Luxationde la rotule : rôle du ligament fémoro

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nouveau concept
Luxation de la rotule : rôle du
ligament fémoro-patellaire médial
La luxation récidivante de la rotule est une pathologie du genou qui touche surtout les adolescents. Elle est associée dans
la majorité des cas à une dysplasie de l’articulation fémoropatellaire. Le ligament fémoro-patellaire médial aide à maintenir la rotule dans une position centrée lors de la flexion du
genou. Sa rupture prédisposerait les patients à une récidive
de la luxation. Une reconstruction de ce ligament semble être
une proposition logique pour éviter les récidives. Cette chirurgie, réalisée avec trois incisions de petite taille, permettrait
de diminuer les récidives. Toutefois, une analyse à long terme
des résultats de cette reconstruction est recommandée.
Rev Med Suisse 2010 ; 6 : 1674-7
B. Vargas
D. Ceroni
Drs Bernardo Vargas
et Dimitri Ceroni
Unité de chirurgie pédiatrique
orthopédique
Département de l’enfant
et des adolescents
Hôpital des enfants
HUG, 1211 Genève 14
[email protected]
[email protected]
What’s up in patella dislocation ?
The medial femoro-patellaire ligament
(MFPL)
Patella dislocation is an injury affecting teen­
agers. This pathology is associated in the
majo­rity of the cases with a dysplasia of the
femoro-patellar joint. MFPL is a passive restraint to patellar lateral displacement. Rup­
ture of the MFPL would predispose the patients to redislocate their patella. Therefore,
a reconstruction of this ligament seems to be
a logical proposal for the treatment of recurrent patellar instability. This surgery, carried
out with three incisions of small size, would
decrease the recurrent dislocation. However,
a long-term analysis of the results of this surgery is recommended.
1674
introduction
La luxation de la rotule est une entité fréquente qui touche
essentiellement les adolescents. Depuis quelques années, le
rôle anatomique et biomécanique du ligament fémoro-patellaire médial (LFPM) dans l’instabilité rotulienne est de plus
en plus évoqué.1 Sa rupture lors du premier épisode de luxation serait la cause de l’instabilité résiduelle.2 Dans cette logique, sa réparation devrait réduire sensiblement les récidi­
ves. Malheureusement, la réparation anatomique en urgence
de ce ligament ne réduit pas le risque de nouvelles luxations.
Toutefois, la reconstruction différée du LFPM commence à
s’imposer dans la prise en charge de ces instabilités, parfois
associée aux techniques de correction chirurgicales déjà proposées par le passé. L’objectif de cet article est de présenter
une actualisation des méthodes chirurgicales utilisées pour cette pathologie.
Une description anatomique et historique du ligament fémoro-patellaire est aussi
proposée.
rappel anatomique et biomécanique
Le ligament fémoro-patellaire médial (LFPM) est une structure localisée sur
la région supérieure et médiale du genou (figure 1). Il a une forme triangulaire à
base rotulienne. Il part de la région supéro-médiale de la rotule vers la partie
postérieure du condyle médial du fémur, pour s’insérer en dessous de la tubérosité des adducteurs.3 Cette région a trois couches anatomiques successives : la
plus superficielle contient le fascia crural, l’intermédiaire le ligament fémoro-patellaire et la troisième couche, la capsule articulaire du genou.4 L’identification
anatomique du LFPM est parfois difficile, voire impossible.5 Du point de vue
biomécanique, ce ligament semble être primordial pour maintenir la rotule en
position centrée jusqu’à 30° de flexion. Feller,6 après étude de sa biomécanique,
conclut qu’il est moins élastique et moins résistant que les tendons de la patted’oie. Cependant, lors de la reconstruction de ligament par greffe tendineuse,
cette différence ne semble pas être à l’origine d’une surcharge du compartiment
fémoro-patellaire interne.6
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 8 septembre 2010
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0
Quadriceps
Fémur
tion centrée lors de la flexion du genou et une saillie de la
lèvre externe de la trochlée. Cette saillie est présente au
stade fœtal comme cela a été démontré par Jouve.10 Une
absence de cette saillie est souvent constatée en cas de
luxation de la rotule. Il n’existe pas, à l’heure actuelle, une
explication claire et certaine sur les raisons de cette différence.
traitement de luxations de la rotule
LFPM
LLI
Rotule
Tendon
rotulien
Tibia
Figure 1. Anatomie du genou : vue médiale
Le ligament fémoro-patellaire médial (LFPM) est en bleu, le ligament collatéral médial (LLI) en jaune, le tendon rotulien en rose et le quadriceps
en rouge.
le ligament fémoro-patellaire médial :
une structure nouvelle ?
Rappel historique
Le ligament fémoro-patellaire médial fut décrit par Kaplan en 1951 sans lui donner le nom qu’on lui connaît de
nos jours. Warren et Marshall 7 ont affiné sa description
anatomique en 1979. La reconstruction du LFPM n’est pas
une technique de découverte récente. Plus de quinze différentes techniques de reconstruction médiale en cas de
luxation de la rotule ont été décrites avant 1950.8 Ces reconstructions étaient réalisées avec le semi-tendineux, la
partie médiale du tendon rotulien, le gracilis et le demitendineux, le fascia lata, entre autres.
pourquoi l’homo sapiens a luxé
ses rotules : trochlée, rotule
et évolution humaine
L’homme est le seul primate exclusivement bipède.
Cette bipédie a été acquise grâce à un angle d’obliquité
fémorale d’environ 8-10 degrés. Cet angle oblique n’existe
pas chez les autres mammifères, qui sont parfois quadrupèdes et parfois bipèdes comme le chimpanzé ou l’ours.9
Ces espèces ont une trochlée plate et un fémur qui n’est
pas oblique dans le plan frontal.
Pour éviter la luxation de la rotule en dehors, la sélection naturelle darwinienne a inscrit dans les gènes de notre
espèce un ligament médial qui retient la rotule en posi-
0
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Luxations de la rotule : faut-il les opérer
en urgence ?
La prise en charge en urgence des luxations de la rotule
a été étudiée par Buchner11 dans un collectif de 126 patients. Il affirme que le risque de récidive de luxation est
similaire entre le groupe de patients opérés par suture directe en urgence et ceux traités par physiothérapie. Selon
cette étude, 25% de patients auront une nouvelle luxation
après le premier épisode, qu’ils soient opérés ou pas. Une
deuxième étude par Nikku12 compare sur un groupe de
127 patients, 57 traités par physiothérapie et 70 traités par
chirurgie immédiate. Il conclut aussi que ce type de chirurgie ne diminue pas le risque de nouvelle récidive. Pour la
majorité des équipes chirurgicales, la seule indication de
la chirurgie en urgence est la fracture de la rotule ou du fémur associée à la luxation. L’ablation d’un corps étranger
intra-articulaire ou l’ostéosynthèse d’un gros fragment justifient une prise en charge chirurgicale. Cette chirurgie pour­
ra se faire par voie arthroscopique, ou par abord direct de
la lésion.
Traitement de la luxation de rotule :
état actuel des connaissances
Le traitement du premier épisode d’une luxation de la
rotule est en général conservateur (figure 2). Nous con­seil­
lons une immobilisation par guêtre plâtrée pendant six
semaines. Ensuite, la physiothérapie comporte un renforcement du vastus medialis, une mobilisation douce, et une
récupération des amplitudes articulaires. Les techniques
proprioceptives sont parfois associées. La chirurgie est
seulement proposée en cas de récidive de luxation. Un
scanner de l’articulation fémoro-patellaire est utile pour le
bilan préopératoire (figures 3A et 3B). L’indication chirurgicale doit tenir compte de l’âge du patient, de son niveau spor­
tif, et de la gêne fonctionnelle liée aux épisodes de récidive.
Chirurgie pour les luxations récidivantes
de la rotule
Les méthodes chirurgicales proposées peuvent être séparées en deux catégories : les techniques de remodelage
osseux et les techniques qui agissent sur les parties mol­les.
Techniques de remodelage osseux
Les méthodes osseuses agissent principalement sur la
position de la tubérosité tibiale antérieure (TTA). Ces tech­
niques sont proposées en cas de rotule haute par abaissement de la position de la TTA. En cas d’une latéralisation
excessive de l’appareil extenseur, un déplacement médial
de la TTA sera proposé. Certains auteurs proposent une
modification de la trochlée fémorale par creusement (troRevue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 8 septembre 2010
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Luxation de la
rotule sans fracture :
premier épisode
Diagnostic et prise en charge
par urgentiste, médecin du sport
ou chirurgien orthopédiste
Immobilisation par guêtre plâtrée
pendant six semaines.
Ensuite, prise en charge
par physiothérapeute
Luxation de la
rotule avec fracture :
premier épisode
Récidive
Pas de récidive
Consultation avec
chirurgien orthopédiste
Chirurgie selon
état clinique
Poursuite
de la
physiothérapie
Modifications
des activités
sportives
Figure 2. Prise en charge globale de la luxation de
la rotule chez l’adolescent *
* Hôpital des enfants de Genève/année 2010.
A
B
et à une section de l’aileron externe de la rotule, mais plus
souvent par l’association des deux. L’arthroscopie peut
être proposée pour le bilan et le traitement des lésions
ostéochondrales associées aux épisodes de luxations. Cette
technique permet aussi la section de l’aileron externe diminuant ainsi la taille des incisions chirurgicales.
Reconstruction du ligament fémoro-patellaire médial
La reconstruction du ligament fémoro-patellaire médial
occupe une place de plus en plus importante dans la chi­
rurgie de la luxation de la rotule. Plusieurs techniques de
reconstruction ont été proposées. Parmi elles, nous utilisons la technique proposée par Schöttle.13 Dans cette
technique, trois incisions d’environ deux centimètres chacune sont réalisées pour traiter la luxation de la rotule.
Cette technique a l’intérêt d’être mini-invasive. Le tendon
semi-tendineux est prélevé par une incision proche de
son insertion tibiale. Une deuxième incision fixe le transplant au niveau du tubercule des adducteurs et une troisième, permet sa fixation sur la rotule. Ces trois incisions,
de petite taille permettent de prélever et fixer le transplant tendineux entre le fémur et sur la rotule, à la place
du LFPM rompu lors de la luxation initiale. Nos résultats
sur une totalité de six cas sont satisfaisants avec une stabilité de la rotule et une absence de récidive de luxation.
Comme pour toute chirurgie, ces reconstructions du ligament fémoro-patellaire par greffe ne sont pas dénuées de
risques. Parmi eux, il faut retenir les fractures de la rotule,
non corrélées avec un épisode de luxation et les lésions
du nerf saphène.14,15 Nous n’avons pas eu jusqu’à ce jour
de complications à regretter, mais notre recul, inférieur à
cinq ans, est encore insuffisant.
Technique de Roux – Goldthwait
Cette technique consiste à déplacer la moitié latérale
du ligament rotulien vers le côté médial. Une plastie du
retinaculum médial est associée parfois à cette technique.
Les propriétés biomécaniques de cette chirurgie sont très
critiquées, surtout outre-Atlantique. Elle est parfois proposée pour la chirurgie de la luxation récidivante de la rotule.
conclusion
Figure 3. Scanner de l’articulation fémoropatellaire médiale
A. Scanner normal de la rotule chez un adolescent de douze ans. Bon
positionnement des rotules en face de la trochlée fémorale.
B. Scanner chez un adolescent de quatorze ans avec dysplasie fémoropatellaire bilatérale. Notez l’inclinaison latérale de la rotule et la diminution du contact articulaire entre le fémur et la rotule. La trochlée est très
aplatie.
chléoplastie) mais leur efficacité et leur morbidité à long
terme ne sont pas encore bien connues.
Techniques de modification des parties molles
Modifications des ailerons de la rotule
Elles font appel à une plicature de l’insertion musculai­
re interne du quadriceps sur la rotule (technique d’Insall)
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La prise en charge de la luxation de la rotule reste complexe. L’analyse des anomalies propres à chaque patient
et une maîtrise de la pathologie fémoro-patellaire nous
semblent indispensables avant de proposer tout geste
chirurgical. Les sutures du ligament fémoro-patellaire médial en urgence ne semblent pas s’accompagner d’une diminution du risque de récidive. Par contre, les résultats de
la reconstruction différée du ligament fémoro-patellaire
par greffe tendineuse sont encourageants. Cependant, des
études avec un long recul sont souhaitables pour évaluer
les conséquences de cette technique, en particulier sur l’ar­
ticulation fémoro-patellaire.
L’objectif commun de toutes ces techniques est de limi­
ter le déplacement latéral de la rotule. Les résultats à long
terme de ces techniques n’ont pas permis, pour l’instant,
d’établir une prise en charge universelle de cette patholoRevue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 8 septembre 2010
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gie complexe. L’objectif idéal du traitement de l’instabilité rotulienne à court et moyen termes serait de maintenir
la même activité physique, avec une diminution du risque
de récidive de la luxation. A long terme, l’objectif serait
d’éviter l’arthrose fémoro-patellaire. Une meilleure con­nais­
sance de cette pathologie nous permettra d’atteindre un
jour ces objectifs.
Implications pratiques
> Le premier épisode de luxation de la rotule doit être traité
avec le repos suivi d’une physiothérapie adaptée
> Le deuxième épisode doit être suivi d’une consultation avec
un chirurgien orthopédiste
> La majorité des luxations sont associées à une anomalie du
développement de l’articulation fémoro-patellaire
> La chirurgie mini-invasive avec greffe tendineuse doit aboutir
à une stabilisation de la rotule et, par conséquence, à une diminution des récidives de la luxation
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** à lire absolument
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