétique ou encore comme matériel de suture ou de comblement. Ainsi, le polyéthylène est implanté comme matériau de surface de frottement dans une prothèse articulaire. Le polyméthymétacrylate est employé comme « ciment chirurgical », c.-à-d. qu’il assure une adaptation morphologique des implants à l’os, conférant une stabilité immédiate à l’implant. 5.3. Les céramiques Familles de matériaux solides, larges et hétérogènes comprenant des matériaux non métalliques et non organiques et obtenus par compression à chaud (frittage). Certaines sont capables de liaison chimique avec l’os. Elles sont utilisées en orthopédie soit comme matériau de revêtement de prothèse, soit comme substitut osseux. Etant chimiquement stables, elles sont quasi insensibles à la corrosion. 5.4. Les matériaux biologiques Les plus utilisés sont les greffes osseuses. Le matériau peut provenir du patient lui-même (autogreffe), d’un donneur d’organes (allogreffe) ou d’un patient opéré d’une arthrose de la hanche et dont on garde alors la tête fémorale (allogreffe) ou encore d’un individu d’une espèce différente (xénogreffe). Le site de prélèvement d’une autogreffe est l’os spongieux du bassin. Plus rarement, si l’on veut de l’os cortical pour sa solidité, il sera prélevé sur la face interne du tibia. La greffe est utilisée tantôt pour sa richesse cellulaire (ostéoblastes) exploitée pour guérir une pseudarthrose, tantôt pour sa qualité de support naturel à la recolonisation osseuse en cas de perte de substance. 12 12 CHAPITRE II : TRAUMATOLOGIE DE L’APPAREIL LOCOMOTEUR 1. Le traumatisé et le polytraumatisé 1.1. Définition Polytraumatisé: la distinction entre polyblessé, blessé grave et polytraumatisé reste imprécise dans la littérature. Certains appellent polytraumatisé un blessé ayant plusieurs lésions dont une ou plusieurs comportent un risque vital patent ou latent (J.C Otteni – Le polytraumatisé, Masson 1986). Le polytraumatisé est un blessé qui, à côté des lésions traumatiques nécessitant l'intervention du chirurgien a aussi une atteinte d'une ou plusieurs fonctions vitales imposant des gestes de réanimation. Le polyblessé et le polyfracturé ont plusieurs lésions n'entraînant pas de perturbations des fonctions vitales. Le polyblessé a au moins deux lésions traumatiques. Le polyfracturé a au moins deux fractures des segments anatomiques différents. L'un et l'autre peuvent devenir secondairement polytraumatisés du fait de la détérioration d'une fonction vitale. 1.2. Conduite à tenir Sur les lieux de l’accident - évaluer le niveau de conscience, - en cas d’hémorragie, réaliser une compression manuelle plutôt qu’un garrot (risque d’ischémie), - s’assurer de la liberté des voies aériennes (langue, dentier, etc.), - assurer un transport adéquat : levage monobloc du corps en cas de suspicion d’atteinte rachidienne, attelle provisoire pour immobiliser une fracture), - rassurer, réconforter le patient. A l’hôpital Anamnèse succincte : - circonstances de l’accident - localisation et type de la douleur - état général : soif, dyspnée, nausées - antécédents éventuels. Examen clinique : première évaluation de la gravité - arrivée du patient : marche ou transporté ? - niveau de conscience (score de Glasgow) - pouls, TA - peau : couleur, sueur, chaleur - recherche de saignement (oreilles, nez, bouche, périnée) 13 13 - haleine : vomissements, alcool, sang. Examen systématique (neuro, cœur, poumons, abdomen...) Principes de traitement - assurer la ventilation : intubation, respirateur - assurer la circulation : installer une voie d’abord, transfusion, lactate Ringer - bilan neurologique : Score de Glasgow - hémorragie massive : thoracotomie si Rx + (tamponnade) - laparotomie si écho abdominale + - stabiliser le pelvis si fracture et écho abdo - stabiliser les fractures. Pronostic Dépend de la sévérité du traumatisme, de facteurs liés au patient, du délai mis pour assurer le traitement définitif, et de la qualité des soins. La sévérité du traumatisme influence directement la survie mais pas la reprise du travail [Frymoyer J. Orthopaedic knowledge update IV, 1993]. 2. Luxation et entorses 2.1. Luxation aiguë C’est la perte de contact complète et permanente entre les surfaces articulaires. Ceci implique la rupture de la capsule articulaire et de ligaments. L’épaule est l’articulation la plus exposée à la luxation. Outre la déformation, une luxation est très douloureuse et produit une impotence complète. Il n’y a pas de crépitation osseuse sauf en cas de fracture associée. La luxation peut causer une lésion vasculaire ou nerveuse par élongation ou compression. Toute luxation doit être réduite le plus rapidement. Celle de la hanche est une véritable urgence. (Le risque de nécrose semble diminuer si la réduction a lieu endéans les 6 premières heures après le traumatisme). 2.2. Luxation ancienne Il s’agit d’une luxation méconnue et reconnue tardivement, c.-à-d. après 3 semaines. C’est à l’épaule que le risque de passer à côté d’une luxation postérieure est le plus grand. 14 14 2.3. Luxation récidivante Lors de la luxation première, un élément stabilisateur de l’articulation a été abîmé et a entraîné une instabilité chronique. A nouveau, c’est l’épaule qui est l’articulation la plus exposée. 2.4. Entorse C’est la classique « foulure ». C’est un traumatisme de l’articulation comportant soit une élongation d’un ligament, soit une véritable déchirure (partielle ou complète). Cet accident intéresse principalement la cheville, le genou et les doigts. On distingue classiquement 3 degrés dans l’entorse : 1er degré : élongation anormale d’un ligament, produisant une déchirure minimale de quelques fibres. La douleur et le gonflement sont peu importants; 2e degré : déchirure de nombreuses fibres mais le ligament reste continu. Symptômes plus marqués et impotence; 3e degré : rupture complète du ligament et instabilité correspondante. Impotence fonctionnelle marquée. La radiographie permettra de distinguer la rupture complète d’un arrachement osseux du ligament. Le traitement est variable en fonction du degré. L’application de glace sera réalisée pour limiter l’œdème. La chirurgie peut être requise dans certaines localisations comme le pouce. Dans la majorité des cas, l’articulation sera immobilisée de façon plus ou moins rigide. Dans les cas d’immobilisation relative, un tapping par élastoplast est réalisé. Dans le cas où une immobilisation plus rigide est conseillée, une orthèse ou un plâtre sont prescrits. Il faut 6 semaines pour que le ligament cicatrise, c.à-d. acquière une résistance à la traction suffisante. Cliniquement, le diagnostic différentiel avec une fracture peut être difficile. Une immobilisation plus ou moins rigide peut être requise en fonction de la gravité. 3. La fracture 3.1. Définitions Fracture : solution de continuité dans un segment osseux à la suite d’un traumatisme. Fracture de fatigue : fracture survenant dans un os sain, à la suite d’une répétition excessive de contraintes mécaniques physiologiques (fla classique fracture de fatigue d’un métatarsien chez la recrue militaire par ex.). 15 15 Fracture pathologique : fracture survenant dans un os pathologique c.-à-d. fragilisé (par une métastase par ex.). Fracture en bois vert : fracture de l’enfant qui ne rompt qu’une seule corticale. Cette fracture incomplète, est propre à l’enfant. Fracture comminutive : fracture comportant, outre les 2 fragments principaux, au moins deux ou plusieurs autres fragments supplémentaires. 3.2. La fracture fermée 3.2.1. Définition Il s’agit d’une fracture d’un ou de deux os d’un segment avec une peau sus-jacente intacte. 3.2.2. Principe de traitement des fractures fermées Il a pour but l’obtention de la consolidation de l’os (formation d’un cal osseux réunissant les 2 extrémités) avec une récupération de la fonction du membre. [Pour rappel, la fonction d’un membre est la réalisation de mouvements physiologiques simples ou complexes. Elle nécessite un axe osseux anatomique, une liberté du jeu de l’articulation et un fonctionnement normal des muscles et tendons]. L’os doit être consolidé en bonne position, c.-à-d. avec un axe anatomique le plus proche de la normale. En cas de déplacement, la fracture sera «réduite». La réduction est le réalignement de l’os fracturé. Elle est soit «orthopédique», c.-à-d. obtenue par manœuvre externe, soit « chirurgicale », c.-à-d. en abordant la fracture. L’immobilisation se fait par attelle plâtrée suivie ultérieurement d’un plâtre circulaire en cas de traitement conservateur. Une traction peut être également utilisée comme traitement d’attente (# col du fémur par ex.). En cas de traitement chirurgical, c’est le matériel implanté qui fixe les fragments. Une immobilisation plâtrée est parfois nécessaire en complément. La kinésithérapie est quasi toujours nécessaire chez l’adulte après une immobilisation plâtrée. Elle ne l’est pas automatiquement chez l’enfant. 3.3. La fracture ouverte 3.3.1. Définition Il s’agit d’une fracture osseuse s’accompagnant d’une ouverture de la peau environnante. représente une urgence traumatologique. 16 16 Elle 3.3.2. Classification des fractures ouvertes selon Gustillo Elle se base sur l’atteinte des parties molles après parage de la plaie (Gustillo et al.. Clin. Orthop. 66, 148, 1969). Type I : ouverture de < 1 cm et propre. Traumatisme de basse énergie. Type II : ouverture de 1 à 10 cm / foyer larggement exposé / atteinte peu importante des parties molles. Type III : ouverture large avec atteinte importante des parties molles/ perte de substance cutanée/ .dépériostage. Traumatisme de haute énergie. IIIA : lacérations étendues et souillées des parties molles (souvent plus de 10 cm). La couverture de la perte de substance cutanée reste possible. IIIB : lacérations étendues et souillées des parties molles. La couverture n’est plus possible et exige un lambeau. IIIC : fracture associée à une lésion artérielle qui exige sa réparation pour la survie du membre. 3.3.3. Complications - L’infection : le type III se distingue par la forte proportion d’infections (21 %) à comparer avec le type I (0 %) et II (2 %) [Gustillo et al. J. Trauma 24, 742, 1984]. - Retard de consolidation et pseudarthrose (entre 5 et 30 %). - Amputation. 3.3.4. Principes de traitement des fractures ouvertes : [S. Olson, J. Bone Joint Surg. 78A, 1428, 1996] - Perfusion et antibiothérapie (dès l’admission en salle d’urgence). - Prophylaxie du tétanos (la vaccination est devenue obligatoire) et de la thrombophlébite. - Chirurgie • Débridement répété si nécessaire (enlever toute nécrose favorisant l’infection, nettoyage mécanique par lavage « Karscher », excision tissus contus et corps étrangers). • Bactériologie de la plaie. • Ostéosynthèse (clou ou fixateur). • Discuter la possibilité d’un lambeau de couverture. 3.3.4 .1. Antibiotiques Ils sont justifiés pour les raisons suivantes [Templeman et al., Clin. Orthop.350, 18, 1998] : - Les antibiotiques réduisent l’incidence des infections d’un facteur 6 [Patzakis et al., Clin. Orthop. 178, 36, 1984]. - Le risque d’infection est proportionnel au grade de l’ouverture de la fracture. 17 17 - La plupart des infections sont causées par un germe pathogène acquis secondairement à l’hôpital [Sudekamp et al., J. Orthop. Trauma. 7, 473, 1993] . Type I : Céfazoline 2 g à l’admission, puis 1 g toutes les 8 heures pendant 48-72h. Type II : Céfazoline selon type I + Gentamycine 5mg /kg /24h (adapter en cas d’insuffisance rénale) pendant 48-72h (la Gentamycine se donne de préférence en une dose journalière pour diminuer la néphrotoxicité). Type III : idem que type II. (En cas de contamination massive par la terre ou eaux publiques, il faut adjoindre une prophylaxie contre les anaérobes stricts : Pénicilline G 12 millions UI /j ou Flagyl [3 x 500 mg/j], antiprotozoaire avec une activité bactéricide sur les anaérobes stricts). [S. Olson, J Bone Joint Surg. 78A, 1428, 1996]. 3.3.4.2. Prophylaxie du tétanos La prophylaxie du tétanos est indiquée en cas de fracture ouverte [voir le Cours de petite chirurgie]. 3.3.4.3. Prophylaxie de la gangrène gazeuse Il faut prévenir la gangrène gazeuse par le nettoyage vigoureux des parties dévitalisées. Le Clostridium perfringens, agent causal ubiquitaire et anaérobe, prolifère de façon préférentielle dans les muscles ischémiques ou nécrotiques (voir syndrome des loges pour les qualités du muscle). Il produit une lécithinase qui provoque la mort cellulaire et favorise sa prolifération. Une gangrène gazeuse est douloureuse et provoque un œdème, ce qui n’est pas le cas d’une cellulite causée par un autre germe anaérobe tel le E. Coli, streptocoque ou bactéroïdes. La meilleure prophylaxie reste le parage chirurgical. La pénicilline G (2 millions U.I. 6 x/j en IV et le caisson hyperbare pour favoriser l’aérobiose sont la base du traitement curatif en plus d’une révision chirurgicale de la plaie. 3.4. Modalités du traitement d’une fracture Il est possible de traiter de plusieurs manières une fracture. Le choix du praticien tiendra compte : - du type de fracture, - des lésions éventuelles associées, -de l’état général et pathologies autres du patient, - de l’âge du patient et de son environnement, - de l’expérience personnelle du praticien. Les avantages d’un traitement « orthopédique », c.-à-d. conservateur sont : 18 18 - absence de matériel intraosseux, - absence de dévascularisation de l’os, - risque quasi nul d’infection. Le traitement conservateur sera plutôt indiqué dans une : - fracture chez l’enfant, - fracture non déplacée, - fracture de l’adulte qui répond bien au traitement conservateur (humérus). 3.5. L’ostéosynthèse des fractures L’ostéosynthèse est un mode de fixation de fracture par la chirurgie. Elle a à sa disposition différents matériaux. Elle se fait si possible « à foyer fermé », c.-à-d. qu’elle n’ouvre pas le foyer de fracture pour éviter une dévascularisation supplémentaire (un deuxième traumatisme). Le matériel est introduit par une extrémité de l’os , à distance de la fracture. [Pour fixer une fracture de la diaphyse du fémur, on introduit le clou par la fesse et non en incisant la cuisse. Le clou est ensuite descendu dans la cavité médullaire de l’os et fixe ainsi les fragments]. Certaines fractures nécessitent une réduction « à foyer ouvert », c.-à-d. qu’il faut aborder la fracture pour la fixer. Type de matériel 3.5.1. Clou centromédullaire Tige métallique en acier ou titane qui se place dans la cavité médullaire. Très utilisé pour les fractures de la diaphyse d’un os long comme le fémur et le tibia. Ne nécessite pas l’ouverture de la fracture. Se met par le grand trochanter pour le fémur et au travers du tendon patellaire pour le tibia. Suivant les techniques utilisées, la mise en place du clou nécessite ou non un alésage préalable de la cavité osseuse [alésage : fraisage de la cavité pour mise au diamètre du clou]. Le clou est dit « verrouillé » quand il est bloqué à ses extrémités pour empêcher la rotation d’un des 2 fragments autour du clou. 3.5.2. Broches de Kirschner Tige métallique plus fine qu’un clou et qui permet de stabiliser un ou plusieurs petits fragments. Peut s’utiliser en percutané (# poignet) ou à foyer fermé, pour réaliser un embrochage centromédullaire (# diaphyse humérale). 3.5.3. Fil d’acier Il est utilisé pour la synthèse de fracture de la rotule, de l’olécrane. Le fil entoure l’os (cerclage) ou s’appuie sur l’os et une ou plusieurs broches (haubanage). 19 19 3.5.4. Plaque vissée La plaque vissée s’utilise pour certaines fractures telles l’avant-bras ou le tibia distal. Elle nécessite l’abord de la fracture. Certaines écoles l’utilisent plus volontiers qu’un clou lorsque le choix est possible mais l’inverse est actuellement plus fréquent. 3.5.5. Fixateur externe Cet appareil se fixe par des fiches métalliques (grosses tiges filetées) dans l’os au travers de la peau et les tissus mous. Les fiches sont mises de part et d’autre de la fracture et sont ensuite reliées entre elles par une ou plusieurs barres d’union. L’avantage de cet appareil est de pouvoir stabiliser une fracture sans passer par le foyer de fracture. Il sera utilisé exclusivement dans les fractures ouvertes de type III. Conséquence de la mise en place d’un matériel in vivo La présence d’un matériel non biologique (métal, ciment, etc.) peut altérer la résistance locale des tissus à l’infection. C’est la raison pour laquelle on préfère enlever le matériel intraosseux lorsque son ablation est possible. On respectera un délai de 1,5 - 2 ans pour l’envisager. 3.6. La consolidation La consolidation d’un os est un processus remarquable puisqu’il aboutit à la reconstitution de celui-ci. En effet, l’os est un des rares tissus à pouvoir se régénérer, du moins partiellement. Une perte de substance sera remplacée par de l’os et non par du tissu fibreux. Schématiquement, on distingue : - la constitution d’un hématome dans le foyer - la formation d’os nouveau par le périoste à quelques mm de distance de la fracture et par l’endoste, cellules qui bordent la cavité médullaire - à hauteur de la fracture, l’hématome va se réduire progressivement et être entouré par un cartilage qui assure la première continuité entre les 2 fragments - le cartilage est progressivement remplacé par de l’os qui permet la restauration de la continuité osseuse. Le cartilage fait la jonction entre les deux zones d’ostéogenèse (comme un pont qui relie les deux rampes d’accès du pont). Ce cartilage est ensuite progressivement remplacé par de l’os. Lorsque les fragments sont fixés chirurgicalement, cette stabilisation entraîne une diminution voire une disparition de la réaction périostée. Il n’est pas toujours évident de lire sur une radiographie la consolidation d’une fracture stabilisée par une plaque vissée. A l’inverse, la réaction périostée sera plus importante si le foyer de fracture n’est pas parfaitement immobilisé. 20 20 En cas de tassement de l’os spongieux, la consolidation s’acquiert par un cal médullaire. Les deux extrémités d’un os fracturé ont une tendance spontanée à se souder pour autant - qu’il y ait un contact entre les deux fragments - qu’il y ait une immobilisation relative des fragments (# de côte). Le temps de consolidation est plus long - chez l’adulte que chez l’enfant où le délai est d’autant plus court qu’il est jeune (métabolisme accru pour assurer la croissance). C’est la fracture de la diaphyse du fémur qui met le plus de temps à consolider : 3,5 à 4 mois; - pour une fracture d’une diaphyse (os cortical) qu’une épiphyse (os spongieux); - pour une fracture ouverte car les lésions de dévascularisation sont plus importantes que dans une fracture fermée). Le cal sera plus volumineux dans une fracture dont l’immobilisation est relative (une ostéosynthèse par plaque immobilise de façon rigide la fracture et le cal sera souvent peu visible sur les radiographies). La déformation résiduelle d’un os consolidé peut se corriger spontanément chez les enfants grâce aux mécanismes régulateurs de la croissance. La déformation aura une répercussion plus importante aux membres inférieurs, soumis au poids du corps et où le risque d’arthrose est plus important. La correction spontanée de la déformation sera d’autant plus importante que - l’enfant est jeune - le cal est situé à proximité d’un cartilage de croissance. 4. Complications des fractures 4.1. Complications immédiates Elles sont contemporaines de l’accident quand elles sont présentes : − lésions cutanées (fractures ouvertes), lésions artérielles, veineuses, nerveuses, etc., − l’irréductibilité d’une fracture est une complication rare mais qui obligera à ouvrir le foyer pour lever l’obstacle qui s’interpose entre les fragments (tendon, muscle). 21 21 4.2. Complications secondaires 4.2.1. Déplacement secondaire sous plâtre C’est la perte de la réduction initiale de la fracture. C’est la raison pour laquelle les patients sont revus fréquemment au début d’un traitement par plâtre. 4.2.2. Nécrose cutanée Elle apparaît dans les 6 premiers jours et est la conséquence du traumatisme (contusion majeure de la peau). 4.2.3. Syndrome des loges Il s’agit d’un syndrome (= ensemble de symptômes) ischémique suite à une augmentation de la pression tissulaire dans une loge (compartiment) musculaire. Cette augmentation résulte le plus souvent d’un traumatisme osseux ou musculaire. Une loge est définie comme un espace anatomique renfermant un groupe de muscles, des vaisseaux et des nerfs et délimitée par une cloison inextensible qui est l’aponévrose. 4.2.3.1.Physiopathologie Il s’agit d’un conflit contenu-contenant. L’augmentation de pression peut résulter soit − d’une diminution du volume de la loge : pansement compressif, plâtre trop serrant, suture chirurgicale trop serrante, compression posturale d’un patient comateux ou drogué, soit − d’une augmentation du contenu de la loge : œdème, qu’il soit post-traumatique, postischémique, postopératoire, hématome ou collection (perfusion intraveineuse mal placée, etc.) (par ex. une fracture de jambe peu déplacée respectant les cloisons est une des causes les plus fréquentes. Un effort physique intense peut également réaliser un tel syndrome dans la jambe). 4.2.3.2. Conséquence L’ischémie progressive résulte de la non perfusion des tissus suite au développement d’une pression supérieure à la pression sanguine dans les capillaires (30 mm Hg) qui sont ainsi collabés par compression. C’est le muscle qui résiste le moins longtemps à l’ischémie (4 h). Les dommages sont irréversibles après 6 heures. A la nécrose succédera la fibrose et les rétractions des parties molles en 22 22 plus des troubles neurologiques (paralysie et insensibilité). 4.2.3.3. Symptômes Syndrome des 3 P (pain, parésie et paresthésies). - Douleur croissante (quelques heures à 2 jours après la survenue de la cause). Cette douleur devient disproportionnée (la douleur d’une fracture n’est plus violente après immobilisation plâtrée, elle devient supportable et n’augmente pas avec le temps). La douleur est crucifiante lors de la mise en tension du muscle ischémique (maître symptôme). La zone douloureuse est tendue à la pression. - Paresthésies : celles-ci traduisent l’ischémie nerveuse. - Parésie : elle traduit la souffrance neuromusculaire. (Tissu musculaire vital = CCCC = consistance, coloration, contractibilité et capillaires saignants). Il n’y a pas nécessairement de troubles circulatoires de la peau et la palpation d’un pouls périphérique n’exclut pas un tel syndrome. L’association tension musculaire/douleur à l’étirement passif du muscle/déficit neurologique est très suggestive de ce diagnostic. Diagnostic différentiel - Thrombophlébite : l’œdème n’est pas douloureux. - Ostéite : rougeur de la plaie, fièvre, leucocytose. - Paralysie SPE : pas d’oedème ni de douleur. Localisation : tout groupe musculaire entouré d’une aponévrose Membre sup. : loges ant. et post. du bras loge ant. de l’avant-bras (syndrome de Volkmann) loges des interosseux et de l’éminence thénar. Membre inf. : loge des fessiers (injection IM avant une opération en décubitus latéral !) loges post. et ant. de la cuisse loge ant. ext. de la jambe (localisation la plus fréquente) loges post. profonde et superficielle de la jambe et des fibulaires. 4.2.3.4. Diagnostic Suspecté cliniquement, il est réalisé par la mesure directe de la pression de la loge (valeur normale entre 23 23 0 et 8 mm Hg). La circulation capillaire dans les muscles s’arrête à partir de 30-35 mm Hg. Il faut intervenir quand la différence entre la pression de la loge et la diastolique est inférieure à 30 mm Hg. 4.2.3.5. Traitement Aponévrotomie (fasciotomie) étendue avec une incision cutanée sur toute l’étendue de la loge. Incision curviligne à l’avant-bras et curviligne à la jambe. Fermeture différée. Ne pas attendre un déficit moteur. 4.2.4. Thrombophlébite et embolie Les facteurs de risque sont nombreux : décubitus prolongé, décharge d’un membre, immobilisation plâtrée du membre inférieur, chirurgie osseuse thrombogène au bassin et membre inférieur. Un âge supérieur à 40 ans, une fracture au membre inférieur, un alitement supérieur à 3 jours et la présence d’une paralysie sont des facteurs significatifs de risque de thrombose en traumatologie [Geerts et al., N. Engl. J. Med. 331, 1601, 1994]. La phlébite et l’embolie sont prévenues par le drainage postural, bas élastiques, exercices de contraction musculaire et l’utilisation des héparines à bas poids moléculaire et relayées par les antiagrégants plaquettaires. Pratiquement, tout malade plâtré au membre inférieur recevra une dose moyenne d’héparine de bas poids moléculaire (par ex. Fraxiparine 0,3 cc/sc/j jusqu’à reprise de la marche sans plâtre (un plâtre de marche ne permet pas une dynamique veineuse normale) [Barre et al., EMC, 14-014-A10, 1995]. 4.2.5. Le syndrome de l’embolie graisseuse 4.2.5.1. Définition Syndrome de détresse respiratoire survenant endéans les 48 h. d’un traumatisme osseux. 4.2.5.2. Facteurs favorisants Un polytraumatisme avec une fracture diaphysaire d’un os long (tibia, fémur) et un choc hypovolémique à l’admission sont des facteurs favorisants. Les fractures du fémur sont responsables de 80 % de ces syndromes. 4.2.5.3. Physiopathologie La physiopathologie reste mal connue. Il y a plusieurs théories : - mécanique : la graisse de la moelle osseuse passe dans la circulation veineuse et entrave la perfusion pulmonaire, bloquant les capillaires. Il en résulte des shunts artério-veineux avec hypoxémie. Cette irruption vasculaire est favorisée par une hyperpression intracavitaire (alésage, mise en place d’une prothèse). 24 24 − biochimique : les tryglycérides provenant du foyer de fracture, de la moelle osseuse instrumentéé et peut-être aussi de la lipolyse de la graisse à distance (libération traumatique de catécholamines) sont transformés en acides gras libres circulants par la lipase pulmonaire. Ces acides gras libres sont toxiques pour les pneumocytes et provoquent des microhémorragies, microthrombi et collapsus alvéolaires, engendrant des troubles du rapport ventilation / perfusion pulmonaire. [D. Levy, Clin. Orthop. 261 , 281, 1990; T. Fabian, New Engl. J. Med. 329, 961, 1993]. Ces théories ne s’excluent pas l’une l’autre et il est possible que chacun de ces mécanismes intervienne dans la physiopathologie de ce syndrome. On peut simplifier la pathogénie en écrivant : un événement induit des microemboles graisseux qui obstruent la microcirculation pulmonaire, cérébrale, cutanée, etc. Au niveau pulmonaire, la graisse subit l’action de la lipase pulmonaire qui libère les acides gras libres initiateurs d’une détresse respiratoire. Ils peuvent perturber également la coagulation. Le syndrome d’embolie graisseuse ne s’observe pas chez l’enfant. 4.2.5.4. Clinique et diagnostic Cliniquement, il existe un intervalle libre de quelques heures. Troubles respiratoires (dyspnée, polypnée) et troubles du comportement (confusion, agitation) apparaissent dans un contexte de température postopératoire élevée (39-40°). En phase d’état, le coma peut s’installer tandis qu’apparaissent des pétéchies (suffusions hémorragiques) caractéristiques à la base du cou et dans les conjonctives. Le fond d’œil peut montrer des taches blanches lactescentes ou hémorragiques. Le décès peut survenir par la détresse respiratoire ou le coma. Il n’y a aucun test biologique pathognomonique. L’hypoxie est constante et est fonction de l’importance de l’embolie : la PaO2 baisse par inégalité du rapport ventilation/perfusion (les fins capillaires terminaux embolisés sont suppléés par des capillaires plus larges avec accélération du transit du globule rouge ce qui réduit le temps d’échanges gazeux dans les alvéoles). Les troubles de l’hémostase sont fréquents de même que les perturbations des lipides (acides gras circulants élevés). 4.2.5.5. Traitement Le traitement est symptomatique : oxygène, intubation si pO2 < 60 mm Hg, héparine (agent lipolytique augmentant la lipase sérique et antiagrégant plaquettaire). 25 25 4.2.5.6. Diagnostic différentiel − Embolie pulmonaire, poumon de choc : douleur thoracique, cyanose, absence de confusion et de pétéchies, fond d’œil négatif. − Delirium tremens : perturbations enzymatiques et éthylisme. − Trauma crânien : pas de tachypnée ni tachycardie. 4.2.6. L’algodystrophie 4.2.6.1. Définition C’est une affection complexe, invalidante, regroupant des manifestations pathologiques polymorphes liées à des désordres vasomoteurs. Tous les plans tissulaires de la peau à l’os sont intéressés. 4.2.6.2. Clinique : le tableau clinique (souvent incomplet) associe : − douleur invalidante, pseudo-inflammatoire, sans topographie précise, − modification de la peau et phanères (rougeur, cyanose, marbrure, sudation), − mobilisation articulaire douloureuse et puis progressivement limitée. Ces manifestations évoluent schématiquement en trois stades : Stade I : la douleur prédomine. Stade II : raideur articulaire et atrophie cutanée. Stade III : récupération partielle ou totale. L’évolution est longue (1-1,5 an) et invalidante. 4.2.6.3. Diagnostic Aucun signe n’est spécifique. Aucun test de laboratoire non plus. La radiographie n’est pas spécifique et ses aspects sont tardifs (déminéralisation sous-chondrale avec un aspect moucheté). Le cartilage est normal. La scintigraphie osseuse (avec un temps précoce, vasculaire) permet d’orienter le diagnostic. L’hyperfixation osseuse est présente d’emblée et durant toute l’évolution de la maladie tandis que la phase vasculaire n’est positive qu’au premier stade (hyperémie) et se négative ensuite. 26 26 4.2.6.4. Physiopathologie Elle reste obscure. La maladie apparaît le plus souvent après un traumatisme même mineur (contusion, entorse, intervention chirurgicale, plâtre, piqûre), après une maladie ou avec un médicament (barbiturique, isoniazide). Il s’agirait d’une perturbation du système nerveux végétatif et de la microcirculation. 4.2.6.5. Traitement Les analgésiques et les AINS constituent la base du traitement. Le traitement par calcitonine salmine reste actuellement le plus populaire et peut être utile au stade I (hyperémie). On l’utilise pour ses propriétés antiostéolytiques et antalgiques (ea : inhibe la synthèse des prostaglandines). Une ampoule de 100 UI/sc/j en commençant les 5 premiers jours par 50 UI/j. Une cure comprend environ 30 ampoules. Les diphosphonates peuvent être également utilisés en IV (pamidronate disodique à 30 –60 mg/j en cure de 1 à 3 jours en hôpital de jour) . L’utilisation per os de l’alendronate de sodium n’est pas encore retenue à ce jour. 4.2.7. Retard de consolidation et pseudarthrose 4.2.7.1. Retard de consolidation Un retard de consolidation est une fracture qui ne consolide pas dans un délai normal alors qu’elle est correctement réduite. Un délai normal est de 3 à 4 mois pour une fracture diaphysaire d’un adulte. Ce retard peut être causé par : - réduction insuffisante (diastasis, interposition de tissu), - dévascularisation excessive des fragments (fracture ouverte, chirurgie), - immobilisation insuffisante du foyer. 4.2.7.2. Pseudarthrose Une pseudarthrose est la constitution d’une néo-articulation à l’endroit de la fracture, dans une zone non articulée normalement. En fait, les 2 fragments ne sont pas soudés et les micro- ou macromouvements qui s’y produisent provoquent l’apparition d’une « pseudo-jointure » dans laquelle on observe du cartilage et de la fibrose. Il est classique de distinguer la pseudarthrose atrophique : nonsoudure par manque initial d’os entre les 2 fragments ou suite à une dévascularisation étendue. Dans ce 27 27 cas, les 2 extrémités osseuses sont effilées. Dans la pseudarthrose hypertrophique, c’est l’absence d’immobilisation stricte qui en est la cause. Les 2 extrémités sont hypertrophiques, « à patte d’éléphant » dans une tentative d’engluer le foyer sans y parvenir toutefois. Il y a plusieurs modes de traitements d’une pseudarthrose. Le traitement classique associe : - l’excision du foyer comprenant le tissu fibreux ou fibrocartilagineux, - l’avivement du foyer par décortication (pétalisation de la corticale en créant des copeaux corticaux pédiculés qui augmentent les surfaces d’ostéogenèse), - la stabilisation par ostéosynthèse (enclouage le plus souvent), - une greffe osseuse autogène (greffe spongieuse de la crête iliaque). La technique d’Ilizarov est une technique plus récente. Elle permet un traitement sans aborder le foyer de pseudarthrose. Elle met celui-ci en compression via un fixateur externe circulaire. Elle permet une mise en charge d’emblée. Le matériel est relativement encombrant. 4.2.7.3. Pseudarthrose septique La pseudarthrose septique est une complication très invalidante et redoutable car il y a association de 2 complications. Elle est définie comme l’absence de consolidation en milieu septique. Outre la mobilité du foyer, il existe un écoulement septique. Le traitement associe : - l’excision des tissus infectés et de l’os infecté, - l’apport éventuel d’un tissu bien vascularisé tel un muscle pédiculé, - une stabilisation par fixateur externe, - une reconstruction ultérieure de l’os par greffe osseuse. La technique d’Ilizarov peut ici aussi, être appliquée sans geste local. Par le jeu de la distractioncompression, elle va favoriser l’ostéogenèse et l’assèchement simultané de l’infection. 4.2.8. L’ostéite L’ostéite est une infection de l’os. C’est une complication classique d’une fracture ouverte ou opérée. Le microbe provoque localement une thrombose capillaire et donc une nécrose localisée de l’os. Le germe s’isole donc par la nécrose et reste à l’abri des antibiotiques. 28 28 Cet îlot osseux dévascularisé s’appelle un séquestre et apparaît plus dense à la radiographie. Le traitement comportera − l’ablation du matériel d’ostéosynthèse − l’ablation du séquestre − une antibiothérapie adaptée et si possible spécifique − un geste complémentaire éventuel tel un lambeau musculaire libre, une antibiothérapie locale, une greffe osseuse, etc. 5. Traumatologie du nerf et du muscle strié 5.1. Traumatologie du nerf Tout nerf, qu’il soit sensitif, moteur ou mixte, peut être le siège d’un traumatisme. En cas de plaie à proximité d’un nerf, on recherchera : - des troubles sensitifs : hypo- ou anesthésie du territoire. Ces signes attirent peu l’attention du patient et il faut donc savoir les rechercher - des troubles moteurs : parésie, paralysie. Les signes électromyographiques de dénervation n’apparaissent que tardivement. 5.1.1. Anatomie pathologique Chaque tronc nerveux est constitué d’un ensemble de fascicules (un fascicule représente un ensemble de fibres nerveuses). Chaque fascicule est entouré d’une gaine appelée périnèvre et chaque tronc a une gaine appelée épinèvre. On distingue plusieurs atteintes du nerf. Celles-ci vont de la contusion (« sidération ») à la rupture complète du nerf. Dans le premier cas, la récupération clinique est rapide tandis que dans le dernier cas, l’axone et la gaine de myéline dégénèrent et sont remplacés progressivement par un nouvel axone. Cette repousse se fait à une vitesse de 1 mm/jour. 5.1.2. Réparation chirurgicale La suture primaire par microchirurgie (utilisation d’une aiguille de 70 microns au microscope, fil de 10/0) sera effectuée si les conditions locales sont satisfaisantes. Plusieurs techniques chirurgicales sont 29 29 possibles et ont leurs partisans (suture périneurale, épipérineurale, épineurale). Si les lésions sont complexes ou si la plaie est souillée, on préférera la réparation différée avec réalisation d’une greffe nerveuse fasciculaire. Celle-ci est nécessaire pour éviter toute tension sur la suture qui est un facteur d’échec. Après parage et réparation d’autres éléments tels un ou des tendons, les deux extrémités du nerf seront repérées. Cette greffe est prélevée aux dépens d’un nerf sensitif peu important (ex. : nerf sural ou saphène externe au mollet). Les résultats sont globalement meilleurs après suture immédiate mais dépendent de beaucoup de facteurs dont principalement l’âge du blessé. La récupération complète est rare chez l’adulte et la sensibilité peut mieux récupérer que la motricité. 5.1.3. Syndrome de régénération Celle-ci se produit spontanément soit après réparation ou encore libération du nerf (neurolyse). Le retour vers une sensibilité et/ou une mobilité se caractérise par des fourmillements, des démangeaisons, des crampes ou des décharges électriques. Cliniquement, cette repousse nerveuse peut être suivie par le signe de Tinel : la percussion du nerf à l’endroit de la repousse provoque une décharge électrique reproductible. 5.2. Pathologie du muscle strié 5.2.1. Anatomie pathologique La plupart des lésions sont produites indirectement et sont l’apanage quasi exclusif de la pratique sportive. Par gravité croissante, on distingue : • La contracture : elle est la conséquence d’une accumulation d’effort sans récupération suffisante, entrainant une perturbation du métabolisme musculaire (acide lactique) et apparition d’une mise en tension myotatique. • L’élongation musculaire : elle fait suite à une contraction brutale, sur un muscle mal échauffé. Il n’y a pas de lésion macroscopique. Absence d’ecchymose. • La rupture musculaire (« claquage ») peut survenir ici aussi sans prémices, à la suite d’un effort brutal, la plupart du temps sans échauffement. Plus rarement, elle peut faire suite à une inflammation chronique dont elle est l’aboutissement. 30 30 Cette lésion représente la moitié des accidents musculaires. Il y a rupture d’un nombre plus ou moins grand de fibres musculaires. La rupture complète d’un muscle reste rare. La douleur est violente, l’impotence est grande et le jeu ne peut être repris. Ecchymose et hématome sont le règle. La rupture peut être située : - dans le corps musculaire - à la jonction musculo-aponévrotique (jumeau interne) - à la jonction musculo-tendineuse (biceps) - à la jonction ostéo-tendineuse (droit ant.). L’échographie reste le mode d’imagerie le plus utilisé pour évaluer et monitorer l’hématome. 5.2.2. Traitement Glace, contention élastique, AINS, ultrasons, kiné, chirurgie (rare). Reprise du sport à 2 mois pour une rupture partielle significative. CHAPITRE III : PATHOLOGIE TUMORALE DE L’APPAREIL LOCOMOTEUR 1. INTRODUCTION La pathologie tumorale de l'os reste une pathologie heureusement peu fréquente parmi les affections de l' appareil locomoteur. Il faut distinguer d'emblée les tumeurs primitives de l'os des métastases osseuses. L'os est en effet, un site fréquent d'envahissement secondaire d'autres cancers dits ostéophiles. Les métastases osseuses les plus fréquentes sont causées en ordre décroissant, par le cancer du sein, de la prostate, des poumons, des reins et de la thyroïde. Parmi les tumeurs bénignes de l'os, on retrouve des formes pseudotumorales, résultant d'un trouble du développement et non d'une prolifération (hamartomes). L'exostose ou la lacune métaphysaire en sont deux exemples. D'autres tumeurs osseuses ont une origine qui reste encore incertaine comme le kyste osseux simple et le kyste anévrismal. A l'opposé, les tumeurs malignes sont caractérisées par leur prolifération anarchique et leur capacité à essaimer à distance. Les tumeurs peuvent être classées en fonction de leur croissance qui indique leur comportement 31 31 biologique. Les tumeurs bénignes ont la plupart du temps, une croissance lente et ont des rapports bien définis avec les tissus voisins. Suivant leur mode de croissance, on distinguera: - La tumeur bénigne, quiescente qui peut involuer ou en tous cas, ne plus évoluer en fin de croissance telle un fibrome non ossifiant ("cortical bone defect"), un kyste osseux essentiel, un enchondrome ou une exostose. Ces tumeurs quiescentes sont souvent de découverte fortuite et ne demandent pas de traitement. - la tumeur bénigne, active qui peut continuer de grandir lentement et ainsi fragiliser l'os. Par exemple, un kyste anévrismal, un fibrome chondromyxoïde. Elles peuvent être symtomatiques. Un traitement chirurgical est souvent requis soit à cause des symptômes soit à cause de la fragilisation de l'os. - la tumeur bénigne, aggressive a une croisance rapide et peut infiltrer localement les tissus. Elle est ou deviendra symptomatique. Elle tend à récidiver si son ablation est incomplète. La tumeur à cellules géantes, un kyste anévrysmal, un fibrome chondromyxoïde, un chondroblastome ou un fibrome desmoïde peuvent entrer dans cette catégorie. On remarquera que certaines tumeurs bénignes peuvent adopter une croissance variable allant de la quiescence à l'aggressivité. - les tumeurs malignes sont elles, capables d'esssaimer à distance et localement, d'infiltrer les tissus adjacents. Le diagnostic différentiel avec une tumeur bénigne aggressive peut être difficile. Elles sont sous divisées en tumeur de faible ou haute malignité en fonction de leur potentiel de métastases. Les métastases se font dans la grande majorité des cas par voie hématogène, en premier lieu dans les poumons et en second lieu dans les os. Les ganglions métastatiques sont rares et terminaux dans les sarcomes ossseux. 2. CLASSIFICATION La classification des tumeurs osseuses se base sur le type histologique des cellules tumorales. Ce cours n' abordera que les principales tumeurs, une description exhaustive de toutes les tumeurs sortant du cadre de ces notes. 3. ÉPIDÉMIOLOGIE 32 32 Le fibrome non ossifiant et le kyste osseux essentiel sont les deux tumeurs bénignes les plus fréquentes. Un grand nombre d'entre elles sont de découverte fortuite de sorte que leur prévalence reste inconnue. L'incidence annuelle des cancers primitifs de l'os est d'environ 6 par million d'habitants. Le pic d'incidence est le plus élevé dans la tranche d'âge de 10 à 20 ans pour l'ostéosarcome et le sarcome d'Ewing et dans celle de 30 à 70 ans pour le chondrosarcome qui est pratiquement inconnu chez l'enfant. 4. DIAGNOSTIC 4.1. CIRCONSTANCES DE DÉCOUVERTE C'est tantôt une douleur persistante et inexpliquée, survenant volontiers la nuit qui motive la consultation, tantôt une fracture spontanée qui nécessite la consultation urgente. La radiographie suspecte ou confirme la présence d'une tumeur osseuse. Le patient est alors hospitalisé pour mise au point et diagnostic de la tumeur. 4.2. CARACTÈRES ANAMNESTIQUES ET CLINIQUES Certaines caractéristiques peuvent orienter le diagnostic lorsqu'une tumeur maligne est suspectée. Age Le sarcome d'Ewing est rare avant l'âge de 5 ans et après 30 ans. Avant 5 ans, la probabilité est plus grande pour un neuroblastome métastatique et après 30 ans, pour un lymphome. Avant l'âge adulte, on peut également exclure un myélome, un chordome et une métastase d'un adénocarcinome. Des lésions multiples chez un patient de plus de 40 ans évoquent des métastases ou un myélome multiple. Etat général La présence de fièvre oriente vers un diagnostic de sarcome d'Ewing plutôt que vers un lymphome. 5. EXAMEN CLINIQUE Il n'est pas spécifique pour un type particulier de tumeur. 6. EXAMENS DE LABORATOIRE Ils seront utiles pour exclure une autre cause de douleur ou de tuméfaction comme une ostéomyélite par exemple. Ils ne sont aucunement spécifiques d'une tumeur osseuse maligne. Toutefois, des 33 33 phosphatases alcalines ou des lacticodéshydrogénases très élevées peuvent orienter vers un diagnostic respectif d'ostéosarcome et de sarcome d'Ewing. 7. EXAMEN RADIOLOGIQUE La radiographie permet de déceler la tumeur de l'os et d'en suspecter la nature bénigne ou maligne et parfois même de l'identifier. Les signes suivants sont en faveur d'une lésion maligne sans être pour autant spécifiques: ¸ envahissement des parties molles adjacentes à l'os. ¸ interruption de la corticale osseuse. ¸ zone d'ostéolyse ou de condensation osseuse à limites floues. ¸ réaction périostée spiculée ou stratifiée. ¸ éperon périosté ou triangle de Codman. Au terme de cet examen, la tumeur sera classée soit comme bénigne, soit comme suspecte de malignité et dans ce cas, devra faire l'objet d'une mise au point complémentaire. 8. MISE AU POINT COMPLÉMENTAIRE EN CAS DE SUSPICION DE TUMEUR MALIGNE L'équipe médicale qui prend en charge un patient suspect d'une tumeur maligne doit pouvoir connaître les informations suivantes au terme de la mise au point complémentaire: • l'extension locale de la tumeur ("la cartographie de la tumeur") càd ses rapports de voisinage • l'extension éventuelle à distance. • le diagnostic histologique de la tumeur. Dès l'approche diagnostique, l'aspect pluridisciplinaire est important. Le radiologue doit savoir ce que veulent connaître le chirurgien, le pédiatre ou l'oncologue. Réciproquement, la biopsie ne sera réalisée qu'en dernier lieu pour ne pas gêner la lecture de l'imagerie. Si la biopsie est réalisée par le radiologue, sa localisation sera décidée en accord avec le chirurgien qui fera ultérieurement l'exérèse tumorale. 8.1. TENSION LOCALE DE LA TUMEUR Les examens seront réalisés avant toute biopsie afin de ne pas gêner la lecture de l'imagerie. Ce bilan initial servira également de référence pour suivre l'évolution de la tumeur sous chimiothérapie. 34 34 8.1.1. RÉSONANCE MAGNÉTIQUE Cet examen est devenu le moyen d'imagerie par excellence dans la mise au point d'une tumeur. • Tous les plans de coupe peuvent être étudiés. • La résonance montre bien l'extension tumorale à la fois dans et en dehors de l'os car elle résout très bien le contraste entre les différents types de tissus. C'est ainsi que la résonance s'est révélée être le moyen d'imagerie le plus efficace pour évaluer l'extension endomédullaire de la tumeur ou repérer les métastases intraosseuses dites "skip métastases". • C'est un examen indispensable pour préciser les rapports de la tumeur avec le cartilage de croissance et l'épiphyse chez un enfant. En effet, la résonance étudie facilement l'extension dans l'os spongieux. • Par l'injection d'un produit modifiant le signal, il est possible d'évaluer le comportement de la tumeur avant et après chimiothérapie en comparant le volume tumoral et le pourcentage de la prise de produit de contraste par la tumeur. • Contrairement à la tomographie axiale computérisée (scanner), la résonance démontre moins bien la minéralisation éventuelle de la tumeur. • Comme le scanner, cet examen ne peut pas formellement distinguer une tumeur bénigne d'une tumeur maligne. 8.1.2. TOMOGRAPHIE AXIALE COMPUTÉRISÉE Le scanner est avec la résonance magnétique, un examen d'imagerie permettant de réaliser une cartographie de la tumeur càd de préciser les rapports de celle-ci avec les structures environnantes. Cette technique est supérieure à la résonance pour visualiser la minéralisation et la corticale de l'os. A ce titre, elle est plus sensible que la résonance pour mettre en évidence une destruction débutante de la corticale, une fracture ou encore une minéralisation anormale de la tumeur. 8.1.3. SCINTIGRAPHIE OSSEUSE La scintigraphie osseuse s'intègre dans le bilan initial d'extension d'une tumeur ossseuse primitive et dans un protocole de surveillance des métastases. Elle utilise une molécule ostéotrope, organophosporée qui est marquée au technétium (99 m Tc). C'est un examen qui reflète à la fois la 35 35 vascularisation et l'ostéogenèse que celle-ci soit tumorale ou réactionnelle. C'est donc une technique sensible mais non spécifique. Sa résolution spatiale reste médiocre. 8.2. EXTENSION À DISTANCE DE LA TUMEUR Les poumons et le squelette constituent les premières et deuxièmes localisations à distance d'un cancer primitif de l'os. 8.2.1. MÉTASTASES PULMONAIRES La radiographie conventionelle et la tomographie computérisée des poumons sont les deux examens de choix pour cette recherche. 8.2.2. MÉTASTASES OSSEUSES La scintigraphie osseuse reste la technique de choix dans cette évaluation. Elle est plus sensible que la radiographie qui complétera l'examen en cas de suspicion. 8.3. LA BIOPSIE La biopsie est la dernière étape diagnostique et est un préalable absolu à tout traitement d'une tumeur maligne. Elle peut être faite à ciel ouvert ou de façon percutanée à l'aiguille. Le placement de la biopsie est capital et c'est la raison pour laquelle elle doit être idéalement réalisée par le chirurgien qui traitera définitivement la tumeur ou par le radiologue après discussion préalable avec le chirurgien. Une biopsie mal placée peut compromettre l'intervention définitive et rendre obligatoire une amputation. 9. THÉRAPEUTIQUE 9.1. TUMEUR BÉNIGNE Si un traitement est requis, le curetage sera le geste le plus fréquent. La cavité pourra être comblée soit avec de l'os du patient pris sur le bassin soit avec de l'os de banque (allogreffe). En cas d'une tumeur aggressive, le chirurgien ajoutera un traitement local adjuvant tel l'utilisation de phénol, de ciment acrylique, d'azote liquide ou d'un laser. Ce traitement supplémentaire appliqué à la paroi de la tumeur permet une dévitalisation des cellules résiduelles sur la paroi osseuse. Plus récemment, on a proposé dans les kystes essentiels, une injection de moelle osseuse 36 36 autologue sans autre geste asssocié. Dans les kystes anévrismaux, on peut aussi proposer un traitement qui provoque l'involution par implantation de matériel osseux décalcifié. Notre équipe vient de publier son expérience favorable dans ces types de traitement. 9.2. TUMEUR MALIGNE Le traitement d'une tumeur maligne de l'os comporte plusieurs volets thérapeutiques qui doivent être discutés par une équipe multidisciplinaire avant le début du traitement. Les possibilités thérapeutiques comprennent: la chimiothérapie, la radiothérapie et la chirurgie. 9.2.1. CHIMIOTHÉRAPIE La chimiothérapie est le traitement de base des sarcomes primitifs de l'os présentant une haute malignité tels l'ostéosarcome et le sarcome d'Ewing. Elle n'est pas utilisée dans le chondrosarcome qui y est insensible. Elle fait appel à des médicaments dits antiblastiques dont l'effet cytotoxique sur les cellules tumorales n'est pas spécifique. Toute chimiothérapie comporte un risque de toxicité aigüe et chronique pour les cellules normales de différents organes. Parmi les effets secondaires classiques de la chimiothérapie, une dépression de la cytogenèse médullaire avec anémie, leucopénie et thrombocytopénie est observée une à deux semaines après l'administration des agents antiblastiques. Ces effets sont partiellement contrés par l'utilisation de facteurs de croissance stimulant la production d'une lignée cellulaire spécifique. La chimiothérapie est donnée par voie intraveineuse ou plus rarement par voie intraartérielle. Pour éviter ou retarder l'apparition d'une résistance à ces médicaments, on les utilise en les combinant plutôt que séparément. Leur administration se fait en cure de 3 à 5 jours séparés par un intervalle de 3 semaines. Dans les sarcomes primitifs de l'os, la chimiothérapie est commencée dès le diagnostic histologique connu et donc avant la résection chirurgicale (chimiothérapie dite "néo-adjuvante"). Elle est ensuite poursuivie après la chirurgie avec un délai postopératoire variable de 2 à 3 semaines (chimiothérapie dite "adjuvante"). 9.2.2. RADIOTHERAPIE Comme la chirurgie d'exérèse, la radiothérapie ne peut prétendre qu'à une action locale et n'est pas 37 37 efficace sur les micrométastases. Elle est utilisée de façon variable en association avec la chimiothérapie et avec ou sans chirugie. Elle est également indiquée comme méthode complémentaire en cas de chirurgie non carcinologiquement complète. 9.2.3. LA CHIRURGIE Les progrès de la chimiothérapie, en transformant le pronostic vital des sarcomes osseux ont imposé de rechercher des traitements locaux qui améliorent la qualité de la survie. Ainsi, les amputations et les désarticulations classiques ont cédé la place à une chirurgie carcinologique conservatrice appelée résection ou encore sauvetage du membre ("limb salvage surgery"). Par résection, on entend la conservation du membre et l'ablation de la totalité de la tumeur avec un segment plus ou moins large de l'os tumoral sous-jacent ainsi que tout le trajet de la biopsie. Ce type de chirurgie s'imposait définitivement il y a quelques années lorsqu'il fut démontré qu'elle ne provoquait pas plus de récidives locales qu'une amputation et que la survie des patients était équivalente. L'amputation ne représente plus à l'heure actuelle que 5 % de la chirurgie dans les tumeurs malignes primitives de l'os. Pour remplacer l'os perdu, deux types de matériaux sont les plus couramment utilisés: la prothèse articulaire et l'allogreffe osseuse. La prothèse est utilisée en cas d'atteinte d'une articulation comme le genou, la hanche et l'épaule. Elle est en général fabriquée sur mesure et utilisée seule ou en association avec une allogreffe osseuse. La prothèse peut aussi être modulaire c-à-d faite d'éléments amovibles et peut ainsi s'adapter à toutes les situations rencontrées. L'allogreffe est un segment osseux avec ou sans épiphyse articulaire provenant d'une banque de tissus. Cette banque conserve par congélation à très basse température et après traitement, l'os qui a été prélevé chez un donneur d'organe. L'os de banque peut s'utiliser seul ou en association avec une prothèse. Ainsi, au membre supérieur, il est possible de reconstruire une épaule avec un humérus proximal de banque sur lequel le cartilage a été conservé (greffe ostéoarticulaire seule). Au membre inférieur, une prothèse articulaire est préférable chez l'adulte mais pas nécessairement chez l'enfant. Enfin, une arthrodèse avec une allogreffe peut constituer une alternative intéressante lorsque la mise en place d'une prothèse s'avère compromise par une paralysie ou un sacrifice musculaire important. Enfin, certaines localisations ne demandent pas de reconstruction comme la partie proximale du péroné. D'autres localisations comme le bassin ou la colonne vertébrale se caractérisent par une 38 38 difficulté majeure de la résection et de la reconstruction. Toute conservation du membre après résection d'un os tumoral entraîne une modification profonde de la biomécanique et expose le patient à des complications de type mécanique telle une fracture de la greffe ou de la prothèse, une usure des composants articulaires. Ces complications s'observent dans 20 à 30 % des cas. 10. CONTRÔLE À DISTANCE DES PATIENTS AYANT EU UNE TUMEUR MALIGNE Une durée minimale de 10 ans devrait être observée pour pouvoir considérer un patient comme guéri d'une tumeur maligne. Cependant, les statistiques à 5 ans sont plus facilement disponibles et permettent ainsi une comparaison. Au cours des 2 premières années, un contrôle clinique et radiologique sera effectué tous les 3 mois. Jusqu'à 5 ans, ce contrôle sera réalisé tous les 6 mois en cas d'évolution favorable. Au-delà de 5 ans, le contrôle sera annuel. 11. CONCLUSIONS Le diagnostic des tumeurs de l'os se fonde sur l'imagerie et en cas de suspicion de malignité, la biopsie tumorale est indispensable. Dans ce cas, une cartographie tumorale est indispensable à réaliser avant tout acte chirurgical. Lorsqu'il est nécessaire, le traitement chirurgical d'une tumeur bénigne fait appel de plus en plus souvent à de l'os de banque comme moyen de comblement après l' évidement tumoral ou kystique. Le traitement moderne d'une tumeur maligne est avant tout, multidisciplinaire. Excepté dans le chondrosarcome, la chimiothérapie s'est imposée comme modalité thérapeutique avant et après l'exérèse tumorale. C'est la combinaison du traitement local et général qui a amélioré nettement le pronostic de ces tumeurs. Ce traitement pluridisciplinaire a également contribué à l'amélioration des techniques chirurgicales qui sont devenues conservatrices dans la grande majorité des cas avec conservation d'un membre fonctionnellement utile. 12. QUELQUES APHORISMES ß 39 Au-delà de 50 ans, une tumeur osseuse est à priori une métastase ou un plasmocytome (myélome). 39 ß Les métastases sont les lésions tumorales les plus fréquentes du squelette. ß Les 2 tumeurs malignes primitives les plus fréquentes sont l'ostéosarcome et le chondrosarcome. La première est une lésion de l'enfant et l'adolescent, la deuxième se voit chez l'adulte surtout après 30 ans. ß Jamais de traitement sans diagnostic ce qui signifie la plupart du temps, pas de traitement sans biopsie. ß Toute tumeur à composante épiphysaire évoquera une tumeur à cellules géantes ou un chondroblastome. ß Les 4 tumeurs bénignes les plus fréquentes sont les exostoses, les chondromes, les tumeurs à cellules géantes et l’ostéome ostéoïde. ß Une ostéolyse lombosacrée ou craniocervicale doit, au-delà de 40 ans, faire évoquer un chordome 13. TUMEURS OSSEUSES LES PLUS FREQUENTES... Tumeurs bénignes Tumeurs malignes Fibrome non ossifiant Métastases osseuses Plasmocytome Sein Kyste osseux essentiel Ostéosarcome Prostate Enchondrome Poumons Chondrosarcome Ostéome ostéoïde Sarcome d'Ewing Reins Thyroïde 14. Classification Les tumeurs sont classées selon les critères histologiques en bénin ou malin et en fonction du type cellulaire dont elles dérivent. On distingue classiquement (tableau incomplet !) Tissu d’origine Bénignité Malignité Os Ostéome ostéoïde Ostéosarcome Cartilage Exostose Chondrosarcome Chondrome Chondroblastome Tissu conjonctif 40 Tumeur à cellules géantes 40 Fibrosarcome Fibrome desmoïde Histiocytome fibreux malin Fibrome non ostéogénique Tissu adipeux Lipome Liposarcome Notochorde Chordome Inconnu Sarcome d’Ewing 15. Tumeurs bénignes Ce sont des tumeurs qui ne métastasent pas. Elles peuvent être quiescentes, active ou agressive (cfr supra). 15.1. Kyste essentiel de l’os Tumeur relativement fréquente jusqu’à la fin de la croissance. Le kyste occupe l’extrémité supérieure de l’humérus ou du fémur. C’est une cavité remplie de liquide séreux sous tension. Le kyste finit toujours par cicatriser mais parfois au prix de plusieurs fractures qui consolident normalement. On accélère la guérison par injection intrakystique de cortisone (Dépo-Médrol) ou de moelle osseuse autologue. 15.2. Kyste anévrysmal de l'os Tumeur de l'enfant et adolescent se développant dans la métaphyse des os longs ou dans la colonne vertébrale. Elle peut souffler l'os par son expansion progressive. Elle paraît être d'origine traumatique avec un trouble de la circulation osseuse. Le kyste est constitué de lacs sanguins sans endothélium séparés par un stroma fibreux. Le traitement classique est le curetage et comblement de la cavité par de l'autogreffe ou allogreffe osseuse. 15.3. Fibrome non ostéogénique Malformation fréquente qui peut subsister après la croissance. Il devient un motif de consultation après découverte radiologique. Rassurer la famille la plupart du temps. 15.4. Ostéome ostéoïde Tumeur solitaire, petite et souvent très douloureuse. Elle provoque en général une douleur intense et nocturne. De façon caractéristique, celle-ci est bien soulagée par l’aspirine. Il faut sensibiliser le radiologue pour éventuellement obtenir des incidences radiologiques complémentaires. 41 41 Radiologiquement, il s’agit d’une lacune (« le nidus ») entourée d’une zone de sclérose osseuse. Tous les os peuvent être intéressés sauf le crâne, la clavicule et le sternum. Le traitement actuel est de cautériser la lacune par une ponction sous contrôle scanner. On fait passer un courant électrique qui provoque une température de 90° C, ce qui coagule les éléments constitutifs de la lésion. On peut également enlever la lésion par chirurgie. 15.5. Exostose L’exostose ostéogénique ou l’ostéochondrome est une excroissance osseuse surmontée d’une coiffe de cartilage. L’os est produit par ce germe de cartilage de croissance. La tumeur grandit pendant la croissance. Elle est pédiculée ou sessile. La tumeur est tantôt isolée, tantôt multiple. La coiffe cartilagineuse peut dégénérer en chondrosarcome (1 %) à l’âge adulte. Cela se traduit alors par une augmentation de volume, de l’exostose et l’apparition d’une douleur. Intérêt de l’échographie pour mesurer l’épaisseur du cartilage de la coiffe et suivre son évolution sans irradiation. 15.6. Tumeur à cellules géantes Tumeur bénigne mais pouvant avoir une malignité locale par son pouvoir élevé de récidive locale. Elle est située à la métaphyse ou à l’épiphyse et apparaît après 20 ans. Elle détruit l’os et peut même envahir les tissus mous. Le traitement associe un curetage suivi d’un bourrage par ciment ou greffe. 16. Tumeurs malignes Elles sont caractérisées par une croissance progressive, une capacité de s'étendre localement par infiltration des tissus mous, une capacité à métastaser et de provoquer la mort du patient. Les sarcomes des tissus mous (le plus fréquent est le liposarcome) sont deux fois plus fréquents que ceux de l’os. Les tumeurs malignes primitives de l’os atteignent avec prédilection les enfants et jeunes adultes. Après 50 ans, la première hypothèse est une métastase. Pour les deux premières tumeurs ci-dessous (ostéosarcome et sarcome d’Ewing), le pronostic à 5 ans est de l’ordre de 60 %. Heureusement, la prévalence de ces tumeurs malignes primitives de l’os reste faible : environ 10/un million d’habitants. Les deux tumeurs primitives les plus fréquentes de l’os sont : 16.1. Ostéosarcome C’est la plus fréquente des tumeurs malignes et il s’attaque à la métaphyse des os longs avec une prédilections pour le fémur distal et le tibia proximal. La destruction de la corticale, l’envahissement 42 42 des parties molles, la réaction périostée orienteront le diagnostic qui sera établi par la biopsie. Le traitement comporte de la chimiothérapie pré- et postopératoire et l’ablation de la zone malade et sa reconstruction. Celle-ci peut se faire par greffe ou par prothèse. 16.2. Sarcome d’Ewing Cancer développé à partir de la moelle osseuse. La tumeur infiltre l’os sur une grande étendue et produit souvent une réaction périostée importante. Le traitement comporte une chimiothérapie associée à la chirurgie. C’est une tumeur très radiosensible. 16.3. Chondrosarcome Il s’agit d’une tumeur de l’adulte, contrairement aux deux premières. Tantôt il est primitif, tantôt il est secondaire à une lésion préexistante (exostose du tronc ou des ceintures, chondrome, etc.). Le traitement est uniquement chirurgical, la tumeur étant insensible à la radiothérapie et à la chimiothérapie. CHAPITRE IV : ORTHOPEDIE PEDIATRIQUE 1. Les malformations congénitales et les maladies héréditaires 1.1. Les malformations congénitales des membres La formation des membres comporte une combinaison de différenciations et de mouvements morphogénétiques. Les anomalies congénitales des membres sont variées. Elles ont fait l’objet de multiples classifications dont certaines sont basées sur des hypothèses pathogéniques. On parle de syndrome malformatif lorsque les anomalies de structure multiples relevées chez un fœtus ou un nouveau-né sont la conséquence des défects multiples engendrés par une ou des anomalies chromosomiques ou par des agents tératogènes. Par contre lorsque des anomalies multiples font suite à un seul problème dans la morphogenèse et mènent à une cascade d’anomalies, on parle de séquence. Il est classique, depuis la parution du livre de Smith (Recognizable patterns of human malformation 1982), de décrire trois mécanismes principaux dans la genèse de ces malformations congénitales : (i) le défaut de formation ou d’organisation, (ii) la lésion de tissus foetaux normaux, (iii) les déformations liées 43 43 à des contraintes anormales. Ces trois mécanismes, qui peuvent se combiner et se chevaucher, aboutissent à des lésions qui peuvent en entraîner d’autres, d’où l’utilisation par les auteurs anglosaxons du terme « séquence » qui signifie littéralement « chaîne ou cascade d’événements ». Jones (24) a dans la dernière édition du Smith’s en 1997, différencié quatre catégories de séquences menant à des défects structuraux : les défauts de formation et d’organisation étant actuellement séparés. 1. Les troubles de formation tissulaire font partie de la séquence malformative. 2. La séquence dysplasique résulte des anomalies d’organisation cellulaire au sein des tissus. 3. Au cours d’une séquence déformative, des forces anormales s’appliquent sur des tissus fœtaux normaux. 4. On parle de séquence disruptive lorsque les éléments destructeurs (par ex. vasculaires, infectieux, mécaniques,...) lèsent des tissus fœtaux initialement normaux (43). Une agression peut avoir des effets bien différents selon le moment du développement embryonnaire ou de la maturation et de la croissance fœtale auxquels elle est appliquée. Ainsi par exemple : les anomalies faisant suite à des destructions tissulaires menant à une cascade disruptive prendront différentes formes selon l’étendue et le moment des lésions initiales. Les malformations des membres sont multiples et variées. Swanson en 1976 a proposé une CLASSIFICATION qui reste utilisée actuellement : Cat. 1 : défaut de formation ou arrêt de développement Agénésie transversale (amputation congénitale par non-formation, à distinguer de l’amputation intrautérine secondaire à la maladie des brides amniotiques). Dysmélie longitudinale externe. Agénésie du radius. Agénésie du péroné. N.B. L’agénésie du radius peut être associée à d’autres anomalies par exemple une anomalie cardiaque dans le syndrome de Holt Oram ou une myélodysplasie dans le syndrome de Fanconi. Dysmélie longitudinale interne. Agénésie du cubitus (plus rare que l’agénésie du radius). Agénésie du tibia. Dysmélie intercalaire. 44 44 Phocomélie : DRAME DE LA THALIDOMIDE (Softenon). Agénésie proximale du fémur : peut être associée à une dysmélie longitudinale externe (proximal focal femoral fibular deficiency : PFFFD). Dysmélie centrale ou aplasie centrale. Main en fourche. Main en pince de homard. (N.B. souvent héréditaire). Cat. 2 : défaut de séparation ou de différenciation Syndactylies simples, complexes, associées à un syndrome. Cat. 3 : duplication Polydactylie. Préaxiale = duplication du pouce. Postaxiale = fréquent dans certaines tribus d’Afrique centrale sous forme d’un 5ème doigt hypoplasique parfois à peine pédiculé. Cat. 4 : Gigantisme Peut être monstrueux. Syndrome de Silver. Problème de l’inégalité de longueur des membres inférieurs. Cat. 5 : hypoplasie Main en miniature. Peut être associée à des syndactylies ou à un syndrome (syndrome de Poland). Cat. 6 : la maladie des brides amniotiques : un exemple de séquence disruptive. La pathophysiologie de la maladie des brides amniotiques Deux théories expliquant la formation des brides congénitales se sont longtemps affrontées. L’une est basée sur la survenue de nécroses cellulaires localisées, l’autre fait référence aux lésions amniotiques. Elles ne représentent que des explications partielles et pourraient être 45 45 complémentaires. En 1930, sur base de l’étude de 16 fœtus, Streeter avance comme explications aux brides congénitales un trouble primaire de développement de la cavité amniotique et des bourgeons embryonnaires des membres. Les brides résulteraient de ce processus de développement anormal sans en être le cause. Ce sont à des nécroses tissulaires, probablement d’origine vasculaire, qu’ont été imputées les brides et les amputations de membres. En 1965, sur base de l’étude de 10.000 placentas humains et de 400 cas de malformations fœtales amniogéniques, Torpin conclut à des ruptures primaires de l’amnion menant à la formation de bandes de mésoderme amniochorioniques. Des travaux expérimentaux soutiennent les très rares observations cliniques de développement de syndrome des brides amniotiques après traumatisme ou tentative d’avortement. L’amniocentèse chez la rate peut causer des lésions palatines et des membres. Kino a montré que celle-ci cause une contraction utérine excessive pouvant provoquer une nécrose hémorragique des membres. Une bande étroite de nécrose hémorragique amène une bride, une nécrose étendue amène l’amputation spontanée. Clavert a décrit un modèle expérimental chez le lapin, rendant mieux compte de l’ensemble des anomalies rencontrées dans la maladie des brides amniotiques chez l’homme que les théories mécaniques. L’injection intra-annexielle de glucose détruit les cellules superficielles de l’embryon suite au choc osmotique. Toutes les anomalies rencontrées dans la maladie des brides amniotiques peuvent y faire suite. L’agent pouvant causer ces lésions des cellules superficielles chez l’homme n’est pas connu. Cat. 7 : les syndromes Il y a une multitude de syndromes malformatifs comportant des malformations des membres. Un exemple: le syndrome de Poland est caractérisé par une brachymésophalangie associée à une agénésie des chefs inférieurs du grand pectoral, il peut comporter en outre une hypoplasie de la main - main en miniature - et des syndactylies. Plusieurs syndromes associent des malformations de la tête et des membres : syndrome d’Apert ou acrocéphalosyndactylie. 46 46 1.2. Les déformations En fin de grossesse, le fœtus est soumis à des contraintes qui peuvent déterminer des déformations. Celles-ci doivent être distinguées des malformations qui sont de pronostic plus sévère. Exemple de déformations : Plagiocéphalie. Syndrome positionnel du nouveau-né avec scoliose et bassin oblique. Pied talus valgus. Métatarsus varus congénital. Il faut distinguer : − le pied bot varus équin (grave et malformatif) du métatarsus varus congénital, − le pied convexe congénital (grave) du pied talus valgus (bénin). Certaines pathologies qui seront vues en détail plus tard sont déterminées au moins partiellement par les contraintes intra-utérines. C’est le cas de la maladie luxante de la hanche que l’on observe avec une fréquence plus élevée chez les premières filles. 1.3. Les maladies constitutionnelles Une multitude d’affections constitutionnelles dont certaines sont héréditaires concernent l’appareil locomoteur, certaines peuvent déterminer des nanismes. On parle de DYSPLASIE OSSEUSE. Le terme de dysplasie osseuse fait référence à une série de pathologies consécutives à un trouble intrinsèque des tissus osseux. Un NANISME peut être : - proportionné : le nanisme hypophysaire, - disproportionné : par exemple les membres courts avec tronc long de l’achondroplasie. Quelques exemples de dysplasie squelettique : - nanisme diatrophique, - nanisme métatrophique, - maladie des exostoses multiples, - achondroplasie, - pseudo-achondroplasie, - dysplasie spondyloépiphysaire, -mucopolysaccharidoses (Hurler, Morquio), 47 47 - osteogenesis imperfecta : fragilité osseuse - anomalie du collagène - au moins 4 types, dont un est létal, - ostéopétrose : problème de moelle osseuse dans la forme maligne. Deux formes (bénigne et maligne). D’autres AFFECTIONS CONSTITUTIONNELLES peuvent avoir des répercussions orthopédiques : - maladie de Marfan (scoliose), - mongolisme = trisomie 21 = syndrome de Down (laxité articulaire), - Ehler Danlos (laxité), - Gaucher (nécroses osseuses), - rachitisme vitamino-résistant (troubles de l’axe des membres inférieurs), - drépanocytose (nécroses osseuses, ostéomyélite), - maladie de Von Recklinghausen (neurofibromatose) (scoliose, tumeur des nerfs, tumeurs malignes, pseudarthrose congénitale), - dysplasie fibreuse, - maladie d’Ollier, etc. 2. Les troubles statiques des membres inférieurs chez l’enfant 2.1. Introduction Au cours de la croissance, la morphologie des membres inférieurs se modifie (2,3,4,9,11,16,21,22). Chez le jeune enfant, les membres inférieurs sont en varus et il y a une rotation interne du squelette jambier. Dès trois ans, on constate l’apparition d’un genu valgum physiologique. Celui-ci se corrige spontanément de façon à arriver à une morphologie proche de celle de l’adulte aux alentours de la dixième année d’âge. Le contrôle de la statique des membres inférieurs est une cause fréquente de consultation chez le généraliste, le pédiatre et l’orthopédiste. C’est également une des missions du médecin scolaire et du médecin du sport. Il importe de faire la part entre la morphologie idéale, les variantes de la normale et les états pathologiques qui justifient une action thérapeutique. 2.2. Les modifications morphologiques des membres inférieurs au cours de la croissance La morphologie des membres inférieurs du nouveau-né est conditionnée par la forme de l’environnement utérin et variera selon la position fœtale. 48 48 Fréquemment, l’enfant nouveau-né présente une courbure tibiale à concavité interne modérée, une endorotation du squelette jambier et des pieds qui ont tendance à s’enrouler vers l’intérieur. Le genu varum physiologique et la rotation interne du tibia se corrigent dès l’âge de la marche. Au cours de la troisième année, les membres inférieurs acquièrent une morphologie en genu valgum, qui disparaîtra progressivement entre l’âge de trois ans et l’âge de sept ans. Chez l’enfant de trois ans, les rotations internes de hanche prédominent généralement sur les rotations externes. Ce déséquilibre des rotations est lié à une antétorsion fémorale (antéversion). Il disparaît progressivement alors que l’antétorsion se corrige pour atteindre les valeurs de l’adulte vers 14-15 ans. Parallèlement s’installe la rotation externe physiologique du squelette jambier. 2.3. Les troubles statiques 2.3.1 Chez le nouveau-né Le pied normal du nouveau-né est un pied souple qui a tendance à être enroulé vers l’intérieur, mais se déploie spontanément dès qu’il est libéré des contraintes intra-utérines. Les pieds positionnels (3,4,16,22) sont souvent liés à des positions défavorables ou à un manque d’espace (oligoamnios). La déviation vers l’intérieur de l’avant-pied constitue le métatarsus varus ou métatarsus adductus. Les pieds contraints vers l’extérieur sont valgus. S’il s’y associe une contrainte en flexion dorsale, la morphologie sera celle d’un pied talus valgus. Il faut distinguer ces pieds positionnels bénins « déformés » de pieds malformatifs : le pied bot varus équin et le pied bot convexe congénital. Le pied bot varus équin est facile à reconnaître. Il se caractérise par sa rigidité. La moitié des cas peuvent être corrigés par un traitement orthopédique précoce (pieds bots dits « extrinsèques » ou bénins). Les pieds bots sévères dits « intrinsèques » justifient presque toujours, outre le traitement orthopédique, un geste chirurgical complémentaire. Le pied convexe congénital se caractérise par une verticalisation de l’astragale et une subluxation (17) de l’avant-pied par rapport à l’arrière-pied. Il est souvent associé à d’autres anomalies. Son traitement est particulièrement difficile. Les pieds positionnels sont nettement moins rigides. Généralement, ils peuvent être corrigés passivement. Les formes mineures régressent spontanément. Si la déformation est déjà structuralisée, il vaut mieux prescrire des manipulations voire des petits plâtres correcteurs. Tachdjian (23) distingue le métatarsus adductus congénital caractérisé par une adduction de l’avant-pied liée à la position intra- 49 49 utérine, du métatarsus varus congénital qui est structuralisé et de pronostic plus sévère, et du pied en zigzag (shewfoot ou serpentine foot) qui associe un valgus de l’arrière-pied et un varus de l’avant-pied (13). Le syndrome positionnel du nouveau-né : On appelle syndrome positionnel du nouveau-né, l’association d’une scoliose d’attitude, d’une obliquité pelvienne et d’une asymétrie des pieds en pied talus valgus d’un côté et en métatarsus varus de l’autre côté (4,14,16,18). Dans sa forme habituelle, le syndrome positionnel du nouveau-né est bénin et les troubles statiques se corrigent spontanément. La hanche, du côté de la concavité, est cependant une hanche à risque. Le diagnostic à ne pas méconnaître est ici la luxation dite congénitale de la hanche (6,12,14,18,19,20). 2.3.2. Chez l’enfant Genu varum et genu valgum Le genu varum physiologique de l’enfant se corrige spontanément au cours de la seconde année. Un genu varum qui s’aggrave après l’âge de la marche doit faire rechercher un rhumatisme vitaminorésistant ou une maladie de Blount (7). L’âge de 3 ans est l’âge du genu valgum physiologique. C’est une phase normale de la croissance des membres inférieurs. Le genu valgum peut être pathologique en cas de trouble métabolique (ostéodystrophie rénale, rachitisme vitamino-résistant) ou de maladie génotypique (maladie de Morquio par exemple). Il existe des genua valga qui persistent sans cause pathologique connue. Ces genua valga idiopathiques justifient avant toute chose un bilan goniométrique, car il faut d’abord éliminer les pseudo-genua valga liés à une étroitesse du bassin qui sera compensée par la croissance en fin d’adolescence. Dans ces cas, l’axe mécanique fémoro-tibial mesuré selon Massare est normal. En cas de réel genu valgum persistant, la correction pourra être obtenue par agrafage épiphysaire en fin de croissance. Chez les adolescents de forte corpulence, on a décrit aux Etats-Unis principalement des formes tardives de la maladie de Blount. Il s’agit d’un genu varum progressif de l’adolescent. Les troubles de la rotation Chez le nouveau-né, il y a une rotation interne dite « fœtale » du squelette jambier. Cette rotation interne se corrige plus ou moins tôt pour aboutir à une rotation externe physiologique de 10 à 15° chez l’adulte. L’habitude de dormir sur le ventre avec les pieds en dedans et surtout les positions à genoux 50 50 avec le ou les pieds sous le siège favorisent la persistance d’une rotation interne du squelette jambier (11). La cause la plus fréquente d’une marche en rotation interne est une antétorsion fémorale excessive pour l’âge. L’antéversion fémorale diminue progressivement à partir de l’âge de la marche (1,2,8,9,11,21) pour arriver à des valeurs proches de celle de l’adulte (10-12°) fin de croissance (1,21). Les retards de dérotation du fémur se manifesteront par une endorotation lors de la marche. A l’examen clinique, on notera une prédominance des rotations internes de hanche sur les rotations externes. L’évolution de ce déséquilibre des rotations de hanche permet de suivre l’évolution de ces syndromes d’hyperantéversion fémorale ou syndrome d’Alvick. La position assise en « M » favorise la persistance de l’antétorsion fémorale. Il faut encourager les enfants à s’asseoir plutôt en tailleur. Le syndrome de double rotation (15,16) correspond à l’association d’une antétorsion fémorale et d’une rotation externe excessive du squelette jambier. La dérotation s’est faite dans ce cas principalement au niveau du squelette jambier. La rotation externe des squelettes jambiers détermine, lorsque les pieds sont joints, un faux genu varum avec strabisme convergent des rotules. L’axe mécanique des membres inférieurs et la position de l’axe de flexion des genoux s’améliorent lorsque les pieds divergent ou lorsque le sujet se met sur la pointe du pied. Le syndrome de double rotation prédispose à la chondropathie rotulienne et à la surcharge du compartiment interne des genoux. Il s’accompagne généralement de déformation des pieds en pieds plats valgus. La marche est peu esthétique et la course qui se fait avec un déjettement des jambes vers l’extérieur est peu rapide. Les spécialistes continuent à discuter le rôle respectif de la prédisposition génétique et celui des postures de jeu et de sommeil dans l’apparition de cette double rotation (8). Nous sommes convaincus que la position assise en « M » intervient dans sa genèse. L’abandon de cette position est la mesure préventive à diffuser. Lorsqu’il est installé, le syndrome de double rotation pose un difficile problème thérapeutique. La correction des défauts axiaux dans le plan horizontal nécessiterait des ostéotomies fémorales et tibiales bilatérales. Ces gestes apparaissent excessivement lourds, d’autant plus que les ostéotomies de dérotation sont grevées d’une morbidité significative (erreur de correction, retard de consolidation, syndrome de loge au niveau jambier). 51 51 2.4. La statique des pieds Les pieds plats Au cours des deux premières années de la vie, l’empreinte plantaire est étalée du fait de l’épaisseur des parties molles. Pendant la première enfance, on verra progressivement l’empreinte se « former ». Beaucoup d’enfants, surtout ceux qui ont une laxité articulaire importante, développent des pieds plats valgus dits hyperlaxes. Ces pieds se corrigent lorsque l’enfant marche sur la pointe des pieds ou lorsque l’on porte le gros orteil en extension. Les pieds plats banals du petit enfant disparaissent dans la majorité des cas avec la croissance et la maturation du tonus musculaire. On peut favoriser cette évolution en pratiquant des exercices de tonification musculaire et des exercices de marche sur la pointe des pieds. Certains pieds plats sont associés à une brièveté des tendons d’Achille. Si le pied plat est douloureux ou rigide, il faut penser à l’existence d’une synostose des os du tarse (barre ou « tarsal coalition »). Les synostoses méritent d’être reconnues avant la fin de la croissance, car la résection de la barre avec interposition d’un élément musculaire ou aponévrotique permet assez régulièrement d’améliorer la statique du pied et de rétablir l’indolence et la souplesse (5). Les pieds creux Les pieds creux idiopathiques sont généralement modérés et souvent familiaux. Cette morphologie du pied peut être favorisée par certaines pratiques comme la danse classique sur les pointes qui surcharge par ailleurs le premier rayon (24). Les pieds creux sévères sont presque toujours la manifestation du déséquilibre musculaire dû à une affection neuromusculaire. Il faut rechercher une pathologie musculaire (myopathie centronucléaire par exemple), nerveuse périphérique (Déjérine-Sottas, Charcot Marie-Tooth), médullaire (diastématomyélie, Friedreich) ou cérébrale. En cas de pied creux, il faut procéder à un examen neurologique, à un examen électrologique neuromusculaire et éventuellement à une radiographie du rachis. Un pied creux unilatéral modéré associé à une petite inégalité de longueur des membres inférieurs ou à une inégalité de longueur des pieds évoque d’abord une anomalie d’innervation comme dans la méningomyélocèle marquée ou spina bifida occulta de James et Lassman (10). EN BREF L’analyse de la statique des membres inférieurs nécessite une parfaite connaissance de la croissance 52 52 normale (2,9). La plupart des troubles statiques des membres inférieurs dépistés correspondent à des retards de maturation ou à des variantes qu’on ne peut pas considérer comme pathologiques, mais comme « moins parfaites ». Le rôle du médecin est de dépister les affections sérieuses dont le pronostic d’évolution spontanée est défavorable. Chez le nouveau-né, nous avons signalé les pieds bots et la luxation congénitale de la hanche, chez le petit enfant, les troubles du métabolisme phosphocalcique et la maladie de Blount. A tout âge, il faut rechercher une pathologie neuromusculaire. Le déséquilibre musculaire qu’elle peut engendrer est susceptible d’entraîner des répercussions sur la statique. Seuls les enfants qui ont une morphologie idéale auront des performances sportives de qualité. Engager un enfant présentant des troubles statiques dans une pratique sportive intensive a de grandes chances de générer des lésions de surcharge. Bien que la morphologie soit largement déterminée par le bagage génétique, nous sommes convaincus que les positions de jeu ou de couchage et la pratique sportive influent l’harmonie de la statique. Il est donc important de conseiller judicieusement les parents, les éducateurs et les enseignants. BIBLIOGRAPHIE 1. BEDOUELLE J. Antéversion des cols fémoraux. Acta Orthop. 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Les lésions ostéo-articulaires traumatiques de l’enfant Le squelette en croissance se différencie du squelette de l’adulte à la fois par une vulnérabilité spécifique face aux lésions traumatiques, mais également par des possibilités de réparation remarquables. La vulnérabilité est liée à une moindre résistance mécanique des pièces squelettiques et surtout à l’existence du point faible que constitue le cartilage de croissance. La ligne épiphysaire ou plaque de croissance est la zone par laquelle l’os croît en longueur par ossification enchondrale. Les cellules germinales se multiplient, se disposent en colonne, s’hypertrophient et finalement dégénèrent pour permettre l’invasion des logettes ainsi créées par les bourgeons conjonctivovasculaires qui vont permettre l’ossification. La zone des logettes constitue une zone de fragilité peu résistante en particulier aux forces de cisaillement que pourront entraîner des fractures décollement épiphysaire ou épiphysiolyses traumatiques. Des contraintes axiales (écrasement ou crush) pourront entraîner des lésions de la zone germinative. L’os de l’enfant a des caractéristiques mécaniques différentes de celles de l’os de l’adulte. La pièce squelettique de petite taille est moins solide que celle de l’adulte du fait de la moindre quantité de matière minérale, globalement et par unité de volume. L’os de l’enfant est moins minéralisé que celui de l’adulte. Par contre, il a une élasticité particulière qui est liée à la trame organique et au fuseau périosté. 54 54 L’os de l’enfant, du fait de son élasticité, résistera de façon remarquable à certains traumatismes, en particulier des traumatismes en inflexion (« bending »). Si le seuil d’élasticité est dépassé, l’inflexion pourra provoquer une déformation plastique (posttraumatic bowing) ou une fracture dite en « bois vert » (greenstick fracture). La charge axiale pourra provoquer des tassements trabéculaires qui se localiseront principalement au niveau des métaphyses (fractures en « motte de beurre »). L’os en croissance a également des possibilités de réparation remarquables. Les fractures de l’enfant guérissent plus facilement et plus rapidement que celles de l’adulte (à l’exception de quelques sites spécifiques comme le condyle externe de l’humérus, le col du radius et le col du fémur) et les pseudarthroses sont rares. Les déformations résiduelles importantes peuvent être corrigées par la croissance et le remodelage. 3.1. Les fractures décollement épiphysaire Salter et Harris (J. Bone Joint surg. 45A. 587, 1963) ont proposé une classification des fractures décollement épiphysaire qui prend en considération : - le mécanisme du traumatisme, - les relations du trait de fracture avec la ligne de croissance, - le pronostic de la lésion pour ce qui concerne la croissance ultérieure. Cette classification en cinq types est actuellement classique. Plus récemment, Ogden (J. Ped. Orth. 2371, 1982 et Saunders 1990) a proposé de modifier cette classification en introduisant des sous-groupes qui tiennent compte de certains mécanismes mixtes et de certaines situations pathologiques préexistantes au traumatisme (fracture pathologique). Type I La fracture décollement épiphysaire de type I se caractérise par une séparation de l’épiphyse de la métaphyse selon la ligne de croissance sans fracture parcellaire associée. Le plan de clivage est la zone du cartilage hypertrophié. La zone germinale reste attachée à l’épiphyse. Le mécanisme est généralement un effet de cisaillement. Cette lésion survient surtout chez le jeune enfant et se caractérise par son bon pronostic. La classification d’Ogden identifie trois sous-groupes. Le sous-groupe 1B est en fait un faux décollement épiphysaire qui emporte la fine pellicule d’une métaphyse fragilisée par un processus pathologique (par exemple une infiltration néoplasique). Le sous-groupe 1C concerne des lésions traumatiques en cisaillement compliquées d’une lésion directe du cartilage en compression. 55 55 Cette lésion peut être due au traumatisme lui-même ou être provoquée par des manœuvres de réduction traumatisantes. Le type 1C est, contrairement aux deux autres sous-types, d’un mauvais pronostic. Il se complique de troubles de croissance. C’est en fait l’association d’un type I et d’un type V dans la classification de Salter et Harris. Type II La fracture décollement épiphysaire de type II de Salter est la variante la plus fréquente surtout chez l’enfant plus âgé. La ligne de séparation se situe également à la jonction épiphyso-métaphysaire, mais elle se propage dans la métaphyse, emportant un fragment métaphysaire typiquement triangulaire. Cette variété est également de bon pronostic. Le sous-groupe 2B comporte une fracture en Y de la métaphyse avec isolement d’un fragment métaphysaire. Le sous-groupe 2C est le faux décollement épiphysaire dont le trait principal laisse une fine couche de spongieux métaphysaire solidaire de l’épiphyse. Le sous-groupe 2D est la lésion de mauvais pronostic qui comprend une lésion par écrasement ou plus souvent par impaction détruisant une partie de la plaque de croissance. Type III La fracture décollement épiphysaire de type III Salter et Harris est une fracture articulaire comportant une séparation de l’épiphyse en deux parties. Cette fracture articulaire doit être traitée avec grand soin car la fonction de croissance et la fonction de l’articulation ne seront préservées que par une réduction anatomique qui nécessite généralement une reposition et une fixation chirurgicale. Type IV La fracture décollement épiphysaire de type IV de Salter et Harris est également une fracture articulaire séparant l’épiphyse en deux parties, mais cette fois le fragment libre comporte un triangle métaphysaire. Si la réduction n’est pas parfaite, le cartilage de croissance sera interrompu par un pont osseux et sa fonction perturbée. Ogden a ici aussi défini quatre sous-groupes en fonction de la forme et de la localisation du trait de fracture. La fracture du col de fémur dont le pronostic est si sévère chez l’enfant correspond au type 4C dans la classification de Ogden. Type V 56 56 La lésion de type V résulte d’un traumatisme quasi axial entraînant une destruction complète ou partielle de la zone de croissance par écrasement. C’est une lésion de pronostic sévère qu’il est quasi impossible de diagnostiquer au moment où elle survient. On en découvre les conséquences au moment ou le trouble de croissance se manifeste. Les lésions des cartilages de croissance dues à une irradiation thérapeutique ou à une gelure voire une brûlure électrique ressemblent à ces lésions de type V en leurs conséquences. Type VI La lésion de type VI dans la classification de Ogden correspond à l’avulsion périphérique d’un fragment ostéochondral. C’est une fracture arrachement du périchondre à l’endroit de la zone de Ranvier. Cette lésion est d’assez mauvais pronostic. Les brûlures thermiques profondes peuvent provoquer des lésions de ce type par contiguïté. Type VII La lésion de type VII correspond à une fracture chondrale ou ostéochondrale séparant un fragment épiphysaire ou apophysaire sans atteinte du cartilage de croissance. L’ostéochondrite disséquante posttraumatique et la fracture ostéochondrale de la rotule sont des lésions épiphysaires de type VII. La forme aiguë de la maladie d’Osgood-Schlatter est une lésion apophysaire de type VII dans la classification d’Ogden. Type VIII La lésion de type VIII est une fracture métaphysaire qui influence la croissance par le biais d’un mécanisme vasculaire. Ce type a été identifié pour classifier la fracture métaphysaire du tibia avec valgus progressif qui relève probablement de ce mécanisme. Type IX La lésion de type IX est celle qui emporte un fragment périosté ou ostéopériosté diaphysaire perturbant la croissance transversale de la diaphyse. Les lésions traumatiques des zones de croissance sont donc extrêmement diverses. Dans la pratique quotidienne, la classification de Salter et Harris est adéquate pour définir et établir un pronostic, si ce n’est que le traumatisme direct du cartilage de croissance (lésion de type V) peut survenir en association avec un simple décollement épiphysaire de type I et de type II réputé de bon pronostic. 57 57 2. Les lésions des apophyses L’apophyse est définie comme étant un relief osseux sur lequel s’insère un groupe musculaire. Chez l’enfant en croissance, l’apophyse est séparée de l’os par un cartilage de croissance. Ces apophyses sont au début de la croissance des proéminences cartilagineuses dans lesquelles va apparaître un centre d’ossification qui pourra d’abord être en relation avec l’épiphyse (tubérosité tibiale antérieure par exemple, mais finira par se fusionner avec l’os). Ces apophyses sont parfois appelées épiphyses de traction. Elles sont en effet soumises à des tractions musculaires alors que les plaques épiphysaires principales sont placées en compression. Elles n’interviennent guère dans la croissance en longueur de l’os, mais jouent un rôle dans la morphologie globale de l’os. L’ancrage musculaire dans les apophyses est très solide. Les fibres de Sharpey qui prolongent le tendon dans l’os sont plus solides que les fibres collagènes qui assurent la cohésion de la plaque épiphysaire. En cas de traumatisme par traction aiguë ou chronique, la lésion sera habituellement une avulsion apophysaire et non-arrachement musculotendineux. Les lésions des apophyses surviennent donc à la suite d’un traumatisme direct, ou suite à une contraction musculaire excessive qui aboutit à une apophysiolyse traumatique. La lésion peut être partielle ou complète. Les lésions partielles peu déplacées sont stables. Elles guérissent par la simple immobilisation. Par contre, l’avulsion complète d’une apophyse avec déplacement de plus d’un centimètre constituera généralement une indication opératoire. La lésion de ce type la plus fréquente est l’avulsion de l’épitrochlée au coude. 3.3. Les fractures en bois vert et les déformations plastiques Les fractures en bois vert sont très fréquentes chez l’enfant. Il s’agit d’une fracture incomplète avec préservation de travées corticales et intégrité du périoste du côté de la concavité. Ces fractures s’accompagnent d’un déplacement angulaire qu’il faudra réduire. Lors de la réduction, il est parfois difficile de préserver la stabilité de la fracture qui est perdue si la fracture est transformée en fracture complète. La fracture en motte de beurre ou plus exactement le tassement trabéculaire métaphysaire est une lésion bénigne qui n’entraîne pas d’instabilité et ne nécessite pas de réduction. Elle guérit en quelque trois semaines. La déformation plastique ou « bowing » des anglo-saxons est une lésion beaucoup moins bien connue. L’os est déformé au-delà de son élasticité et une déformation plastique s’installe. La figure illustre une 58 58 déformation plastique du cubitus chez un jeune garçon âgé de 8 ans. La déformation du cubitus s’est faite avec une concavité postérieure et est accompagnée d’une luxation antérieure de la cupule radiale. Il s’agit donc d’un équivalent de fracture de Monteggia. La réduction de l’incurvation plastique s’est avérée impossible sans pratiquer une ostéotomie du cubitus. Elle était indispensable pour obtenir une réduction stable de la luxation de la tête du radius. 3.4. Le problème du remodelage après fracture diaphysaire L’os de l’enfant a des potentialités de remodelage remarquables. Ce remodelage a cependant des limites. Il se fait par apposition et résorption osseuse non seulement au niveau du foyer de fracture, mais également par une adaptation de la croissance épiphysaire. Il est important de pouvoir évaluer les potentialités de correction d’une déformation déterminée. Lorsqu’il s’agit de déviation axiale, la correction sera d’autant meilleure qu’il s’agit d’un enfant jeune et que la lésion est plus proche de la physe. Le déplacement latéral ou décalage se corrige toujours. La fracture entraîne chez le jeune enfant une accélération de la croissance osseuse qui compense le raccourcissement lié au chevauchement. Par contre, chez le préadolescent, l’hyperhémie et la dystrophie osseuse entraînée par le traumatisme peuvent accélérer la fermeture des cartilages de croissance de tous les os du membre traumatisé. Il est donc recommandé de ne pas accepter de chevauchement dans ce groupe d’âge. Il est classiquement admis que les défauts d’axe se corrigent plus facilement dans le plan de flexion des articulations que dans le plan frontal. La correction des défauts de rotation ne doit guère être espérée encore que l’on a parfois observé des améliorations significatives chez des enfants ayant eu leur fracture à un très jeune âge. 3.5. Quelques fractures qui continuent à poser problème chez l’enfant La lecture des lignes qui précèdent laisse l’impression que si on exclut les lésions des cartilages de croissance, les fractures sont chez l’enfant plus bénignes que chez l’adulte. S’il est vrai que la consolidation est plus rapide chez l’enfant et que les pseudarthroses sont rares, il y a néanmoins plusieurs lésions qui en l’absence d’un traitement adéquat ont un pronostic sévère. Les fractures de la région du coude Chez l’enfant, les fractures du squelette des membres supérieurs sont plus fréquentes que les lésions 59 59 des membres inférieurs (65 à 75 %). La localisation préférentielle est l’extrémité distale de l’avant-bras. Les lésions de la région du coude concernent près de 10 % de l’ensemble des fractures de l’enfant. Il s’agit avant tout de la fracture supracondylienne de l’humérus (80 % des lésions du coude) mais il faut également considérer les fractures du condyle externe et des lésions de l’extrémité proximale du radius. La fracture supracondylienne de l’humérus n’est pas un décollement épiphysaire. C’est une fracture métaphysaire qui se situe au lieu de moindre résistance entraînée par les fossettes coronoïdiennes en avant et olécrâniennes en arrière. Lors de la chute, le coude est généralement sollicité en hyperextension. La fracture en flexion est beaucoup plus rare. Ces fractures peuvent se compliquer de lésions vasculonerveuses et de syndrome de loge (syndrome de Volkman). Elles posent des problèmes de réduction et de contention. La réduction est particulièrement difficile en cas de fracture à grand déplacement avec rupture des ponts périostés. Elle est cependant possible par manœuvre externe dans la majorité des cas. Il faut réaliser la manœuvre de réduction dans des conditions optimales, c’est-à-dire sous anesthésie générale, et bien veiller à obtenir et à maintenir la réduction des deux colonnes de l’humérus. La réduction obtenue sera maintenue par double brochage percutané et protégée par un plâtre qui immobilisera l’épaule (thoracobrachial) si les deux colonnes ne sont pas fixées. Les défauts de réduction entraînent non seulement un préjudice morphologique (cubitus varus), mais également une limitation de la mobilité et une perturbation de la dynamique articulaire du coude. Ces « cubitus varus » posttraumatiques ne se corrigent pas avec la croissance. La fracture du massif condylien externe est une des rares fractures de l’enfant qui évolue vers la pseudarthrose lorsqu’elle n’est pas réduite et stabilisée. La réduction des fractures déplacées du massif condylien externe est difficile car le trait passe en plein milieu de l’échancrure médiane de la trochlée à l’endroit où la crête olécrânienne s’articule avec l’humérus. Ces fractures doivent généralement être réduites à foyer ouvert et stabilisées par double brochage. Le traitement des pseudarthroses anciennes n’est généralement pas possible et il n’y a comme solution que d’accepter le cubitus valgus et l’instabilité du coude tout en protégeant le nerf cubital par une transposition antérieure de celui-ci. En effet, l’étirement chronique du nerf entraîné par cette situation aboutit chez l’adulte à des neuropathies avec défect sensitivomoteur sévère. 60 60 Les lésions de l’extrémité proximale du radius peuvent être une luxation de la tête, une fracture décollement épiphysaire ou une fracture du col du radius. La luxation de la tête du radius doit faire rechercher une lésion de Monteggia. Les fractures très déplacées de l’extrémité proximale du radius posent un difficile problème thérapeutique. Les complications sont nombreuses : nécrose de la tête, synostose radiocubitale et même pseudarthrose. Il faut essayer de réduire la fracture sans ouvrir le foyer en utilisant des moyens percutanés. La technique décrite par Métaizeau est particulièrement ingénieuse et semble diminuer nettement le risque de complications. Les fractures du col du fémur Comme chez l’adulte, les fractures cervicales du fémur ont chez l’enfant un pronostic sévère. La nécrose aseptique de l’extrémité proximale du fémur est très fréquente (40 à 50 % des cas). Le risque existe non seulement en cas de fracture décollement épiphysaire ou de fracture transverticale, mais également en cas de fracture basicervicale (30 %) et de fracture intertrochantérienne (15 %). Le risque de nécrose aseptique posttraumatique est donc plus élevé chez l’enfant que chez l’adulte et cette complication peut survenir dans des variétés de fractures réputées de bon pronostic chez l’adulte. Certaines fractures métaphysaires de l’extrémité proximale du tibia ont une évolution particulière. Il s’agit de fractures apparemment banales avec déplacement modéré en valgus. On assiste avec la croissance à une aggravation progressive de la déformation qui peut aboutir à un genu valgum unilatéral sévère. On n’a pas actuellement d’explication univoque à cette lésion qu’Ogden a placée peut-être un peu abusivement dans le type VIII de sa classification de fractures décollement épiphysaire. Il s’agit souvent de lésions partielles avec péroné intact. Il est possible que l’accélération isolée de la croissance du tibia joue un rôle, mais Ogden donne des explications mécaniques (rôle du tenseur du fascia lata), anatomiques (interposition de la patte d’oie), vasculaires et traumatiques (lésion partielle de type V). Une ostéotomie de correction axiale peut s’imposer. 3.6. Les lésions ligamentaires chez l’enfant Pour les raisons décrites ci-dessus, les lésions ligamentaires sont rares chez l’enfant. L’os en croissance est plus fragile que les ligaments. Plusieurs publications récentes attirent néanmoins l’attention sur l’existence d’entorses ligamentaires graves chez l’enfant, en particulier au niveau du genou. S’il est vrai que les lésions des épines tibiales sont plus fréquentes (Wiley et Baxter - Clin. Orthop. 255, 54, 1990) que les ruptures ligamentaires, il faut bien admettre que les lésions des ligaments croisés existent chez 61 61 l’enfant (Sullivan - Clin. Orthop. 255, 44, 1990). La lésion la plus banale est la rupture du ligament croisé antérieur de l’adolescent. Elle ne diffère pas de celle de l’adulte une fois que les cartilages de croissance sont fermés. C’est l’imagerie en résonance magnétique nucléaire (Shahabpour et al. - Acta Orthop. Belg. 56, 423, 1990) qui permet le mieux de faire le bilan des lésions du pivot central. Elle permet de localiser la lésion et en particulier d’identifier les désinsertions avec un fragment cartilagineux susceptible d’être réinséré. Ces lésions peuvent survenir chez des enfants très jeunes (6 ans dans une de nos observations). Les lésions du ligament croisé postérieur sont plus rares et nous n’en avons retrouvé que huit cas dans la littérature. Suprock et Roger (Orthopedics 13, 659, 1990) ont récemment publié une désinsertion haute du ligament croisé postérieur chez un jeune garçon de 4 ans qui sautant sur son lit est retombé sur son genou fléchi. 4. Les lésions ostéoarticulaires de surcharge Les lésions de surcharge (« overuse ») sont liées à une inadéquation entre la résistance mécanique de l’appareil locomoteur et les sollicitations mécaniques auxquelles il est soumis. Il est d’usage de réserver ce terme aux lésions chroniques. Les lésions traumatiques sont la conséquence d’un dépassement aigu de la résistance mécanique de l’appareil locomoteur. Elles surviennent à la suite d’accidents. Les sollicitations mécaniques en dehors de ces accidents aigus sont déterminées par le poids corporel, l’importance de la musculature et par le mode de vie et en particulier la pratique sportive. Lors de la pratique des sports, les lésions de surcharge sont liées à une pratique excessive ou à une constitution physique insuffisante. Chez l’enfant et chez l’adolescent, le squelette est fragile tant que les cartilages de croissance ne sont pas fermés. Les apophyses sur lesquelles s’insèrent des muscles importants sont des zones de croissance particulièrement exposées. Les ostéochondroses sont des lésions acquises d’une zone de croissance squelettique caractérisée par une perturbation de l’ossification enchondrale (chondrogenèse et ostéogenèse). La plupart des ostéochondroses sont des lésions de surcharge, certaines peuvent cependant survenir en dehors de toute surcharge et ont alors une pathogénie vasculaire. Suivant la localisation, on peut distinguer les ostéochondroses épiphysaires, apophysaires ou épiphysométaphysaires. 62 62 I Ostéochondroses épiphysaires (épiphysaires) a) de surcharge : Freiberg - Panner b) associées à une ostéonécrose : Legg-Calvé-Perthès II Ostéochondroses apophysaires (apophysite) a) insertions tendineuses : Osgood-Schlatter b) insertions ligamentaires : épicondyle c) point d’impact : Sever III Ostéochondrose épiphysométaphysaire a) tibia : Blount b) vertèbre : Scheuermann L’ostéochondrite fémorale supérieure ou maladie de Legg-Calvé-Perthès est la forme d’ostéochondrose le plus typiquement associée à une ostéonécrose. Elle s’observe principalement au cours de la seconde enfance, encore qu’il existe des formes tardives de pronostic très sévère. L’ostéochondrite disséquante du genou et la chondropathie rotulienne s’apparentent également aux lésions de surcharge et seront traitées dans ce chapitre. 4.1. Les ostéochondroses de surcharge Maladie d’Osgood-Schlatter La forme la plus fréquente de ces ostéochondroses de surcharge chez l’adolescent est l’ostéochondrose de la tubérosité tibiale antérieure ou maladie d’Osgood-Schlatter. Il s’agit le plus souvent d’un garçon sportif qui se plaint d’une douleur au niveau de la tubérosité tibiale antérieure qui est éventuellement tuméfiée. Les symptômes sont aggravés par les efforts et soulagés par le repos. La palpation locale et l’extension du genou contre résistance sont douloureux. A l’examen radiologique, on observe une fragmentation de l’apophyse tibiale antérieure qui peut parfois être légèrement mobilisée vers l’avant. Le seul traitement nécessaire reste l’abstention de gymnastique et de sports pendant la période douloureuse qui dure 3 à 6 mois. Si les symptômes sont très importants, on pourra prescrire un appareil immobilisant le genou en extension. L’affection guérit avec la complétion de la croissance. Dans les formes habituelles, on peut espérer la guérison sans séquelles. Dans des formes sévères ou lorsque la pratique sportive n’a pas été interrompue, il persiste une fragmentation de la tubérosité tibiale antérieure qui peut entretenir une tendinite d’insertion et provoquer des douleurs lors de la position à genou. L’ablation des fragments 63 63 osseux isolés peut être indiquée, mais les résultats sont rarement parfaits. Le traitement chirurgical de la maladie d’Osgood-Schlatter par forage de l’apophyse n’est pas nécessaire et est dangereux chez le jeune adolescent car la fusion prématurée de la partie antérieure du cartilage de croissance tibial supérieur peut aboutir à un genu recurvatum, complication tout à fait exceptionnelle en l’absence de traitement chirurgical. Maladie de Larsen-Johansson La maladie de Sinding Larsen ressemble fort à la maladie d’Osgood-Schlatter si ce n’est qu’elle est localisée à la pointe inférieure de la rotule. Elle est également déterminée par la traction du ligament rotulien. Maladie de Sever La maladie de Sever est l’ostéochondrose de l’apophyse postérieure du calcanéum. Elle peut être favorisée par les contraintes entraînées en haut par le tendon d’Achille et en bas par l’aponévrose plantaire. Le diagnostic de la maladie de Sever, qui s’observe au cours de la seconde enfance, est avant tout un diagnostic clinique. La densification et la fragmentation du noyau apophysaire postérieur du calcanéum sont fréquentes dans cette tranche d’âge. Outre la réduction de l’activité physique, la prescription de semelles amortisseuses en sorbothane, podofoam ou noene peut soulager rapidement l’enfant. Nous faisons confectionner une semelle creusée en « fer à cheval ». Maladie de Freiberg La maladie de Freiberg évolue comme une nécrose aseptique avec densification, fragmentation et déformation de la tête du métatarsien intéressé, généralement le second ou le troisième. Elle se voit surtout chez la jeune fille de 12 à 15 ans. Elle se manifeste par des douleurs à la mise en charge. A l’examen on constate, outre une sensibilité locale, un gonflement et une difficulté à l’extension de l’orteil concerné. Le repos et la prescription d’une semelle avec appui rétrocapital amènent souvent un soulagement suffisant. Il peut être nécessaire d’intervenir chirurgicalement pour enlever les fragments ostéochondraux libérés voire exciser la partie supérieure de la tête aplatie du métatarsien pour libérer le mouvement de flexion dorsale de l’orteil. 64 64 4.2. Les autres ostéochondroses de surcharge Toutes les épiphyses et les apophyses peuvent être le siège de lésions de surcharge. Outre les localisations classiques, nous ne ferons que citer l’ostéochondrose du grand trochanter (Mandl), de l’épicondyle interne du coude (Adams), de la malléole interne (Beck). Nous avons observé une ostéochondrose de l’apophyse iliaque (Maladie de Buchman) chez une jeune danseuse. La maladie de Scheuermann La maladie de Scheuermann est due à une altération des plateaux cartilagineux qui assurent la croissance en hauteur des vertèbres. Cette altération entrave la croissance des vertèbres dorsales en hauteur (vertèbres trapézoïdales ou cunéiformes) et fait que la plaque cartilagineuse se laisse pénétrer par de la substance discale : hernies intraspongieuses, hernies rétromarginales antérieures, irrégularités des plateaux vertébraux, images d’épiphyse libre. Cette affection, encore appelée dos rond des adolescents, est, dans sa forme bénigne, fréquente (10 %). Son étiologie est inconnue. Bradford et al. (Clin. Orthop. 110, 45, 1975, 118, 10, 1976, 158, 83, 1981) estiment que le primum novens de cette affection est probablement une fragilisation de l’os spongieux liée à une ostéopénie relative, la désorganisation de la zone de croissance de la vertèbre étant secondaire. Il est actuellement admis qu’il s’agit d’une pathologie de surcharge liée à l’inadéquation entre la solidité mécanique du rachis en fin de croissance et les sollicitations qu’il subit du fait de la morphologie de l’individu ou de ses activités. Il se crée un cercle vicieux car le trouble de croissance entraîne une cyphose qui, elle-même, aggrave la surcharge mécanique. L’ostéochondrose vertébrale juvénile se caractérise cliniquement par des douleurs vertébrales, une déformation progressive du rachis dans le plan frontal et radiologiquement par des altérations caractéristiques. La cyphose dorsale physiologique est de l’ordre de 30 à 35°. A partir de 45°, le préjudice esthétique est significatif. Les cyphoses de plus de 60° entraînent un renversement postérieur du tronc et une lordose lombaire compensatoire qui favorise les lombalgies. Le traitement étiologique est bien sûr de soustraire le rachis en croissance aux sollicitations excessives qu’il subit. Chez l’adolescent, en l’absence de douleurs et si la cyphose est inférieure à 45°, le traitement pourra se limiter à des exercices de gymnastique correctrice tout en évitant bien sûr une musculation excessive. S’il y a des manifestations douloureuses ou si l’angulation dépasse 45°, l’immobilisation du rachis dans 65 65 un appareil correcteur sera justifiée. Pour être efficace sur la déformation vertébrale, l’appareillage devra être instauré à un stade précoce et maintenu pendant longtemps. L’efficacité du traitement orthopédique bien conduit a été démontrée bien qu’il y ait à long terme des pertes de correction importantes. Le traitement chirurgical s’adresse aux formes sévères du grand adolescent ou de l’adulte jeune. Pour obtenir un résultat durable lorsque l’angulation de la cyphose dépasse 80°, il est nécessaire d’associer une arthrodèse antérieure et une arthrodèse postérieure. 4.3. L’ostéochondrite disséquante L’ostéochondrite disséquante se caractérise par l’isolement d’un fragment ostéocartilagineux de la surface articulaire pouvant aboutir à sa libération dans la cavité articulaire. Le primum novens peut être un trouble de croissance ayant un substratum vasculaire ou une fissuration traumatique (fracture ostéochondrale) ou microtraumatique. La localisation la plus fréquente est la joue externe du condyle fémoral interne. Il faut distinguer les troubles de croissance spontanément résolutifs des formes de l’adulte qui aboutissent à la séparation du fragment. Chez l’adolescent, l’I.R.M. (et théoriquement l’arthroscopie) permettent si nécessaire de distinguer ces deux formes. Dans la forme de l’adulte, il y a précocement une fissuration du cartilage articulaire. En l’absence de fracture du cartilage articulaire, si le fragment est stable, le pronostic est bon surtout si les cartilages de croissance sont encore ouverts. Le fragment a de bonnes chances de se réincorporer, mais il vaut mieux le soustraire aux sollicitations tangentielles favorisées par la pratique des sports. Quand le fragment disséqué est encore fixé par le cartilage articulaire, on peut espérer favoriser sa réincorporation par des forages et une fixation par un moyen d’ostéosynthèse, mais l’efficacité de ce traitement n’a pas été définitivement démontrée par des études cliniques contrôlées. Dans les fractures ostéochondrales fraîches et dans les formes instables fraîches, mais non encore libérées, le traitement pourrait être la fixation in situ à l’aide d’un matériel de synthèse peu encombrant. Lorsque le fragment est libéré dans l’articulation, le traitement est son ablation. Pour favoriser la formation d’un fibrocartilage de remplacement dans le cratère ainsi créé, Pridie a proposé de forer l’os sous-chondral. On envisage actuellement de traiter les défects cartilagineux par l’apport de cellules cartilagineuses produites par « bio-engineering tissulaire ». Ce sera probablement la solution d’avenir qui remplacera les forages. 66 66 4.4. La chondropathie rotulienne Pathologie de surcharge de la rotule La rotule, sésamoïde développé dans l’appareil extenseur du genou, est soumise à des contraintes considérables. La « patella bipartita » est une anomalie de développement de la rotule qui peut être liée à la présence d’un noyau d’ossification accessoire qui ne se fusionne pas au noyau principal ou peut correspondre à une fracture de fatigue de l’angle supéro-externe de la rotule à un stade critique du développement de celle-ci. Le cartilage articulaire rotulien est soumis à des contraintes mécaniques considérables. Il travaille aux limites de son point de rupture. Il est souvent le premier cartilage de l’organisme à présenter des lésions dégénératives. La chondropathie rotulienne est un problème fréquent chez l’adolescent. Facteurs favorisants Les désaxations de l’appareil extenseur dans le plan frontal (syndrome d’hyperpression externe de la rotule, subluxation rotulienne), les anomalies de hauteur de la rotule (patella alta et patella infera) et toutes les variantes anatomiques réduisant la stabilité de la rotule dans la gorge trochléenne sont des facteurs favorisant la surcharge de la surface articulaire de la rotule. Les troubles de rotation des membres inférieurs (syndrome de double rotation) favorisent les instabilités rotuliennes. Les traumatismes directs de la rotule sont responsables d’altération du cartilage articulaire rotulien (chondropathie posttraumatique). Certains sports comme la danse classique associent une surcharge mécanique à une exorotation du tibia sous le fémur (éducation à l’en-dehors) et entraînent régulièrement des chondropathies rotuliennes chez l’adolescent. Le syndrome fémoropatellaire La chondropathie rotulienne se manifeste cliniquement par des douleurs de caractère mécanique localisées à la face antérieure du genou. Le début est souvent insidieux. Parfois, il est mis en rapport avec un traumatisme ou un effort sportif intense. Les douleurs sont majorées quand le cartilage rotulien est sollicité (lors de la montée et de la descente des escaliers) et lorsque la rotule est plaquée contre la gorge trochléenne (douleur en position assise signe du cinéma). L’adolescent peut avoir une impression d’accrochage lors de la mobilisation du genou, parfois de dérobement. Un gonflement articulaire (épanchement) peut survenir, mais il est généralement très modéré. 67 67 Les signes cliniques A l’examen clinique, la sollicitation de la rotule par la palpation, la mobilisation ou indirectement les exercices d’extension contre résistance, provoquent la douleur. L’examinateur percevra souvent des crépitations lors de la mobilisation de la rotule. Il pourra parfois percevoir l’accrochage décrit par le patient. L’examen clinique permettra de déceler les facteurs favorisants actuels : instabilité rotulienne, désaxation de l’appareil extenseur (signe de la baïonnette, le trouble de rotation des membres inférieurs). L’examen radiologique L’examen standard du défilé fémoropatellaire aura surtout pour but d’étudier la dynamique rotulienne et de dépister les dysplasies fémoropatellaires. L’étude du défilé fémoropatellaire lors de l’arthrographie opaque ou en IRM permettra de préciser la lésion anatomique du cartilage rotulien. L’arthroscopie : un geste invasif rarement nécessaire L’arthroscopie est l’examen qui permettra d’évaluer de la façon la plus précise l’état du cartilage rotulien et celui du cartilage trochléen qui lui fait face. Lors de l’arthroscopie, on pourra également pratiquer des gestes thérapeutiques. Il s’agit cependant d’un geste invasif qui n’est absolument pas nécessaire dans l’immense majorité des cas de genou douloureux de l’adolescent. Diagnostic différentiel Chez un adolescent qui se plaint du genou, il faut avant tout s’assurer qu’il ne s’agit pas d’une gonalgie symptomatique d’une pathologie de la hanche et en particulier d’une épiphysiolyse fémorale supérieure. Les autres problèmes à évoquer sont des lésions méniscales (en particulier les ménisques discoïdes externes), les tendinites (Jumper’s knee), bursites (sous-rotulienne, de la patte d’oie), la pathologie de la boule de Hoffa et les surcharges capsuloligamentaires diffuses (runner’s knee). Dans la maladie d’Osgood-Schlatter, la douleur est localisée plus bas, au niveau de la tubérosité tibiale antérieure. Le rôle pathogène des plicae synovialis, replis anatomiques résiduels d’origine embryonnaire, connu depuis les années 1950, a été précisé depuis l’avènement de l’arthroscopie. Ces replis sont présents chez environ 20 % des individus. Il s’agit de la plica infrapatellaire, de la plica 68 68 parapatellaire et de la plica suprapatellaire. La plica parapatellaire interne et parfois la plica suprapatellaire glissent sur le condyle fémoral lors des mouvements de flexion-extension : elles peuvent devenir inflammatoires après des sollicitations importantes du genou. La plica « enflammée » peut devenir, du fait de son augmentation de volume, un élément de dérangement interne du genou. A l’anamnèse et à l’examen clinique, le tableau est très semblable au syndrome fémoropatellaire classique. Le seul élément suggestif de cette pathologie est, en cas de plica interne, une douleur provoquée à la palpation de l’aileron rotulien interne où l’on peut parfois percevoir le relief de la plica. Il s’agit avant tout d’un diagnostic arthroscopique, encore que parfois l’existence de la plica puisse être démontrée à l’arthrographie opaque. La plica synovialis peut être associée à la chondropathie rotulienne. Le traitement est la résection endoscopique de la plica. Histoire naturelle et traitement de la chondropathie rotulienne La chondromalacie de la rotule a été considérée comme le premier stade de la dégénérescence arthrosique. Cependant, l’histoire naturelle de l’affection n’est pas une évolution inéluctable et rapide vers l’arthrose fémoropatellaire. Chez l’adolescent, quand les lésions cartilagineuses sont encore modérées et en l’absence de désordre anatomique, les symptômes peuvent disparaître ou se stabiliser à un stade où ils n’entravent pas une vie normale. Les premières altérations du cartilage fémoropatellaire, qui sont symptomatiques, sont généralement focales. La sénescence normale du cartilage rotulien se caractériserait par une usure plus régulière. En l’absence de déséquilibre rotulien important, ces premières irrégularités pourraient disparaître par une sorte de rodage. Chez le très jeune adolescent, lorsque la rotule a encore des possibilités de croissance, on pourrait même espérer un modelage spontané des surfaces articulaires rotuliennes et fémorales favorisant leur adaptation. Le traitement doit donc être conservateur au début. Il s’agit de réduire la surcharge du cartilage rotulien par une réduction de ses sollicitations, tout en conservant une activité articulaire. « L’épargne rotulienne » commence par la réduction ou l’adaptation des activités sportives. Chez ces patients qui présentent une rotation exagérée du squelette jambier associée à des pieds valgus, le port de souliers corrects, avec un talon un peu rehaussé, peut améliorer la dynamique rotulienne en réduisant l’exorotation du pied et en permettant ainsi au genou de travailler dans un plan de flexion plus proche de la normale. Le port d’une genouillère favorise l’amyotrophie quadricipitale et est donc à déconseiller. 69 69 Cependant, en cas d’instabilité rotulienne, le port d’une genouillère stabilisant la rotule peut aider à retarder une sanction chirurgicale. La prescription d’acide acétylsalicylique à une dose ayant un effet anti-inflammatoire et la prescription de certains anti-inflammatoires non stéroïdiens ont été recommandées sur base d’un effet non seulement sur les symptômes, mais également de leurs propriétés eutrophiques sur le cartilage rotulien. Celles-ci restent à confirmer. Lors des accidents aigus compliqués d’un épanchement articulaire et d’une synovite, la prescription d’un anti-inflammatoire non stéroïdien pendant une période de 2 à 3 semaines peut avoir un effet bénéfique. L’amélioration symptomatique entraînée par l’injection intra-articulaire de dérivés corticostéroïdiens dans de nombreuses affections articulaires est bien connue. Cependant, des études cliniques et expérimentales ont démontré ses effets délétères sur le cartilage articulaire. L’injection intra-articulaire répétée d’un dérivé corticostéroïdien ne nous paraît pas à conseiller en cas de chondropathie rotulienne chez un adolescent. Les injections intra-articulaires répétées sont formellement contre-indiquées car elles hypothèquent le capital cartilagineux de l’articulation. L’immobilisation n’est pas favorable à la trophicité du cartilage articulaire dont la nutrition est assurée par la circulation du liquide synovial. Elle pourrait d’ailleurs être le facteur étiologique de certaines chondropathies. Elle ne sera prescrite qu’en cas d’accident aigu compliqué d’un épanchement articulaire. Dans une pathologie de surcharge, il est paradoxal que le traitement de kinésithérapie soit le traitement le plus régulièrement prescrit et qu’il soit efficace, d’autant plus que l’amyotrophie du quadriceps n’est pas fréquente. C’est la tonification du quadriceps en piste d’extension par des exercices de contraction isométrique qui est prescrite (sauf en cas d’instabilité en extension). Cette tonification semble améliorer la dynamique rotulienne. Les exercices isotoniques comportant de la mobilisation articulaire et en particulier des exercices d’extension contre résistance sont formellement contre-indiqués : ils entraînent une surcharge articulaire et provoquent régulièrement une aggravation des symptômes. On a tendance à remplacer ce type de traitement de kinésithérapie par des exercices d’étirement (stretching) des ischiojambiers qui sont souvent « courts » chez ces adolescents. Le syndrome de rétraction des ischiojambiers se caractérise par une impossibilité d’étendre le genou en position assise sans déporter le tronc vers l’arrière. En cas de rétraction des ischiojambiers, la rotule est surchargée par l’effet antagoniste du quadriceps lors de la marche. Chez l’adolescent, l’immense majorité des chondropathies rotuliennes répond favorablement à ces 70 70 traitements conservateurs. Cependant, les symptômes peuvent être rebelles principalement si les lésions cartilagineuses sont importantes et étendues. Par ailleurs, les subluxations rotuliennes et les luxations récidivantes répondent mal au traitement conservateur. Divers traitements chirurgicaux ont été tentés pour résoudre les problèmes de chondropathie rotulienne. Le résultat de ces interventions chirurgicales s’est avéré peu régulier. Il est actuellement admis que la chondropathie rotulienne sur rotule centrée de l’adolescent est une affection qui ne relève pas de la chirurgie. Seules les désaxations rotuliennes franches et les luxations récidivantes de la rotule doivent être opérées. Chez l’enfant, l’intervention se limitera à un geste sur les tissus mous. Il est formellement contreindiqué de pratiquer un geste sur le squelette (transposition de la tubérosité tibiale antérieure) avant la fin de la croissance. 4.5. Les fractures de fatigue Des fractures de fatigue peuvent survenir chez l’enfant, mais elles sont beaucoup plus rares que chez l’adolescent et chez l’adulte. Les localisations classiques sont le tiers proximal du tibia (50 %), le tiers distal du péroné (20 %) et l’isthme interapophysaire de la 5ème vertèbre lombaire (15 %). L’erreur d’entraînement sportif qui est à l’origine des fractures de fatigue est l’excès et l’absence de progressivité. Un cliché radiographique standard démontre la lésion dans la moitié des cas. La scintigraphie osseuse est un examen beaucoup plus sensible mais moins spécifique. La fracture de fatigue du tiers proximal du tibia peut entraîner une réaction périostée inquiétante et évoquant un ostéosarcome pour l’observateur qui n’est pas habitué à cette pathologie. Elle se voit surtout chez le coureur et chez le gymnaste. Les fractures de fatigue de l’isthme interapophysaire des dernières vertèbres lombaires s’observent surtout chez les jeunes athlètes qui pratiquent des exercices d’hyperextension du tronc en charge. La spondylolyse dans sa forme habituelle est actuellement considérée comme étant la conséquence de pareille fracture de fatigue. L’étude de 100 jeunes filles pratiquant la gymnastique à un bon niveau a démontré une incidence de 11 % de spondylolyse, ce qui correspond à une majoration de l’incidence près de 3 fois par rapport à une population féminine du même âge. Chez le jeune gymnaste, la fracture de fatigue de l’isthme interapophysaire des dernières vertèbres lombaires peut, au stade initial, guérir grâce à une immobilisation prolongée, ce qui prévient l’évolution vers la spondylolyse. 71 71 4.6. La surcharge chronique des cartilages de croissance La pathologie des cartilages de croissance entraînée par une surcharge chronique reste moins bien connue. La maladie de Blount est un trouble de croissance de la partie interne de l’extrémité proximale du tibia aboutissant à une déviation progressive en varus. La pathogénie de cette affection reste incomplètement comprise, mais il est actuellement admis que la surcharge mécanique d’un genou en varus favorise cette affection à laquelle certains groupes ethniques sont particulièrement prédisposés (Jamaïcains par exemple). La maladie ne s’observe que chez des enfants qui marchent et n’est pas observée avant l’âge de deux ans. Le tibia vara de l’adolescent s’observe essentiellement chez de lourds adolescents sportifs d’Amérique du Nord de race noire. L’épiphysiolyse fémorale supérieure est une pathologie sévère qu’il faut reconnaître. Elle se caractérise par un glissement postéro-inférieur de l’épiphyse fémorale supérieure. C’est une cause de boiterie chez l’adolescent. Elle s’observe surtout chez des adolescents lourds et prépubères (syndrome adiposo-génital). Il existe une forme aiguë et une chronique. Il s’agit d’une urgence thérapeutique. L’épiphyse fémorale supérieure doit être fixée de façon à ce que le glissement ne progresse plus. Jones et Maple (American Academy of Pediatrics, 22 oct. 94) ont récemment décrit des épiphysiolyses fémorales supérieures chez des adolescents obèses pratiquant du « body building » à l’aide de machines chargeant l’extension de la jambe. On a décrit des remaniements du cartilage de croissance distale du radius avec parfois fusion prématurée de ce cartilage chez de jeunes gymnastes de haut niveau. La loi de Delpech a été confirmée par les travaux expérimentaux d’Arkin et Katz (J. Bone Joint Surg. 38A ; 1056, 1956), de Strobino et al. (Surg. Gyn. Obst. 95, 694, 1952) et de Porter (J. Bone Joint Surg. 57A, 259, 1975) : une pression excessive diminue la fonction d’un cartilage de croissance tandis qu’une distraction modérée l’accélère. L’inhibition mécanique de la croissance est dans un premier temps réversible, mais elle devient irréversible une fois que des lésions du cartilage sont installées. L’action des contraintes mécaniques sur la croissance osseuse reste incomplètement comprise. La loi de Delpech n’explique pas clairement les corrections des défauts d’axe après fractures diaphysaires (cfr. 10.4.1.4). 72 72 5. Les infections ostéoarticulaires à germes banals chez l’enfant 5.1. Introduction La pathologie infectieuse aiguë à germes banals du système ostéoarticulaire continue à poser de sérieux problèmes de diagnostic et de traitement. Le pronostic reste lié à un diagnostic précoce précis avec identification du germe en cause et à la mise en route d’un traitement adéquat qui comportera toujours un traitement antibiotique adapté par voie générale et nécessitera parfois un geste chirurgical. 5.2. Classification La séparation classique des ostéoarthrites, arthrites septiques et ostéomyélites, est basée sur la localisation primitive de l’infection. La distinction de ces trois affections reste justifiée, mais il importe de savoir qu’une infection osseuse peut contaminer l’articulation et qu’une infection articulaire peut se compliquer d’ostéite. Chez l’enfant, la vascularisation épiphysaire et la vascularisation métaphysaire sont séparées au niveau du cartilage de croissance qui formera généralement une barrière empêchant la propagation de l’infection vers l’épiphyse et vers l’articulation (1,3). La contamination de l’articulation se fera néanmoins précocement si la métaphyse est intraarticulaire, comme c’est le cas pour la métaphyse proximale du fémur à la hanche et la métaphyse proximale du radius du coude. Ces deux localisations entraînent donc généralement une arthrite septique. Chez le nouveau-né, la séparation des réseaux vasculaires épiphysaires et métaphysaires n’est pas établie et l’atteinte de l’épiphyse et de l’articulation sera la règle (ostéoarthite du nouveau-né). L’arthrite septique peut donc être secondaire à une infection métaphysaire. Elle survient également en l’absence de lésion osseuse. Le germe peut pénétrer l’articulation suite à un traumatisme (plaie articulaire) ou par voie hématogène. La synoviale a une vascularisation terminale. L’apparition de manifestations inflammatoires synoviales (synovite) ou articulaires (pyarthrose) créent des conditions favorables à l’entretien de l’infection. Le liquide articulaire purulent a des propriétés chondrolytiques qui entraînent une destruction du cartilage articulaire. Dans les formes graves traitées tardivement, l’infection peut se propager à l’os ou suppurer par effraction capsulaire. Depuis une quinzaine d’années, on observe de plus en plus souvent chez les jeunes enfants, une forme particulière d’ostéomyélite dite ostéomyélite subaiguë (12,13) qui se caractérise par son début insidieux, l’absence de signes généraux d’infection, une symptomatologie atténuée avec peu de signes locaux et par 73 73 son évolution bénigne dans les cas typiques. 5.3. Ostéoarthrite du nourrisson L’ostéoarthrite du nourrisson est caractérisée par l’extension rapide de l’infection métaphysaire vers l’épiphyse et l’articulation voisine. La localisation la plus typique est la hanche (5-8). Les formes plurifocales ne sont pas exceptionnelles. Etiologie Les germes les plus souvent en cause sont le staphylocoque, le streptocoque, l’haemophilus influenzae et le pneumocoque. La prédominance du staphylocoque est ici nettement moins nette que dans l’ostéomyélite « de l’adolescent » et l’arthrite septique « de l’enfant ». La porte d’entrée classique était l’infection de la plaie ombilicale. Actuellement, cette pathologie infectieuse s’observe surtout chez des nouveau-nés qui ont présenté des problèmes médicaux majeurs ayant nécessité une nutrition parentérale. Des gestes médicaux comme les prises de sang par ponction fémorale ou simplement par piqûre au talon et surtout les cathéters des perfusions sont les portes d’entrée les plus fréquentes. Diagnostic Dans certains cas, les manifestations septicémiques dominent le tableau : les localisations articulaires peuvent passer inaperçues. Dans d’autres cas, c’est simplement l’immobilité relative d’un membre qui attirera l’attention. Radiographie Les signes d’épanchement articulaire doivent être recherchés avec soin. Les épiphyses étant composées surtout de cartilage, les lésions de destruction osseuse ne seront que les manifestations tardives de cas ayant évolué de façon défavorable. Au niveau de la hanche, l’épanchement articulaire peut entraîner une luxation pathologique. Traitement La ponction articulaire est le geste essentiel qui confirmera le diagnostic et assurera la décompression de l’articulation distendue. Le prélèvement d’hémoculture sera réalisé au moins trois fois au cours des 24 premières heures. Un traitement antibiotique par voie parentérale sera immédiatement mis en route. 74 74 L’association d’une ampicilline à la cloxacilline reste le traitement de départ. Le traitement antibiotique sera adapté à la sensibilité du germe isolé. S’il s’agit d’une arthrite de la hanche, la luxation pathologique doit être prévenue en maintenant les membres inférieurs en abduction par traction collée ou par plâtre. La décompression articulaire doit être obtenue et maintenue : il faudra réaliser des ponctions articulaires itératives. Si l’articulation contient un liquide franchement purulent ou s’il y a des lésions radiologiques, en particulier une subluxation, l’abord chirurgical s’imposera : la hanche sera abordée par voie antérieure ou par voie postérieure. On procédera à une capsulectomie et à une évacuation des tissus purulents de l’articulation. La plaie sera refermée sur drainage aspiratif. L’intervention ne doit pas être différée. Patterson (8)- et Lloyd-Roberts (7) estiment que l’indication opératoire doit être quasi systématique au niveau de la hanche car la ponction articulaire n’assure pas une décompression efficace. Le risque de luxation pathologique persiste pendant plusieurs semaines si bien que l’appareillage en abduction sera prolongé pendant 3 mois. Les séquelles Si l’infection ostéoarticulaire n’est pas contrôlée rapidement, l’ostéoarthrite du nourrisson laisse des séquelles redoutables. La destruction du cartilage de croissance et de l’épiphyse fertile entraîneront des troubles de croissance majeurs. La luxation pathologique de la hanche pose un difficile problème thérapeutique, particulièrement si la tête du fémur a disparu. 5.4. Arthrite septique de l’enfant L’arthrite septique ou empyème articulaire peut être primitive ou secondaire. Dans l’arthrite septique primitive, l’inoculation peut être directe (par une plaie articulaire par exemple) ou se faire par voie hématogène au décours d’une bactériémie au départ d’un foyer septique (otite moyenne par exemple). L’arthrite septique secondaire à une infection osseuse est chez le grand enfant une complication tardive sauf au niveau du coude et de la hanche où une métaphyse est intraarticulaire. Dans l’arthrite septique du coude et de la hanche, il est souvent difficile de préciser si l’atteinte articulaire est primitive ou secondaire. Bactériologie 75 75 Classiquement, le germe le plus fréquemment en cause est ici encore le staphylocoque doré; viennent ensuite le streptocoque, l’haemophilus influenzae et exceptionnellement des germes comme le proteus mirabilis. Dans la série de Herdon et al., l’haemophilus influenzae est de loin le germe le plus souvent isolé (26 sur 45). Pathologie Au début, la synoviale est congestive et oedématiée. Un exsudat leucocytaire apparaît. L’articulation est le siège d’un épanchement contenant des globules blancs neutrophiles (pyarthrose). Ce liquide purulent contient des enzymes qui détruisent le cartilage articulaire dont les possibilités de régénérescence sont faibles. Au stade plus tardif, les villosités synoviales se nécrosent, l’os est détruit : des érosions apparaissent principalement au niveau des récessus articulaires. Diagnostic Le diagnostic d’arthrite septique doit être évoqué en premier lieu face à toute inflammation articulaire accompagnée de manifestations infectieuses. Chez un enfant fébrile, toute douleur provoquée par la mobilisation d’un membre doit également faire exclure une localisation septique articulaire. L’attitude antalgique est un signe tardif. Le geste qui s’impose est la ponction articulaire : c’est la mise en évidence de germes à l’examen du liquide articulaire qui permet le diagnostic de certitude. Une élévation du taux de leucocytes à plus de 100.000 éléments par microlitre est considérée comme pathognomonique mais au début le comptage peut ne pas dépasser 20 à 30.000 éléments avec prédominance de neutrophiles. Le taux de glucose dans le liquide articulaire est abaissé. Le diagnostic une fois suspecté est donc facilement confirmé. Les erreurs de diagnostic à éviter sont l’appendicite en cas d’atteinte de la hanche droite et le rhumatisme articulaire aigu. La mise au point comportera également plusieurs hémocultures et des prélèvements bactériologiques au niveau des portes d’entrée suspectées : gorge, furoncle, etc. Radiologie Au stade débutant, la radiographie peut ne révéler aucune anomalie. Dès que l’épanchement articulaire est significatif, il peut être perçu du fait du refoulement de la graisse juxta-articulaire. L’épanchement 76 76 peut également élargir l’interligne articulaire. Ce n’est qu’après plusieurs jours que se manifeste une ostéoporose régionale. Le pincement de l’interligne et les érosions sont des signes tardifs qui signent des dégâts irréparables qu’un traitement précoce adéquat peut éviter. Traitement Le traitement doit être instauré d’urgence, dès que les prélèvements bactériologiques ont été réalisés. Il doit comporter : - l’évacuation du pus de l’articulation pour éviter la destruction du cartilage articulaire; - la décompression de l’articulation : l’hyperpression articulaire risque d’entraîner des troubles vasculaires au niveau des épiphyses; - l’administration parentérale d’antibiotiques actifs à doses adéquates : le choix de l’oxacilline ou de la cloxacilline à la dose de 100 mg/kg associé à un aminoglycoside jusqu’à identification du germe est recommandée. Il faut souligner que la majorité des germes en cause sont résistants à la pénicilline et à l’ampicilline; - l’immobilisation antalgique par plâtre au niveau du coude et du genou, par traction par bandes collées au niveau de la hanche. L’évacuation du pus et la décompression articulaire seront d’abord réalisées par ponction à répéter après quelques heures. L’injection intra-articulaire d’antibiotique n’est pas recommandée. Si l’évolution est favorable, ce qui peut être espéré en cas de traitement précoce d’un enfant qui se défend normalement, l’assèchement articulaire sera rapidement obtenu, la mobilisation articulaire deviendra moins douloureuse et les signes généraux d’infection diminueront. Si l’infection n’est pas contrôlée au bout de 24 ou 48 heures, l’arthrotomie s’imposera. Il s’agira suivant la gravité des lésions d’une arthrotomie de lavage avec mise en place d’un drainage, d’une arthrosynovectomie en prenant bien soin de respecter la vascularisation épiphysaire. Au niveau du genou, le lavage arthroscopique peut remplacer l’arthrotomie. Dans les cas vus tardivement, avec atteinte osseuse ou fusée purulente extra-articulaire, l’installation d’un lavage continu suivant Compère permettra l’évacuation des débris purulents sans risque important de surinfection. Il semble que la meilleure solution de lavage soit simplement le sérum physiologique. L’adjonction d’antibiotique n’a pas d’avantage prouvé et certaines préparations entraînent la formation de précipités. 77 77 L’utilisation d’un antiseptique n’est pas conseillée, car les antiseptiques pourraient avoir un effet délétère pour le cartilage articulaire. La solution de chlorhexidine à 0,5 % qui fut utilisée dans le service est responsable de chondrolyses qui peuvent être reproduites chez l’animal en l’absence de toute infection. Le drainage est laissé en place jusqu’à ce que les phénomènes infectieux soient contrôlés, ce qui peut être confirmé par l’étude bactériologique du liquide de sortie. La mobilisation articulaire est entreprise dès que l’indolence est obtenue. Pour ce qui concerne la hanche, il est recommandé entre les séances de mobilisation de maintenir les membres inférieurs en traction par bandes collées jusqu’à la sixième semaine au moins. La mise en charge des articulations portantes ne sera autorisée qu’après le 3ème mois. Le traitement antibiotique par voie parentérale est poursuivi jusqu’à la normalisation des manifestations biologiques d’inflammation. L’antibiotique est ensuite administré par voie orale. Il paraît prudent de prolonger le traitement trois à quatre mois suivant la gravité de l’atteinte articulaire. La nécessité d’un traitement prolongé doit faire choisir un antibiotique dépourvu d’effets secondaires importants et disponible sous une forme d’administration facile. L’articulation est un organe « fermé » qui ne peut être contaminé que par voie hématogène ou par effraction. En l’absence de suppuration externe, le risque de surinfection est quasi inexistant. Les résistances acquises en cours de traitement sont rares quand il s’agit de germes positifs au gram. Il est par ailleurs bien démontré que les antibiotiques et en particulier les pénicillines, les céphalosporines administrées par voie parentérale à dose adéquate donnent des concentrations actives dans le liquide articulaire. Il n’est donc pas logique de réagir à une réponse insuffisante au traitement ou à une rechute en changeant d’antibiotique. La cause de l’échec du traitement est l’accumulation de débris purulents ou l’entrave à la circulation synoviale ou osseuse liée à l’hyperpression articulaire. Ces deux situations imposent donc un geste chirurgical. 5.5. L’ostéomyélite Introduction L’ostéomyélite hématogène est par définition une infection osseuse due à un germe qui atteint l’os par le torrent circulatoire. Elle doit être distinguée des infections par inoculation directe ou par contiguïté. Chez l’enfant, le germe qui atteint l’os par voie hématogène trouvera un site privilégié au niveau de la 78 78 métaphyse des os longs où il existe un réseau vasculaire permettant un ralentissement du flux sanguin dans de larges sinusoïdes (Trueta 1959). Le fait que les bactériémies physiologiques et a fortiori les septicémies ne se compliquent pas systématiquement d’ostéomyélite relève non seulement de la virulence et de la concentration des germes, mais également de facteurs locaux et généraux comme le status circulatoire et les défenses immunitaires. S’il s’agit d’un germe peu virulent et d’un patient qui se défend bien, l’infection peut rester localisée (métaphysite) et parfois s’encapsuler (abcès de Brodie). Si le germe est virulent ou les défenses de l’hôte faibles, l’infection peut s’étendre à la diaphyse (pandiaphysite). La thrombose des vaisseaux nourriciers suite au processus septique et le décollement du périoste (périostite) par le liquide purulent peuvent entraîner une nécrose osseuse menant à la formation d’un séquestre. Ce processus de transformation purulente crée une situation locale favorable à l’entretien de l’infection. Le pronostic de l’ostéomyélite hématogène reste lié à la précocité du diagnostic et du traitement. En effet, au stade initial (inflammatoire), le traitement antibiotique pourra rapidement éradiquer l’infection, tandis qu’au stade tardif (de séquestration purulente), un geste chirurgical devra y être associé. Classification Au cours de ces dernières années, le visage de l’ostéomyélite s’est modifié. A côté de la classique ostéomyélite aiguë de l’adolescent sont apparues une multitude de formes cliniques nouvelles. Les infections osseuses par voie hématogène peuvent être classées en fonction des critères anatomiques, anatomopathologiques ou évolutifs. Classification anatomique La localisation primitive de l’infection et l’évolution de la maladie dépendent de facteurs anatomiques qui varient en fonction de l’âge et de la région intéressée. Chez l’enfant, la vascularisation épiphysaire et la vascularisation métaphysaire sont séparées au niveau du cartilage de croissance qui formera généralement une barrière empêchant la propagation de l’infection métaphysaire vers l’épiphyse et vers l’articulation (Trueta 1959, Kahn et Pritzker 1973). La contamination de l’articulation se fera néanmoins précocement si la métaphyse est intraarticulaire comme c’est le cas pour la métaphyse proximale du fémur à la hanche et la métaphyse proximale du radius au coude. Ces deux localisations entraînent donc généralement une arthrite septique. Chez le nouveau-né, la séparation des réseaux vasculaires épiphysaires et métaphysaires n’est pas établie et l’atteinte de l’épiphyse et de l’articulation sera la règle : c’est l’ostéoarthrite du nourrisson. 79 79 L’atteinte primitive de l’épiphyse s’observe principalement dans les formes subaiguës de l’affection (Green et al. 1981). Récemment Kramer et al. (1986) et Gibson et al. (1991) ont attiré l’attention sur la possibilité d’atteintes épiphysaires aiguës chez l’enfant. OSTEOMYELITE EPIPHYSITE METAPHYSITE PANDIAPHYSITE OSTEOARTHRITE Tableau : classification anatomique Classification anatomopathologique L’infection classique aiguë à germes banals aboutit rapidement à une nécrose purulente. Certaines infections spécifiques et en particulier les infections à mycobactéries induisent une réaction granulomateuse suivie de la nécrose caséeuse. Ce sont des ostéomyélites granulomateuses. A partir des années 60, on a vu apparaître des ostéomyélites d’évolution larvée où le processus inflammatoire s’arrêtait sans nécessairement évoluer vers la nécrose purulente (Rombouts et al. 1986). Dans leur forme les plus caractéristiques, ces ostéomyélites subaiguës du petit enfant sont des ostéomyélites inflammatoires non purulentes, mais il semble bien exister des formes de transition entre l’ostéomyélite « purulente » et l’ostéomyélite subaiguë typique. Il existe également des ostéomyélites non purulentes plurifocales (Giedion et al. 1972) et des ostéomyélites chroniques non infectieuses (Bremner 1959, Mollan et al. 1984, Huaux et al. 1987). Le caractère réactionnel des lésions osseuses semble démontré pour l’hyperostose sterno-costoclaviculaire, les ostéomyélites multifocales récidivantes de l’enfant et certaines complications ostéoarticulaires de l’acné (Huaux et al. 1987). Classification évolutive A côté des formes classiques, l’ostéomyélite aiguë hématogène et les ostéomyélites chroniques d’emblée, on observe de plus en plus souvent chez les jeunes enfants des formes subaiguës qui se caractérisent par leur début insidieux, l’absence de signes généraux d’infection, une symptomatologie atténuée avec peu de signes locaux et une évolution bénigne dans les cas typiques (Rombouts et al. 80 80 1986, Ezra et al. 1993). La plupart de ces formes subaiguës n’évoluent donc pas vers la nécrose purulente bien que leur origine infectieuse ne semble pas contestée. OSTEOMYELITE AIGUE SUBAIGUE CHRONIQUE : - secondaire - d’emblée Tableau : classification évolutive 5.6. L’ostéomyélite aiguë hématogène L’ostéomyélite aiguë hématogène est une affection de l’enfant : dans la série récente de Faden et Grossi (1991), l’âge moyen est de six ans. Chez le nouveau-né, les conditions anatomiques font que le processus infectieux intéresse quasi simultanément l’os et l’articulation. C’est l’« ostéoarthrite du nourrisson ». Il existe cependant des ostéomyélites néonatales (Bergdahl et al. 1985). Pathogénie L’ostéomyélite aiguë hématogène est la conséquence d’une bactériémie ou d’une septicémie. Le germe atteint l’os par le torrent circulatoire. L’artère nourricière se divise dans la cavité médullaire et se termine par de petites artérioles à proximité du cartilage de croissance. Au niveau de la cavité médullaire, les conditions sont favorables à la phagocytose microbienne; par contre, au niveau de la métaphyse, un moindre nombre de cellules réticulo-endothéliales et le ralentissement circulatoire permettraient plus facilement le développement du germe. Expérimentalement, l’injection intraveineuse de germes pathogènes n’induit pas à elle seule régulièrement d’infections osseuses. La plupart des modèles expérimentaux font appel à un agent focalisateur qui est soit un traumatisme chimique, soit l’injection dans l’artère nourricière de l’os d’un corps étranger ou encore un traumatisme mécanique (Morrissy et Haynes 1989). Le rôle des traumatismes fermés dans la genèse de l’ostéomyélite aiguë hématogène a été souligné dans les années 20. Il est actuellement considéré comme secondaire voire inexistant. Nous avons retrouvé dans la littérature quatre séries d’ostéomyélite ayant fait l’objet d’une analyse 81 81 d’antécédents traumatiques (Glimour 1962, Mollan et Piggot 1971, Dich et al. 1975, Glover et al. 1982). Si l’on globalise ces séries, l’incidence d’un antécédent traumatique est de l’ordre de 40 %. Dans notre série (Rombouts-Godin 1989, Manche et al. 1991) plus d’une anamnèse sur trois mentionne un antécédent traumatique. L’incidence monte à 43 % si l’on exclut les enfants de moins d’un an et à 80 % si on ne considère que les cas documentés par une anamnèse dirigée. Bien que l’ostéomyélite aiguë hématogène survienne dans la majorité des cas en dehors de tout contexte traumatique, les études cliniques et les données expérimentales suggèrent néanmoins qu’un traumatisme peut avoir un rôle focalisateur. Bactériologie Le germe en cause est dans l’immense majorité des cas un staphylocoque doré. Le second germe est le streptocoque du groupe A. Chez le jeune enfant en dessous de 3 ans, il y a une incidence élevée d’Haemophilus influenza de type b (Faden et Grossi 1991). La prévalence de staphylocoque doré semble liée à la capacité de ce germe de synthétiser des prostaglandines, médiateurs impliqués dans la destruction osseuse observée au cours de l’ostéomyélite aiguë. Dans de nombreux cas, une porte d’entrée peut être retrouvée : furoncle, plaie superficielle surinfectée, ongle incarné, infection dentaire ou amygdalite. La localisation osseuse signe qu’il y a eu bactériémie. Clinique La présentation classique de l’ostéomyélite aiguë associe un syndrome septique (température, frissons, altération de l’état général) et des douleurs locales (douleurs d’abcès). La douleur locale voire une simple boiterie précède souvent le tableau septique. Il faut exclure une pathologie ostéoarticulaire infectieuse chaque fois qu’un enfant présente une douleur ostéoarticulaire aiguë ou une boiterie. Choban et Killian (1990) ont retrouvé 5 ostéomyélites et 6 arthrites septiques dans une série de 60 enfants de moins de 7 ans montrés pour une anomalie de la marche; Taylor et Clarke (1994) ont dénombré 21 infections ostéoarticulaires dans une série de 509 hanches irritables. Dans les séries récentes (Faden et Grossi 1991), le diagnostic est établi avant l’apparition de température dans près d’un tiers des cas. Ce tableau clinique s’observe principalement dans les pays évolués, alors que dans les régions en voie de développement, la présentation classique reste fréquente 82 82 (Lauschke et Frey 1994). Laboratoire A la phase floride, les paramètres biologiques d’inflammation sont franchement élevés (VS, CRP, Alpha 2 globuline) et la leucocytose est majorée avec une formule de type neutrophilique. En phase prodromique, la vitesse de sédimentation reste un indicateur sensible (Taylor et Clarke 1994). L’hémoculture est positive dans plus de la moitié des cas. Le diagnostic de certitude nécessite la mise en évidence du germe au niveau du foyer : le prélèvement pourra être fait par ponction (Howard et al. 1994) ou par abord chirurgical. La porte d’entrée du germe sera recherchée et des prélèvements bactériologiques effectués à son niveau. Imagerie médicale a) Radiologie « La radiographie est en retard sur la clinique ». Le premier signe radiologique correspond au gonflement des tissus mous et est souvent une perte de définition de la limite radiologique entre les tissus musculaires de densité aqueuse et les tissus graisseux de moindre densité. Au niveau de l’os lui-même, le soulèvement périosté entraînera la formation d’os néoformé soulignant le contour de l’os (après 2 à 3 jours). Une zone de raréfaction métaphysaire peut également être un signe assez précoce. Ce n’est cependant qu’à la deuxième semaine qu’apparaîtront les lésions de destruction osseuse sous forme d’une raréfaction de multiples foyers de destruction dont la forme « en carte géographique » avec sinus de décharge et éventuellement présence d’os séquestré plus dense permettront de la différencier des raréfactions de type dystrophique ou de la raréfaction perméative d’origine tumorale. Ultérieurement, la reconstruction se manifeste par une apposition osseuse souspériostée. b) Scintigraphie La place des examens scintigraphiques dans le bilan d’un enfant suspect d’ostéomyélite est discutable. La scintigraphie à l’aide d’un marqueur osseux identifié au technétium 99m montre une hyperfixation au niveau des zones de formation osseuse et au niveau des zones hyperhémiques. On pourrait donc s’attendre à ce qu’il y ait une hyperfixation au niveau des foyers d’ostéomyélite. Ce n’est pas toujours le cas. La sensibilité est de l’ordre de 80 % (Tuson et al. 1994). Chez certains enfants, en particulier ceux qui présentent une infection « fulminante » , l’os peut être hypovascularisé 83 83 du fait de la thrombose septique d’artérioles : on aura dans ces cas une image « froide » voire normale. Cette image « froide » est un signe de gravité qui fera considérer l’indication opératoire (Green et Edwards 1987). Le grand risque est de retarder le diagnostic à cause d’un examen qui n’est pas indispensable. La scintigraphie osseuse est indiquée lorsqu’il y a un doute sur la localisation de l’infection osseuse alors que le diagnostic clinique paraît évident, principalement en cas d’infection vertébrale ou pelvienne. Elle peut être indiquée pour rechercher des localisations multiples en particulier chez l’enfant jeune. La scintigraphie au Gallium ou aux globules blancs marqués à l’Indium est plus spécifique, mais n’est pas plus sensible. Elle peut être indiquée pour différencier un infarctus osseux d’une ostéomyélite chez un enfant drépanocytaire par exemple. c) Echographie Récemment, Abernethy et al. (1993) et Howard et al. (1993) ont proposé d’utiliser l’échographie pour rechercher les abcès sous-périostés. L’échographie pourrait s’avérer utile pour évaluer l’importance de cet abcès et dès lors discuter l’opportunité d’un abord chirurgical. d) Imagerie par résonance magnétique L’imagerie par résonance magnétique (IRM) est d’utilisation exceptionnelle en pathologie infectieuse orthopédique de l’enfant, pour des raisons d’accessibilité, de coût et surtout de la nécessité d’une sédation profonde pour obtenir l’immobilité du petit enfant nécessaire à l’acquisition d’images de qualité. Elle a cependant sa place dans trois circonstances : - l’identification d’un abcès métaphysaire après injection d’un produit de contraste paramagnétique dans les cas cliniquement douteux d’ostéomyélite aiguë; - pour orienter le diagnostic différentiel entre une infection osseuse et une lésion tumorale si la radiographie standard est équivoque; - permettre le diagnostic différentiel entre infarctus osseux et ostéomyélite chez les enfants drépanocytaires. Traitement Les principes essentiels sont la mise en route d’urgence d’un traitement antibiotique actif contre le germe en cause par voie générale pendant une période prolongée. 84 84 a) L’urgence Il s’agit d’une manifestation septicémique. L’infection osseuse évolue rapidement. La formation précoce de thrombi vasculaires et la séquestration d’os nécrotique rendront le traitement antibiotique moins actif et rendront un geste chirurgical nécessaire. Il faut à tout prix éviter l’ouverture spontanée du foyer vers l’extérieur (suppuration) qui ouvre la porte à la surinfection et à l’évolution vers la chronicité. L’importance de la mise en route d’un traitement précoce est clairement démontrée dans l’étude de Vaughan et al. (1987). b) Le traitement antibiotique Il faut mettre en évidence le germe en cause de façon à pouvoir confirmer sa sensibilité à l’antibiotique choisi. L’urgence impose cependant de commencer le traitement antibiotique avant que les examens bactériologiques ne soient terminés (mais « bien sûr » après les prélèvements) L’épidémiologie de l’affection impose de choisir un antibiotique actif contre le staphylocoque doré qui est en cause dans plus de 90 % des cas. Le staphylocoque doré est généralement résistant aux pénicillines G et V. C’est pour cette raison que l’on choisira une pénicilline du groupe isoxasolyl par exemple l’oxacilline, la cloxacilline, l’oxa-methicilline ou la dicloxacilline. D’autres germes, en particulier le streptocoque du groupe A et l’Haemophilus influenza, se rencontrent dans un petit pourcentage de cas; il y a donc lieu avant réception du diagnostic bactériologique d’associer un antibiotique à plus large spectre. L’association de cloxacilline et l’ampicilline à haute dose (100 mg/kg) garde notre préférence. Chez le jeune enfant, la prévalence de l’Haemophilus influenza fait choisir la céfuroxime. Dès réception du résultat de l’examen bactériologique, le traitement antibiotique sera adapté en tenant compte des impératifs suivants : - le germe doit être sensible à l’antibiotique prescrit, - il faut préférer un antibiotique auquel les résistances acquises sont rares, -les antibiotiques bactéricides seront préférés aux bactériostatiques, - l’antibiotique doit être peu toxique car un traitement prolongé est nécessaire. Le traitement antibiotique sera administré par voie intraveineuse jusqu’à disparition des manifestations septiques générales et des signes d’inflammation locaux. Le traitement sera ensuite poursuivi par voie 85 85 orale. La durée du traitement antibiotique reste discutée. Il paraît nécessaire d’administrer l’antibiotique au moins jusqu’à normalisation de la vitesse de sédimentation. En pratique, il paraît raisonnable de prolonger le traitement pendant 1 mois, en l’absence de lésion radiologique, et pendant 3 à 4 mois, s’il y a eu des lésions radiologiquement visibles. c) L’identification de germe et l’indication opératoire L’ostéomyélite est la manifestation locale d’une septicémie : le germe peut donc être identifié par hémoculture. Dans les cas vus à un stade très précoce, le traitement peut être commencé avant que n’apparaissent des lésions locales et la formation de pus. Cependant, il a été démontré expérimentalement que la bactérie injectée par voie intraveineuse se fixe localement et prolifère dans les veines métaphysaires de l’os dans les heures qui suivent l’inoculation. Il est donc logique de rechercher à identifier le germe au niveau du foyer. La simple ponction paraît licite à un stade précoce et en particulier chez le nourrisson. L’échographie peut aider à orienter la ponction. La découverte d’une quantité significative de pus franc à la ponction justifie son évacuation chirurgicale (cfr. protocole thérapeutique de Tunis) (Scott et al. 1990). De même, lorsqu’il existe des lésions radiologiquement visibles signant la formation d’un abcès, il faut intervenir : la métaphyse atteinte sera abordée suivant les règles habituelles de la chirurgie orthopédique (Harris 1962, Mollan et Piggot 1972). Les tissus nécrotiques ou purulents seront évacués et l’os sera cureté, en prenant bien soin de ne pas léser le cartilage de croissance. Après prélèvement bactériologique, la cavité est rincée avec une solution physiologique ou avec une solution d’antibiotique. Le périoste est refermé sur un drainage aspiratif qui sera laissé en place trois à six jours. Les tissus sous-cutanés et la peau sont soigneusement suturés. La simple incision de l’abcès est formellement contre-indiquée, car elle apporte un drainage insuffisant et ouvre la porte aux surinfections. La nécessité de trépaner l’os est admise depuis le début du siècle (Levoeuf 1937). Les résections osseuses sous-périostées, proposées au siècle passé en cas de pandiaphysite et bien codifiées par Levoeuf, ne paraissent plus guère avoir d’indications depuis l’utilisation d’antibiotiques actifs. Chez l’enfant, les possibilités de reconstruction et de réincorporation de l’os apparemment séquestré sont grandes. La place de l’intervention chirurgicale dans le traitement de l’ostéomyélite aiguë hématogène se réduit progressivement. Dans les séries anciennes 50 (Dich et al. 1975) à 70 % (Mollan et Piggot 1977) des 86 86 enfants ont dû être opérés. Cole et al. en 1982, ayant opté pour une évacuation systématique des abcès sous-périostés démontrés, ont opéré 22 % de leurs patients. LaMont et al. (1987) ont comparé une série du début des années 70 à une série plus récente. Dans leur première série, 8 patients sur 69 ont dû être opérés, tandis que dans la série récente, il n’y en a que 3 sur 44. Ils attribuent cette diminution des indications opératoires à un diagnostic plus précoce. d) Les gestes complémentaires La prévention antitétanique sera administrée. L’immobilisation plâtrée est un geste complémentaire important qui a non seulement un effet antalgique, mais également un effet anti-inflammatoire et prévient l’installation d’attitudes antalgiques génératrices de raideur articulaire. Evolution Correctement traitée à un stade précoce, l’ostéomyélite aiguë hématogène guérit avec des séquelles mineures. Si l’infection respecte le cartilage de croissance, la croissance osseuse n’est pas perturbée, si ce n’est que l’hyperhémie inflammatoire peut entraîner une accélération de la croissance en longueur qui excédera rarement 1 à 2 centimètres. La destruction du cartilage de croissance, ou d’une partie de celui-ci, est une complication redoutable qui entraîne des troubles de la croissance osseuse particulièrement difficiles à traiter. L’évolution vers l’ostéomyélite chronique est devenue rare et est généralement la conséquence d’un traitement inadéquat ou débuté tardivement. 5.7. L’ostéomyélite subaiguë chez le jeune enfant L’ostéomyélite subaiguë du jeune enfant est une entité nosologique actuellement bien définie cliniquement et radiologiquement (Rombouts et al. 1986, Ezra et al. 1993). Elle se distingue de l’ostéomyélite aiguë hématogène par son début insidieux, l’absence de signes généraux d’infection, une symptomatologie atténuée avec peu de signes locaux et par son évolution bénigne dans les cas typiques. Cette forme d’ostéomyélite est de description assez récente. La spondylodiscite bénigne du petit enfant a été bien décrite par Spiegel et al. dès 1972 (Rombouts et al. 1981, Ryöppi et al. 1993). Bryson en 1962 et Harris et Kirkaldy-Willis en 1965 ont signalé l’existence en Afrique d’une forme d’ostéomyélite évoluant de façon torpide sans signe général 87 87 d’infection. Elle est parfois appelée ostéomyélite pseudotumorale. L’ostéomyélite subaiguë du petit enfant a ensuite été décrite en Nouvelle-Zélande (King et Mayo 1969), puis en Grande-Bretagne (Antoniou et Conner 1974, Andrew et Porter 1985), en Amérique du Nord (Gledhill 1973, Green et al. 1981, Bogoch et al. 1984), en Australie (Ross et Cole 1985), en Europe Continentale (Rombouts et al. 1986, Sorensen et al. 1988, Larivière et Seringe 1989) et récemment au Proche Orient (Ezra et al. 1993). Elle se localise non seulement au niveau des métaphyses et des diaphyses des os longs, mais également au niveau des épiphyses. La lésion peut traverser le cartilage de conjugaison sans entraîner de trouble de croissance. Depuis Gledhill (1973), la plupart des auteurs considèrent qu’il s’agit d’une infection par voie hématogène qui évolue de façon bénigne du fait du caractère peu pathogène du germe ou des bonnes défenses immunitaires de l’hôte. Classification La classification de Gledhill (1973) modifiée par Roberts et al. (1982) différencie les lésions épiphysaires, métaphysaires, diaphysaires et les spondylodiscites. Il faut en outre individualiser les formes épiphysométaphysaires et l’atteinte des os courts. Anatomie pathologique a) Spondylodiscite bénigne du petit enfant Des biopsies à l’aiguille ou à foyer ouvert ont été réalisées par Spiegel et al. (15), par Ryöppy et al. (16) et nous-mêmes. Dans la majorité des cas, l’examen histologique révèle une image inflammatoire aspécifique subaiguë ou chronique (19/32), parfois des tissus de granulation (1/32), exceptionnellement des lésions de type dégénératif (1/32), voire ischémique (1/32). Dans un tiers des cas (10/32), l’aspect histologique était normal. b) Ostéomyélite subaiguë La biopsie des lésions épiphysaires démontre des tissus de granulation sans nécrose purulente (Green et al. 1981), si ce n’est dans deux des trois cas de Sorensen (1988). Les deux lésions épiphysométaphysaires biopsiées par Bogoch et al. (1984) montraient du tissu fibreux infiltré par des lymphocytes, des neutrophiles, des plasmocytes et des fragments d’os nécrosé et d’os nouveau. L’aspect était compatible avec une inflammation chronique et une infection. Les autres auteurs (King et Mayo 1969, Skevis 1984, Eska et al. 1993) considèrent l’aspect 88 88 microscopique comme aspécifique évoquant parfois une infection chronique, une inflammation chronique ou encore du tissu de granulation. Bactériologie a) Spondylodiscite bénigne du petit enfant Spiegel et al. (1992) ont identifié 4 germes sur 15 prélèvements (une moraxella, un staphylocoque doré, un pneumocoque et une fois l’association d’un diphtéroïde et d’un microcoque). Les trois prélèvements que nous avons faits sont restés stériles et actuellement, nous ne pratiquons plus de recherche bactériologique lorsque le tableau clinique est typique (Rombouts et al. 1986). Ryöppy et al. (1993) ont exclu de leur série de 22 patients les quatre cas dont la culture a démontré la présence de germes (2 staphylocoques dorés, un acinétobacter et une moraxella). b) Ostéomyélite subaiguë Les recherches bactériologiques dont les résultats sont rapportés dans 76 cas ont permis d’isoler des germes dans 21 cas. Il s’agit de staphylocoques dorés dans la plupart des cas dont 3 cas de localisation épiphysaire (Green 1981, Sorensen 1988). Notre expérience ne nous permet pas de confirmer ce rôle prépondérant du staphylocoque doré. Nous avons isolé, parmi sept prélèvements, un pneumocoque au niveau d’une lésion épiphysométaphysaire tibiale et une kingella Kingae (moraxella) au niveau d’un calcanéum. Une Kingella a également été isolée par Lindebaum et Alexander (1984). Le Kingella Kingae (moraxella) que l’on retrouve donc quatre fois dans cette revue de la littérature est un coccobacille gram négatif immobile aérobie, partiellement anaérobie, à croissance lente et fastidieuse, faisant partie de la famille des Neisseriacae dont le rôle pathogène reste discuté. Une bonne vingtaine d’ostéomyélites à Kingella ont été décrites. Elles se caractérisent par leur pronostic favorable (Verbruggen et al. 1986). Diagnostic différentiel Le diagnostic de spondylodiscite bénigne du petit enfant et le diagnostic d’ostéomyélite subaiguë reposent sur un ensemble d’éléments cliniques biologiques et radiologiques. L’ostéomyélite subaiguë se caractérise cliniquement par son début insidieux sans signes généraux d’infection. L’enfant refuse de marcher, de prendre appui sur son membre inférieur, boite ou évite d’utiliser son membre supérieur. Les symptômes douloureux sont modérés, parfois absents. Il n’y a pas de signes locaux. L’image radiologique est caractéristique. L’atteinte épiphysaire se caractérise par une lacune bien circonscrite qui peut ne pas respecter la corticale. La localisation métaphysaire 89 89 correspond à un aspect radiologique typique d’ostéomyélite. Cette lésion peut traverser le cartilage de croissance. La biologie révèle une accélération de la vitesse de sédimentation globulaire. Celle-ci est modérée. La leucocytose est normale ou très modérément majorée. Les hémocultures sont de règle stériles. Le diagnostic différentiel doit essentiellement se faire avec une lésion tumorale : granulome éosinophile, sarcome ostéogénique, ostéome ostéoïde, sarcome d’Ewing, chondroblastome (Roberts et al. 1982, Lindenbaum et Alexander 1984, Sorensen et al. 1988). L’imagerie en résonance magnétique (IRM), éventuellement avec injection d’un produit de contraste paramagnétique, est indiquée si la radiographie standard est équivoque. Traitement Que ce soit dans la spondylodiscite bénigne du petit enfant (Ryöppy et al. 1993) ou dans l’ostéomyélite subaiguë du squelette périphérique (Ezra et al. 1993), l’abord chirurgical n’est indiqué que s’il y a un doute majeur sur le diagnostic au terme d’une période d’observation raisonnable. La ponction du foyer est un geste moins agressif que l’abord chirurgical qui donne autant de chance d’identifier le germe. Celle-ci est recommandée dans les formes atypiques qui s’accompagnent d’une majoration de la vitesse de sédimentation et de la leucocytose. Les auteurs classiques recommandent l’administration d’un antibiotique antistaphylococcique (Green et al. 1981). Ross et Cole (1985) recommandent l’administration de cloxacilline et de benzylpénicilline par voie intraveineuse pendant 48 heures, suivie de l’administration per os de cloxacilline et de l’immobilisation relative à domicile pendant six semaines. Dans les cas bactériologiquement stériles, on peut s’interroger sur l’opportunité de traiter cette affection bénigne. Un cas de notre série n’a pas reçu d’antibiotique et a évolué favorablement. En matière de spondylodiscite bénigne du petit, plusieurs auteurs (Spiegel et al. 1972 et Ryöppy et al. 1993) recommandent de n’entreprendre le traitement antibiotique que si le patient ne répond pas à l’immobilisation ou s’il présente des signes généraux d’infection ou si les prélèvements bactériologiques démontrent le développement du germe. Si cette attitude abstentionniste peut être recommandée en cas de spondylodiscite, il semble prématuré de la proposer en cas d’atteinte périphérique. Les ostéomyélites subaiguës, qui sont de mieux en mieux caractérisées, restent néanmoins hétérogènes. 90 90 Il y a des lésions inflammatoires aseptiques qui ne nécessitent pas de traitement antibiotique, des lésions à germes peu virulents dont l’évolution vers la guérison est accélérée par le traitement antibiotique et surtout, principalement dans les séries anciennes des formes « larvées » ou « décapitées » d’ostéomyélite à staphylocoque doré qui nécessitent un traitement (Bogoch et al. 1982, Lindenbaum et Alexander 1984). Nous prescrivons systématiquement un anti-inflammatoire non-stéroïdien. En effet, le rôle des prostaglandines dans les processus de résorption et de reconstruction osseuse est établi (Bennett et Harvey 1981) et les expériences de Dekel et Francis montrent chez le lapin une limitation de l’ostéolyse infectieuse lorsque l’on administre du salicylate sodique. 5.8. Les ostéomyélites chroniques L’ostéomyélite chronique est presque toujours la séquelle d’une ostéomyélite aiguë qui a été traitée tardivement ou qui n’a pas répondu au traitement parce qu’il s’agissait de germes résistants à l’antibiotique administré ou parce qu’il y avait déjà une nécrose purulente étendue au moment de sa mise en route. Les germes en cause sont les mêmes que dans l’ostéomyélite aiguë, mais en cas de suppuration chronique, il peut y avoir surinfection par des germes comme le pseudomonas pyocyaneus. L’ostéomyélite chronique d’emblée existe-t-elle ? Deux éponymes sont d’emblée évoqués lorsque l’on pose cette question : Brodie et Garré. Récemment, Jani et Remagen de Bâle (1983) ont tenté de définir ce qu’ils appellent « l’ostéomyélite chronique primaire ». L’abcès de Brodie En 1832, Benjamin Brodie a décrit l’abcès chronique de l’os qui porte son nom (Stephens et McAuley 1988). Il s’agit typiquement de la conséquence d’une nécrose purulente localisée, enkystée, consécutive à une métaphysite aiguë chez un sujet qui se « défend bien ». L’abcès peut entraîner des douleurs « ostéocopes » ou rester peu symptomatique. Dans la description originale, les symptômes d’évolution sont bruyants (gonflement - douleurs). Il s’agit donc plutôt d’un stade évolutif de l’ostéomyélite aiguë susceptible d’évoluer vers la chronicité en l’absence de traitement chirurgical. Suivant l’importance de la lésion, la simple trépanation, son exérèse ou son exérèse suivie d’un plombage (Mouset et al. 1993) apporteront régulièrement la guérison. Dans certains cas, la cavité ne contient pas ou plus de tissu franchement purulent, mais un liquide riche 91 91 en protéine. Les auteurs allemands (Jani et Remage, 1983) parlent alors « d’ostéomyélite albumineuse » ou « d’ostéomyélite plasmocellulaire ». S’agit-il d’une entité nosologique spécifique ? Nous pensons qu’il existe un échelonnement de gravité entre l’abcès métaphysaire aigu, l’ostéomyélite subaiguë et l’ostéomyélite chronique primaire qui dépend de la virulence du germe et de la qualité des défenses de l’hôte. L’abcès de Brodie est défini par son aspect radiologique quelle que soit son agressivité. L’ostéomyélite sclérosante chronique de Garré En 1893, Garré a décrit une forme d’ostéomyélite chronique d’emblée caractérisée par un « épaississement » osseux n’évoluant pas vers la suppuration, la séquestration ou la fistulisation. Il s’agit d’une description purement clinique. Parmi les cas d’ostéomyélite sclérosante publiés au cours de la première moitié de ce siècle, il y a certainement plusieurs diagnostics erronés et en particulier des cas d’ostéomes ostéoïdes ignorés (Collert et Isacson 1982). En 1982, Collert et Isacson de Stockholm ont revu une série de 8 patients collectée en 20 ans et répondant aux critères suivants : 1) diagnostic histologique d’ostéomyélite chronique non suppurée 2) densification osseuse à la radiographie. La culture aérobie s’est avérée négative dans tous les cas. Une recherche d’anaérobes a été faite dans un des deux cas seulement avec développement d’une Propionebacterium acnes dans un cas. Ces patients ont été traités chirurgicalement et ont reçu des antibiotiques. Leur évolution ne semble pas avoir été modifiée de façon notoire par le traitement. Ces auteurs sont convaincus que l’ostéomyélite sclérosante de Garré est une entité clinique définie dont l’étiologie pourrait être une infection chronique par un germe anaérobie peu virulent. La lecture critique de leur article suggère que certaines de leurs observations et en particulier les cas 1 et 2 avec localisation claviculaire rentrent dans le cadre des ostéomyélites chroniques récidivantes. Il n’est donc pas sûr que l’ostéomyélite sclérosante de Garré puisse être isolée des ostéomyélites chroniques récidivantes. 5.9. Les ostéomyélites chroniques récidivantes Il s’agit d’un groupe d’affections qui se rapprochent probablement des spondylo-arthropathies réactionnelles aux infections génito-urinaires (Chlamydia) et digestives (Yersinia, Campylobacter, Shigella, etc.). L’hyperostose sterno-costo-claviculaire et l’ostéomyélite récidivante multifocale de l’enfant sont les deux tableaux qui méritent d’être décrits ici (à titre d’information). L’hyperostose sterno-costo-claviculaire L’hyperostose sterno-costo-claviculaire a été décrite dès la fin des années 50 (Bremner 1959). Elle se caractérise par une « hyperossification » du sternum, des clavicules et des premières côtes associée à un gonflement des tissus mous adjacents. Cliniquement, les patients se plaignent de douleur, de gonflement et de chaleur au niveau de 92 92 l’articulation sterno-claviculaire. Les symptômes peuvent être aggravés par le froid et par l’exercice physique. La biologie se caractérise généralement par une accélération de la vitesse de sédimentation, une élévation du titre de la protéine C Réactive et une leucocytose. L’aspect radiologique est typique avec une densification de l’extrémité proximale de la clavicule, entourée d’appositions périostées. Il peut y avoir des lésions érosives de l’articulation sternoclaviculaire. L’aspect histologique évoque une ostéomyélite chronique (Reznik et al. 1981). Les cultures bactériologiques restent typiquement négatives. Cependant, Mollan et al. (1984) ont isolé un staphylocoque doré dans un cas d’atteinte bilatérale chez une jeune fille de 14 ans. L’affection peut être associée à des lésions de pustulose palmoplantaire. Elle évolue par poussées, avec des phases de rémission. La prescription d’anti-inflammatoires non stéroïdiens a un effet favorable sur les symptômes, mais il n’a pas encore été possible d’établir s’ils avaient une efficacité sur l’évolution de la maladie. Divers antibiotiques ont été essayés avec des bénéfices variables. L’ostéomyélite récidivante multifocale de l’enfant L’ostéomyélite chronique symétrique récidivante de l’enfant a été décrite par Giedion et al. en 1972. Sa pathologie a été bien étudiée par Björksten et Boquist en 1980. Nous en avons observé trois cas. Des observations isolées continuent à être publiées (Jurik et al. 1988). Récemment, Carr et al. ont revu une série de 22 patients (1993). Il s’agit d’enfants de 4 à 14 ans qui présentent des gonflements inflammatoires douloureux des régions métaphysaires associés à une altération de l’état général. Les lésions peuvent être ou ne pas être symétriques. La fille est plus souvent atteinte que le garçon. L’image radiologique est typique : remaniements métaphysaires ostéolytiques avec réaction périostée de voisinage. La vitesse de sédimentation est accélérée et la leucocytose majorée. Ce tableau suggère le diagnostic d’ostéomyélite, mais les cultures restent négatives. La biopsie démontre la présence de tissu de granulation inflammatoire chronique et de tissus osseux néoformés réactionnels à côté de petits séquestres osseux. Il y a de nombreux polynucléaires. L’évolution se fait par poussées. Un traitement antibiotique peut avoir un effet favorable en quelques semaines. 5.10. Les infections à germes rares L’ostéomyélite aiguë hématogène qui a été décrite correspond à la localisation osseuse d’une infection à pyogènes (germes banals). Dans l’ostéomyélite subaiguë et dans l’ostéomyélite chronique, le facteur étiologique est moins univoque et l’importance de la réaction immunitaire semble déterminante. Il reste à décrire certaines infections spécifiques. La tuberculose L’ostéomyélite tuberculeuse existe, mais elle est rare. La majorité des cas sont localisés au niveau des petits os de la main et du pied, mais tous les os peuvent être atteints (côtes, sternum, métaphyse des os longs). L’aspect radiologique n’a rien de caractéristique. Le diagnostic est généralement basé sur l’examen 93 93 histologique qui démontre la présence de lésions granulomateuses typiques. Le traitement a longtemps comporté un geste chirurgical, mais Versfeld et Salomon (1982) ont démontré que la chimiothérapie seule pouvait guérir l’ostéomyélite tuberculeuse. Les mycobactéries atypiques Bien que le rôle pathogène des mycobactéries atypiques soit reconnu depuis le début des années 50, il n’y a dans la littérature que quelques observations d’ostéomyélite à mycobactéries atypiques chez l’enfant immunocompétent. L’observation de Pedersen et al. (1988) concerne une ostéomyélite épiphysaire fémorale inférieure à Mycobacterium avium chez un enfant de 5 ans. L’évolution favorable de cette lésion unique contraste avec la gravité des localisations multifocales qui sont généralement fatales chez l’enfant (Jenkin and Dall 1975). Récemment, l’équipe de Genève (Hofer et al. 1993) a publié l’observation d’un jeune Africain présentant des lésions ostéoarticulaires multifocales avec comme porte d’entrée supposée une morsure de serpent à la jambe. Il s’agirait d’un Mycobacterium ulcerans. L’évolution fut longue, mais les lésions osseuses répondirent finalement à l’association de Co-trimoxazole, de rifampicine et d’éthambutol. Les autres mycobactéries responsables d’infections osseuses sont le Mycobacterium terrae et le Mycobacterium cheloneae. Il paraît capital d’identifier adéquatement la mycobactérie atypique car, à l’exception du Mycobacterium kansanii, ces germes sont résistants à la chimiothérapie antituberculeuse classique et le traitement nécessite une antibiothérapie spécifique (Wallace et al. 1992, Hofer et al. 1993). Les Salmonella Les infections digestives à Salmonella sont extrêmement fréquentes, mais les localisations osseuses sont relativement rares. Ce sont les enfants atteints d’anémie à cellules falciformes qui sont particulièrement sensibles à ces infections osseuses (HbSS, HbSF, HbSC et HbSB-Thal, Piehl et al. 1993). Les atteintes multifocales se voient chez ces enfants, tandis que chez l’individu sain, c’est la localisation vertébrale qui prédomine. Chez les enfants drépanocytaires, il faut faire le diagnostic différentiel entre ces ostéomyélites et les infarctus osseux aseptiques. Ceux-ci peuvent d’ailleurs se surinfecter. Le traitement médical par un antibiotique actif contre le germe en cause est généralement suffisant, mais il peut être nécessaire d’évacuer les collections purulentes trop volumineuses. EN BREF Le pronostic des infections ostéoarticulaires chez l’enfant est lié à la précocité d’un diagnostic bactériologique complet et à la mise en route d’un traitement adéquat. Le diagnostic nécessite un prélèvement au niveau de l’organe atteint qui se fera par ponction du pus par 94 94 abord chirurgical. Au niveau des articulations, la ponction est généralement un geste suffisant. Au niveau de l’os, elle n’est licite qu’au stade précoce. La métaphyse peut être ponctionnée chez le nouveau-né. Les lésions osseuses centrales du grand enfant devront être abordées chirurgicalement. Les prélèvements bactériologiques au niveau du sang circulant (hémoculture) sont importants surtout dans les cas vus précocement. Le germe en cause est le plus souvent un staphylocoque doré : il importe donc de choisir comme premier traitement au moins un antibiotique actif contre le microbe dont la majorité des souches sont actuellement résistantes à la pénicilline et à l’ampicilline. Le traitement antibiotique choisi en fonction du résultat de l’examen bactériologique doit être administré par voie parentérale à dose suffisante. Le traitement antibiotique doit être poursuivi au moins jusqu’à normalisation de la vitesse de sédimentation. Pour éviter les réactivations, il est recommandé de poursuivre ce traitement trois à six mois. Pour ce qui concerne les articulations, l’évacuation du liquide purulent est nécessaire. Elle se fera au début par ponctions évacuatrices quotidiennes. En l’absence de réponse rapide au traitement conservateur, la décision d’intervenir chirurgicalement doit être prise. Le délai d’attente ne peut dépasser deux jours. L’indication opératoire sera particulièrement précoce en cas d’ostéoarthrite de la hanche chez le nourrisson vu le pronostic particulièrement sévère de cette localisation. Un traitement tardif ou inadéquat expose à des destructions ostéoarticulaires qui compromettront la croissance et la fonction articulaire. La suppuration risque d’entraîner des surinfections dont le traitement est particulièrement long et difficile. 6. La neuro-orthopédie Le diagnostic et le traitement des affections neurologiques de l’enfant nécessitent une approche pluridisciplinaire. Le chirurgien orthopédiste a un rôle de dépistage. Il a également un rôle préventif des déformations et un rôle dans le traitement. En effet, le déséquilibre musculaire entraîne des troubles de croissance dont les conséquences peuvent être graves : - scoliose neurologique, - bassin oblique, - luxation de hanche d’origine neurologique, 95 95 - pied varus équin neurologique, - pied creux neurologique, - etc. Certaines de ces déformations peuvent être prévenues par une prise en charge adéquate. En cas de spasticité ou de paralysie, le déséquilibre musculaire pourra être corrigé par des allongements, des ténotomies voire des transferts tendineux. 6.1.Le dépistage Un examen du développement psychomoteur à chaque consultation : - tiré-assis à trois mois, - assis à 8-9 mois. Ne pas banaliser : - les retards de la marche, - l’équin du petit garçon (myopathie), - le pied creux (neuropathie périphérique), - la scoliose douloureuse. 6.2. Le déséquilibre musculaire DESEQUILIBRE MUSCULAIRE Í ATTITUDE VICIEUSE Í VICE ARCHITECTURAL Chez un enfant atteint d’infirmité motrice cérébrale, la correction d’une attitude vicieuse en adduction peut aider à prévenir l’évolution vers la luxation d’origine neurologique. 6.3. Le traitement des déformations installées - arthrodèse pour scoliose, - transfert tendineux ou arthrodèse pour pied varus équin (apport de l’analyse de la marche), - ostéotomie de varisation, raccourcissement en cas de luxation de la hanche installée. 96 96 6.4. Les affections neuromusculaires et leurs problèmes orthopédiques Paralysie obstétricale : - forme habituelle = paralysie des racines hautes C5-C6 = paralysie des rotateurs externes, - indication fréquente de transferts tendineux ou d’ostéotomie de dérotation de l’humérus pour rendre la rotation externe et corriger le signe de la trompette. - indication exceptionnelle d’intervention directe sur le plexus brachial vers l’âge de trois mois (nonrécupération du biceps à cet âge). Myopathies : - penser aux myopathies en cas de pied équin, d’hypertrophie des mollets, de difficulté à se relever (signe de Gowers), - risque de dégradation de la force suite à l’immobilisation en cas de chirurgie, - indications opératoires rares (pied équin, scoliose). Infirmité motrice cérébrale : (un énorme chapitre...) - Classification topographique : diplégie, hémiplégie, atteinte globale. - Classification physiologique : athétose, ataxie, spasticité, mixte. - Dépistage : commémoratif de pathologie périnatale, persistance de réflexes primitifs. - Traitement de la spasticité : toxine botulinique, rhizotomie postérieure (encore expérimentale), allongements tendineux..... - Objectifs de traitement en fonction de la gravité de l’atteinte : améliorer la marche de l’enfant qui est capable de marcher : intérêt de l’analyse de la marche, 97 97 maintenir la station assise : stabilisation des scolioses, prévenir les luxations de hanche douloureuses chez l’enfant qui ne marche pas. Poliomyélite : - paralysie motrice pure, - déséquilibres musculaires variés, - indications fréquentes de transferts tendineux. Séquelles de méningomyélocèle ouverte : - atteinte sensitivomotrice (risque d’escarres), - problèmes associés fréquents (hydrocéphalie, incontinences urinaire et fécale). CHAPITRE V : L’ARTHROSE Traitement chirurgical I. Introduction II. Généralités à propos du traitement chirurgical des destructions articulaires d’origine arthrosique A. Le rôle du chirurgien orthopédiste dans la prévention de l’arthrose B. L’arsenal thérapeutique chirurgical des lésions établies III. Etude analytique du traitement chirurgical des localisations arthrosiques L’arthrose des articulations des membres L’arthrose du rachis IV. Conclusion 98 98 I. Introduction « Les arthroses sont des arthropathies chroniques dont les lésions anatomiques consistent principalement en altérations destructrices des cartilages ou des fibrocartilages articulaires, associées à des lésions prolifératives du tissu osseux sous-jacent, tandis que la synoviale ne présente que des lésions d’inflammation chronique inconstantes et secondaires » (de Sèze & Ryckewaert, 1954). La destruction « pathologique » du cartilage articulaire peut être liée soit à un défaut intrinsèque ou induit de la résistance mécanique de celui-ci, soit à des surcharges mécaniques aiguës ou chroniques anormales, soit à une combinaison de deux éléments, la lésion étant secondaire à un défaut de résistance d’un cartilage donné à la charge appliquée. Du point de vue du chirurgien, il est important de distinguer les arthroses dites « primitives » des arthroses secondaires. Les arthroses dites primitives sont caractérisées par l’usure anormale d’un cartilage articulaire normalement sollicité. Cette usure anormale peut être liée à une pathologie intrinsèque ou secondaire du cartilage lui-même. Les arthroses « secondaires » sont liées à des sollicitations anormales du cartilage articulaire du fait de défauts architecturaux congénitaux ou acquis du système locomoteur. Certaines arthroses posttraumatiques peuvent se rapprocher des arthroses primitives si la lésion induite par le traumatisme n’a lésé que le cartilage articulaire et l’os sous-chondral (p. ex. la chondropathie rotulienne postcontusive peut mener à l’arthrose). Par contre, si la surcharge articulaire est liée à une déviation axiale due à la mauvaise réduction d’une fracture par exemple, la dégénérescence articulaire entraînée par le traumatisme relèvera d’un mécanisme analogue à celui des arthroses secondaires. En matière de résistance mécanique du cartilage articulaire et de construction du système locomoteur, les limites du normal et du pathologique sont peu précises. Il est également difficile de définir des règles de normalité pour ce qui concerne les sollicitations mécaniques des surfaces cartilagineuses. Cette séparation des arthroses primitives des arthroses secondaires a donc un caractère relatif, mais elle est nécessaire pour permettre une approche rationnelle du traitement chirurgical de la maladie arthrosique. II. Généralités à propos du traitement chirurgical des destructions articulaires d’origine arthrosique 99 99 Le traitement chirurgical de l’arthrose couvre un large éventail de la pratique du chirurgien orthopédiste. Celui-ci a également un rôle dans la prévention de son apparition. A. Le rôle du chirurgien orthopédiste dans la prévention de l’arthrose 1. L’immobilisation articulaire prive le cartilage des mouvements du liquide synovial qui participe à sa nutrition. Elle doit donc être évitée ou réduite dans la mesure du possible. Les épanchements sanguins (hémarthroses), inflammatoires (hyarthroses) ou purulents (pyarthroses) modifient les propriétés physico-chimiques du liquide synovial et entraînent des lésions du cartilage articulaire. L’évacuation de ces épanchements est donc souhaitable. 2. En traumatologie, la reconstruction d’une morphologie articulaire normale sera le but du traitement des fractures articulaires. Elle ne pourra souvent être obtenue que par une ostéosynthèse. Les fractures épiphysaires déplacées constituent donc des indications opératoires fréquentes. Le traitement des fractures extra-articulaires devra aboutir à une restitution des axes mécaniques. 3. L’orthopédie infantile a un rôle cardinal dans la prévention des arthroses secondaires, liées à des anomalies articulaires ou osseuses congénitales ou « développementales ». L’exemple le plus typique est la prévention et le traitement de la maladie luxante de la hanche. Un traitement incomplet peut aboutir à une hanche dysplasique (par défaut de couverture cotyloïdienne). La dysplasie de hanche entraîne une diminution des surfaces articulaires et partant, une surcharge de la zone portante du cotyle et de la tête fémorale. La correction des dysplasies de hanche s’impose pendant la croissance. B. L’arsenal thérapeutique chirurgical des lésions établies La diversité des techniques chirurgicales utilisées dans le traitement de l’arthrose est grande et toutes les techniques ne pourront être citées. Il faut distinguer les interventions à visée pathogénique des interventions palliatives. 1. Les interventions à visée pathogénique Elles ont pour objectif de stabiliser les lésions, voire de favoriser la régénération articulaire, et d’assurer l’indolence. Elles agissent par des modifications biomécaniques ou par un effet « vasculaire » favorisant le remodelage articulaire. • Les modifications biomécaniques - Il s’agit essentiellement des ostéotomies de correction axiale qui peuvent non seulement améliorer la répartition des contraintes du cartilage articulaire, mais également augmenter les surfaces articulaires 100 100 utiles (d’où une diminution des charges par unité de surface). - D’autres opérations, comme la butée ostéoplastique ou l’ostéotomie d’agrandissement du cotyle (Chiari) ou les ostéotomies de réorientation du cotyle (Ganz), en cas de coxarthrose sur dysplasie cotyloïdienne, ont pour effet une augmentation des zones portantes. - Les ténotomies (opération de Voss) limitent dans une certaine mesure les contraintes articulaires; ces ténotomies ne sont plus guère pratiquées. • L’effet vasculaire On s’explique moins bien l’effet antalgique et parfois la régénération articulaire observée après des opérations comme les forages osseux et les ostéotomies juxta-articulaires sans correction axiale. Elles agissent probablement par une réduction de la pression veineuse intraosseuse qui est augmentée en cas d’arthrose et par un effet « hyperhémique ». Une opération comme l’ostéotomie intertrochantérienne de translation interne de Mac Murray associe cet effet vasculaire à une certaine détente musculaire. 2. Les interventions palliatives Il s’agit des interventions de dénervation articulaire, des arthroplasties et des arthrodèses. • Les interventions de dénervation articulaire restent utilisées au niveau du poignet. La neurectomie obturatrice pour traiter la coxarthrose n’est guère utilisée car son effet était incomplet et transitoire. La synovectomie qui est utilisée dans le traitement des arthropathies inflammatoires et infectieuses doit probablement une partie de son effet antalgique à la dénervation articulaire qu’elle entraîne. • Les arthroplasties sont des interventions visant à reconstruire une fonction articulaire détruite. Les arthroplasties par résection utilisées depuis plus d’un siècle sacrifient la stabilité articulaire à l’indolence, tout en conservant une certaine mobilité. Ces interventions ne sont plus guère utilisées comme premier traitement au niveau des grosses articulations. La résection tête et col (opération de Girdlestone) ou des résections modelantes (opération de Whitman) ont été utilisées jusqu’au début des années 1960 pour traiter la coxarthrose. L’avènement des arthroplasties avec interposition d’un implant a réduit ces interventions à un rôle de technique de sauvetage en cas de complication septique. Par contre, au niveau des petites articulations de la main et du pied, elles conservent des indications. La trapézectomie reste un traitement adéquat de la rhizarthrose. L’opération de Keller, une arthroplastie 101 101 par résection de la base de la première phalange du gros orteil reste utilisée en cas de dégénérescence arthrosique de la première articulation métatarso-phalangienne (hallux rigidus et hallux valgus). Les arthroplasties avec interposition d’implants simples ou couplés, scellés ou non, sont actuellement les interventions les plus utilisées dans le traitement des destructions articulaires d’origine arthrosique. A la fin des années 1930, Smith-Petersen de Boston proposait l’interposition d’une cupule métallique dans le traitement de la coxarthrose. En septembre 1940, Austin Talley Moore de l’Université de Pennsylvanie, implantait une prothèse dessinée par Harold Ray Bohlman pour remplacer l’extrémité supérieure du fémur. Il s’agissait d’une prothèse métallique construite en Vitallium. En France, Jean & Robert Judet ont développé dans l’immédiat après-guerre des prothèses céphaliques fémorales en matière acrylique. Ces prothèses qui ne remplaçaient qu’un des composants de l’articulation ont été utilisées dans le traitement de la coxarthrose jusqu’au début des années 1960. Les problèmes liés à la tolérance de l’implant partiel par la surface cartilagineuse ou osseuse en regard ont tout naturellement amené à la conception des implants couplés. Ces implants couplés posent des problèmes d’usure des composants et de fixation au squelette. C’est à Sir John Charnley de Wrightington que revient le mérite d’avoir apporté la première solution durable à ces problèmes. Il s’agit d’implants couplés fixés à l’os par du ciment acrylique (méthacrylate de méthyle), dont le composant convexe est en métal et le composant concave en polyéthylène à haute densité. La prothèse totale de Charnley, qui reste utilisée actuellement, avait en outre pour originalité d’être une prothèse à faible coefficient de friction. Les arthroplasties totales de hanche de type Charnley ont une durée de vie qui peut dépasser 20 ans (dans la série de C.R. Michel de Lyon publiée en 1995, 85 % des opérés vivaient avec leur prothèse 20 ans après et 97 % d’entre eux étaient satisfaits de leur fonction). La durée de vie des prothèses totales cimentées est plus longue chez les femmes âgées peu actives que chez les hommes jeunes (respectivement 97 % et 76 % de survie à 15 ans d’après le registre norvégien). Les prothèses totales cèdent par usure et par descellement. L’usure du polyéthylène est un phénomène tardif. Les particules de polyéthylène libérées par cette usure peuvent entraîner une activation des monocytes qui induisent une résorption osseuse (granulome agressif). Le descellement est la faillite de la fixation entre la prothèse et le ciment, ou plus souvent entre le ciment 102 102 et l’os. Il peut être induit par la résorption osseuse entraînée par la réaction granulomateuse. Il peut également être la conséquence du bris du ciment qui n’a pas le même coefficient d’élasticité que l’os. Au cours de ces dernières années, les recherches se sont poursuivies dans le sens d’une amélioration de la géométrie de la prothèse, d’un meilleur choix des matériaux et d’une fixation plus biologique à l’os. - La taille de la tête de la prothèse est importante. La prothèse de Charnley a un diamètre de 22 mm; elle a une meilleure durabilité que la prothèse de Muller qui avait un diamètre de 32 mm. Si la tête est petite, le coefficient de friction est moindre, mais le risque de luxation augmente. Il y a actuellement tendance à utiliser des têtes de 28 mm chez les patients âgés dont la musculature est médiocre. - Pour diminuer la libération de particules d’usure, on a développé des couples céramique-céramique et métal-métal. Le couple polyéthylène-métal reste le plus utilisé. - Divers alliages ont été expérimentés. L’acier inoxydable reste le plus utilisé pour la pièce fémorale. Le titane s’est avéré un mauvais matériau pour les prothèses totales scellées. - Des implants non scellés permettant une fixation par rehabitation osseuse d’une surface poreuse ont été expérimentés. On a également développé des prothèses recouvertes d’hydroxyapatite avec l’espoir de créer une fixation « chimique » entre l’os et la prothèse. La prothèse totale scellée de type Charnley avec couple métal-polyéthylène reste le modèle dans l’implant articulaire « moderne ». Aucune prothèse n’a été définitivement démontrée supérieure par des études cliniques à long terme. Cependant chez les sujets jeunes et actifs, il est licite d’espérer diminuer le risque et la vitesse de l’usure par les nouveaux couples et de tenter de préserver le capital osseux en obtenant une fixation primaire (« press fit ») et secondaire de la prothèse sans ciment. Le genou, articulation plus superficielle que la hanche, a une stabilité propre qu’il importe de préserver ou de reconstruire. Les prothèses de type charnière, développées dans les années 70 et auparavant, ont une stabilité intrinsèque qui a comme corollaire une sollicitation excessive de la fixation de l’implant à l’os. Ces prothèses à charnière sont abandonnées dans le traitement de la gonarthrose. Elles restent utiles pour reconstruire le genou après résection massive pour lésion tumorale. Des prothèses moins contraintes (prothèses semi-contraintes ou à glissement) ont été développées. Une meilleure connaissance de la physiologie articulaire et l’amélioration des techniques d’implantation ont permis au cours de ces dernières années de grands progrès en matière d’arthroplastie totale du genou. Les articulations du membre supérieur ont la particularité d’être sollicitées en traction, ce qui crée des problèmes particuliers de fixation. Depuis les années 80, les arthroplasties totales d’épaule et de coude 103 103 ont fait de grands progrès. Elles sont plus volontiers proposées en cas de rhumatisme inflammatoire qu’en cas de rhumatisme dégénératif. Pour les petites articulations, des prothèses articulaires composées d’un seul bloc de matériau élastique (silicone) ont été développées par Alfred B. Swauson (Grand Rapids, Michigan). La grande presse a fait écho des problèmes entraînés par le Silastic®, qui a également été utilisé pour des implants mammaires. Le Silastic, en particulier s’il est mis en contact avec des aspérités osseuses, peut se fragmenter et ses débris entraînent des réactions à corps étrangers sévères (siliconite). Elles ne sont plus utilisées pour remplacer des pièces osseuses (prothèses de trapèze ou de scaphoïde carpien). L’indication qui persiste, moyennant des améliorations techniques récentes, est l’arthroplastie des articulations métacarpophalangiennes en cas de polyarthrite rhumatoïde. Malgré les problèmes évoqués ci-dessus, les implants articulaires couplés se sont avérés constituer un progrès considérable dans la chirurgie reconstructrice articulaire. • Les arthrodèses sacrifient la mobilité à l’indolence et à la stabilité. Il s’agit de remplacer l’articulation par une soudure des pièces osseuses qui la composent. L’avantage de ces techniques est le caractère définitif du résultat obtenu. L’inconvénient est évidemment le sacrifice de la mobilité qui n’est plus guère accepté pour des articulations comme la hanche, le coude ou le genou. En outre, la suppression d’un maillon de la chaîne articulaire entraîne une surcharge des articulations adjacentes, elle-même génératrice de phénomènes dégénératifs. L’arthrodèse de la hanche favorise l’arthrose lombaire et la gonarthrose. L’arthrodèse est donc réservée à certaines articulations dont la mobilité peut être sacrifiée sans trop d’inconvénients. C’est la solution chirurgicale en cas d’arthrose rachidienne localisée. L’arthrodèse reste la solution de choix en cas d’arthrose évoluée du poignet ou du tarse. Elle mérite d’être considérée dans le traitement de la rhizarthrose, des arthroses évoluées de certaines petites articulations de la main (articulation métacarpo-phalangienne du pouce, articulations interphalangiennes distales des doigts) ou du pied (hallux rigidus). III. Etude analytique du traitement chirurgical des localisations arthrosiques 104 104 L’arthrose des articulations des membres A. Membre supérieur 1. L’épaule Cette localisation arthrosique est habituellement une arthrose primitive. Les arthroses secondaires compliquent l’ostéochondromatose ou des séquelles traumatiques. L’omarthrose primitive évoluée unilatérale a été jadis traitée par arthrodèse d’épaule, intervention dont les résultats fonctionnels peuvent être bons. Ils sont souvent cependant grevés d’une surcharge rachidienne pouvant être douloureuse et handicapante. Les prothèses simples (Neer) ou les prothèses couplées d’épaule donnent des résultats qui se sont améliorés au cours de ces dernières années du fait d’une meilleure technique. La prothèse céphalique est réservée à des destructions d’origine traumatique ou ischémique de la tête humérale. Les prothèses totales posent des problèmes de fixation principalement au niveau glénoïdien. L’arthroplastie par résection entraîne une instabilité inacceptable au niveau de cette articulation. Les arthroses débutantes compliquant l’ostéochondromatose seront traitées par synovectomie et ablation des corps étrangers intra-articulaires. Certaines situations post-traumatiques ou dégénératives pourront être traitées par acromiectomie ou mieux acromioplastie. 2. Le coude Les arthroplasties du coude sont pratiquement réservées aux destructions d’origine rhumatoïde de cette articulation. Il est rare que des lésions dégénératives imposent ce type de solution. 3. Le poignet Les arthroses du poignet qui doivent être traitées chirurgicalement peuvent compliquer une ostéonécrose du semi-lunaire (maladie de Kienböck). Elles seront le plus souvent secondaires à une lésion traumatique (instabilité du carpe, pseudarthrose du scaphoïde). Dans la maladie de Kienböck, des interventions à visée biomécanique comme le raccourcissement du radius ou l’allongement du cubitus peuvent donner des résultats durables. Les indications opératoires ont été réduites au cours de ces dernières années pour cette pathologie. 105 105 En cas de lésions arthrosiques établies, on pourra discuter l’arthroplastie par résection (carpectomie proximale) et l’arthrodèse. Les implants articulaires partiels (prothèse en Silastic) et les prothèses articulaires monobloc (prothèse de Swanson) ou couplées (prothèse de Meuli) donnent des résultats susceptibles de se dégrader avec le temps. Les prothèses en Silastic sont en voie d’abandon à la suite de la constatation de réactions inflammatoires majeures sur produits d’usure (siliconite). L’arthrodèse reste probablement la solution de choix en cas de lésions sévères, surtout chez le travailleur de force. 4. La rhizarthrose La rhizarthrose peut être traitée par arthroplastie par résection (trapézectomie), par arthroplastie partielle (implant en Silastic) ou totale (prothèse de la Caffinière) et par arthrodèse. Récemment, une intervention conservatrice (ostéotomie de la base du premier métacarpien) a été proposée. Le traitement chirurgical actuel de la rhizarthrose est la trapézectomie dont on améliore le résultat par une ligamentoplastie « suspendant » le premier métacarpien au grand palmaire ou au trapézoïde, ainsi que par la mise en place d'une interposition tendineuse ("ANCHOIS" de petit palmaire) L’arthrodèse trapézo-métacarpienne dont la réalisation a été grandement facilitée par l’introduction d’un matériel d’ostéosynthèse adéquat reste une bonne solution pour le travailleur de force qui souhaite récupérer une pince pollici-latérale puissante. Les implants à Silastic sont abandonnés pour raison d’instabilité et de « siliconite ». L’arthroplastie totale de l’articulation trapézo-métacarpienne est une solution élégante chez les patients âgés, mais le risque de complication (luxation, descellement) reste important et le bénéfice fonctionnel de l’arthroplastie n’est pas suffisant pour les accepter si on compare les résultats avec ceux des trapézectomies avec suspension. B. Membre inférieur 1. La hanche Le traitement chirurgical de la coxarthrose pourrait à lui seul faire l’objet d’un volume. Le traitement chirurgical de la coxarthrose s’adresse à deux groupes de patients : ceux qui présentent une coxarthrose secondaire à une dysplasie au stade débutant, 106 106 ceux qui présentent une coxarthrose primitive ou secondaire douloureuse et invalidante. Les hanches dysplasiques non douloureuses de l’adulte ne doivent pas être opérées; par contre, les dysplasies de hanche de l’enfant et de l’adolescent seront corrigées. Les coxarthroses primitives au stade débutant relèvent du traitement médical. Traitement des coxarthroses secondaires douloureuses Les interventions chirurgicales visent à corriger le vice architectural de la hanche. Il s’agit : - des ostéotomies fémorales de varisation, de valgisation (Pauwels), de dérotation et de déflexion (Bombelli); - de la butée ostéoplastique; - de l’ostéotomie pelvienne de Chiari; - des ostéotomies de réorientation cotyloïdienne (Ganz). Ces interventions, dont certaines peuvent être combinées, ont pour effet d’améliorer la congruence articulaire, d’augmenter les surfaces articulaires et d’améliorer l’équilibre mécanique de la hanche. L’indication opératoire sera basée sur le type anatomique de la dysplasie et sur l’aspect des clichés radiographiques de recentrage articulaire (un cliché en abduction de hanche simule l’effet d’une ostéotomie de varisation). Un bilan radiologique complet sera donc nécessaire. Il comprendra au moins un cliché du bassin de face en station, un faux profil de Lequesne dans le but d’apprécier la couverture cotyloïdienne antérieure et des clichés de recentrage. L’étude en trois dimensions avec simulation de la correction à obtenir est actuellement possible grâce à la tomographie axiale compensée de mode « spiralé ». Lorsque la dysplasie fémorale prédomine (coxa valga antetorsa), il s’agira d’une indication d’ostéotomie de varisation éventuellement associée à une dérotation si le cliché en abduction confirme la bonne congruence articulaire. Cette intervention peut encore avoir un effet durable, même si les lésions arthrosiques sont déjà évoluées. Lorsque la dysplasie cotyloïdienne domine le tableau, c’est la butée ostéoplastique, l’ostéotomie de Chiari ou l’ostéotomie de Ganz qui seront considérées. La butée ostéoplastique et le Ganz trouvent leurs meilleures indications dans des dysplasies cotyloïdiennes douloureuses sans lésion arthrosique radiologiquement importante. L’ostéotomie du bassin selon Chiari associe à l’augmentation de la couverture cotyloïdienne une diminution des contraintes articulaires par la médialisation de la hanche. Elle pourra être proposée dans des coxarthroses secondaires plus évoluées. 107 107 Traitement des coxarthroses évoluées Dans les coxarthroses évoluées avec conservation d’une mobilité articulaire utile, les ostéotomies intertrochantériennes restent parfois encore à considérer chez les patients jeunes. Il s’agit des ostéotomies de Pauwels et de Bombelli dans les arthroses secondaires, et de l’ostéotomie de translation interne de MacMurray dans les coxarthroses primitives. Ces interventions ont comme avantage de « conserver la hanche du patient ». Elles ont comme inconvénient le caractère inconstant de leurs résultats que seule peut pallier une sélection soigneuse des patients, la durée de la période d’inactivité qu’elles entraînent et surtout le fait qu’elles rendent l’arthroplastie totale plus difficile si elle s’impose ultérieurement. L’arthrodèse de hanche peut encore être indiquée chez le patient très jeune qui présente une destruction unilatérale de hanche. L’opération de Voss (1956) est une ténotomie élargie des muscles périarticulaires de la hanche. La section tendinomusculaire intéresse les adducteurs, le droit antérieur, le psoas et les fessiers. Cette intervention de « détente musculaire » entraîne une incapacité prolongée. Les résultats en sont inconstants et peu durables. Elle n’est plus indiquée comme telle. Certaines ténotomies partielles peuvent encore être pratiquées comme geste complémentaire lors d’autres interventions ou comme traitement d’attente dans certaines formes de coxarthrose protrusive. L’arthroplastie totale de hanche a comme objectif de rendre au patient une hanche stable, mobile et indolore au prix d’une période d’incapacité relativement courte. Les problèmes qu’elle pose sont liés à la gravité des éventuelles complications septiques, à la durée de vie de l’implant et à la fixation de la prothèse à l’os. En cas de coxarthrose évoluée, principalement si la mobilité articulaire est réduite, l’arthroplastie totale de la hanche est certainement l’opération de choix. Malgré les progrès techniques, la principale restriction qui reste à faire concerne l’âge du patient. Le sujet jeune sollicite sa hanche de façon considérable, et le risque de défaillance à très long terme (10 à 15 ans) est élevé. La qualité des résultats immédiats et à moyen terme engage l’opéré à demander à reprendre une activité physique intense et parfois même la pratique des sports. Il importe de le mettre en garde contre la sollicitation excessive de sa prothèse de hanche, et en particulier des inconvénients des sollicitations brutales (sauts). Celles-ci sont contre-indiquées du fait de la différence d’élasticité des matériaux utilisés et de l’os. 108 108 Au cours des années 1970, des prothèses totales de hanche respectant le col fémoral ont été introduites par H. Wagner d’Altdorf et M.A.R. Freeman de Londres. Il s’agit des cupules couplées scellées. Ces prothèses de « resurfaçage » ont l’avantage de limiter la résection osseuse fémorale et de ne pas modifier les propriétés mécaniques de l’extrémité supérieure du fémur. Elles ont été assez largement implantées chez des sujets jeunes et actifs. Il s’est avéré que l’importance des surfaces en contact entraînait un coefficient de frottement élevé et que la minceur de la cupule en polyéthylène permettait des déformations de celles-ci aboutissant précocement à des descellements plus difficiles à traiter du fait de la grande taille de la pièce cotyloïdienne nécessaire pour couvrir une cupule fémorale. Il faut donc attendre une solution technique nouvelle à ces problèmes avant de reprendre cette voie. Les prothèses totales de hanche non cimentées, fixées à l’os par repousse de celui-ci dans une surface poreuse ou fixée par ancrage direct sont au stade de l’expérimentation clinique. La prothèse de hanche classique reste donc le traitement actuel des destructions articulaires sévères et handicapantes d’origine arthrosique. 2. Le genou Le genou comprend un compartiment fémoro-patellaire et l’articulation fémoro-tibiale. La dégénérescence arthrosique peut atteindre les deux compartiments (gonarthrose globale) ou prédominer au niveau d’un compartiment articulaire (arthrose fémoro-patellaire ou arthrose fémoro-tibiale éventuellement à prédominance interne ou externe). L’arthrose fémoro-patellaire L’arthrose fémoro-patellaire dont le premier stade est la chondropathie rotulienne peut survenir sur une rotule instable dysplasique ou subluxée (arthrose secondaire). • Chondropathie rotulienne et arthrose fémoro-patellaire sur rotule centrée Cette forme d’arthrose peut être traitée jusqu’à un stade avancé par des moyens médicaux. La chondropathie rotulienne sur rotule centrée pourra faire l’objet d’un débridement des irrégularités cartilagineuses (shaving) qui sera réalisé de préférence par voie endoscopique. Les interventions visant à permettre la régénérescence d’un cartilage abrasé (forage selon Pridie, spongialisation) aboutissent à la reconstruction d’une surface de fibrocartilage n’ayant pas les propriétés du cartilage articulaire. Dans cette pathologie également, on envisage de traiter les défects cartilagineux par l’apport de cellules 109 109 cartilagineuses produites par « bio-engineering » tissulaire. Lorsque les lésions sont évoluées, l’avancement de la tubérosité tibiale antérieure selon les principes de P. Maquet permet d’obtenir une réduction des pressions articulaires et dans de nombreux cas, une amélioration des symptômes. Le patient doit être prévenu de ce que la saillie de la tubérosité tibiale antérieure rendra impossible le travail en position à genoux. Les résultats de l’opération de Maquet sont peu réguliers. Cette opération abondamment utilisée pendant les années 70 n’est plus proposée qu’avec circonspection dans des cas bien sélectionnés. Elle a un taux de complication assez élevé et empêche définitivement une position « à genoux » confortable. La patellectomie réduit l’efficacité de l’appareil extenseur du genou par modification de son bras de levier. L’avancement associé de la tubérosité tibiale antérieure réduit cet inconvénient. Correctement réalisée et au prix d’une rééducation assez prolongée, la patellectomie peut donner des résultats régulièrement satisfaisants. Elle reste une solution éventuelle en cas d’arthrose fémoro-patellaire isolée évoluée. La patellectomie est de moins en moins utilisée car elle rend l’arthroplastie totale du genou, qui peut devenir ultérieurement nécessaire, plus difficile. Les patelloplasties et les arthroplasties avec interposition d’implants simples (McKeever) ou couplés (Lubinus) n’ont pas démontré de façon définitive leurs avantages par rapport à la patellectomie. Une arthrose femoropatellaire évoluée chez le sujet âgé peut faire considérer l'arthoploastie totale du genou. • Chondropathie rotulienne et arthrose fémoro-patellaire sur rotule instable ou subluxée La correction de l’instabilité rotulienne ou de la subluxation par une intervention sur les tissus mous (résection de l’aileron rotulien externe, transfert tendino-musculaire de type Krogius ou Mansat) ou sur le squelette en cas de désaxation de la tubérosité tibiale antérieure (Roux, Elmslie) entraînent assez régulièrement une amélioration des symptômes, mais il n’est pas démontré que ces interventions préviennent la dégénérescence arthrosique initiée par la lésion cartilagineuse secondaire si elle existe. Ces interventions, pour être efficaces, doivent donc être réalisées à un stade relativement précoce et aboutir à une réaxation parfaite de l’appareil extenseur, ce qui est difficile du fait de la dynamique particulière de la rotule. La transposition de la tubérosité tibiale antérieure en particulier comporte des risques d’hypercorrection et d’abaissement rotulien (patella baja), qui doivent être évités. Lorsque la dégénérescence arthrosique est établie, l’association d’un avancement de la tubérosité tibiale antérieure, d’une réaxation de l’appareil extenseur et de l’abattage de l’ostéophyte du bord externe de la rotule (opération dite d’Elmslie-Maquet) donne très régulièrement des résultats favorables. indications de patellectomie sont plus restreintes dans cette forme d’arthrose fémoro-patellaire. 110 110 Les L’arthrose fémoro-tibiale La déviation axiale peut mener à l’usure prématurée d’un compartiment fémoro-tibial par surcharge de celui-ci (arthrose secondaire). L’arthrose d’un compartiment fémoro-tibial qui peut être initiée par une lésion méniscale par exemple, entraîne secondairement une déviation axiale (gonarthrose varisante ou valgisante). Quel que soit le primum movens de la dégénérescence arthrosique, l’évolution des lésions pourra mener à une aggravation de la désaxation et à une instabilité articulaire. Les gonarthroses axées sont moins fréquentes. Les interventions de débridement articulaire popularisées par Magnusson (1946) ne sont plus guère pratiquées comme telles. Des débridements localisés (ablation de corps étrangers intra-articulaires, résection d’ostéophytes, forages selon Pridie) restent indiqués dans des types particuliers d’arthrose sans déviation axiale et peuvent être associés aux ostéotomies de correction axiale. Les débridements arthroscopiques donnent également des résultats irréguliers et pas toujours durables. Les ostéotomies de correction axiale sont le traitement de choix des gonarthroses varisantes et valgisantes débutantes chez le sujet jeune. Ces interventions proposées au début des années 1950 ont un effet antalgique remarquable et durable qui justifie la période d’incapacité relativement longue qu’elles entraînent (3 à 4 mois). Ce type de chirurgie s’adresse aux arthroses débutantes comme aux arthroses évoluées, pour autant que l’articulation ait gardé une mobilité et une stabilité suffisantes. La gonarthrose varisante est traitée par ostéotomie tibiale haute de valgisation. Les résultats sont réguliers si « le contrat biomécanique est respecté » : la résultante des forces de station unipodale doit être centrée ou légèrement reportée vers l’extérieur (ce qui nécessite une hypercorrection de 3 à 5 degrés). En cas de gonarthrose valgisante, forme plus rare, l’analyse biomécanique démontre que l’ostéotomie fémorale basse est préférable à l’ostéotomie tibiale haute dans la majorité des cas. Lorsque les lésions sont très évoluées ou en cas de gonarthrose axée sévère, c’est l’arthroplastie totale du genou qui sera considérée. Les premières prothèses totales du genou (Walldius 1953, Shiers 1954) réduisaient la physiologie articulaire complexe de cette articulation à une simple « charnière » fémoro-tibiale. La prothèse du groupe G.U.E.P.A.R. (1969) a apporté une meilleure localisation de l’axe de flexion et la possibilité de 111 111 resurfacer l’articulation fémoro-patellaire. Ces prothèses ont une stabilité propre, qui permet leur usage même en cas de laxité articulaire majeure. Cette stabilité et l’absence de liberté en rotation a comme corollaire une sollicitation importante des composants et de la jonction à l’os. En outre, la résection osseuse qu’elles imposent rend le « rattrapage » par arthrodèse difficile en cas de complication majeure et en particulier en cas d’infection profonde. Les prothèses de la génération suivante peuvent être qualifiées de semi-stabilisées. Il s’agit des prothèses de type Sheelan, G.S.B., Attenborough et de la prothèse sphérocentrique. Ces prothèses permettent des petits mouvements de latéralité en flexion et pour certaines, des mouvements de rotation de la pièce tibiale sous la pièce fémorale; en outre, une certaine « décoaptation » des pièces articulées permet d’amortir les sollicitations en traction lors de la phase de non-appui de la marche. Dès 1968, F. Gunston, élève de J. Charnley, proposait une prothèse de resurfaçage conservant la physiologie du genou. Ces prothèses à quatre composants ont été perfectionnées par Marmor aux Etats-Unis, Buchholz en Allemagne et le groupe Lotus en France. Ces prothèses totalement non contraintes ont comme inconvénients la difficulté de leur pose, leur fragilité, et de ne pas être adaptées aux grandes destructions articulaires. En 1971, une équipe de chirurgiens américains dirigée par M.B. Conventry de Rochester introduisait le concept actuel en matière d’arthroplastie du genou par la présentation d’une prothèse (« Geometric ») à deux composants (métal et polyéthylène) conservant l’appareil ligamentaire. Cette prothèse à glissement s’est également avérée trop fragile, et les techniques opératoires d’application au début des années 70 réduisaient son application à des genoux détruits. Parallèlement, M.A.R. Freeman (Londres) & J. Insall (New York) ont développé des prothèses de resurfaçage comportant deux composants massifs imposant le sacrifice du ligament croisé antérieur au moins. Ces implants dits semicontraints du fait de leur géométrie, comportent également une pièce rotulienne. Ils ont été progressivement améliorés. Ces auteurs ont contribué à établir les principes de l’arthroplastie du genou par prothèse à glissement. La prothèse doit être positionnée de façon rigoureuse. La tension des tissus mous capsulo-ligamentaires doit être adaptée de façon précise. Ces deux principes commencent à pouvoir être respectés régulièrement grâce à l’instrumentation de pose 112 112 qu’ils ont développée ensemble, et surtout grâce à une meilleure connaissance des gestes à effectuer sur les tissus mous. On a taché sans succès durable d'améliorer la fixation à l’os par un ancrage plus stable que le ciment. M.A.R. Freeman utilisait des éléments de fixation en polyéthylène. La prothèse P.C.A. de Hungerford a une surface en métal poreux qui constitue probablement la technologie la plus avancée en matière d’arthroplastie totale du genou. La prothèse la plus utilisée actuellement est la prothèse d’Insall-Burnstein scellée. Les progrès des arthroplasties totales du genou ont été lents. Les solutions actuelles ne sont sans doute pas définitives. Le traitement chirurgical de la gonarthrose avec déviation axiale est donc, au stade débutant l’ostéotomie tibiale haute de valgisation, en cas de gonarthrose varisante, l’ostéotomie fémorale basse de varisation si la déviation est en valgus. L’arthroplastie totale à glissement de type Insall permettra de traiter la majorité des cas qui ont dépassé le stade de l’ostéotomie. Les prothèses à stabilité intrinsèque sont réservées aux grandes destructions articulaires. L’arthrodèse reste une solution à envisager en cas de gonarthrose sévère unilatérale posttraumatique ou postinfectieuse du sujet jeune. 3. La cheville L’arthrose de la cheville est souvent d’origine posttraumatique. L’arthrodèse tibiotarsienne est une bonne solution si les articulations de l’arrière-pied sont souples et épargnées par le processus dégénératif. Les arthroplasties totales de cheville doivent encore être améliorées. Les prothèses actuellement disponibles donnent des résultats parfois acceptables sur le plan de la douleur, mais presque toujours décevants quant à la mobilité. Elles ne sont en principe pas proposées en cas d’atteinte arthrosique de la cheville. Elles seront réservées à d’autres situations, en particulier la destruction articulaire d’origine rhumatoïde chez le patient âgé handicapé par des atteintes pluriarticulaires. 4. Les articulations de l’arrière-pied L’arthrodèse sous-astragalienne et médiotarsienne est la seule opération à considérer en cas d’arthrose de ces articulations, situation qui complique régulièrement les fractures du calcanéum et des anomalies congénitales comme les barres squelettiques (tarsal coalition). 113 113 5. L’hallux rigidus L’arthrose de la première articulation métatarso-phalangienne peut être traitée par arthroplastie par résection (Keller) par arthrodèse. Les arthroplasties partielles (implant en Silastic) ou totales sont abandonnées. Exceptionnellement, la simple ablation des ostéophytes pourra améliorer les possibilités de chaussage. Le « Keller » est justifié si le premier rayon est long. L’arthrodèse est la meilleure solution chez le sujet actif ou en cas de premier rayon court. Elle impose cependant le choix d’une hauteur de talon définie et, souvent, la confection d’une barre de Thomas à l’extérieur de la chaussure pour permettre le déroulement harmonieux du pas. 6. L’arthrose du rachis Le traitement chirurgical à l'arthrose trouve principalement ses indications dans le traitement des complications de l’arthrose rachidienne: c'est la chirurgie de décompression et d'arthrodèse. IV. Conclusions Le traitement chirurgical de l’arthrose fait appel à de multiples techniques. Certaines interventions comme les ostéotomies agissent sur les causes mêmes de la dégénérescence arthrosique. Il va de soi que ces techniques chirurgicales conservatrices seront préférées chaque fois qu’elles peuvent assurer un résultat satisfaisant. L’arthrodèse qui sacrifie l’articulation détruite reste l’intervention de choix en cas de lésions évoluées d’une articulation dont l’ankylose est compensée par les articulations adjacentes et partant, peu handicapante. Les arthroplasties ont l’ambition de reconstruire les articulations. Les arthroplasties par résection donnent des résultats satisfaisants au niveau de certaines petites articulations. Le développement des arthroplasties par implants couplés scellés a été un progrès décisif dans le traitement chirurgical de l’arthrose. Nous avons insisté sur l’évolution de ces implants et les problèmes qu’ils continuent à poser. Ceux-ci devront être résolus par les nouvelles techniques et les nouveaux matériaux dont l’application est préparée par la recherche biomécanique et les progrès technologiques. 114 114 CHAPITRE VI : LA POLYARTHRITE RHUMATOIDE La polyarthrite rhumatoïde est une maladie générale qui a son point d’impact principal au niveau des membranes synoviales. Elle intéresse non seulement la synoviale articulaire, mais également la synoviale des gaines tendineuses et des bourses séreuses. I. Pathologie des lésions articulaires Les membranes synoviales s’hypertrophient. La couche bordante de synoviocytes prolifère et se dispose en palissade. Le nombre des villosités synoviales augmente. Un infiltrat lymphoplasmocytaire abondant se forme autour des vaisseaux. Des leucocytes apparaissent dans le liquide articulaire. La synoviale et les leucocytes libèrent des enzymes lysosomiales (Fell & Dingle, 1963; Weisman, 1964), qui vont entraîner la dégradation des glycoprotéines du cartilage articulaire. Une collagénase capable d’attaquer le collagène insoluble est produite (Harris & coll., 1969). L’hypertrophie synoviale entraîne d’abord une distension capsulo-ligamentaire. A un stade ultérieur, la destruction du cartilage articulaire et de l’os sous-chondral aboutit au pincement articulaire et aux érosions. Ces lésions destructrices apparaissent d’abord à l’endroit où la synoviale s’insère et se réfléchit. Leur localisation au niveau du recessus sous-ligamentaire contribue à détendre les ligaments. II. Pathologie des lésions tendineuses L’atteinte de la synoviale tendineuse peut se compliquer de ruptures tendineuses. Ces ruptures surviennent principalement au niveau des défilés ostéofibreux du poignet et de la main; il s’agit de la face dorsale du poignet, sous le ligament annulaire, du tunnel carpien et des défilés ostéofibreux digitaux. La pathogénie des ruptures tendineuses n’est pas univoque; plusieurs mécanismes sont en cause : 1. la synoviale hypertrophique va envahir et fragiliser le tendon; 2. les déformations squelettiques entraînées par la PR peuvent créer des aspérités osseuses susceptibles d’user le tissu tendineux comme cela s’observe après fracture du radius distal dans d’autres pathologies dont l’arthrose et la maladie de Madelung; 3. le tendon, qui est situé dans un canal quasi inextensible limité en profondeur par l’os et en superficie par les ligaments, pourra également présenter des lésions ischémiques. 115 115 III. Place de la chirurgie dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde L’évolution de la polyarthrite rhumatoïde est incomplètement contrôlée par le traitement médical. Au début des années 60, on a fondé beaucoup d’espoir sur la synovectomie chirurgicale : on espérait que l’exérèse du tissu synovial malade pourrait avoir un effet favorable sur le plan général et sur le plan local. On connaît actuellement les limites de la synovectomie qui est sans effet sur le cours de la maladie, mais peut aider à protéger temporairement certaines structures anatomiques articulaires ou tendineuses de la destruction. Parallèlement à la synovectomie chirurgicale, au cours de ces dernières années, les techniques de synoviorthèses chimiques aux moutardes azotées (Flatt, 1969) et à l’acide osmique (Von Reis & Swensson 1951; Möttönen & coll., 1972; Nissila & coll., 1977) et les techniques de synoviorthèse isotopique (Delbarre & coll., 1969; Huaux, 1978) ont été développées. Au stade des destructions articulaires, les possibilités de la chirurgie reconstructive ont transformé le pronostic fonctionnel du patient rhumatisant. A. La synovectomie L’exérèse du tissu synovial pathologique peut être suivie de récidive et ne prévient pas de façon durable la dégradation articulaire. Ce geste a néanmoins un effet antalgique régulier et peut entraîner un bénéfice fonctionnel significatif. La synovectomie chirurgicale est indiquée lorsqu’une articulation peu détruite reste le siège d’une tuméfaction inflammatoire importante et persistante, malgré un traitement local et général adéquat. Elle s’adresse surtout aux atteintes pauci-articulaires résiduelles des patients dont l’affection est « contrôlée » médicalement. Compte tenu de ces éléments, nous pensons que les indications de synovectomie du genou sont peu fréquentes, d’autant plus que la synoviorthèse trouve là sa meilleure application. Par contre, les atteintes inflammatoires du coude, du poignet et des petites articulations de la main font considérer l’indication opératoire. Les indications de choix de la synovectomie restent les ténosynovites dorsales du poignet et la ténosynovite des tendons fléchisseurs au niveau du canal carpien. En dehors des complications septiques, la synovectomie n’a sa place qu’à un stade relativement précoce de la dégradation articulaire. Lorsque l’articulation est détruite, la synovectomie sera complétée par un 116 116 procédé de reconstruction articulaire (arthroplastie par implant ou par résection ou arthrodèse). B. La chirurgie reconstructrice Les arthroplasties par implants couplés permettent de reconstruire la plupart des grosses articulations détruites par le processus rhumatoïde. Les arthroplasties totales de hanche, du genou, d’épaule et du coude sont couramment pratiquées chez les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde. Elles donnent des résultats fonctionnels utiles et durables au prix d’une morbidité qui est à peine majorée par rapport au patient arthrosique. Au niveau de la cheville, il vaut mieux choisir l’arthrodèse qui donne le résultat plus durable que la prothèse totale. L’arthrodèse est l’opération de choix au niveau du poignet, de l’articulation sous-astragalienne et de la première articulation métatarso-phalangienne. L’arthroplastie par résection se pratique en combinaison avec la synovectomie au niveau de la cupule radiale, de la tête cubitale et des points d’appui des métatarsiens II à V (opération de Lelièvre). Au niveau rachidien, la P.R. peut se compliquer d’instabilité justifiable de la fixation de certains segments rachidiens par ostéosynthèse ou arthrodèse (cela concerne principalement la charnière craniooccipitale). IV. L’atteinte de la main au cours de la polyarthrite rhumatoïde Chez l’adulte, la maladie rhumatoïde débute souvent par l’atteinte des petites articulations des mains et des pieds (Kulka & coll., 1955). Au cours de l’évolution de la polyarthrite rhumatoïde, le processus pathologique va désorganiser l’équilibre dynamique de la main. Il en résultera des déformations complexes et une diminution de la fonction de la main. Nous décrivons ici les déformations entraînées par la maladie rhumatismale au niveau de la main et expliquons leur pathogénie en confrontant l’anatomie complexe et fragile de la main avec le processus pathologique. A. L’équilibre dynamique de la main La main est le prolongement du membre supérieur dont la position et les mouvements influencent 117 117 directement la fonction de la main. Si dans un but de simplification, le carpe et les quatre métacarpiens cubitaux sont considérés comme fixes, le doigt, élément mobile, est composé d’une chaîne de trois petits os. Celle-ci a une stabilité et une mobilité spécifiques qui sont conditionnées par les articulations et par les haubans musculo-tendineux. 1. Les articulations des doigts Elles sont construites pour fonctionner dans le sens de la flexion palmaire. Elles comportent deux ligaments latéraux, qui assurent la stabilité dans le plan frontal et un fibrocartilage palmaire qui s’oppose à l’hyperextension. 2. Les haubans musculo-tendineux Mécaniquement, pour être stable et mobile, pareille chaîne d’osselets doit être animée par deux haubans par articulation plus un hauban supplémentaire par os intercalaire (Landsmeer, 1961; Tubiana, 1969). Au niveau de chaque articulation s’insèrent l’appareil extenseur et l’appareil fléchisseur. intercalaire est stabilisé par les muscles intrinsèques (interosseux et lombricaux). L’os Ceux-ci sont fléchisseurs de la première phalange et extenseurs de la deuxième. Cette fonction paradoxale s’explique si l’on se souvient que les tendons de ces muscles ont un trajet palmaire par rapport à l’axe mécanique de l’articulation métacarpophalangienne et une situation dorsale par rapport à l’axe de l’articulation interphalangienne proximale. En l’absence de ce système « intrinsèque », la chaîne se « téléscope », c’est la « griffe » de la paralysie cubitale. Tout déséquilibre dans ce système aboutit à une déformation en zigzag (Zancolli, 1968; Tubiana, 1969a, 1969b). 3. Le système rétinaculaire (fig. 1) Ce mécanisme de haubans nécessite une parfaite coordination. Outre la coordination neuromusculaire (système agoniste-antagoniste), il existe, au niveau des doigts, une coordination mécanique par l’appareil rétinaculaire. C’est un ensemble de ligaments très ténus correspondant à des épaississements de l’aponévrose d’enveloppe du doigt, qui réunit plus ou moins directement les tendons les uns aux autres en croisant l’axe des articulations et dont l’effet est conditionné par ce point de croisement. Ces ligaments « positionnent » les tendons au cours des différents mouvements. Dans les traités d’anatomie classiques, la description de cet appareil rétinaculaire est sommaire. Leur importance est reconnue, surtout depuis l’étude de l’anatomie fonctionnelle de la main (Landsmeer, 1949, 1963; Zancolli, 1968). 118 118 B. L’atteinte rhumatoïde de la main 1. La synoviale articulaire Au niveau de la main, les structures capsulo-ligamentaires ténues et fragiles sont précocement désorganisées par la tuméfaction synoviale (Lipscomb, 1964; Swezey, 1971). La simple distension d’un hauban peut perturber l’équilibre d’un doigt. La subluxation d’un tendon peut modifier l’action du muscle intéressé. 2. La synoviale tendineuse Au niveau de la main, la majorité de la synoviale est tendineuse. Les tendons sont directement vulnérables, en particulier au niveau des défilés. Dans le canal carpien, les tendons fléchisseurs sont accompagnés par le nerf médian qui pourra être comprimé en cas d’hypertrophie synoviale. 3. L’atteinte musculaire Les lésions musculaires de la polyarthrite rhumatoïde sont moins bien documentées. Au niveau de la main, les muscles intrinsèques peuvent être atteints précocement. L’atteinte peut être directe (Kestler, 1949) ou indirecte par l’intermédiaire d’une contracture réflexe (Swezey & Fiegenberg, 1970; Swezey, 1971) ou d’une ischémie (Zancolli, 1968). 4. Les lésions proximales La fonction de la main peut être perturbée par l’atteinte des articulations proximales du membre supérieur. L’atteinte du poignet peut influencer l’évolution des lésions des doigts (Shapiro, 1968; Pahle & Raunio, 1969). Le nerf cubital et la branche motrice postérieure du nerf radial peuvent être comprimées au niveau du coude (Fulkki & Vainio, 1962). C. Etude analytique des déformations 1. Le poignet L’atteinte de l’articulation radiocarpienne et radiocubitale inférieure entraîne précocement une subluxation postérieure de la tête du cubitus avec présence d’un signe de la touche du piano (Bäckdahl, 1963). A un stade ultérieur, la chondrolyse et la distension capsulo-ligamentaire permettront une subluxation antérieure de l’articulation radiocarpienne par prédominance des fléchisseurs sur les extenseurs. 119 119 La luxation vers l’avant du tendon du muscle cubital postérieur transforme cet extenseur du poignet en un fléchisseur et aggrave le déséquilibre des forces en faveur des forces palmaires. 2. Les quatre doigts cubitaux a) Les zigzag Les théories de Landsmeer (1961) expliquent que tout déséquilibre de la chaîne ostéoarticulaire va aboutir à une déformation en zigzag. Trois types de déformations sont possibles. La « griffe » de la paralysie cubitale a été décrite ci-dessus. La « boutonnière » et le « col de cygne » se rencontrent dans la main rhumatismale. La déformation en boutonnière (fig. 2) Il s’agit d’une déformation du doigt en flexion de l’articulation interphalangienne proximale, avec hyperextension de l’articulation interphalangienne distale. Elle se rencontre en cas de rupture (main traumatique) ou de distension (main rhumatismale) de la bande médiane de l’appareil extenseur qui perd son action sur la deuxième phalange. Celle-ci tombe en flexion du fait de la prédominance du fléchisseur superficiel. Les bandelettes latérales se luxent, formant une boutonnière au travers de laquelle fait issue la tête de la première phalange. Les bandelettes latérales « contournent » la tête de la première phalange, qui les maintient sous tension, d’où l’hyperextension de la troisième phalange. La flexion de l’articulation interphalangienne proximale réduit en outre la course du tendon fléchisseur profond, ce qui favorise le déséquilibre en faveur de l’extension au niveau de l’articulation distale. L’élément déterminant de la déformation est la distension de la capsule dorsale de l’articulation interphalangienne proximale du fait de l’atteinte de cette articulation. Le système rétinaculaire dorsal est distendu (en particulier le ligament triangulaire de Cleland). Les ligaments rétinaculaires latéraux (lamina latera et fibres obliques) s’épaississent et se rétractent, fixant la luxation des bandelettes et les positions articulaires. Accessoirement, la déformation pourrait être favorisée par une rétraction du tendon fléchisseur superficiel à la suite par exemple du blocage isolé de ce tendon par un nodule proximal (Casagrande, 1965). La déformation du col de cygne (fig. 3) Elle est caractérisée par la subluxation palmaire de la première phalange au niveau de l’articulation 120 120 métacarpophalangienne qui est fléchie par l’hyperextension de l’articulation interphalangienne proximale, et par la chute en flexion de la phalange distale. Typiquement, elle apparaît par suite d’une perte d’action de l’appareil extenseur sur la première phalange. Il s’ensuit une traction excessive sur la deuxième. Le zigzag apparaît si l’hyperextension de l’articulation interphalangienne est possible du fait d’une laxité constitutionnelle d’une lésion du fibrocartilage palmaire. Le fléchisseur profond, dont le trajet est allongé par cette hyperextension de la deuxième phalange, entraîne la phalange distale en flexion. C’est donc l’atteinte de l’articulation métacarpophalangienne qui aboutira au col de cygne. La déformation est favorisée par une contracture ou une rétraction des interosseux, ou par une lésion du fléchisseur superficiel (elle se voit en traumatologie après suture du seul fléchisseur profond en cas de lésion des deux tendons). b) La déviation cubitale des doigts Le coup de vent cubital apparaît lorsque l’appareil capsulo-ligamentaire de l’articulation métacarpophalangienne est distendu. Bien que typique de cette affection, il n’est pas l’apanage de la polyarthrite rhumatoïde et se rencontre dans certaines affections neurologiques. Plusieurs facteurs déterminent l’orientation cubitale de la déviation. La déviation cubitale est physiologique lors de la prise de force, du fait de l’abaissement des métacarpiens mobiles. La capsule externe est sollicitée à chaque flexion. La tête du métacarpien est asymétrique (Tubiana & Hakstian, 1969), le ligament cubital étant plus large et plus court, donc plus résistant. Les forces déviantes cubitales prédominent du fait de l’apposition du pouce et de la prédominance des muscles hypothénariens. Ce n’est qu’en cas de lésion de la poulie proximale que les tendons extenseurs développeront une force à composante cubitale, surtout si le poignet est maintenu en inclinaison radiale (Shapiro, 1968; Pahle & Raunio, 1969). 3. Le pouce (fig. 4) Nalebuff & Potter (1968) ont classé les déformations d’origine rhumatoïde du pouce en trois types. Le type I qui se voit en cas d’atteinte de l’articulation métacarpophalangienne correspond au classique pouce en Z. Le type II et le type III apparaissent à la suite de la fermeture de la commissure qui résulte 121 121 de la subluxation de l’articulation trapézométacarpienne suivant que la compensation en hyperextension se fait au niveau de l’articulation interphalangienne (type II) ou métacarpophalangienne (type III). a) Le type I Il est caractérisé par une flexion de l’articulation métacarpophalangienne et une hyperextension de l’articulation interphalangienne. Elle est typiquement produite par la perte d’action du court extenseur sur la première phalange. Le tendon long extenseur qui n’est plus stabilisé se subluxe en dedans et devient adducteur. Les muscles intrinsèques deviennent fléchisseurs de la première phalange et extenseurs de la deuxième. b) Le type II et le type III L’atteinte de l’articulation trapézométacarpienne, lorsqu’elle entraîne une instabilité articulaire, permet la subluxation externe du premier métacarpien. La prédominance du long abducteur du pouce et l’absence de stabilité liée à la configuration des surfaces articulaires expliquent ce déplacement qui s’observe également en cas de rhizarthrose ou en traumatologie lors de la fracture du tubercule proximal du 1er métacarpien (fracture de Bennet). Cette subluxation entraîne une fermeture de la première commissure intermétacarpienne. Celle-ci est fixée par la rétraction du court adducteur. Pour que la prise pollici-digitale reste possible, l’hyperextension d’une des articulations distales est nécessaire. Celle-ci se fait au niveau de l’interphalangienne (type II) ou au niveau de la métacarpophalangienne (type III). 4. Les tendons a) Ténosynovite et rupture des tendons extenseurs des doigts C’est à la face dorsale du poignet, à l’endroit où les tendons extenseurs passent sous le ligament annulaire dorsal du carpe, que se situe la gaine synoviale des tendons extenseurs. Lorsque la ténosynovite dorsale des extenseurs se complique de rupture tendineuse, ce sont généralement les tendons extenseurs du 5e doigt qui cèdent les premiers; suivront ensuite les tendons extenseurs du 4e et du 3e doigt. L’atteinte rhumatoïde de l’articulation radiocubitale inférieure entraîne une subluxation postérieure de la tête du cubitus, qui agresse en avant les tendons fragilisés par le pannus synovial (caput ulnae 122 122 syndrome de Backdähl). Le traitement préventif des ruptures des tendons extenseurs est la synovectomie des extenseurs à laquelle on associe une transposition du ligament annulaire dorsal du carpe sous les tendons extenseurs, et une remise en selle par un lambeau de ce ligament du tendon du muscle cubital postérieur subluxé en avant. La résection de la tête du cubitus (Darrach) permet de supprimer l’obstacle mécanique qu’elle constitue. Si l’articulation du poignet est peu détruite, on pratiquera une synovectomie articulaire. En cas de lésion articulaire évoluée, il faudra y associer une arthrodèse radiolunaire ou se résoudre à l’arthrodèse radiocarpienne. Exceptionnellement chez des patients très âgés présentant des lésions bilatérales, on pourra considérer l’arthroplastie totale du poignet. Le traitement curatif fait appel à des anastomoses latéro-latérales si un seul tendon est atteint. Si plusieurs tendons sont rupturés, on aura recours aux transferts tendineux et éventuellement aux greffes tendineuses. Comme transferts, nous avons le choix entre : 1. l’extenseur propre de l’index, 2. le court extenseur du pouce après arthrodèse de l’articulation métacarpophalangienne, 3. les extenseurs du carpe dont la course est cependant peu satisfaisante, 4. un fléchisseur superficiel; comme il s’agit d’un transfert non synergique, il vaudra mieux choisir le fléchisseur superficiel du troisième doigt que le fléchisseur superficiel du quatrième doigt, comme l’a montré Boyes, 5. le muscle cubital antérieur (fléchisseur ulnaire du carpe). Notre préférence va au transfert de l’extenseur propre de l’index, qui nous a donné de bons résultats. Il présente l’avantage d’être toujours présent et d’avoir une longueur suffisante et son prélèvement ne laisse pas de séquelle. b) Ténosynovite et rupture du tendon du muscle long extenseur du pouce Le tendon du muscle long extenseur du pouce a une gaine synoviale indépendante. Il est vulnérable à l’endroit où il se réfléchit sur le tubercule de Lister. Lors de sa rupture, le patient sera handicapé non seulement par le déficit d’extension de l’articulation interphalangienne du pouce, mais surtout par le déficit d’adduction de toute la colonne du pouce. Le traitement peut être réalisé soit par transfert de l’extenseur propre de l’index, soit par greffe intercalaire. Comme Mannerfelt & al., nous avons tendance à préférer la greffe tendineuse, si la rupture 123 123 n’est pas trop ancienne, dans le but de conserver l’extenseur propre de l’index pour traiter l’éventuelle rupture ultérieure des extenseurs des autres doigts. c) Ténosynovite et rupture des tendons fléchisseurs Les tendons fléchisseurs des doigts traversent deux défilés ostéofibreux : le canal carpien et le canal ostéofibreux digital. • Au niveau du canal carpien La ténosynovite des fléchisseurs au niveau du canal carpien peut se compliquer de ruptures tendineuses qui peuvent être favorisées par la présence d’irrégularités squelettiques induites par la désorganisation du poignet rhumatoïde qui est souvent le siège d’une instabilité du carpe. Celle-ci s’accompagne d’une bascule ventrale du scaphoïde carpien qui peut perforer la capsule antérieure du poignet et être un élément traumatisant pour les tendons fléchisseurs : ce sont les tendons fléchisseurs propres du pouce et les fléchisseurs de l’index qui seront le plus souvent atteints. Le traitement préventif des ruptures des tendons fléchisseurs au niveau du défilé carpien comprend l’ouverture du canal carpien et la ténosynovectomie des fléchisseurs. Comme l’ont rappelé récemment Regan & al., il faut procéder à l’ablation des aspérités osseuses et à la reconstitution d’un plan de glissement lisse pour lequel on peut utiliser le ligament carpien antérieur. En cas d’instabilité du carpe, il faudra y associer la stabilisation du squelette carpien par arthrodèse localisée ou par arthrodèse du poignet. Le traitement curatif des ruptures des tendons fléchisseurs au niveau du canal carpien et au niveau des doigts est difficile, surtout s’il s’agit de mains présentant d’importantes destructions articulaires dont la rupture tendineuse est l’aboutissement. On peut utiliser des greffes courtes ou avoir recours à un transfert tendineux (fléchisseur superficiel de l’annulaire dans ce cas). En cas de rupture isolée du long fléchisseur du pouce, nous préférons réaliser l’arthrodèse de l’articulation interphalangienne du pouce si l’état des articulations adjacentes le permet, surtout si cette articulation interphalangienne est détruite. • Au niveau du canal digital Le calibre des canaux ostéofibreux digitaux est précisément adapté aux tendons qui les traversent. Leur gaine est épaissie au niveau des poulies. Une prolifération synoviale très localisée peut entraver le fonctionnement de l’appareil fléchisseur. 124 124 L’invasion des tendons par du tissu synovial va entraîner la formation de nodules qui peuvent être responsables de manifestations de blocage (doigt à ressaut). Si la synovite est diffuse, elle entraînera plutôt une raideur du doigt et un gonflement perceptible au Pinch test de Savill. La rupture d’un tendon fléchisseur au niveau du canal digital est rare dans la PR. Le traitement chirurgical de ces lésions est difficile et décevant. La ténosynovectomie des fléchisseurs au niveau du canal digital est indiquée en cas d’hypertrophie synoviale persistante entraînant une gêne fonctionnelle. Les doigts présentant des ruptures des tendons fléchisseurs sont souvent le siège de déformations complexes, et le seul traitement possible peut être l’arthrodèse de l’articulation interphalangienne proximale, la flexion globale du doigt restant possible grâce aux muscles intrinsèques. En bref La polyarthrite rhumatoïde menace la fonction de la main non seulement par la destruction articulaire, mais aussi par les lésions des tendons. La ténosynovectomie chirurgicale associée à l’ouverture du défilé ostéo-fibreux est un traitement préventif efficace des ruptures tendineuses. Il faudra en outre éliminer les aspérités osseuses par résection de la tête du cubitus si elle est subluxée, par résection des aspérités osseuses et reconstitution d’un plan de glissement au niveau de la face antérieure du poignet ou par arthrodèse radiolunaire ou radiocarpienne en cas de désorganisation du poignet. Le traitement des ruptures tendineuses installées par transfert tendineux ou par greffe donne des résultats satisfaisants pour ce qui concerne les tendons extenseurs. Fort heureusement, les ruptures des tendons fléchisseurs sont rares, car elles sont difficiles à traiter. Dans le traitement global de la main rhumatoïde, la préservation de la fonction tendineuse est essentielle. V. Résumé : la chirurgie de la polyarthrite rhumatoïde Intervention à visée pathogénique : • synovectomie : − = enlever la synoviale chirurgicalement, − la synoviale régénère, 125 125 − elle peut redevenir inflammatoire; • n’est plus guère pratiquée au niveau des grosses articulations; • reste indiquée au niveau des petites articulations de la main en cas de gonflement articulaire persistant plus de 3 mois alors qu’il y a peu ou pas de lésion érosive. Interventions de remplacement articulaire : • prothèses totales hanche, genou, coude, épaule. Arthrodèses poignet, cheville, pied. TABLE DES MATIERES CHAPITRE I : GENERALITES § 1. Définitions 2. Structures de l'appareil locomoteur 2.1. L'os 2.2. Les articulations 2.3. Le cartilage 2.4. Le cartilage de croissance 2.5. L'appareil capsulo-ligamentaire 2.6. Le tendon 2.7. Le muscle 2.8. Le nerf périphérique 3. La consultation-l'examen clinique 3.1. Anamnèse 3.2. L'examen clinique 3.3. Goniométrie 3.4. Testing musculaire 3.5. Examens complémentaires 4. Moyens thérapeutiques 4.1. Traitements conservateurs 4.2. L'appareil plâtré 4.3. La traction 5. Les matériaux en chirurgie de l'appareil locomoteur 5.1. Les métaux 5.2. Les polymères 5.3. Les céramiques 5.4. Les matériaux biologiques 126 126 CHAPITRE II : TRAUMATOLOGIE DE L'APPAREIL LOCOMOTEUR 1. Le traumatisé et le polytraumatisé 1.1. Définition 1.2. Conduite à tenir 2. Luxation et entorses 2.1. Luxation aiguë 2.2. Luxation ancienne 2.3. Luxation récidivante 2.4. Entorse 3. La fracture 3.1. Définitions 3.2. La fracture fermée 3.3. La fracture ouverte 3.4. Modalités du traitement d'une fracture 3.5. L'ostéosynthèse des fractures 3.6. La consolidation 4. Complications des fractures 4.1. Complications immédiates 4.2. Complications secondaires 5. Traumatologie du nerf et du muscle strié 5.1. Traumatologie du nerf 5.2. Pathologie du muscle strié CHAPITRE III : PATHOLOGIE TUMORALE DE L'APPAREIL LOCOMOTEUR 1. Généralités 2. Tumeurs bénignes 2.1. Kyste essentiel de l'os 2.2. Fibrome non ostéogénique 2.3. Ostéome ostéoïde 2.4. Exostose 2.5. Tumeur à cellules géantes 3. Tumeurs malignes 3.1. Ostéosarcome 3.2. Sarcome d'Ewing 3.3. Chondrosarcome CHAPITRE IV : ORTHOPEDIE PEDIATRIQUE 1. Les malformations congénitales et les maladies héréditaires 1.1. Les malformations congénitales des membres 1.2. Les déformations 1.3. Les maladies héréditaires 2. Les troubles statiques des membres inférieurs chez l'enfant 2.1. Introduction 2.2. Les modifications morphologiques des membres inférieurs au cours de la croissance 127 127 2.3. Les troubles statiques 2.4. La statique des pieds 3. Les lésions ostéoarticulaires traumatiques de l'enfant 3.1. Les fractures décollement épiphysaire 3.2. Les lésions des apophyses 3.3. Les fractures en bois vert et les déformations plastiques 3.4. Le problème du remodelage après fracture diaphysaire 3.5. Quelques fractures qui continuent à poser problème chez l'enfant 3.6. Les lésions ligamentaires chez l'enfant 4. Les lésions ostéoarticulaires de surcharge 4.1. Les ostéochondroses de surcharge 4.2. Les autres ostéochondroses de surcharge 4.3. L'ostéochondrite disséquante 4.4. La chondropathie rotulienne 4.5. Les fractures de fatigue 4.6. La surcharge chronique des cartilages de croissance 5. Les infections ostéoarticulaires à germes banals chez l'enfant 5.1. Introduction 5.2. Classification 5.3. Ostéoarthrite du nourrisson 5.4. Arthrite septique de l'enfant 5.5. L'ostéomyélite 5.6. L'ostéomyélite aiguë hématogène 5.7. L'ostéomyélite subaiguë chez le jeune enfant 5.8. Les ostéomyélites chroniques 5.9. Les ostéomyélites chroniques récidivantes 5.10. Les infections à germes rares 6. La neuro-orthopédie 6.1.Le dépistage 6.2. Le déséquilibre musculaire 6.3. Le traitement des déformations installées 6.4. Les affections neuromusculaires et leurs problèmes orthopédiques CHAPITRE V : L'ARTHROSE I. Introduction II. Généralités à propos du traitement chirurgical des destructions articulaires d'origine arthrosique A. Le rôle du chirurgien orthopédiste dans la prévention de l'arthrose B. L'arsenal thérapeutique chirurgical des lésions établies III. Etude analytique du traitement chirurgical des localisations arthrosiques A. Membre supérieur B. Membre inférieur IV. Conclusions CHAPITRE VI : LA POLYARTHRITE RHUMATOIDE I. Pathologie des lésions articulaires II. Pathologie des lésions tendineuses 128 128 III. Place de la chirurgie dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde A. La synovectomie B. La chirurgie reconstructrice IV. L'atteinte de la main au cours de la polyarthrite rhumatoïde A. L'équilibre dynamique de la main B. L'atteinte rhumatoïde de la main C. Etude analytique des déformations V. Résumé : la chirurgie de la polyarthrite rhumatoïde VI. Bibliographie 129 129