SOMMAIRE - Wildgen

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Comptabilité, fiscalité, audit,
droit des affaires au Luxembourg
Comité de rédaction
Anne-Sophie PREUD’HOMME et
David BURBI
(PricewaterhouseCoopers),
Thierry LESAGE (Arendt & Medernach),
Cyril LAMORLETTE (Audit &
Compliance),
Yoanna STEFANOVA (Kremer Associés
& Clifford Chance),
Danielle KOLBACH,
Jean-Michel SCHMIT (Nauta Dutilh) et
Patrick MISCHO (Allen & Overy)
SOMMAIRE
ÉDITORIAL
1
DROIT FINANCIER
Renforcer la sécurité juridique de la réalisation des
garanties financières: l’appel à la loi
Daniel Boone
David Maria
3
Coordination
René JUDAK
DROIT DES SOCIÉTÉS
Auteurs de ce numéro
Apport en société non-rémunéré par l’émission de nouveaux
titres de société
Danielle Kolbach
Daniel Boone, David Maria,
Danielle Kolbach
22
Service clientèle Kluwer
tél. : 800 48 034 (gratuit)
fax : 800 48 027 (gratuit)
e-mail : [email protected]
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Hans Suijkerbuijk
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Dépôt légal
D/2010/8868/213
ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 1
• Éditorial
Chère lectrice,
Cher lecteur,
Les garanties financières sous forme de gage sont examinées par Daniel Boone et David Maria.
Plus particulièrement les auteurs se penchent sur la vente de gré à gré, caractérisée par son
absence de formalisme. Il s’agit, en outre, d’un des modes de réalisation les plus fréquemment rencontrés dans la pratique.
Face aux lacunes de la Loi sur les garanties financières concernant ce qu’il faut entendre
exactement par « vente », l’article propose une approche « fonctionnelle ». D’ailleurs, les auteurs s’interrogent
sur l’absolue nécessité de recourir à une vente comme seul mode de réalisation : les intérêts légitimes des tiers
seraient-ils, en effet, atteints si l’on avait recours à un échange ou à une dation en paiement, par exemple ?
La notion de « conditions commerciales normales », posée par la Loi précitée n’est pas non plus définie outre
mesure et fait, elle aussi, l’objet d’une analyse poussée par les auteurs. L’article passe également en revue le
régime juridique et les effets de la réalisation des garanties financières. Les auteurs concluent sur une note
résolument optimiste et soulignent, malgré certains écueils, l’efficacité démontrée de cette Loi.
Le second article se penche sur la notion d’apport en société non-rémunéré par l’émission de nouveaux titres de
société. Danielle Kolbach part de la constatation qu’un apport en société, autre qu’une prime d’émission,
n’exclut pas de procéder à des apports non-rémunérés par des titres représentatifs en actions, pour s’interroger
sur le risque de requalifications de tels apports. Parmi ces requalifications envisageables, l’auteur examine le
prêt, la donation et la vente. Aucune de ces trois qualifications n’étant adéquate, l’article envisage la possibilité
d’un contrat sui generis.
L’auteur analyse ensuite tous les aspects pratiques de ce genre d’apport : aspects comptables, droits d’enregistrement, …
Avant de vous laisser parcourir le présent numéro de votre magazine ACE, nous avons le plaisir de vous annoncer
que le jeudi 9 décembre prochain, se tiendra notre conférence sur les évolutions fiscales qu'a connu en 2010
le Luxembourg en matière législative et jurisprudentielle. Comme d’habitude, cette conférence se déroulera de
9h00 à 12h30 dans les locaux de la Chambre de Commerce (Centre de Conférences).
Bonne lecture,
ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 2
• Droit financier
Renforcer la sécurité juridique de la
réalisation des garanties financières :
l’appel à la loi
Daniel Boone,
Avocat à la Cour,
Chargé de cours associé à l’Université du Luxembourg
David Maria*
Avocat à la Cour,
Wildgen, Partners in Law
« Values demand deeds and not just words »
Barack Obama, The audacity of hope : thoughts on reclaiming the American dream
1
A partir de 2008, la crise financière et ses effets en cascade ont mis en péril un certain nombre de structures
d’acquisition mises en place par le biais de financements structurés (plus communément désignés sous le vocable
de leveraged buy-out (LBO) 2). Par un effet mécanique irrésistible, la contraction de la demande, conjuguée à la
raréfaction du crédit, ainsi qu’il faut bien le dire, à une surenchère en termes de prix des cibles à la veille de
l’implosion de la bulle financière, ont eu pour conséquence que nombre de structures d’acquisition se sont
trouvées dans l’impossibilité d’honorer le service de leur dette. La survie même des groupes cibles était alors
en jeu, au risque de causer la destruction de milliers d’emplois et de faire disparaître du paysage économique
des entreprises par ailleurs pleinement efficientes et rentables. La raison poussait ainsi les différents acteurs à
se mettre autour de la table des négociations. Dans les cas de figure les moins problématiques, ce sont simplement les termes de la dette qui sont renégociés : les prêteurs syndiqués consentent un rééchelonnement de la
dette et/ou à l’injection de lignes de crédit supplémentaires. Dans d’autres cas, une restructuration plus
radicale se révèle nécessaire, soit que des désaccords se fassent jour entre les prêteurs et les promoteurs ou
entre les prêteurs eux-mêmes, soit que la structure d’acquisition apparaisse comme inadaptée, hypothéquant
ainsi les chances d’un retour à meilleure fortune du groupe cible. Dans de telles situations, la restructuration
implique, dans un premier temps, de défaire entièrement le montage financier et juridique. Sont concernées,
en particulier, les garanties financières de droit luxembourgeois mises en place pour garantir le remboursement
de la dette bancaire. Ce sont donc à des exercices de réalisation des garanties financières auxquels les praticiens
luxembourgeois se sont trouvés confrontés et ce, sous la double contrainte de l’inédit et de la pression des
acteurs impliqués (banques, prêteurs junior, emprunteurs, groupe cible).
Contrainte de l’inédit, tout d’abord : ce n’est qu’au printemps 2009, que, pour la toute première fois, des
garanties financières de droit luxembourgeois ont été soumises au test de leur réalisation, sans, par conséquent,
qu’existât préalablement une expertise tirée d’une pratique établie ou des sources jurisprudentielles ou doctrinales.
Contrainte de la pression des acteurs, ensuite: la réalisation des garanties financières s’opère dans un contexte
de tension extrême, tant à raison des contraintes de temps imparties – il ne peut être exclu que de brusques
faillites en chaîne au niveau du groupe cible ne viennent rendre vaine toute restructuration de la dette –, que
des montants parfois considérables des intérêts en jeu, des relations antagonistes entre certaines parties en
cause, et des responsabilités pesant sur certaines des parties en cause, telles que l’agent des sûretés.
A la lumière des contraintes précitées, les conseils luxembourgeois ont du prendre la mesure des enjeux juridiques de manière à la fois immédiate, à raison des contraintes de temps précitées, et exhaustive, à raison des
contraintes exercées par les acteurs. Dans ces conditions, le risque était que la réalisation des garanties finan-
*
Les auteurs tiennent à remercier chaleureusement Me Yann Payen, Avocat, WILDGEN, qui a enrichi le présent article de ses précieuses
observations et critiques.
1. Paperback ed., 2008, page 84.
2. Pour une synthèse, voy. p. ex. Ph. Thomas, LBO, Montages à effet de levier, Paris, RB Editions, 2010.
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• Droit financier
cières s’apparente à une boîte de Pandore, et tel fût en effet le cas. Il est vite apparu que, pour simples qu’elles
soient en apparence, les réalisations de garanties financières soulèvent en réalité une multitude de problématiques, dont certaines se sont révélées, à l’analyse, d’une redoutable complexité juridique. A l’heure où ces
lignes sont écrites, le temps a fait son œuvre, dans une certaine mesure. Une pratique s’est dégagée, un consensus s’est établi au sujet d’un certain nombre de questions qui s’étaient faites jour. Par ailleurs, un certain
nombre de publications remarquées ont eu pour mérite d’approfondir certaines questions et de jeter des
lumières précieuses sur des points cruciaux et non moins épineux 3.
La question peut dès lors se poser de l’utilité d’un commentaire additionnel. Deux justifications peuvent être
avancées. Tout d’abord, le sujet demeure, et demeurera, on peut le craindre, d’une réelle actualité dans les
années à venir. Il est loin d’être acquis, en premier lieu, que la crise financière ait achevé de produire ses effets
et on peut légitimement s’attendre à ce que de nouvelles restructurations rendent nécessaires de procéder à la
réalisation d’autres garanties financières. Par ailleurs, il est évident que les acteurs, au premier chef desquels
les banques, ont et auront à cœur de tirer tout le parti utile, pour l’avenir, des leçons reçues. Celles-ci consistent essentiellement dans un besoin accru de sécurité juridique. Les garanties financières, comme tout instrument de sûretés, exigent avant tout une sécurité juridique maximale au moment de leur réalisation. En cette
matière, l’incertitude, le risque, l’impressionnisme juridique, sont les ennemis jurés : « La sécurité juridique
est un élément indispensable au développement d’une place financière internationale » 4. Ce sont d’abord les
ennemis des prêteurs, cela va sans dire. Ce sont aussi les ennemis des emprunteurs. Il est en effet bien évident
que l’insécurité juridique a pour conséquence de renchérir le crédit, voire de susciter la réticence des banques
à l’octroyer. Par ailleurs, si une réalisation incertaine des garanties financières peut sembler constituer un avantage à courte vue pour les emprunteurs, une perspective plus haute convainc que cet avantage est chèrement
payé par le tarissement et le surenchérissement du crédit : c’est alors le modèle économique même du LBO qui
est fondamentalement remis en cause. Si l’on admet l’impératif de sécurité juridique, on doit alors se demander quelle source juridique est susceptible de répondre pleinement à cette exigence. La réponse va de soi : la
loi. S’il est essentiel de diagnostiquer les problématiques juridiques et de les analyser en profondeur, une étape
supplémentaire doit consister, le cas échéant, à proposer au débat des améliorations législatives. Telle est la
seconde justification et raison d’être du présent article. Dans cette perspective, nous procèderons selon une
démarche des plus classiques, en examinant tour à tour les conditions de la réalisation des garanties financières
(Section 1), le régime juridique de la réalisation (Section 2), puis les effets de la réalisation (Section 3), le tout
étant précédé d’une section préliminaire dont l’objet consistera à poser les termes du débat.
1. Section préliminaire.
Les termes du débat
transposer en droit luxembourgeois la directive 2002/
47/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juin
2002 concernant les contrats de garantie financière
(ci-après la « Directive garanties financières ») 5.
1.1. Le cadre de l’analyse
Les mécanismes généraux de la Loi sur les garanties
financières sont bien connus des praticiens et il n’est
nul besoin d’y revenir 6. Précisons d’emblée cependant que le cadre de la présente étude sera restreint
à l’un des types de garanties financières envisagés
par la Loi sur les garanties financières, à savoir le
gage. C’est que les garanties financières mises en
place dans le cadre de structures d’acquisition LBO se
font en général sous forme de gage des avoirs détenus par une société tête de groupe luxembourgeoise
(LuxCo 1) à l’encontre de sa filiale luxembourgeoise
détenue à 100 % (LuxCo 2). Une telle structure
luxembourgeoise à deux étages (two-tier) a pour finaliser de maximiser, tant du point de vue du droit des
Le débat a pour cadre exclusif la loi du 5 août 2005
sur les contrats de garantie financière (ci-après la
« Loi sur les garanties financières »). Pour rappel, la
Loi sur les garanties financières a eu pour objet de
3. Doit être cité à cet égard l’ensemble des contributions publiées
par le Journal des Tribunaux Luxembourg, n° 7, 4 février 2010,
et, plus particulièrement pour ce qui concerne le sujet du présent article, la contribution de P. Schleimer, Réalisation des
garanties financières et pratiques des prêteurs bancaires, aussi
claire que convaincante. Nous ne manquerons pas d’y faire de
fréquentes références. Il convient également de citer les
quatre contributions rassemblées dans le dossier « Le financement du crédit en temps de crise », publié au Bulletin Droit et
Banque, n° 45, p. 21 s. Les contributions composant ces dossiers seront citées spécifiquement plus avant.
4. Travaux préparatoires de la loi du 5 août 2005 sur les contrats
de garantie financière, n° 5251, Exposé des motifs, p. 3. Eg. en
ce sens, Directive garanties financières, Considérant (5) :
« Pour renforcer la sécurité juridique des contrats de garantie
financière, (…) ».
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5. JOCE, 27 juin 2002, L 168/43.
6. Voy. M. Mey, Principales caractéristiques de la loi du 5 août
2005 sur les contrats de garantie financières, Bull. Droit et
Banque, n° 37, p. 7 s.; Chr. Cormet, Droit bancaire, Codex,
2005, p. 276 s.
• Droit financier
sûretés que du droit fiscal, les avantages comparatifs
du droit luxembourgeois.
Le cadre de la présente étude est restreint à un autre
égard, ce que, du reste, son intitulé indique déjà : les
problématiques examinées seront celles relatives à la
réalisation des garanties financières sous forme de
gage. Seront par conséquent exclus tous les aspects
relatifs à la mise en place du gage, à son régime juridique et à ses effets.
Enfin, ce ne sont pas toutes les modalités légales de
réalisation des garanties financières de droit luxembourgeois sous forme de gage qui seront passées au
crible. Le cadre de la présente étude est restreint à
une des modalités de réalisation les plus couramment
pratiquées, à savoir la vente de gré à gré, telle que
prévue par l’article 11 (1) b) de la Loi sur les garanties financières 7. La raison d’être d’une telle faveur
tient à deux raisons majeures. La vente de gré à gré
présente le double mérite de l’absence de formalisme
et d’éviter tout recours à une quelconque autorité
tierce, que ce soit une autorité judiciaire, ministérielle ou cambiaire (bourse). Au surplus, au rebours
de l’appropriation, les biens gagés faisant l’objet de
la réalisation présentent l’intérêt de n’entrer à aucun
moment, ne serait-ce qu’un instant de raison, dans le
patrimoine du détenteur du gage. Or, dans la mesure
où, dans la pratique des prêts syndiqués, le détenteur
du gage n’agit qu’en qualité d’agent des sûretés, ce
au bénéfice des prêteurs et non dans son intérêt
propre, des raisons supérieures liées au risque de responsabilité que l’agent des sûretés serait susceptible
d’encourir justifient aisément qu’il ne soit nullement
enclin à devenir redevable des obligations du propriétaire et à prendre le risque éventuel de … devoir
le rester, ce qui n’est nullement sa vocation.
Ramenée à un instrument spécifique, à savoir le gage,
et sous le seul angle de sa réalisation sous forme de
vente de gré à gré, l’analyse a cependant vocation à
être pluridisciplinaire. Si les considérations de droit
des sûretés prédominent de toute évidence, ne peuvent être omis d’autres domaines du droit, tels que le
droit des obligations ou le droit fiscal.
1.2. Le clair et l’obscur de la Loi
sur les garanties financières
Les opérations de restructurations de dette ont servi
de révélateurs : la Loi sur les garanties financières
7. Art. 11 (1) b) Loi sur les garanties financières : « En cas de survenance d’un fait entraînant l’exécution de la garantie, le
créancier gagiste peut, sauf convention, sans mise en demeure
préalable, soit :
(…)
b) céder ou faire céder les avoirs nantis par vente de gré à gré
à des conditions commerciales normales, (…) ».
a-t-elle donné autant qu’elle promettait ? La réponse
est positive : le test de résistance est réussi (A). Pour
autant, la Loi sur les garanties financières a révélé
certaines carences, tenant peut-être au fait que le
législateur luxembourgeois n’avait pu anticiper, et
pour cause, la crise financière et les problématiques
spécifiques qu’elle allait générer (B).
A. La réalisation des garanties
financières : un test de résistance
réussi
La critique est aisée, l’art est difficile. Aussi
convient-il, nous joignant à de nombreuses autres
voix 8, de vanter en préambule les mérites de la Loi
sur les garanties financières. Le Luxembourg peut
légitimement se targuer de disposer d’un instrument
juridique de pointe, témoignant, de la part du législateur, d’une profonde et savante réflexion, fondée
sur une ligne directrice clairement identifiée : faciliter au maximum la réalisation du gage et assurer à
cette réalisation la plus grande efficacité juridique
possible. Cette entreprise, engagée du reste bien
avant que le législateur communautaire ne vienne la
relayer, a trouvé dans la Directive garanties financières un encouragement supplémentaire à la parfaire. Les travaux préparatoires de la Loi sur les
garanties financières témoignent de cette volonté
affichée: « Anticipant la Directive, le Luxembourg a
depuis une dizaine d’années, entrepris une démarche
systématique visant à renforcer le régime juridique
des contrats de garantie financière (…) » 9.
Ramenée à l’essentiel, la Loi sur les garanties financières repose, s’agissant de la réalisation du gage, sur
les trois piliers fondamentaux que sont la liberté contractuelle, l’absence de formalisme et l’immunisation
vis-à-vis des risques de faillite et autres procédures
collectives susceptibles de s’appliquer au constituant.
Chacun des trois piliers justifiant à soi seul des développements substantiels et, du reste, cette entreprise ayant d’ores et déjà été brillamment entamée,
en particulier au sujet du troisième pilier (immunisation contre les procédures collectives) 10, il ne saurait
être question d’entrer ici dans le détail de cet
examen. Tout au moins a-t-on pu vérifier in vivo, à
l’occasion des opérations de réalisation de gages,
l’efficience pratique du système luxembourgeois.
8. H. Wagner et A. Djazayeri, La réalisation du gage en temps de
crise : aspects juridiques, in Dossier : le financement en temps
de crise, Bull. Droit et banque, n° 45, p. 39 ; P. Schleimer,
art. cit., p. 16.
9. Travaux préparatoires de la loi du 5 août 2005 sur les contrats
de garantie financière, n° 5251, Exposé des motifs, p. 3.
10. S. Jacoby, Les garanties financières face aux problèmes d’insolvabilité, Journal des Tribunaux Luxembourg, n° 7, 4 février
2010, p. 24 s.
ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 5
• Droit financier
En particulier, l’absence de formalisme a produit tous
ses effets positifs, que ce soit en termes de gains de
temps et de coûts induits 11. La vente de gré à gré, en
particulier, a pleinement démontré son efficience en
tant que mode de réalisation exclusivement privé,
n’impliquant aucune intervention notariale ou d’une
quelconque autre autorité publique ou ministérielle,
et dénué de tout formalisme exigeant, par exemple
en termes de mise en demeure préalable ou d’octroi
de délai supplémentaire accordé au constituant.
C’est ainsi qu’en l’espace de quelques heures 12, l’ensemble des gages constitués sur l’intégralité des
avoirs du constituant peut être réalisé sans encombres au profit de l’agent des sûretés et des bénéficiaires des sûretés et, de son côté, l’acquéreur des
titres, le plus souvent constitué sous forme d’une
entité luxembourgeoise nouvellement constituée à
cet effet, devient pleinement propriétaire des biens
acquis. On n’insistera jamais assez sur l’importance
de ces aspects pratiques positifs générés par la Loi sur
les garanties financières. Les parties, à juste titre, y
sont particulièrement sensibles, tant il est vrai que
les plus belles constructions juridiques ne sont que
des vues de l’esprit dès lors que leur mise en œuvre
est, dans les faits, soumise à des rigidités et des
contraintes. Tel n’est pas le cas des garanties financières de droit luxembourgeois, ce qui leur confère,
par là-même, un avantage comparatif incontestable.
Les réalisations opérées ont été de véritables tests de
résistance des garanties financières de droit luxembourgeois et l’on peut dire, sans exagération, que le
test a été passé avec succès. Cette conclusion était
certes conforme aux expectatives attendues de la Loi
sur les garanties financières. Encore convenait-il de
le vérifier sur le terrain.
B. Les carences de la Loi sur les
garanties financières : « On ne
connaît son cheval qu’en chemin »
De cette abstention, faut-il en faire grief au législateur et autres commentateurs du projet de loi ? Non.
Il est certes facile, avec davantage de recul et surtout, nourri par l’expérience concrète des opérations
de réalisation des garanties financières, de pointer du
doigt le flou entourant telle ou telle disposition. Mais,
en la matière, comme peut-être en toute autre, seule
l’expérience tangible de la pratique est source d’enseignements, de questions et, peut-on l’espérer, de
lumières : « On ne connaît son cheval qu’en chemin ».
13
Toute loi est un work-in-progress, dont les évolutions
dépendent soit de choix de politique législative, soit
11. Il y a lieu de noter ici que, dans le contexte des restructurations de dette, la phase de réalisation des garanties financières
de droit luxembourgeois n’est que l’un des premiers maillons
d’une longue chaîne d’opérations multiples et complexes, articulées dans le temps selon un ordre successif. De là l’importance que les opérations de réalisation des sûretés, qui, par
essence, se situent chronologiquement au début du plan de
restructuration, se déroulent rapidement et sans contretemps.
12. Sous réserve, bien entendu, de la finalisation du processus
d’évaluation des biens devant faire l’objet de la réalisation, ce
conformément au respect des « conditions commerciales
normales », au sens de l’Article 11 (1) b) de la Loi sur les garanties financières. Ce processus d’évaluation est parfois extrêmement complexe et peut durer plusieurs semaines, voire
plusieurs mois.
13. Proverbe chinois.
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des enseignements tirés de l’observation des faits et
de la pratique. Au moment où la Directive garanties
financières, respectivement la Loi sur les garanties
financières, ont été édictées, la problématique de la
réalisation des garanties financières n’était pas à
l’ordre du jour. En ces temps d’« âge d’or » du LBO,
la question essentiellement discutée dans les travaux
préparatoires avait trait à la mise en place et au régime juridique des garanties financières. Certes, pour
parer à des scénarios moins optimistes, l’arsenal de
réalisation était en place. Mais on ne peut qu’être
étonné, a posteriori, par la modestie des développements consacrés dans les travaux préparatoires de la
Loi sur les garanties financières à une disposition
aussi centrale que son Article 11, relatif à la réalisation du gage. Cette modestie est tant quantitative
que qualitative. Les quelques lignes de commentaires
émanant du gouvernement 14, du Conseil d’Etat 15 ou
de la Commission des finances et du budget 16, consistent davantage en une paraphrase du texte de la loi
qu’en une occasion d’éclaircir des termes, expressions ou concepts généraux ou abstraits. Ainsi en
va-t-il, pour ne prendre qu’un seul exemple, de la
condition que la vente de gré à gré se fasse à des
conditions commerciales normales. Que faut-il entendre précisément par « conditions commerciales normales » ? On serait bien en peine de le déterminer à
la lecture des travaux préparatoires de la Loi sur les
garanties financières.
2. Section 1. Les conditions de
la réalisation des garanties
financières
Ainsi qu’il a été indiqué, la vente de gré à gré constitue l’un des modes de réalisation les plus couramment pratiqués. La vente étant un concept civiliste,
il serait souhaitable que la Loi sur les garanties financières précise ce qu’il faut entendre par ce terme.
14. Exposé des motifs et commentaire des articles, Doc. parl.
5251.
15. Avis du Conseil d’Etat, Doc. parl. 5251-3, p. 7.
16. Rapport de la Commission des finances et du budget, Doc. parl.
5251-7, p. 11.
• Droit financier
A l’encontre d’une interprétation strictement orthodoxe du concept de vente, on peut préconiser qu’une
approche plus fonctionnelle soit retenue (1). Par
ailleurs, la vente de gré à gré est soumise à la condition d’être faite à des « conditions commerciales
normales ». Cette condition cardinale mérite aussi
incontestablement une clarification législative (2).
2.1. Pour une approche fonctionnelle du concept de « vente »
Une approche fonctionnelle du concept de vente doit
être envisagée à deux niveaux. En premier lieu, la
question est de déterminer si la qualification de
« vente » présuppose nécessairement le versement
du prix en numéraire. Etant donnée la ratio legis de
la Loi sur les garanties financières, on peut penser
qu’une telle approche est par trop orthodoxe et
rigide (A). En second lieu, on peut sérieusement se
demander si retenir la vente comme seule catégorie
permise de cession à titre onéreux n’est pas trop
restrictive (B).
A. Le versement du prix ne doit pas
nécessairement être effectué sous
forme numéraire
A raison de la grande division qui agite la jurisprudence et la doctrine civiliste, il serait souhaitable que
la Loi sur les garanties financière tranche ce nœud
gordien en faveur d’une approche ouverte et flexible.
Position du problème : une interprétation jurisprudentielle et doctrinale divisée
En droit des obligations, une des caractéristiques
essentielles du contrat de vente consiste en la détermination d’un prix par les parties. L’article 1591 du
Code civil luxembourgeois dispose que le prix doit
être déterminé ou déterminable. La détermination
d’un prix distingue le contrat de vente du contrat
d’échange : « L’échange est un contrat par lequel les
parties se donnent respectivement une chose pour
une autre » (Article 1702 du Code civil luxembourgeois). Dans le cadre d’un contrat d’échange, il n’y a
pas de prix déterminé par les parties, lesquelles
acceptent réciproquement et implicitement que la
valeur de la chose reçue soit la contre-valeur de la
chose donnée. Ce caractère implicite justifie que
l’échange exclut la sanction de la rescision pour
lésion (Article 1706 du Code civil luxembourgeois).
S’agissant du prix en tant qu’élément constitutif du
contrat de vente, la question est alors de savoir si le
prix doit répondre à des conditions strictes quant à sa
nature. Cette question est à vrai dire extrêmement
agitée en jurisprudence et en doctrine françaises,
tandis qu’elle semble être résolue de manière plus
unanime en Belgique.
Selon un arrêt de la Cour de cassation française du
9 décembre 1986, la contrepartie de la vente ne doit
pas nécessairement être sous forme d’une somme
d’argent 17. Il semble que cette décision, qui fît en
son temps l’objet d’une publication au Bulletin des
arrêts de la Cour de cassation, ce qui souligne son
importance, n’ait pas fait l’objet de revirement jusqu’à ce jour. Cependant, cette interprétation a été
l’objet de vives critiques de la part d’une fraction
significative des auteurs français, parmi les plus éminents, qui estiment que le prix sous forme d’un montant en numéraire est et demeure le critère essential
de distinction entre la vente et d’autres contrats, tels
que l’échange, l’apport ou la dation en paiement 18.
Cette opinion est à son tour battue en brèche par
d’autres auteurs, selon lesquels seule la détermination du prix distingue le contrat de vente d’autres
types de contrats, peu important que le prix soit payé
en numéraire ou sous toute autre forme, telle qu’en
nature 19.
Le droit français présente par conséquent un champ
contrasté d’opinions. Si l’on se tourne vers le droit
belge, la doctrine formulée en son temps par De Page
fait toujours autorité. Or, De Page est catégorique :
« En quoi consiste le prix ? Par définition et nécessairement, le prix consiste en une somme d’argent. La
loi ne le précise pas expressément mais la solution est
certaine. Il s’ensuit que si une chose est donnée par
l’acquéreur en paiement, le contrat est un échange
et non point une vente » 20. De Page appuie sa démonstration sur d’illustres auteurs, tels que Laurent et
Baudry-Lacantinerie 21, ainsi que sur la jurisprudence
belge 22. Il précise également que, dans le cas où la
contrepartie est, pour partie, en numéraire et, pour
l’autre partie, en nature, le contrat sera qualifié de
vente pour la première partie, et d’échange pour la
seconde. Selon une appréciation des proportions en
17. Cour de cassation, France, Civ. 3ème, 9 Décembre 1986, Bull.
Civ., III, n° 177 : « Considérant, d’une part, que la vente d’une
chose peut être réalisée moyennant une contrepartie autre que
le versement d’une somme d’argent, la Cour d’appel n’a pas
violé l’Article 1582 du Code civil ».
18. Mazeaud, Leçons de droit civil, T. 3, Vol. 2, Paris, 4ème éd.,
n° 753; Ghestin et Desché, op. cit., n° 49, page 44; Bénabent,
Les contrats spéciaux, civils et commerciaux, 8ème éd., Paris,
2008, n° 51, page 27 ; Collart, Dutilleul et Delebecque, Contrats civils et commerciaux, Paris, 3ème éd., Paris, 1996,
n° 137, page 118 ; Schmidt-Szalewski, Juriscl. civil, Fasc.
Article 1582, n° 25.
19. Ralet, Encyclopédie Dalloz, V° Vente, Formation, n° 422 s.
20. De Page, Traité élémentaire de droit civil, Bruxelles,
3ème éd., 1972, T. IV, n° 35, p. 68.
21. De Page, op. cit., ibid., notes infra-paginales 5, p. 68, et 1,
p. 69.
22. Cass., Belgique, 5 mai 1881; Gand, 5 juillet 1928, cit. in op.
cit., ibid., note 2, page 69.
ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 7
• Droit financier
cause, les tribunaux seront alors souverains pour décider quelle qualification de la vente ou de l’échange
doit éventuellement l’emporter sur l’autre 23.
La revue qui précède rend compte d’une extrême incertitude, en droit civil, en ce qui concerne la nature
du prix dans un contrat de vente. Or, à notre connaissance, ce débat n’a pas fait l’objet d’un quelconque
examen à l’occasion des travaux parlementaires relatifs à la Loi sur les garanties financières et celle-ci ne
comporte aucune indication ni dans un sens ni dans un
autre.
Solution du problème : une approche ouverte de la
notion de contrepartie
A la lumière de ce qui précède, à savoir une situation
extrêmement confuse génératrice d’insécurité juridique, il serait hautement souhaitable que la Loi sur
les garanties financières fasse la lumière sur ce point,
lequel n’est pas anodin et ce, tant du point de vue
juridique que pratique.
Du point de vue juridique, la question demeure
ouverte quant aux effets d’une requalification judiciaire d’un contrat de vente en contrat d’échange.
Une telle requalification entraînerait-elle l’annulation judiciaire de la réalisation, au motif que la
réalisation n’aurait pas été opérée selon l’une des
modalités de réalisation permises par la Loi sur les
garanties financières ? La requalification ne donnerait-elle au contraire lieu qu’à une compensation sous
forme de dommages et intérêts, pour autant qu’il y
ait un dommage et que ce dommage soit quantifiable ?
Du point de vue pratique et, dans le cadre des opérations de restructuration de dette, la nature de la
contrepartie offerte pour l’acquisition des biens réalisés n’est pas fortuite. Cette contrepartie s’ancre
dans le cadre plus général de la restructuration de la
dette. Or, l’un des concepts essentiels de toute restructuration est l’espoir de retour à meilleur fortune
du groupe cible. Dans cette perspective, il est essentiel que les instruments de dette ou de quasi-capital
mis en place permettent des remontées maximisant
ce retour à meilleure fortune. Tel est l’objet des
instruments variables que sont les titres hybrides, les
titres de prêts participatifs ou obligataires. En revanche, une contrepartie sous forme numéraire pure
ne fait pas bénéficier de ces mécanismes et a un
caractère statique qui est de peu d’utilité.
A raison de ce qui précède, il serait donc souhaitable
que la Loi sur les garanties financières confirme
expressément que le prix, tel que déterminé en
numéraire, puisse être payé, en tout ou partie, au
comptant ou par un paiement différé, sous une forme
23. De Page, op. cit., ibid.
ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 8
que les parties à la vente auront choisi, que ce soit en
numéraire, en nature, ou sous toute autre forme susceptible d’évaluation. Il importe en effet que la
contrepartie soit évaluable objectivement afin que le
vendeur puisse s’assurer que la modalité de paiement
corresponde économiquement au prix déterminé 24.
Une telle préconisation n’est nullement contraire aux
prescriptions de la Directive garanties financières et
est, par ailleurs, en phase avec une opinion doctrinale dont nous partageons entièrement, sur ce point,
les analyses et les conclusions 25.
B. Le dépassement de la vente
comme modalité de réalisation sous
forme de cession de gré à gré
La discussion précédente a laissé clairement apparaître qu’au sein de la doctrine civiliste, les frontières
entre les différentes catégories juridiques que sont la
vente, l’échange, l’apport ou la dation en paiement
sont, dans certaines hypothèses, poreuses et source
d’incertitudes. Nous avons relevé que, selon la doctrine française majoritaire, admettre que le prix
pourrait être sous une autre forme qu’en numéraire
aboutirait à qualifier l’opération d’échange, et non
plus de vente. Renversant la perspective par rapport
aux développements précédents qui consistaient à
maintenir à toute force la qualification de vente, et
ce quelle que soit nature de la contrepartie, on peut
se demander s’il est véritablement requis, après tout,
que le mode de réalisation doive nécessairement
s’opérer sous la forme d’une vente. En quoi en effet
les intérêts légitimes des parties en cause, ainsi que
ceux des tiers à la réalisation, seraient-ils atteints si,
outre la vente, la cession opérée pouvait prendre la
forme d’un quelconque type de contrat commutatif à
titre onéreux, dès lors que la valeur de la contrepartie est fixée d’un commun accord et selon des
critères vérifiables (en particulier en justice) ?
Cette question a des incidences très pratiques dans le
cadre des opérations de restructuration de dette.
Il peut arriver en effet que les acteurs de la restructuration aient, par exemple, le projet de faire apporter les titres sociaux réalisés à une société, en
échange de titres sociaux émis par cette autre
société. En l’état actuel de la Loi sur les garanties
financières, il faut d’abord passer par une vente, ou
par une appropriation, pour pouvoir ensuite procéder
à l’apport. Permettre l’apport en tant que mode
24. Comme cela a été justement souligné par P. Schleimer, art.
cit., n° 22, p. 13, cette évaluation échappe en réalité au
champ de protection visé par la Loi sur les garanties financières. Il s’agit donc seulement d’une protection qui sera
exigée par le vendeur, qui doit légitimement se prémunir du
risque de recevoir une contrevaleur inférieure au prix fixé.
25. P. Schleimer, art. cit., spéc. n° 22, pages 12-13.
• Droit financier
direct de réalisation ferait faire l’économie d’une
opération juridique (la vente ou l’appropriation),
générant des gains de temps et de coût.
Cependant, une difficulté se présente : en son Article 4 (1) a), la Directive Garanties financières n’envisage, outre l’appropriation, que la vente comme
mode de réalisation d’une garantie financière constituée sur des instruments financiers 26. Est-ce-à dire
que, à l’instar de toutes les législations des Etats
membres qui ont transposé dans leur droit national la
Directive garanties financières, la Loi sur les garanties
financières serait tenue de ne prévoir, au titre de la
cession des avoirs nantis, que la modalité de la vente
et serait par conséquent dans l’impossibilité d’élargir
la palette, par exemple au profit d’autres types de
transfert par voie commutative à titre onéreux ?
La question posée revient à se demander si la Directive garanties financières est limitative ou si, au
contraire, elle se borne à fixer un régime minimal que
les Etats membres sont libres de dépasser.
Si l’on s’en tient à une interprétation exégétique, la
réponse ne va pas de soi. Il est extrêmement malaisé,
voire divinatoire, de tirer interprétation dans un sens
ou dans un autre de l’Article 4 (1) de la Directive.
Tout au plus peut-on faire remarquer que le texte ne
se présente pas comme expressément limitatif et
n’emploie pas une formulation impliquant que le preneur de la garantie ne puisse réaliser que selon l’une
des manières décrites. La même remarque vaut pour
le Considérant 17 de la Directive, dont l’expression
est neutre quant à la question posée : « La présente
directive prévoit des procédures d’exécution rapide
et non formelles (…) ».
Une approche téléologique paraît en revanche plus
féconde et, pour autant que l’interprétation exégétique se soit révélée vaine, ce qui est le cas en l’espèce, particulièrement justifiée 27. Cette approche
est justifiée dans la mesure où la Directive garanties
financières se présente comme un instrument juridique poursuivant un but politique clairement identifié : « Ce régime (de garanties financières) favorisera l’intégration et le fonctionnement au meilleur coût
du marché financier ainsi que la stabilité du système
financier de la Communauté et, partant, la libre prestation de services et la libre circulation des capitaux
dans un marché unique des services financiers » 28.
26. « Les Etats membres veillent à ce que, dans les cas entraînant
l’exécution de la garantie, le preneur de la garantie puisse
réaliser d’une des manières décrites ci-après toute garantie
financière fournie en vertu d’un contrat de garantie financière
avec constitution de sûreté et conformément aux stipulations
de celui-ci : a) tout instrument financier par voie de vente ou
d’ appropriation (…) »
27. Dans le même sens favorable à une approche téléologique,
P. Schleimer, art. cit., spéc. n° 22, page 13.
28. Considérant 3 de la Directive garanties financières.
A ce but politique sont assignés des moyens comportant eux-mêmes une finalité bien précise, à savoir
assurer la sécurité juridique aux détenteurs de garanties financières : « Pour renforcer la sécurité juridique des contrats de garantie financière, (…) » 29,
« la présente directive vise à protéger la validité des
contrats de garantie financière (…) » 30. Dans le
même sens, le Considérant 17 précité, relatif à la
réalisation des garanties financières, dispose que les
modes d’exécution prévus visent à « préserver la
stabilité financière et limiter les effets de contagion
en cas de défaillance d’une partie à un contrat de
garantie financière ». Il suit de ce qui précède que
l’on est fondé à interpréter la Directive garanties
financières à la lumière de ses buts et moyens et que,
par la même, toute entreprise qui vise précisément à
favoriser et à renforcer ces buts et moyens ne peut,
pour autant qu’elle demeure dans une limite raisonnable, être considérée comme contraire à la directive.
Une telle approche téléologique paraît d’autant plus
fondée que la Directive garanties financières se présente elle-même comme fixant un seuil minimal,
n’interdisant pas par conséquent aux Etats membres
d’aller plus loin, pour leur compte, à condition, bien
entendu, qu’ils inscrivent leur action dans les objectifs de la directive : « Etant donné que l’objectif de
l’action envisagée, à savoir la mise en place d’un
régime minimal concernant l’utilisation des garanties
financières (…) » 31. N’est-ce pas là une invitation
faite aux Etats membres de dépasser le socle minimal
de la Directive garanties financières, étant entendu
que cette dernière se cantonne pour sa part à fixer un
cadre général plus modeste, limité par les contraintes
politiques et par la nécessité de s’en tenir, au niveau
communautaire, au plus petit dénominateur commun ?
Aller plus loin peut consister, en particulier, à élargir
l’offre des modes de réalisation permis. Dans cette
perspective, adjoindre à la vente une ou plusieurs
autres catégories de contrats nommés, tel que
l’échange, ne paraît pas être la méthode la plus adéquate, dans la mesure où elle demeure restrictive.
L’approche la plus dynamique consisterait à ce que
l’Article 11 (1) b) de la Loi sur les garanties financières ait la formulation suivante : « céder ou faire
céder, respectivement transférer ou faire transférer,
les avoirs nantis par vente ou par tout autre type de
contrat commutatif à titre onéreux opéré de gré à
gré ». Chacun de ces modes alternatifs de réalisation
serait bien entendu soumis, comme pour la vente, au
respect des conditions commerciales normales, telles
que visées par la Loi sur les garanties financières. A ce
29. Considérant 5 de la Directive garanties financières.
30. Considérant 13 de la Directive garanties financières.
31. Considérant 22 de la Directive garanties financières.
ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 9
• Droit financier
titre, il y a lieu à présent de se demander si le critère
légal des conditions commerciales normales ne justifie pas, à son tour, une action volontariste de la part
du législateur luxembourgeois.
2.2. La nécessaire clarification des
« conditions commerciales
normales »
A. Position du problème :
l’introuvable définition du concept
de « conditions commerciales
normales »
L’Article 11 (1) b) de la Loi sur les garanties financières dispose que, entre autres mesures permises de
réalisation du gage, le créancier gagiste peut céder
ou faire céder les biens gagés par vente de gré à gré
« à des conditions commerciales normales ».
Ce concept des « conditions commerciales normales » résulte d’une transposition littérale du concept
visé à l’Article 4(6) de la Directive garanties financières. Pour rappel, cette disposition de la Directive
garanties financières se présente comme une option
offerte aux Etats membres d’adjoindre cette condition aux modes de réalisation. S’agissant de la vente
de gré à gré, le législateur luxembourgeois a choisi de
retenir cette option. Par conséquent, cette condition
s’applique en droit luxembourgeois dès lors que le
recours à la vente de gré à gré est envisagé et ce, que
le contrat de nantissement l’ait prévu ou non. Il s’agit
en effet de toute évidence d’une règle impérative à
raison même de sa ratio legis : la vente s’opérant
dans un cadre purement privé et à la seule initiative
du créancier gagiste, il convient de s’assurer que les
droits du constituant ne sont pas atteints du fait d’une
sous évaluation manifeste du prix de vente. La préservation des intérêts des tiers est également en jeu 32.
La ratio legis inspirant cette condition est parfaitement légitime en ce qu’elle vise à prévenir d’éventuels risques d’abus. Le Considérant 17 de la Directive
garanties financières se fait l’écho de cette préoccupation 33. La difficulté se situe ailleurs : elle réside,
d’une part, dans le silence complet observé par les
32. On peut penser en particulier aux intérêts des prêteurs juniors.
33. « La présente directive prévoit des mesures d’exécution
rapides et non formelles afin de préserver la stabilité financière et de limiter les effets de contagion en cas de défaillance
d’une partie à un contrat de garantie financière. Elle concilie
cependant ces objectifs avec la protection du constituant et
des tiers en confirmant expressément la possibilité pour les
Etats membres de conserver ou d’introduire dans leur législation nationale un contrôle a posteriori que les tribunaux peuvent exercer en ce qui concerne la réalisation ou l’évaluation
de la garantie financière et le calcul des obligations financières
ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 10
législateurs communautaire et luxembourgeois quant
à ce qu’il faut entendre par « conditions commerciales normales » et, d’autre part, quant aux modalités par lesquelles le créancier gagiste est susceptible de pouvoir démontrer, le cas échéant en justice,
qu’il a satisfait à cette condition.
Il n’y a rien en effet dans la Directive garanties financières ou dans la Loi sur les garanties financières qui
puisse renseigner sur le sens qu’il convient de conférer aux termes « conditions commerciales normales ». Les travaux préparatoires de la Loi sur les
garanties financières sont également décevants à cet
égard. Or, il faut admettre que le concept des
« conditions commerciales normales » est susceptible
d’interprétations diverses, ce qui génère une insécurité juridique majeure.
B. Un concept à facettes multiples
Les termes du débat ont été parfaitement posés
par Pierre Schleimer et il convient de renvoyer, pour
l’essentiel, aux excellents développements de l’auteur 34. Très schématiquement, la problématique
consiste à déterminer si, par « conditions commerciales normales », les législateurs communautaire,
puis luxembourgeois, ont entendu viser des conditions
commerciales « chimiquement pures », symbolisées,
au vœu de la doctrine économique libérale, par la
rencontre entre une offre et une demande sur un
marché transparent et ouvert ou si, au contraire, ce
concept doit prendre en compte les spécificités concrètes de la situation en cause, tenant à l’extrême
urgence de réaliser la restructuration de la dette
pour sauver le groupe cible, à la considération du surendettement du groupe cible, aux coûts engendrés
par le processus de réalisation, au souci légitime de
confidentialité qui peut animer le groupe cible et ses
dirigeants afin d’éviter le risque de prédateurs
externes indésirables 35 ou d’alerte des salariés ou de
la concurrence. En réalité, comme le souligne à juste
titre Pierre Schleimer, il n’existe pas, dans un tel
contexte, de véritable marché transparent au sens de
la théorie économique. Les « conditions commerciales normales » ne peuvent par conséquent que
prendre en compte de tels éléments parasites bien
réels, et, à ce titre, essentiels. Toute autre approche
s’apparenterait à une construction artificielle.
De ce qui précède et à raison même de l’incertitude
fondamentale qui préside au sens qu’ont voulu donner les législateurs communautaire et luxembour-
couvertes. Ce contrôle devrait permettre aux autorités judiciaires de vérifier que la réalisation ou l’évaluation a été effectuée dans des conditions commerciales normales ».
34. P. Schleimer, art. cit., n° 18 s., page 12.
35. Pierre Schleimer mentionne les hedge funds potentiellement à
l’affût (art. cit., n° 21, page 12).
• Droit financier
geois au concept de « conditions commerciales normales », on peut se demander s’il ne conviendrait pas
que la Loi sur les garanties financières précise, a
minima, que les « conditions commerciales normales » doivent s’entendre comme tenant compte de
tous les éléments factuels, économiques, et financiers en cause au moment de la cession. Cependant,
là n’est pas encore l’essentiel. L’essentiel, en la matière, réside en effet dans les modalités pratiques en
vertu desquelles le créancier gagiste est à même de
démontrer qu’il a pris toutes les mesures utiles et
nécessaires pour veiller au respect des conditions
commerciales normales.
C. Les modalités de mise en œuvre
des conditions commerciales
normales
Que doit faire en pratique le créancier gagiste pour
s’assurer qu’il s’est conformé au criterium des conditions commerciales normales ? Etant entendu qu’il
peut difficilement fixer de lui-même le prix 36 sans
être taxé d’être juge et partie et étant observé que,
aussi bien la Directive garanties financières que la Loi
sur les garanties financières sont muettes sur ce
point, plusieurs options viennent alors à l’esprit.
On peut d’abord penser à l’organisation d’une vente
publique, vers laquelle convergeraient les offres de
manière ouverte et qui s’apparenterait le plus possible à une simulation de marché transparent au sens
de la théorie libérale de marché. Cependant, quelle
serait alors la différence entre une vente de gré à gré
et une vente publique, qui est une autre modalité de
réalisation expressément prévue par la Loi sur les
garanties financières, et qui ne requiert pas qu’elle
se tienne obligatoirement à la Bourse de Luxembourg 37 ? Il n’y aurait évidemment aucune différence
et, par conséquent, on doit en déduire que la vente
de gré à gré, au sens de la Loi sur les garanties financières, vise nécessairement d’autres cas de figure
que la vente publique.
Une version dégradée d’une vente publique consisterait en une enchère privée. On observera alors que,
au caractère fondamentalement insatisfaisant du
caractère privé de l’enchère – à qui doit être restreinte l’offre ? Selon quels critères ? Selon quelles
modalités et délais d’information? – viennent se surajouter des inconvénients majeurs : lenteur quant à
l’organisation de l’enchère, peu compatible avec
36. P. Schleimer, art. cit., n° 19, p. 12, souligne à juste titre que
le critère des « conditions commerciales normales » vise
d’abord et essentiellement, bien que non exclusivement, la
détermination du prix de vente.
37. Art. 11 (2) Loi sur les garanties financières : l’organisation de
la vente publique à la Bourse de Luxembourg est supplétive de
volonté.
l’urgence qui préside à la restructuration de la dette,
coûts engendrés par le processus d’information (encarts dans les journaux financiers) et d’organisation
de l’enchère, publicité défavorable faite au groupe
cible, risque d’irruption de prédateurs à la stratégie
imprévisible et susceptibles de proposer un prix manifestement déraisonnable aux seules fins de prise de
contrôle du groupe cible. En somme, requérir l’organisation d’une enchère privée afin de répondre au
critère des conditions commerciales normales apparaîtra le plus souvent comme présentant un bilan
coûts-avantages négatif.
Une dernière alternative se présente alors, consistant
dans le recours à un expert indépendant et neutre,
qui aura pour mission d’émettre un rapport d’évaluation. Cette solution apparaît de loin la plus réaliste,
tout en étant de nature à respecter le criterium légal
des conditions commerciales normales. La pratique
ne s’y est pas trompée puisque, dans les opérations
de réalisation des garanties financières qui se sont
déroulées au Luxembourg jusqu’à présent, c’est cette
voie qui a été suivie de manière répétée. Dans le
cadre de son article précité, Pierre Schleimer semble
également lui accorder ses faveurs 38.
Si les praticiens et la doctrine semblent donc unanimes, c’est cependant au prix d’une libre interprétation de leur part du concept légal de « conditions
commerciales normales ». Les praticiens, en particulier, ne peuvent qu’émettre des réserves dès lors que
l’une ou l’autre partie à l’opération de réalisation
requiert de leur part une confirmation expresse que
cette analyse est pleinement conforme aux réquisitions légales. De là, une insécurité juridique indésirable, qui pourrait être évitable si la Loi sur les garanties financières venait préciser ce qu’il convient d’entendre par « conditions commerciales normales ».
Cette précision devrait, à notre sens, tenir expressément compte de tous les éléments factuels, économiques et financiers en cause au moment de la réalisation du gage 39. Cette précision pourrait également
mentionner que pour apprécier tous les éléments factuels, économiques et financiers en cause, il pourra
être fait appel à un expert neutre et indépendant de
toutes les parties en cause.
3. Section 2. Le régime
juridique de la réalisation des
garanties financières
Le régime juridique de la réalisation des gages soumis
à la Loi sur les garanties financières soulève un cer-
38. P. Schleimer, art. cit., n° 21 in fine, page 12.
39. Cf. point 2.2 de la présente section.
ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 11
• Droit financier
tain nombre de questions et de difficultés mises à
jour lors des opérations de réalisation. Nous examinerons plus particulièrement trois d’entre elles, à
savoir la question de la réalisation opérée sans que la
dette soit due et exigible (3.1), la problématique de
la validité de la renonciation par le constituant à tout
droit de recours (3.2), et le risque de perception des
droits d’enregistrement proportionnels (3.3).
3.1. La problématique de la
réalisation opérée indépendamment
d’une dette due et exigible
La Loi sur les garanties financières comporte une
caractéristique proprement révolutionnaire par rapport à la théorie classique du gage, qui considère cet
instrument juridique comme un accessoire à la dette
garantie (A). La Loi sur les garanties financières opère
en la matière une rupture radicale qui n’est cependant pas sans soulever de sérieuses interrogations
quant à son régime et ses effets (B).
A. La rupture opérée par la Loi sur
les garanties financières : le gage
n’est plus un accessoire de la dette
Le caractère révolutionnaire de la Loi sur les garanties financières
Le contrat de gage est classiquement défini comme
étant une sûreté réelle sur une chose mobilière
donnée en garantie du remboursement d’une dette
principale. En ce sens, le gage est défini comme étant
un accessoire de la dette, au sens où, d’une part, un
lien ontologique existe entre les deux instruments
que sont la dette et le gage et où, d’autre part, la
réalisation du gage est subordonnée au non-remboursement de la dette et donc à la défaillance du débiteur principal 40.
Or, une lecture attentive de la Loi sur les garanties
financières laisse apparaître que cette conception
classique et immémoriale du gage semble avoir fait
long feu. En effet, l’Article 1 de la Loi sur les garanties financières définit comme « fait entraînant
l’exécution de la garantie » : « une défaillance ou
tout autre évènement convenu entre les parties 41
dont la survenance, en vertu du contrat de garantie
financière ou du contrat contenant l’obligation financière couvert ou en application de la loi, habilite le
preneur de la garantie à réaliser la garantie finan-
40. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, Bruxelles, 1942, n° 1015, p. 1002 ; L. Aynès et P. Crocq, Les sûretés,
la publicité foncière, Paris, 4ème éd., 2009, n° 500, p. 222.
41. C’est nous qui soulignons.
ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 12
cière ». Cette disposition est à relier à l’Article 11 (1)
de la Loi sur les garanties financières, lequel dispose : « En cas de survenance d’un fait entraînant
l’exécution de la garantie, le créancier gagiste peut,
sauf convention contraire, soit : (…) » 42.
De manière frappante, la Loi sur les garanties financières semble aller plus loin que la Directive garanties
financières, dans la mesure où L’Article 2 (1) l) de
cette dernière définit comme « fait entraînant l’exécution » : « une défaillance ou tout autre évènement
similaire convenu entre les parties ». Par conséquent,
la Directive garanties financières semble encore
conditionner le droit de réaliser la garantie financière
au non-remboursement de la dette de la part du débiteur.
On peut par conséquent légitimement se demander si
l’interprétation donnée à l’Article 1 de la Loi sur les
garanties financières est bien celle que l’on subodore
ou bien ne s’agirait-il que d’une formulation ambiguë
n’ayant pas vocation à déroger à l’Article 2 (1) l) de
la Directive garanties financières ? La première interprétation est cependant confortée par l’examen des
travaux préparatoires de la Loi sur les garanties financières : « La définition de « fait entraînant l’exécution de la garantie » ne reprend pas le terme d’évènement « similaire » afin d’éviter des problèmes
d’interprétation de ce terme et de laisser la liberté
aux parties de définir les évènements pouvant provoquer la réalisation de la garantie » 43. Le Conseil
d’Etat semble aussi s’être rallié à cette interprétation : « Le Conseil d’Etat note que les auteurs du
projet de loi ont bien choisi le terme de « garanties
financières » et non celui de « sûretés ». Le choix des
notions dans ce contexte n’est pas anodin. La doctrine a pu définir les garanties comme étant « des
avantages spécifiques à un ou plusieurs créanciers
dont la finalité est de suppléer à l’exécution régulière
d’une obligation ou d’en prévenir l’exécution. La
notion de garantie aurait donc un caractère fonctionnel, alors que la sûreté se caractérise par une finalité
particulière » 44.
En conclusion, alors que la Directive maintient le
caractère d’accessoire de la sûreté par rapport à la
dette, la Loi sur les garanties financières semble instituer le gage comme étant une sûreté réelle autonome par rapport à la dette. Cette interprétation
semble partagée par les auteurs d’une contribution
récente, quand bien-même ces derniers relèvent les
difficultés conceptuelles soulevées par cette possibilité 45.
42. Suit l’énumération des différents modes de réalisation du gage.
43. Doc. parl. n° 5251, Commentaire des articles, p. 14, Ad Article 1.
44. Doc. parl. n° 5251-3, Avis du Conseil d’Etat luxembourgeois du
13 mars 2005, page 2.
45. H. Wagner et A. Djazayeri, art. cit., pages 40 s.
• Droit financier
Si, par conséquent, tel est bien le sens à conférer à
l’Article 1 de la Loi sur les garanties financières, il
faut alors admettre le caractère révolutionnaire de
ce texte par rapport à la théorie classique du droit
civil, qui veut qu’une sûreté ne soit que l’accessoire
de la dette, et constater qu’elle ouvre un champ de
perspectives jusqu’alors ignoré.
Des perspectives nouvelles en termes de réalisation
des garanties financières
Le plus fréquemment, le schéma contractuel de
financement implique, en cas de survenance d’un
quelconque cas de défaut (event of default) de la
part du débiteur, l’accélération de la dette, laquelle
devient alors due et exigible. Etant donnée l’asphyxie
financière du groupe cible, le paiement de la dette ne
pourra pas, bien souvent, être honoré. Dans un tel cas
de figure, la théorie classique du gage reposant sur
l’accessoire se suffit alors à elle-même pour déclencher l’événement générateur de réalisation du gage,
puisque la défaillance est établie. Cependant, il
apparaît qu’une accélération de la dette est problématique, dans la mesure où, à l’instant même où la
dette devient exigible, les entités emprunteuses et
garantes au niveau du groupe cible se trouvent ipso
facto en état de faillite. Les dirigeants de ces entités
ont alors pour obligation légale de demander l’ouverture de procédures d’insolvabilité … au risque que de
telles procédures aient pour effet de neutraliser,
interdire ou, plus largement, rendre plus difficile la
procédure de réalisation des garanties financières de
droit luxembourgeois. L’exigibilité de la dette pose
par conséquent un problème majeur du point de vue
de l’efficacité des sûretés.
L’idée germe alors de découpler évènement générateur de la réalisation de la garantie financière et exigibilité de la dette, et c’est ici que le caractère révolutionnaire de la Loi sur les garanties financières
prend toute sa dimension. Ainsi, pour ne prendre
qu’un seul exemple, considérons qu’un cas de défaut
(event of default) soit constitué par le non-respect
par le débiteur du ratio d’endettement permis par
rapport à ses fonds propres consolidés, tel que prévu
dans le cadre des documents de financement. Prenons pour hypothèse qu’aux termes de la documentation de financement, ce cas de défaut n’a pas
nécessairement pour effet d’entraîner l’exigibilité de
la dette. Cependant, à l’estime des prêteurs, la survenance de cet évènement peut être légitimement
perçue comme le signe avant-coureur d’une défaillance financière prochaine de l’emprunteur. Pour
autant que le contrat de gage ait prévu qu’un tel cas
soit compris au nombre des évènements générateurs
de la réalisation, la Loi sur les garanties financières
semble donner droit à la réalisation du gage, et ce,
sans que la dette soit chue et due. Ce faisant, la réalisation du gage pourra être menée sans qu’il y ait le
risque que soient ouvertes des procédures collectives
concomitantes susceptibles de venir menacer l’efficacité de la réalisation, puisque techniquement, un
tel cas de défaut n’est pas nécessairement constitutif
d’un état de faillite. Le tour est joué !
Une telle possibilité laisse rêveurs nombre d’observateurs non luxembourgeois, pour qui une telle perspective est tout simplement inconcevable sur la base
de leurs systèmes juridiques nationaux, lesquels systèmes juridiques demeurent fermement attachés à la
conception classique du gage comme sûreté accessoire d’une dette. Sur ce point, comme sur d’autres,
la Loi sur les garanties financières est un instrument
juridique hors de pair et confère au droit luxembourgeois un avantage comparatif indéniable. Cependant,
la mise en œuvre et les effets d’une réalisation
opérée dans ces conditions n’est pas sans susciter
certaines perplexités et interrogations.
B. Les interrogations liées au régime
et aux effets de la réalisation
Dans l’hypothèse précitée de réalisation d’un gage
sur base de la survenance d’un cas de défaut n’ayant
pas pour effet d’entraîner l’exigibilité anticipée de la
dette, on peut légitimement s’interroger quant au
mécanisme sous-tendant la distribution du produit de
la réalisation. Comment s’opère la décharge subséquente du constituant ou du débiteur principal ?
Comment la décharge peut-elle s’opérer en fait et en
droit alors que, par hypothèse, il n’y pas de montants
exigibles du fait de l’absence d’accélération de la
dette ? Dans le cadre d’un financement structuré,
l’agent des sûretés peut-il, en toute confiance, distribuer le produit de la réalisation entre les différents
prêteurs et opérer proportionnellement la décharge
au bénéfice du débiteur, alors même que celui-ci a
parfaitement assuré jusqu’alors le service de sa
dette ? L’agent des sûretés ne court-il pas le risque de
voir le débiteur saisir les tribunaux aux fins de constater et de sanctionner sa mauvaise foi consistant à le
priver définitivement de tous ses moyens de remboursement de sa dette que sont les avoirs gagés,
alors même qu’il a, jusqu’alors, respecté scrupuleusement ses échéances de remboursement ? Une telle
réalisation ne heurte-t-elle pas l’équité et les principes généraux du droit, tels que les principes
d’équité et bonne foi dans l’exécution des contrats
(Articles 1134, al. 3 et 1135 du Code civil) ? N’est-elle
pas constitutive d’un enrichissement sans cause,
source de responsabilité quasi-contractuelle 46 ?
46. Même si l’on admet que la Loi sur les garanties financières est
dérogatoire par rapport au gage de droit civil (en ce sens, Réf.
Luxembourg, 4 décembre 2009, N° 879/2009), on peut penser
que les principes généraux du droit des obligations s’appliquent
aux garanties financières.
ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 13
• Droit financier
L’agent des sûretés ne pourrait-il tout au plus que
s’approprier les avoirs gagés et les conserver sous
écrou jusqu’à la constatation d’un défaut de paiement ultérieur de la part du débiteur, l’autorisant
alors à vendre lesdits avoirs et en distribuer le produit
aux prêteurs 47 ?
Sur toutes ces questions cruciales, la Loi sur les
garanties financières ne fournit aucune indication
susceptible de calmer les inquiétudes que peuvent
nourrir les bénéficiaires de gages, et plus particulièrement les agents des sûretés. Or, ces derniers redoutent par-dessus tout que l’opération de réalisation dont ils ont la charge ne puisse être menée à
terme en toute sécurité juridique et que leur responsabilité puisse être engagée ultérieurement. En pratique, on peut penser qu’ils s’abstiendront prudemment de s’engager dans une telle voie, sauf à ce que
la Loi sur les garanties financières vienne leur donner
des assurances tangibles. Une telle abstention prive
d’effet une virtualité extrêmement attractive de la
Loi sur les garanties financières. On ne peut que le
regretter et espérer que le législateur luxembourgeois s’empare de cette question sensible.
3.2. La problématique de la
renonciation à tout droit de recours
de la part du constituant
La problématique dont il s’agit ayant fait l’objet d’un
exposé exhaustif 48, il convient seulement d’en rappeler les lignes essentielles. Dès lors que, par l’effet
de la réalisation du gage, le constituant a acquitté
tout ou partie de la dette, il se voit conféré un droit
légal de recours subrogatoire qu’il peut exercer à
l’encontre du débiteur principal et/ou des co-garants
de la dette. Le droit de subrogation légal du garant
est consacré par l’article 1251, al. 3, du Code civil
luxembourgeois : « La subrogation a lieu de plein
droit (…) au profit de celui qui, étant tenu avec
d’autres ou pour d’autres au paiement de la dette,
avait intérêt à l’acquitter ».
Le droit de subrogation légal au profit du constituant
du gage est en pratique particulièrement incompatible avec les mécanismes inhérents aux opérations
de financement structuré et à la réalisation des
gages. En effet, comme il a été justement souligné 49,
ce droit de subrogation s’exercera contre des entités
juridiques du groupe cible qui se trouveront, par suite
de la réalisation, sous le contrôle de l’acquéreur. Il
s’ensuit deux effets néfastes du point de vue du
créancier gagiste : le gage dont il dispose à une
valeur économique nulle par le fait même que, à la
47. En ce sens, H. Wagner et A. Djazayeri, art. cit., page 42.
48. P. Schleimer, art. cit., n° 26 s., pages 13 s.
49. P. Schleimer, art. cit., n° 27, pages 13 s.
ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 14
réalisation, il s’appropriera ou cèdera des avoirs
grevés d’une dette correspondant à la valeur de ces
avoirs. En second lieu, le créancier gagiste s’appropriera ou cèdera des avoirs générateurs d’une dette
équivalente à la valeur de réalisation. Ces deux effets
résultant du droit de subrogation légal sont naturellement dissuasifs et la raison veut alors que créancier
gagiste invite le constituant du gage à renoncer, par
avance, à ce droit.
Or, rien ne dit que la renonciation par avance au droit
de subrogation légal soit elle-même … légale. Le
doute à tout le moins existe, dans la mesure où ni la
jurisprudence ni la doctrine ne fournissent de guides
sûrs en la matière 50. Le caractère impératif ou non,
d’ordre public ou non, de l’article 1251, al. 3, du
Code civil demeure par conséquent une question
ouverte. La renonciation soulève également une interrogation en termes d’intérêt social du renonçant 51.
A raison de ce qui précède, il est souhaitable que la
Loi sur les garanties financières vienne confirmer expressément que le constituant puisse valablement
renoncer par avance au droit de subrogation légal. On
notera avec satisfaction que cette avancée a été inscrite au programme du projet de loi n° 6164 52,
déposé devant la Chambre des Députés le 30 juillet
2010. Il est en effet prévu d’insérer un nouveau paragraphe (6) à l’Article 2 de la Loi sur les garanties
financières, qui aura la teneur suivante : « Les parties à un contrat de garantie financière peuvent
convenir que le constituant de la garantie financière
renonce, en cas d’exécution de cette garantie, à tout
recours qu’il pourrait avoir contre le débiteur des
obligations financières couvertes. Une telle renonciation est valable entre (les) parties et (est) opposable aux tiers ».
3.3. La problématique du risque de
perception des droits d’enregistrement proportionnels
Si les praticiens peuvent se baser sur un certain
nombre de précédents pour résoudre la majorité des
questions de droit fiscal pouvant intervenir lors de la
50. P. Schleimer, art. cit., note infra-paginale 52, renvoie à un
auteur faisant autorité en doctrine française (Ph. Simler), et
dont l’exposé semble pouvoir être interprété de deux manières
diamétralement opposées.
51. Si tant est, bien entendu, que le renonçant soit une société
commerciale. P. Schleimer, art. cit., n° 28, p. 14, vide cette
dernière objection au moyen d’une argumentation classique,
mais non moins pertinente, selon laquelle l’intérêt social, du
point de vue du constituant luxembourgeois, est nécessairement constitué par l’octroi du crédit, sous condition de renonciation au droit de subrogation légal.
52. Projet de loi portant transposition de la directive 2009/110/CE
et de la directive 2009/44/CE, Doc. parl. 6164.
• Droit financier
réalisation d’un gage (on peut citer, s’agissant des
questions les plus fréquemment rencontrées, la possible réalisation de plus-values au moment lors de
vente de gré à gré ou au moment de l’appropriation
les biens gagés par le créancier gagiste ou les abandons de créances entre sociétés anciennement liées),
il demeure une incertitude au sujet des droits d’enregistrement et, en particulier, du droit d’enregistrement ad valorem de 0,24 % prélevé, en substance, sur
les valeurs exprimées dans les contrats de gage.
A. Position du problème
La problématique pratique est la suivante : aux termes des Articles 42 et 47 de la loi du 22 Frimaire an
VII, un juge luxembourgeois ne peut rendre aucun
jugement sur la base d’actes non enregistrés, à peine
d’être personnellement redevable du paiement des
droits d’enregistrement. S’agissant d’un contrat de
gage devant être soumis à l’enregistrement en ces
circonstances, la difficulté réside dans le fait que, le
plus souvent, sinon systématiquement, le contrat de
gage fait mention, plus ou moins en détail, du ou des
contrats de financement sous-jacents. Ces contrats
sous-jacents sont alors susceptibles de faire l’objet
de la perception du droit d’enregistrement ad valorem de 0,24 %, en particulier si les montants des
prêts figurent en toutes lettres dans le contrat de
gage. Etant donné le montant souvent élevé des prêts
(de plusieurs millions à plusieurs centaines de millions
d’euros), les montants en jeu de droits d’enregistrement ne seront pas modiques.
Sans entrer ici dans le détail de la base juridique de
la perception de ce droit 53, nous nous contenterons
de rappeler qu’à la lecture conjointe des dispositions
relatives au taux des droits d’enregistrement 54, sont
soumis au droit d’enregistrement, au taux effectif de
0,24 % 55, « les contrats, promesses de payer, arrêtés
de comptes, billets, mandats, les transactions de
sommes payées ou non ; les transports, cessions,
quittance subrogatoires et délégations de créances à
termes ; les délégations de prix stipulées dans un
contrat, pour acquitter des créances à terme envers
un tiers sans énonciation de titre enregistré, (…), les
conventions de crédit ouvert sur tout le montant de
l’ouverture de crédit et abstraction faite de la réalisation du crédit, ainsi que tous autres actes ou écrits,
qui contiendront obligation de sommes, sans libéra-
53. Un tel examen de détail a été fait par M. Junius-Gaston, La réalisation du gage en temps de crise : conséquences fiscales
« collatérales » ? Quelques pistes de réflexion, ALJB – Bulletin
Droit et Banque, n° 45, mai 2010, p. 46 s.
54. Le détail s’en trouve, d’une part, sous le chapitre V du volume
5 du code fiscal luxembourgeois, section « Enregistrement »,
et, d’autre part, dans la loi du 22 frimaire An VII, dont le détail
se trouve sous le chapitre XIX du volume 5 du code fiscal luxembourgeois, section « Enregistrement ».
55. Il s’agit d’un taux de 0,20 % majoré de 0.04 %.
lité et sans que l’obligation soit le prix d’une transmission de meubles ou d’immeubles non enregistrée ». Seules les notes, que l’on traduit généralement en français par « obligations », et, d’une
manière plus générale, les obligations de payer résultant d’un emprunt collectif fractionné en notes
d’égale valeur remboursables à une même date et
déclenchant un même intérêt, ne sont pas soumis à
ce droit d’enregistrement 56. A contrario, tout emprunt contracté sous une autre forme qu’un emprunt
collectif ne devrait donc pas échapper, en principe, à
la perception de ce droit.
Le risque effectif de perception des droits d’enregistrement dans les scénarios précités n’est donc pas
théorique 57 et est, semble-t-il, expressément confirmé par l’Administration de l’Enregistrement 58, même
si cette position de l’administration peut être considérée comme une interprétation extensive, et ce, à
un double titre, de la loi fiscale.
En premier lieu, cette interprétation consistant à
frapper des actes sous-jacents à l’acte soumis à l’enregistrement ne va-t-elle pas à l’encontre du principe
général, voire constitutionnel, d’interprétation stricte
du droit fiscal 59 ?
En second lieu, l’Article 26 de la Loi sur les garanties
financières dispose que les actes constatant un
contrat de garantie financière « sont enregistrés au
droit fixe s’ils sont présentés à la formalité de l’enregistrement ». N’y-a-t-il pas là le vœu clairement
exprimé par le législateur de soustraire les contrats
de garantie financière à la perception du droit proportionnel, laquelle irait à l’encontre de la démarche
proactive et favorable aux intérêts des opérateurs qui
inspire la Loi sur les garanties financières ? Si l’Article 26 de la Loi sur les garanties financières, ainsi
56. Cette exception figure en note explicative sous la section énumérant les différents taux des droits d’enregistrement applicables, Code fiscal, Vol. V, Titre 2, mise à jour au 1er janvier
2009, p. 24.
57. La question de l’incidence que peut avoir une telle disposition
dans les relations entre les parties au contrat de gage, mais
également plus en amont au moment de la mise en place des
garanties, peut légitimement se poser, en particulier dans un
contexte où un débiteur n’arrive plus à faire face à ses
échéances. Il est en effet probable que par le jeu des dispositions contractuelles, le créancier gagiste met ou mettra cette
charge additionnelle à la charge du constituant. Ce dernier
étant l’emprunteur ou le garant, toute charge venant à survenir du fait de la réalisation du gage devra être supportée par ce
dernier. Or en pratique, le constituant, au moment de la réalisation du gage, sera difficilement en position financière de
subir une telle charge qui peut s’élever, le cas échéant, à un
montant relativement substantiel. Il est donc probable que
cette charge reposera in fine sur le créancier gagiste, en tous
cas s’il souhaite faire valoir ses droits sur la base du contrat de
gage.
58. M. Junius-Gaston, art. cit., p. 49.
59. A. Steichen, Précis de droit fiscal de l’entreprise, Luxembourg,
2ème éd., 2002, p. 23.
ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 15
• Droit financier
que les travaux préparatoires de la loi, sont silencieux sur le point de savoir si par « actes constatant
un contrat de garantie financière », il faut également
comprendre les actes sous-jacents mentionnés dans
les contrats de garantie financière, on peut légitimement se demander si, implicitement mais assurément, le législateur n’a pas entendu également
couvrir tous les actes et obligations sous-jacents.
A défaut d’une telle interprétation téléologique, le
but poursuivi par l’Article 26, à savoir limiter l’incidence fiscale de la formalité de l’enregistrement, ne
serait pas atteint.
En dépit des contre-arguments juridiques que l’on
peut opposer à l’interprétation suivie par l’administration de l’enregistrement, le risque n’est cependant pas théorique et appelle une réflexion plus
avant visant à résoudre cette problématique, qui
génère de toute évidence une insécurité juridique défavorable.
B. Solution du problème
Deux approches distinctes sont envisageables. Une
première approche contractuelle se heurte cependant à des objections d’ordre pratique. Une seconde
approche de type normatif semble plus adéquate.
Les limites de l’approche contractuelle
S’inspirant d’une note de service de la Direction
de l’Enregistrement et des Domaines du 29 février
2008 60, on a pu proposer une première approche de
contournement du problème consistant à ne pas mentionner le contrat de financement sous-jacent, ou, à
tout le moins son montant, dans le contrat de gage
lui-même 61. Cette approche est une application spécifique d’une pratique déjà couramment employée en
matière d’apports de créances.
Cette solution ne semble cependant que partiellement satisfaisante, dans la mesure où elle se heurte
à une objection d’ordre pratique. On imagine en effet
assez malaisément un contrat de gage qui ne ferait
aucune référence quelque peu précise à la créance
originelle qu’il a pour objet de sécuriser. Il existe un
lien ontologique et indissociable entre le gage et la
dette sous-jacente et le contrat de gage doit nécessairement le refléter. Outre cela, il y va de la sécurité des parties à la transaction. On imagine difficilement un débiteur accorder un « blanc-seing » sur ses
actifs sans que l’on puisse se référer avec certitude à
la créance garantie, à la fois dans son montant et
dans sa durée. Une telle omission de la mention de la
dette sous-jacente dans le contrat de financement
semblera d’autant plus hasardeuse s’il existe des
60. Cité par M. Junius-Gaston art. cit., p. 49.
61. M. Junius-Gaston art. cit., p. 50.
ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 16
créanciers de rangs différents bénéficiant chacun de
nantissements sur les mêmes actifs du constituant, si
la créance à l’origine du gage est cédée ou est remboursée, en tout ou partie.
Les avantages d’une approche normative
Une autre approche consisterait à adresser la problématique du point de vue normatif, qui serait de nature à conférer une plus grande sécurité juridique.
Indiquons d’emblée que cette approche normative ne
préjuge pas des résultats auxquels elle pourrait aboutir. En effet, la problématique de la perception des
droits d’enregistrement s’inscrit dans la politique fiscale globale suivie par le Luxembourg et tous les
paramètres de cette politique doivent être appréciés
à cet égard. En particulier, le budget de l’Etat peutil s’accommoder de la suppression du droit d’enregistrement proportionnel prélevé sur la base des
contrats de gage ? D’autres considérations doivent
également être prises en considération : vis-à-vis des
juridictions étrangères faisant directement concurrence au Luxembourg en matière de financements
structurés, le Luxembourg peut-il se permettre de
soumettre les contrats de gage à des droits proportionnels dont les montants peuvent être éventuellement élevés ? Dans le même ordre d’idées, le
Luxembourg peut-il prendre le risque de voir des procédures judiciaires ayant pour objet la contestation
de la validité du droit d’enregistrement proportionnel
prélevé sur la base d’un contrat de gage et dont le
retentissement à l’étranger pourrait être défavorable
aux intérêts luxembourgeois ? L’approche normative
peut se situer à différents niveaux.
A un premier niveau, on peut envisager une initiative
prise par l’administration de l’enregistrement ellemême, laquelle confirmerait expressément sa position, par exemple dans le cadre d’une circulaire.
A un second niveau, qui peut paraître plus adéquat en
termes de sécurité juridique, on peut penser qu’il
serait souhaitable que l’Article 26 de la Loi sur les
garanties financières précise expressément, si telle
est la voie choisie, que par « actes constatant un
contrat de garantie financière », il faut y inclure les
actes ou obligations mentionnés expressément ou
implicitement dans lesdits actes constatant un
contrat de garantie financière.
4. Section 3. Les effets de la
réalisation des garanties
financières
La Loi sur les garanties financières suscite deux difficultés particulières, tenant, en premier lieu, aux
effets d’une réalisation opérée en violation de la Loi
• Droit financier
sur les garanties financières (4.1) et, en second lieu,
au champ d’application du contrôle judiciaire (4.2).
4.1. Effets d’une réalisation opérée
en violation de la Loi sur les
garanties financières
A. Position du problème
Une réalisation contra legem d’une garantie financière peut s’envisager à différents niveaux.
Il se peut d’abord qu’une des conditions essentielles
du droit des obligations soit enfreinte : on peut songer à un vice du consentement ou à une contestation
relative aux droits du créancier gagiste opérant la
réalisation. Tel pourrait être le cas, par exemple,
d’un créancier gagiste de second rang qui réaliserait
le gage en violation des droits du créancier gagiste de
premier rang. On doit cependant constater que de
telles situations débordent le champ de la Loi sur les
garanties financières. Il s’agira de contraventions au
droit des obligations en général, et, par conséquent,
on peut penser que les sanctions attachées par le
droit des obligations à la violation de ces conditions
de formation ou d’exécution des obligations, que ce
soit, selon les cas, par la nullité du contrat, l’inexistence d’une clause non écrite, la résolution judiciaire, la modification judiciaire ou la mise en œuvre de
la responsabilité contractuelle, doivent s’appliquer,
sans que la Loi sur les garanties financières n’y ait
rien à y retrancher ou à y ajouter. Il n’y a dès lors pas
lieu d’analyser davantage ces situations.
D’autres situations visent le cas où la réalisation
s’opèrerait en violation des stipulations contractuelles conclues entre les parties, telles que ces obligations figurent dans les contrats de financement ou
d’autres contrats (p. ex., dans le cadre d’un financement structuré, un intercreditor agreement qui a
pour objet de prévoir les droits et obligations des différentes catégories de prêteurs). On peut penser que,
là aussi, la Loi sur les garanties financières est extérieure à la violation de ces obligations contractuelles.
Les sanctions y attachées résulteront soit des dispositions contractuelles elles-mêmes, soit de la loi qui
leur est applicable 62. Il n’y a pas non plus lieu d’examiner plus avant ces cas de figure.
Il se peut encore que les modalités de réalisation du
gage ne correspondent pas à l’un des modes de réalisation visés par la Loi sur les garanties financières. Tel
pourrait être le cas, comme nous l’avons vu, d’une
réalisation opérée sous la forme exprimée d’une
62. En règle générale, le droit luxembourgeois n’est pas désigné
par les parties comme étant le droit gouvernant ces obligations
contractuelles.
vente de gré à gré mais qui doit être requalifiée en
échange, c’est-à-dire selon une modalité de réalisation ignorée par la Loi sur les garanties financières.
Enfin, s’agissant de la réalisation sous forme de vente
de gré à gré, on ne peut ignorer l’éventualité qu’une
telle vente ne soit pas faite à des « conditions commerciales normales ». Dans ces deux dernières hypothèses (mode de réalisation non autorisé par la Loi sur
les garanties financières, violation des « conditions
commerciales normales »), c’est bien le respect des
dispositions de la Loi sur les garanties financières qui
est en cause et qui doit retenir notre attention. Quelles sont les sanctions et, plus généralement, les
effets qui s’attachent à de telles hypothèses ? Ni la
Directive garanties financières ni la Loi sur les garanties financières n’apportent de réponses, ni-mêmes
ne fournissent la moindre indication. Or, la question
est cruciale pour chacune des parties. Elle l’est pour
le constituant du gage, qui est en droit de savoir
quelles sont les sanctions auxquels sont exposées les
autre parties, en particulier le créancier gagiste, au
cas où ce dernier enfreindrait les dispositions de la
Loi sur les garanties financières et porterait atteinte
à ses droits. La question est tout autant cruciale pour
le créancier gagiste, qui peut légitimement se
demander à quels risques il s’expose dans l’hypothèse
d’une réalisation non conforme à la Loi sur les garanties financières. La question est cruciale, enfin, pour
l’acquéreur des biens ayant fait l’objet de la réalisation au moyen d’une vente de gré à gré : selon qu’il
pourra être considéré comme ayant agi de bonne foi
ou non, sera-t-il, le cas échéant, tenu de restituer les
biens acquis ?
A défaut de réponses susceptibles d’être fournies par
la Directive ou la Loi sur les garanties financières, les
effets d’une réalisation faite en violation de la Loi sur
les garanties financières sont, a priori, de trois ordres
possibles : annulation de la réalisation, octroi de
dommages et intérêts, et/ou révision judiciaire.
B. Analyse du problème
La théorie des nullités virtuelles fait peser une épée
de Damoclès sur la réalisation des garanties financières et appelle, par là-même, une intervention
législative. Cette première conclusion conduit à s’interroger sur la direction que devrait prendre une telle
intervention.
La théorie des nullités virtuelles appelle une intervention législative
La nullité « consiste en une sanction produite par la
réaction de l’ordre juridique à la violation de la loi
dans la conclusion de l’acte » 63. Cette sanction, obli-
63. C. Thibierge, Nullité, restitutions et responsabilité, Paris,
1992, n° 927.
ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 17
• Droit financier
geant les parties à effectuer la restitution de ce qui a
fait l’objet de l’opération incriminée, entraîne un retour au statu quo ante : elle consiste à remettre les
parties dans l’état où elles se trouvaient si le contrat
n’avait pas été conclu 64. La nullité offre l’avantage
de la simplicité 65.
Etant donné le caractère pour le moins radical des
effets de la nullité sur les parties, la question se pose
de savoir si toute nullité ne doit pas nécessairement
avoir un fondement textuel, émanant d’une volonté
exprimée par le législateur de sanctionner par
l’anéantissement tout acte juridique ayant contrevenu à telles prévisions de la loi. La règle « pas de
nullité sans texte » est-elle d’application générale
et, si tel est le cas, peut-on en déduire de ce que la
Loi sur les garanties financières ne frappant pas expressément de nullité la violation de ses dispositions,
que les tribunaux ne pourraient en faire application ?
La règle « pas de nullité sans texte » prévaut en effet
pour certaines institutions qui intéressent les tiers et,
à travers eux, la société 66. Ainsi en va-t-il notamment
en matière de mariage 67 et de sociétés 68. Il n’existe
pas, à notre connaissance, une extension de ce principe au droit des sûretés. A défaut, les tribunaux
pourraient-ils, le cas échéant, prononcer l’annulation
de la réalisation dans le silence de la Loi sur les
garanties financières ? C’est tout le débat autour des
nullités textuelles et des nullités virtuelles qui est en
jeu. A défaut de texte édictant les cas de nullités, on
considère que le silence de la loi ne fait pas, à lui
seul, obstacle au prononcé de la nullité, laquelle, si
elle est prononcée, est alors dite virtuelle 69. Il faut
cependant que les intérêts en jeu soient suffisamment importants pour justifier une telle sanction 70 et
il revient à la jurisprudence de résoudre la question
règle par règle 71. Par conséquent, il est insuffisant,
pour pouvoir conclure que la Loi sur les garanties
financières exclurait l’annulation d’une réalisation
violant ses dispositions, de tirer argument du silence
de la loi sur ce point.
que cet esprit serait traduit dans ses travaux préparatoires et/ou dans les dispositions mêmes de la Loi
sur les Garanties financières. S’agissant des travaux
préparatoires, on a fait valoir le commentaire de
l’Article 11 du projet de loi sur les garanties financières, aux termes duquel le créancier gagiste engagerait sa responsabilité s’il ne respectait pas la condition des « conditions commerciales normales » 73.
Peut-on en déduire que cette référence à la responsabilité n’équivaudrait qu’à la mise en cause de la responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle,
selon les cas, se résolvant en dommages et intérêts,
et excluant par conséquent la sanction de l’annulation ? S’agissant de la Loi sur les garanties financières
elle-même, on peut être tenté de se fonder sur la
volonté politique qui s’y trouve imprimée de voir
immuniser, dans toute la mesure possible, l’exécution
des garanties financières et de favoriser la sécurité
juridique au profit des détenteurs de garanties financières.
On pouvait cependant se demander, et on s’est en
effet demandé 72, si, à défaut d’une affirmation expresse de la Loi sur les garanties financières, il était
possible de tirer argument de l’« esprit » de la loi, tel
Les sources précitées sont cependant extrêmement
incertaines. Sans même ranimer la question de la
force juridique attribuable aux travaux préparatoires
d’une loi, on ne peut tout d’abord que s’interroger
sur le point de savoir si le commentaire de l’Article 11
du projet de Loi sur les garanties financières vaut
exclusion expresse de la nullité 74. On peut se demander s’il ne s’agit pas seulement d’une formulation
très générale par laquelle il est simplement rappelé
que tout abus dans la réalisation que commettrait le
créancier gagiste doit être sanctionné, l’irrespect des
« conditions commerciales normales » constituant la
mesure de l’abus. S’agissant de l’« esprit » de la Loi
sur les garanties financières elle-même, il est également extrêmement difficile, sinon impossible, d’en
déduire que le souci de sécurité juridique qui l’anime
exclurait ipso facto tel ou tel type de sanctions en cas
de violation de ses dispositions. Comme certains commentateurs l’ont fait 75 et comme nous-mêmes l’envisagerons plus avant, une telle analyse permet davantage de cerner des lignes directrices en termes
d’intervention judiciaire permise que d’en tirer de
véritables conclusions quant aux sanctions pouvant
résulter de l’irrespect de la Loi sur les garanties
financières.
64. C. Thibierge, op. cit., n° 928.
65. L. Fin-Langer, L’équilibre contractuel, Paris, 2002, p. 334.
66. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Les obligations, 7ème éd.,
Paris, 1999, n° 79, p. 92.
67. F. Terré et D. Fenouillet, Les personnes, La famille, Les incapacités, Paris, n° 292 s.
68. A. Steichen, Précis de droit des sociétés, 2ème éd., Luxembourg, 2010, p. 176 s.
69. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, op. cit., ibid.
70. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, op. cit., ibid. Les auteurs
citent à l’appui Planiol et Ripert, ainsi que J. Ghestin.
71. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, op. cit., ibid.
72. P. Schleimer, art. cit., n° 30, p. 15.
73. Doc. parl. n° 5251, Commentaire des articles, p. 19, Ad Article
11. Eg. en ce sens ibid., p. 21, mais dans le contexte très particulier de l’Article 20(4) de la Loi sur les garanties financières.
74. V. les intéressants développements de P. Hurt, La compensation
comme garantie d’une créance sur un débiteur en faillite, JT
Luxembourg, préc., p. 40, n° 63 s., par lesquels l’auteur s’insurge contre une interprétation de la Loi sur les garanties
financières aboutissant à exclure la nullité de la garantie en cas
de fraude entre les parties. L’auteur se fonde sur le principe
fraus omnia corrumpit.
75. P. Schleimer, art. cit., n° 29 s., p. 14 s.
ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 18
• Droit financier
L’incertitude qui entoure la nature des sanctions
frappant la violation de la Loi sur les garanties financières est préjudiciable. Des précisions législatives
seraient par conséquent les bienvenues. Reste à savoir dans quel sens ces précisions pourraient –
devraient – s’orienter.
Le sens de l’intervention législative
Il convient d’examiner tour à tour les trois ordres de
sanctions envisageables : annulation de la réalisation,
pouvoir de révision judiciaire, indemnisation déduite
de la mise en jeu de la responsabilité contractuelle
ou délictuelle.
Le caractère inadapté de l’annulation de la réalisation du gage
La question doit être envisagée selon une perspective
pratique : l’annulation de l’opération de réalisation
d’une garantie financière est-elle souhaitable ? Estelle même envisageable en pratique ?
On a fait valoir de longue date combien la nullité, de
par sa radicalité, est particulièrement rigoureuse.
Elle conduit à détruire une situation de droit déséquilibrée mais qui peut rester utile, surtout si elle est
susceptible de correction ou, à défaut, de juste compensation 76. A raison du caractère rétroactif de la
nullité, on a également souligné combien elle entraîne des restitutions parfois difficiles, voire impossibles à réaliser 77. Or, tel est précisément le cas en
matière de réalisation de garanties financières.
Comme nous l’avons déjà souligné 78, l’opération de
réalisation des garanties financières n’est, dans le
contexte des restructurations de dettes, que l’un des
maillons initiaux d’une chaîne d’opérations multiples
et complexes. Au surplus, la réalisation des garanties
financières s’inscrit dans le cadre d’une restructuration dont les enjeux financiers (desserrement de l’asphyxie financière éprouvée par le groupe cible),
industriels (assurer la viabilité du groupe cible) et
sociaux (sauvegarder les emplois au sein du groupe
cible) sont considérables. Il ne peut par conséquent
être raisonnablement question de remettre en cause
l’intégralité de la restructuration au seul motif que la
réalisation des garanties financières sous forme de
vente de gré à gré n’aurait pas été faite en conformité avec « les conditions commerciales normales »
ou que la vente doive être requalifiée en échange ou
76. P. ex. Perrin, Essai sur la réductibilité des obligations excessives, Th. Paris, 1905, p. 290 ; Ph. Simler, La nullité partielle
des actes juridiques, Th. Strasbourg, 1968, n° 225 s.; R. Marty,
De l’absence partielle de cause de l’obligation et de son
contrôle dans les contrats à titre onéreux, Th. Paris II, 1995,
n° 356 (tous ces travaux sont cités par L. Fin-Langer, op. cit.,
p. 340, note infra-paginale n° 429).
77. L. Fin-Langer, op. cit., n° 493, p. 340.
78. Note infra-paginale n° 11.
en autre type de contrat non visé par la Loi sur les
garanties financières.
La sanction de la nullité paraissant de toute évidence
inapplicable en la matière, les solutions alternatives
peuvent consister soit dans un pouvoir de révision
judiciaire octroyé par la Loi sur les garanties financières, soit dans la mise en jeu de la responsabilité
contractuelle donnant droit à réparation du dommage.
Les limites du pouvoir de révision judiciaire
Le pouvoir de révision judiciaire présente un certain
nombre d’avantages qu’il serait trop long d’énumérer
ici 79, mais qui peuvent se résumer en l’idée d’une
intervention de la part d’un professionnel du droit,
neutre par rapport aux parties, et permettant, dans
le meilleur des cas, de rétablir l’équilibre contractuel
défaillant. Cependant, le pouvoir de révision judiciaire comporte un handicap majeur : l’insécurité
juridique. A moins d’être strictement encadré par la
loi, ce qui, dans une certaine mesure, lui fait alors
perdre sa raison d’être, le champ de l’intervention
judiciaire est ouvert et laisse les parties dans l’incertitude des modes d’intervention auquel le juge pourra avoir recours, de même que les conséquences qui
résulteraient de cette intervention judiciaire. S’agissant d’un domaine juridique comme celui des garanties financières, qui requiert par-dessus tout la sécurité juridique, consacrer un pouvoir d’intervention
judiciaire paraît ouvrir une nouvelle boîte de Pandore.
La responsabilité contractuelle/extra-contractuelle
Demeure alors l’option de la mise en jeu de la responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle. C’est
une responsabilité contractuelle d’un type particulier
dont il s’agira, dans la mesure où, à la faute contractuelle au sens de la responsabilité contractuelle classique, se substituera la constatation judiciaire d’une
faute résultant de la violation d’une ou plusieurs dispositions de la Loi sur les garanties financières. En
revanche, l’indemnisation devrait être, selon le
schéma classique, évaluée à la hauteur du préjudice
subi par l’une ou plusieurs des parties en cause, voire
par les tiers, auquel cas la responsabilité contractuelle dégénèrera en responsabilité extra-contractuelle. S’agissant de l’hypothèse de requalification de
la vente en un autre type de contrat, se posera alors
probablement la question de savoir si un dommage
quelconque a pu résulter, pour le constituant ou pour
les tiers, du fait que la réalisation ne se serait pas
opérée par une vente mais, par exemple, en vertu
d’un échange.
79. Voy. les longs développements consacrés à ce sujet par L. FinLanger, op. cit., p. 366 s.
ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 19
• Droit financier
Sous réserve de ces limites et précisions, on peut
penser, à tout le moins, qu’une consécration par la
Loi sur les garanties financières au terme de laquelle
l’irrespect des « conditions commerciales normales »
ne serait sanctionné que par l’engagement de la
responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle
du créancier gagiste et par l’octroi de dommages et
intérêts au bénéfice de celui qui prouve un dommage,
serait une précision bienvenue, tant pour des motifs
de sécurité juridique que d’équilibre contractuel.
4.2. Le champ d’action du contrôle
judiciaire
A. Pour la consécration d’un contrôle
judiciaire a posteriori
La sécurité juridique, qui est, on ne le répètera
jamais assez, l’un des principes directeurs de la Loi
sur les garanties financières, requiert que les expectatives des parties en cause à la réalisation des garanties financières, ne soit pas menacée par le risque
d’un interventionnisme judiciaire extensif. Pour
autant que le rôle du juge soit nécessaire pour sanctionner, le cas échéant, l’infraction aux dispositions
légales ou aux obligations contractuelles, encore
faut-il le cantonner à une juste mesure. C’est là un
point essentiel qui n’a pas échappé aux commentateurs de la Loi sur les garanties financières, lesquels
y ont consacré des développements auxquels il
convient de renvoyer 80.
Rappelons simplement que la Loi sur les garanties
financières, contrairement aux législations de certains autres Etats membres 81, n’a pas pris à son
compte une option ouverte par la Directive garanties
financières, à savoir la possibilité de ne permettre
qu’un contrôle judiciaire a posteriori de la réalisation
des garanties financières 82. Sous réserve de ce que
80. En particulier, P. Schleimer, art. cit., n° 29 s.
81. P. ex. Articles 8, paragraphe 3 in fine, et 9, paragraphe 2, in
fine, de la loi belge du 15 décembre 2004 relative aux sûretés
financières (Moniteur Belge, 1er février 2005, p. 2961).
82. Considérant 17 Directive garanties financières: « La présente
directive prévoit des procédures d’exécution rapides et non formelles afin de préserver la stabilité financière et de limiter les
effets de contagion en cas de défaillance d’une partie à un
contrat de garantie financière. Elle concilie cependant ces objectifs avec la protection du constituant de la garantie et des
tiers en confirmant expressément la possibilité pour les Etats
membres de conserver ou d’introduire dans leur législation
nationale un contrôle a posteriori que les tribunaux peuvent
exercer en ce qui concerne la réalisation ou l’évaluation de la
garantie financière et le calcul des obligations couvertes. Ce
contrôle devrait permettre aux autorités judiciaires de vérifier
que la réalisation ou l’évaluation a été effectuée à des conditions commerciales normales ». On peut noter que, de façon curieuse, cette option envisagée par le Considérant 17 n’a pas été
reprise dans les articles de la Directive garanties financières.
ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 20
ces législations entendent exactement par contrôle a
posteriori, il demeure que la Loi sur les garanties
financières pêche par son abstention caractérisée sur
cette question importante qu’est le champ d’action
du contrôle judiciaire. Or, étant donné les enjeux
financiers en cause et les sacrifices auxquels, de gré
ou de force, doivent consentir certaines parties, le
risque contentieux est loin d’être négligeable, impliquant au surplus, étant donné la grande complexité
des transactions en cause, des frais considérables, et
promettant aux parties de longues années de bataille
judiciaire. Pour autant, le contrôle judiciaire doit
exister. Un juste équilibre doit donc être trouvé.
La question s’ancre dans le moment à compter duquel
l’intervention judiciaire est permise. Ce contrôle
doit-il être éventuellement préventif par rapport à la
réalisation, afin d’empêcher que l’irréparable ne
puisse être commis, ou ne peut-il être que postérieur
à la réalisation, permettant ainsi au créancier gagiste de mettre en œuvre ses droits de réalisation sans
entraves ? De toute évidence, le contrôle ne peut
être qu’a posteriori, sauf à priver d’efficacité l’un
des leitmotivs de la Loi sur les garanties financières,
à savoir permettre au créancier gagiste de réaliser le
gage par vente de gré à gré, sans que soit ajoutées
des contraintes, judiciaires ou extra-judiciaires,
autres que le respect des conditions posées par son
Article 11 (1), b). Admettre un contrôle préventif
reviendrait implicitement à reconnaître la possibilité
pour une partie de faire, sinon approuver, du moins,
ce qui revient somme toute à la même chose, faire
examiner judiciairement la réalisation par anticipation. Or la Directive garanties financières prohibe
expressément l’exigence légale d’une telle approbation judiciaire préalable 83.
Sur ces bases, on ne peut par conséquent que souhaiter que la Loi sur les garanties financières, à l’instar
d’autres législations des Etats membres, vienne
consacrer ce principe de contrôle judiciaire a posteriori, ainsi que l’y autorise expressément la Directive
garanties financières.
Encore peut-on se demander ce qu’il convient alors
d’entendre par « contrôle judiciaire a posteriori » :
ce contrôle ne peut-il être qu’un contrôle au fond ou
peut-il également s’entendre de mesures d’urgence
obtenues par voie de requête ou de référé ?
B. La limitation des mesures
d’urgence ?
La question est devenue d’une actualité brûlante
depuis que plusieurs actions en référé ont été lancées
à peu de temps d’intervalle à la suite de réalisations
83. Article 4 (4) b) Directive garanties financières.
• Droit financier
de garanties financières 84. Ces actions ont visé, en
particulier, à demander au juge des référés de déclarer la suspension des effets de la réalisation des
gages, jusqu’à ce qu’une décision au fond soit rendue. Par deux fois, le juge des référés a, en première
instance, déclaré la demande recevable et ordonné le
séquestre judiciaire des avoirs 85. Dans la première
affaire, l’ordonnance a cependant été réformée en
appel 86. Quoiqu’il en soit du cas d’espèce dans chacune de ces affaires 87, on observe que le juge des
référés n’exclut pas un pouvoir d’intervention en ce
domaine. Que faut-il en penser ?
Certains commentateurs en appellent à une attitude
prudente de la part du juge de l’urgence, et ce, sur
le fondement des buts et objectifs poursuivis par la
Loi sur les garanties financières. A leur estime, seuls
des abus ou des manœuvres illicites manifestes risquant de causer un préjudice irrémédiable seraient
de nature à justifier la recevabilité de telles
actions 88. On peut également se demander si la nature des effets possiblement encourus à l’occasion
d’une action au fond ne serait pas également propre
à influer sur la recevabilité de telles actions. Ainsi,
s’il est envisageable, en droit, que le juge du fond
prononce l’annulation de la réalisation, avec pour
conséquence la restitution des avoirs, on comprend
bien alors que la partie qui s’estime lésée du fait de
la réalisation souhaite éviter le risque de dissipation
des avoirs, qui rendrait la restitution impossible ou
plus difficile en pratique. A cet égard, une demande
dans l’urgence en gel des effets de la réalisation et en
nomination d’un séquestre judiciaire peut permettre
d’obvier ce risque. En revanche, dès lors que la seule
sanction possiblement décidée par les juges du fond
ne peut consister qu’en l’octroi de dommages et
intérêts, la justification d’une action en référé apparaît bien moins fondée. On peut alors se demander,
dans l’hypothèse où, par exemple, la Loi sur les
garanties financières ne sanctionnerait la violation
des « conditions commerciales normales » que par
l’octroi de dommages et intérêts, si une limitation
corrélative des éventuelles mesures judiciaires préventives ne devrait pas être également envisagée.
84. Trib. arr. Luxembourg, référé, 19 mars 2009, réf. N° 185/2009,
120120, 120230 et 120275 du rôle ; Cour, appel référé, 3 juin
2009, n° 34674 du rôle ; Trib. arr. Luxembourg, référé,
4 décembre 2009, réf. N° 123551 du rôle.
85. Trib. Arr. Luxembourg, référé, 19 mars 2009, préc. ; Trib. arr.
Luxembourg, référé, 4 décembre 2009, préc.
86. Cour, appel référé, 3 juin 2009, préc.
87. Pour un examen plus analytique de cette jurisprudence,
P. Schleimer, art. cit., n° 29 s.
88. P. Schleimer, art. cit., n° 33.
5. Conclusion
La Loi sur les garanties financières constitue un instrument juridique remarquable au service de la
place financière luxembourgeoise, de ses acteurs et
des investisseurs. A l’occasion de son œuvre de transposition de la Directive garanties financières, le législateur luxembourgeois a eu à cœur de combiner le
« meilleur des deux mondes », par l’intégration au
sein d’un même instrument des avancées représentées par la Directive garantie financières et des
acquis importants qu’avait préalablement mis en
place la législation luxembourgeoise. Il n’est par conséquent nullement souhaitable de bouleverser cette
savante construction juridique qui, pour l’essentiel, a
donné ce qu’elle promettait. Pour autant, toute législation, en particulier dans le domaine du droit financier, est par nature évolutive et doit tenir compte
tant de l’évolution du contexte économique, financier et juridique que des leçons de la pratique. A ce
dernier égard, les opérations de réalisation des
garanties financières intervenues depuis le déclenchement de la crise financière ont suscité nombre
d’interrogations sur lesquelles il serait souhaitable
que le législateur luxembourgeois se penche, afin que
la Loi sur les garanties financières puisse continuer de
tenir, voire de parfaire, sa position d’instrument juridique de référence et que la sécurité juridique, qui
est au cœur de son système, soit encore davantage
assurée. Les autorités luxembourgeoises ne s’y sont
du reste pas trompées en insérant dans un projet de
loi tout dernièrement déposé devant la Chambre des
Députés un projet d’amendement bienvenu relatif à
la validité de la renonciation par le constituant à tout
droit de recours après réalisation 89. C’est un premier
pas qui, nous en avons l’espoir, sera accompagné
d’autres initiatives allant dans le même sens et dont
certaines ont pu être esquissées dans le cadre du présent article.
89. Projet de loi portant transposition de la directive 2009/110/CE
et de la directive 2009/44/CE préc., Doc. parl. 6164.
ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 21
• Droit des sociétés
Apport en société non-rémunéré par
l’émission de nouveaux titres de société
Danielle Kolbach,
Avocat à la Cour
Admise au Barreau de New York
La notion de prime d’émission
Traditionnellement les associés font des apports au capital à la société dans laquelle ils détiennent une participation contre l’émission de nouveaux titres représentatifs du capital.
Souvent, les actionnaires qui souhaitent souscrire à des actions après que la société ait eu une activité, se voient
obligés de libérer en plus du capital, une prime d’émission. Cette prime d’émission assurera l’équilibre entre
les actionnaires de la première minute et les nouveaux actionnaires du fait de la dilution (dans les profits
reportés qu’on retrouve dans la société) qui résulterait de l’émission de nouvelles actions, et la participation de
ces actions dans le capital et les distributions de la société.
La prime d’émission est donc un « surplus » payé par un nouvel actionnaire au moment de l’émission de nouvelles
actions. La prime d’émission est traditionnellement assimilée au capital social, comme le sont les réserves
(légales ou statutaires). La prime est donc un supplément d’apport qui n’est pas rémunéré par l’attribution de
droits d’associé, peu importe d’ailleurs que l’apport soit en numéraire ou en nature.
Traditionnellement on rencontre les primes d’émission au moment de la constitution d’une société ou au moment
d’une augmentation de capital, voir même en cas de fusion. La fonction primaire d’une prime est d’éviter une
dilution des actionnaires existants et une rupture d’égalité entre les actionnaires anciens et nouveaux au
moment d’une augmentation de capital 1.
La pratique à Luxembourg tend cependant à recourir aux primes d’émissions dans des buts autres que de faire
l’équilibre entre les anciens et les nouveaux actionnaires. Souvent les praticiens recourent aux primes d’émission
pour permettre à une société de procéder de façon régulière dans le temps à des « paiements » aux actionnaires.
Le paiement de dividendes présuppose cependant la réalisation de profits, sauf si la société a d’autres réserves
disponibles. Or les primes d’émission sont (sauf en cas de pertes qui entacheraient ces primes), disponibles pour
une distribution aux actionnaires sous forme de distribution de prime ou même distribution de dividendes
intérimaires.
Les primes d’émission peuvent également être utilisées pour apurer les pertes d’une société sans toutefois
grever le capital social 2.
De plus, le « paiement de dividendes prélevés sur les primes » ne constitue pas un dividende classique, mais
équivaut à un remboursement de l’apport et échappe aux règles parfois strictes sur le paiement d’un dividende
(ceci était d’autant plus vrai à une époque où le paiement d’acomptes sur dividendes ne pouvait se faire qu’à
certaines époques et à des intervalles limités).
La doctrine française 3 n’a cependant pas critiqué la validité de ces primes d’émission (à un moment où le législateur en France n’avait pas encore consacré implicitement la validité des primes d’émission), alors que ce
procédé crée des ressources à la société sans toutefois grever le capital et donne des garanties additionnelles
aux tiers.
1. P. Didier et M. Marteau-Petit, dans l’Encyclopédie Dalloz, v° Prime d’émission, n°4.
2. Cette pratique a d’ailleurs donné lieu dans le passé é certains abus et le krach de l’Union Générale en est un bon exemple. On faisait
croire à la valeur des titres et à la prospérité de cette société et ceci malgré le déclin des bénéfices de cette dernière. Cité par P. Didier
et M. Marteau-Petit, dans l’Encyclopédie Dalloz, v° Prime d’émission, n°3.
3. Houpin, Du caractère et de l’affectation de la prime d’émission d’actions, Rev. Soc. 1915, 145 ; Lyon-Caen, De l’émission des actions
au-dessus du pair, Rev. Soc. 1909, 186.
ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 22
• Droit des sociétés
Ces dernières années on voit de plus en plus souvent des apports en société qui ne sont pas rémunérés par
l’émission de nouvelles actions et ceci en-dehors du cas classique d’une augmentation de capital. Donc on voit
des apports qu’on peut assimiler à une prime d’émission, sans qu’il y ait une émission quelconque. L’apport fait
par l’apporteur ne peut donc pas être qualifié de « prime d’émission » au sens stricte du terme, comme ce n’est
pas une « prime » (donc surplus) payée au moment de l’émission de nouvelles actions.
Mais le fait qu’un apport en société qui ne soit pas une « prime d’émission », n’exclut pas nécessairement la
possibilité de faire en toute légalité des apports non-rémunérés par des titres représentatifs en actions. Il faut
cependant se poser la question si un « apport en société non-rémunéré par des titres » ne risque pas d’être
requalifié.
1. Les risques de requalifications d’un apport en société
qui n’est pas rémunéré par
l’attribution de nouveaux titres
1.1. Prêt ?
Héritage du droit romain, l’article 1874 du code civil
distingue deux types de prêts : le prêt à usage (encore appelé commodat) et le prêt de consommation
ou simple prêt (encore appelé mutuum).
Selon l’article 1875 du code civil, le prêt à usage est
un contrat synallagmatique selon lequel le prêteur
livre un bien (non consomptible) à l’emprunteur, à
charge par l’emprunteur de le rendre après s’en être
servi. Ce contrat est un contrat à titre gratuit 4, et le
prêteur demeure propriétaire de la chose prêtée 5.
Selon l’article 1892 du code civil, un simple prêt est
un contrat synallagmatique par lequel le prêteur
remet un bien (fongible et qui se consomme par
l’usage) ou une somme d’argent à l’emprunteur à
charge de lui en restituer autant de même espèce et
qualité ou la même somme d’argent. Le mutuum est
normalement (mais pas obligatoirement) rémunéré.
La rémunération s’appelle « intérêts » 6. Le code civil
traite du prêt à intérêt (qui est un cas particulier du
mutuum) aux articles 1905 et suivants.
Un prêt d’argent est normalement un simple prêt,
souvent rémunéré par un intérêt qui dépend du montant prêté, de la durée du prêt et du risque. D’après
l’article 1905 du code civil, le prêt à intérêt est un
prêt de consommation.
4. CA Paris, 25 Oct. 1989, JCP 1990.IV.135.
5. Article 1877 du code civil.
6. Mazeaud, Leçons de droit civil, t. 3, 2e vol., 5e éd par De
Juglart, n° 1432 et suiv.
Un apport en société peut-il être assimilé à un prêt ?
L’apporteur donne ou cède effectivement une somme
d’argent/ou une créance d’argent à la société.
Cependant l’intention des parties à l’apport, n’est
pas une restitution des sommes données. L’apport en
société se caractérise par une participation aux
pertes et profits de l’activité de la société, alors que
pour un prêteur il n’y a pas de participation aux
pertes. Dans le contexte d’un prêt, l’objet du prêt
devra être restitué à l’échéance du contrat. La nature du prêt ne change même pas, si le prêteur
stipule une participation aux bénéfices (comme c’est
le cas des prêts participatifs) 7.
L’intention de l’apporteur est de faire simplement un
apport à la société pour permettre à la société de
faire usage de ces fonds, sans que l’apporteur puisse
réclamer le remboursement des sommes. L’intention
d’un apporteur en société est l’intention de s’associer, de mettre en commun certaines choses et d’accepter l’aléa lié à cet apport 8. D’après Malaurie et
Aynès 9, le véritable critère est l’immixtion. Or un apport en société suppose d’être associé et de s’immiscer comme un associé dans la marche de la société.
La Cour d’Appel de Paris a distingué un prêt participatif d’une société en participation (et donc d’un
véritable apport en société) en appliquant les critères : affectio societatis, recherche et partage des
bénéfices, acceptation des risques, participation des
associés à la gestion 10.
Quelle est la rémunération de l’apporteur ? L’apporteur qui est déjà actionnaire valorisera sa participation dans la société et les bénéfices que réalisera
la société pourront soit lui être distribués sous forme
7. Planiol et Rippert, Traité pratique de droit civil français, t.11,
par Savatier, LGDJ, n° 1139.
8. Cass. Co. Fr, 12 oct. 1993, JCP, éd. N, 1994.II.45, cité par JeanRégis Mirbeau-Gauvin, Encyclopédie Dalloz, v° Prêt
9. Droit civil. Les contrats spéciaux, 1994/1995, Cujas, n°905 et
suiv.
10. CA Paris, 21 février, 1986, D. 1986.548, note Honorat, cité par
Jean-Régis Mirbeau-Gauvin, op. cit.
ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 23
• Droit des sociétés
de dividendes ou pourront lui être distribués au moment de la liquidation de la société par le biais d’un
boni de liquidation.
rait dès lors s’analyser comme une libéralité déguisée
faite aux coassociés si ces derniers ne font pas d’apport proportionnellement à leur participation.
Donc en l’absence d’un des éléments caractéristiques
d’un prêt à savoir la restitution du bien/sommes d’argent prêtés, un apport ne peut pas être requalifié en
prêt.
Les cours et tribunaux français ont depuis longue date
requalifié un apport « déséquilibré » en donation déguisée. Le ou les donataires sont les coassociés de
l’apporteur et par cet apport déséquilibré bénéficient
de la partie « déséquilibrée » de l’apport 11. Une telle
donation déguisée pourra être déclarée nulle si elle
est frauduleuse, par exemple si le seul but de l’apport en société était de contourner une réserve héréditaire.
1.2. Donation
Le prêt à usage se distingue du don manuel par
l’intention des parties. Dans le cas du prêt à usage
l’intention du prêteur est de rendre service à l’emprunteur, alors que dans le cas du don, l’intention du
donateur est d’enrichir le donataire. Dans le premier
cas la jouissance du bien est temporaire alors que
dans le deuxième cas la jouissance est définitive,
même si les deux sont des contrats à titre gratuits.
Selon l’article 894 du code civil la donation est un
contrat synallagmatique par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose
donnée, en faveur du donataire qui l’accepte. Le
donateur gratifie donc le donataire qui devra cependant accepter le don qui lui est fait. Le donataire
veut donc faire une libéralité au donataire et gratifier
ce dernier. La doctrine appelle cette intention
« animus donandi » (l’intention de gratifier). C’est
l’élément essentiel de la donation.
Dans un apport à une société non rémunéré par
l’émission de titres représentatifs du capital, l’apporteur transfère effectivement des éléments d’actifs au
bénéficiaire (à savoir la société). Cependant l’apporteur n’a pas l’intention de faire une libéralité. Son
intention est bien un but de lucre qui est de valoriser
sa participation dans la société à laquelle il a fait
l’apport. Il y a donc bien une contrepartie de l’apport.
Quel est l’intérêt de faire cette distinction entre
apport en société et donation ? L’intérêt est double –
dans le cas d’une donation des droits de donation
seront perçus par l’Administration de l’Enregistrement. En second lieu, une donation serait susceptible
de réduction, étant donné que le donateur personne
physique ne pourra disposer par donation que des
biens qui sont « disponibles » c’est-à-dire qui se trouvent en-dehors de la réserve héréditaire (la réserve
variant avec le nombre d’enfants du disposant).
Mais que se passe-il dans la situation où l’apporteur a
des coassociés qui de leur côté ne font pas un apport
(ou moins que proportionnel à leur participation
actuelle) à la société ? En pareil cas, l’apporteur
bénéficie bien de son apport, mais il devra « partager » son apport avec ses coassociés. L’apport pour-
ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 24
En pareil cas, se pose également la question de
l’intérêt social qu’a l’apporteur à faire une telle
libéralité à ses coassociés.
Le même raisonnement vaut d’ailleurs en sens inverse
si des actionnaires permettent à des nouveaux investisseurs de souscrire des titres, à la valeur nominale
ou au pair comptable de ces titres, si la valeur intrinsèque de la société est supérieure. En permettant
une dilution de leur participation, ces actionnaires
pourraient être considérés vouloir faire une libéralité
aux nouveaux investisseurs (sous condition qu’il y ait
effectivement la volonté de gratifier). Mais dans tous
les cas, la question de l’intérêt social au niveau de
l’actionnaire dilué et qui a accepté cette dilution, se
pose.
1.3. Vente ?
Un apport (en nature, comme par exemple l’apport
d’une participation dans une autre société) est une
aliénation à titre onéreux et peut dès lors être rapproché à une vente 12. Suivant le viel adage « apport
en société vaut vente », un apport en société ne peut
pas être complètement assimilé à une vente. En effet
la différence réside dans la contrepartie de la prestation qui constitue la contrepartie du transfert de propriété. En effet, la contrepartie du bien cédé dans
une vente est le prix (donc les espèces) alors que dans
un apport, la contrepartie est normalement une attribution des droits de l’associé.
Quant à un apport en numéraire, il serait assez difficile de le comparer à une vente, alors qu’il n’y a pas
transfert de propriété d’un bien – c’est une somme
d’argent qui change de main.
11. Civ. 5 janv. 1886, D.P. 86.1.22.
12. J. Hamel, G. Lagarde et A. Jauffret, droit commercial, t.1,
vol.2 : sociétés, groupements d’intérêt économique, entreprises publiques, 2e éd., Dalloz, n°392 ; Rippert et Roblot,
Traité élémentaire de droit commercial, t.1, 13e éd. 1989,
n° 734, Y. Guyon, Droit des affaires, t.1 : Droit commercial
général des sociétés, 5e éd, 1988, Economica, n°104.
• Droit des sociétés
1.4. Contrat sui generis ?
Il faut donc conclure qu’un apport en société, est un
contrat sui generis, qui même s’il ressemble dans certains cas, comme on l’a vu, à une vente, un prêt ou
même une donation, présente en principe des différences avec chacun de ces trois contrats spéciaux.
Il semble donc bien y avoir un contrat d’apport, sauf
à être partisan du principe « institutionnel » des
sociétés, en quel cas l’apport ne serait qu’une consécration de l’affectio societatis.
En revanche, il n’est pas entièrement certain, qu’un
apport qui ne se fait pas en contrepartie de droits
sociaux puisse vraiment être qualifié d’apport, un
apport ne pouvant se faire qu’en échange de titres.
Houpin disait à ce sujet : « ce qui est apporté et
versé par un associé ne peut être considéré comme
bénéfice réalisé par la société. Et si ce n’est pas un
bénéfice, ce ne peut être qu’un apport » 13.
2. Les aspects pratiques
d’un apport en société
non-rémunéré par de
nouveaux titres
2.1. Clause léonine cachée ?
Absence d’affectio societatis ?
En dehors des cas où on fait un apport non-rémunéré
pas l’émission de nouveaux titres pour rétablir un
équilibre entre associés, en faisant un apport à une
société sans se voir attribuer de nouveaux titres on
renonce en quelque sorte à participer aux bénéfices
en renonçant aux titres qui le feraient participer à
une distribution de dividendes et il faut se demander
si une telle renonciation aux bénéfices est valable ou
peut constituer une clause léonine.
Une clause léonine est une clause privant un associé
de tout droit aux profits de la société ou lui attribuant la totalité des profits, mettant à sa charge la
totalité des pertes ou l’exonérant de toute contribution au passif social. Cette clause est réputée nonécrite dans le contrat de société 14. Les clauses
léonines sont prohibées par l’article 1855 du Code
Civil.
13. Houpin, Rev. Soc. 1915.151.
14. Lexique des termes juridiques, 8e éd., Dalloz, v° clause
léonine.
L’existence d’une société présuppose la recherche
d’un profit et la répartition de ce profit entre les
associés. Normalement la répartition des bénéfices
devrait se faire au pro rata des apports ayant été
faits à la société et ayant donné lieu à l’attribution
des titres représentatifs du capital. Il semble cependant qu’on puisse aménager contractuellement ou
par les statuts une telle participation aux bénéfices.
Il est donc permis soit de prévoir une répartition
inégale, malgré les apports égaux, soit une répartition égale, malgré des apports inégaux, c’est en tout
cas ce qu’a retenu la Cour de Cassation française 15,
sachant toutefois que le contexte dans lequel s’inscrit
cet arrêt est sensiblement différent du contexte
luxembourgeois 16.
Sont cependant interdites les clauses attribuant la
totalité des bénéfices à une personne, sans que le
terme totalité doive être pris à la lettre. Sont considérées comme nulles les clauses qui réduisent la participation à un associé à une part insignifiante, sans
que cette part soit nulle 17. Il y a dès lors toujours une
certaine appréciation qui dépend des faits d’un cas
donné.
Du moment qu’un apport non-rémunéré par des titres
(donc apport qui ne fait pas participer l’apporteur
aux bénéfices) est disproportionnellement élevé par
rapport au capital de la société et aux apports faits
par les autres associés, un apport non-rémunéré pourrait éventuellement s’analyser comme clause léonine. Par ailleurs la contribution aux pertes de l’apporteur (apporteur n’ayant pas été rémunéré par des
titres) peut être assimilée à une exonération des
pertes des autres associés du moment que l’apport
non-rémunéré est disproportionnellement élevé par
rapport au capital et aux apports des autres associés.
Quelle sera la conséquence si l’apport était requalifié
en clause léonine ? La clause (inexistante dans les
faits) serait réputée non-écrite et l’apport pourrait
être requalifié en prêt.
Quant à l’absence d’affectio societatis qui engendrerait une nullité de la société, il est difficile d’imaginer qu’un apport non rémunéré par des titres tomberait sous le coup de cette nullité. En effet, tout
d’abord, même si l’apporteur-associé ne souhaite pas
se voir attribuer de nouveaux titres, il continue à vou-
15. Cass fr. 1re civ. 16 octobre 1990, Bull. Joly 1990.1029, note P. Le
Cannu.
16. Il convient à ce sujet de noter que l’article 1844-1 du Code Civil
français, qui est l’équivalent de l’article 1855 du Code Civil
luxembourgeois, est libellé différemment et permet spécifiquement un aménagement contractuel permettant une distribution inégale des bénéfices et de répartir différemment les
bénéfices et les pertes.
17. Ripert et Roblot, Traité de droit commercial, t.1, éd.14, n°780.
ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 25
• Droit des sociétés
loir se comporter en associé et contribue à la société.
Par ailleurs l’affectio societatis (donnant lieu à une
annulation de la société) n’est exigé qu’au moment
de la constitution (et non pas au moment de l’apport
non-rémunéré par l’attribution de nouveaux titres où
un défaut d’affectio societatis ne pourrait entraîner
que la dissolution de la société).
ticipation importante dans ses coassociés, la société
apporteuse peut avoir un intérêt social personnel à
renoncer à accroître sa participation. En revanche si
les différents coassociés ne sont pas liés, il sera difficile pour l’apporteur de justifier d’un intérêt quelconque à gratifier ses coassociés. Il est assez peu probable qu’une donation déguisée puisse être justifiée
par l’intérêt social du donateur.
2.2. Intérêt social de l’apporteur
personne morale ou l’impact du
nombre d’associés?
L’apporteur qui n’est pas rémunéré par l’émission de
nouveaux titres, devra être conscient du fait qu’il ne
profitera pas de son apport en recevant plus de dividendes au cours de la vie de la société et ne récupérera pas son apport au moment de la liquidation, car
les actifs de la société seront distribués aux associés
proportionnellement à la participation dans le capital
social (sans tenir compte d’éventuelles primes ou
autres apports).
L’apporteur personne morale qui renonce à une participation (additionnelle) au capital à proprement parler devra tout de même veiller à ce que la transaction
soit dans son intérêt social et pour son bénéfice.
Il est évident qu’un apport à une société non-rémunéré par des titres ne pose pas de problèmes majeurs
si la société n’est détenue que par un associé unique.
En pareil cas il n’y a pas de rupture d’égalité entre
associés, ce sera l’associé unique qui profitera entièrement de son apport. L’apporteur, personne morale
n’a dès lors pas de problèmes au niveau de son propre
intérêt social, alors que l’apport à sa filiale détenue
à 100 % lui profitera. L’intérêt social de l’apporteur
personne morale sera la valorisation de la filiale.
En revanche pour un particulier, associé unique, le
problème de l’affectation de la réserve héréditaire
pourrait théoriquement se poser (si l’apport était à
considérer comme donation), même si on pense que
l’affectation de la réserve est compensée par l’augmentation de valeur de la participation. L’analyse
dépendra cependant de la liquidation de la masse testamentaire, mais dépasserait le cade de cette étude.
Si le particulier a des coassociés qui ne participent
pas à même hauteur dans l’apport, les difficultés
liées aux donations ressortent pleinement.
Si la société a plusieurs associés (personnes morales),
et que chaque associé apporte une part proportionnelle, la même analyse que dans le cas d’un associé
unique se fait, comme il n’y a pas de dilution ou rupture d’égalité entre associés.
Si la société a plusieurs associés, et un seul des associés fait un apport, il y a rupture d’équilibre entre
l’apport et la participation dans les bénéfices et le
boni de liquidation, et il sera beaucoup plus difficile,
mais pas impossible, de trouver un intérêt social de
l’apporteur. En apportant plus que les autres sans en
retirer plus de bénéfices (via une attribution de titres
de participation dans le capital), une société gratifierait ses coassociés. Si ces coassociés font partie d’un
même groupe et que la société a elle-même une par-
ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 26
Il faut dès lors aborder la question des apports nonrémunérés par des titres à une société avec plusieurs
associés avec une certaine prudence. Il y a des cas où
de tels apports se justifient et sont dans l’intérêt de
l’apporteur. Ils représentent tout de même dans certain autres cas un risque de requalification en donation ou de requalification en clause léonine ou ne
sont simplement pas dans l’intérêt de l’apporteur.
2.3. Les apports non-rémunérés par
l’émission de nouveaux titres sur le
plan comptable
Le plan comptable normalisé 18, prévoit dans la classe 1 (Comptes de capitaux, de provisions et de dette
financières) au compte 115 (qui est au point 11 –
Primes d’émission et primes assimilées) des « apports
en capitaux propres non rémunérés par des titres
(« capital contribution ») ». Au point 11 on retrouve
au compte 111 – les primes d’émission, au compte 112
– les primes de fusion, au compte 113 – les primes
d’apport 19 et au compte 114 – primes de conversion
d’obligations en actions.
18. Adopté par règlement grand-ducal du 10 juin 2009 déterminant
la teneur et la présentation d’un plan comptable normalisé,
Mém. A N° 145 du 22 juin 2009. Le plan comptable sera applicable à partir du premier exercice débutant après le
31 décembre 2010 (donc normalement pour la plupart des
sociétés à partir du 1er janvier 2011).
19. La prime d’apport étant la prime qui résulte de l’attribution à
un apporteur en nature d’un nombre de titres inférieur à la
valeur réelle de l’apport et peut résulter soit d’un souci d’éviter la dilution des associés anciens soit d’une prudence comptable ayant trait à l’évaluation du bien apporté. – Voir P. Didier
et M. Marteau Petit, Encyclopédie Dalloz, v° Prime d’émission,
n° 24.
• Droit des sociétés
Il faut donc conclure que le législateur, en adoptant
ce plan comptable, reconnaît l’existence d’apports
en capitaux qui ne sont pas considérés comme du
capital (point 10 du plan comptable) ou comme une
prime (qu’elle soit d’émission, de fusion ou d’apport).
Il est certes prudent de prévoir une disposition statutaire en ce sens, qui soit permet la distribution des
primes (y compris les « apports en capitaux propres
non rémunéré par des titres (« capital contribution ») ») ou soit prévoit expressément une interdiction de distribuer.
Comme l’apporteur souhaite que son apport à la société soit considéré comme apport au capital sans
toutefois souhaiter recevoir de nouvelles actions, il
faut conclure qu’un tel apport devra se retrouver au
compte 115.
Les actifs se trouvant au compte 11 « primes d’émission et primes assimilées » pourront en l’absence de
stipulation statutaire être distribués comme un dividende (par décision des associés) ou comme acompte
sur dividendes (par l’organe de gestion à qui cette
compétence a été octroyée ou les cas échéant, dans
certains cas, par les actionnaires).
Il serait cependant erroné de qualifier cet apport
(sans émission de nouveaux titres) de prime d’émission et de l’inscrire aux compte 111 ou 113.
On pourrait cependant se poser la question si les associés ne peuvent pas qualifier leur apport d’apport à
une « Autre réserve – soit disponible (compte 1382),
soit indisponible (compte 1383) ». Il faut cependant
penser que le compte 115 « Apport en capitaux
propres non rémunéré par des titres » est plus approprié, alors qu’il reflète exactement la situation de
fait et de droit, à savoir la volonté d’un apporteur de
faire un apport à la société qui est à assimiler à une
prime d’émission (sans en être une prime d’émission
faute d’émission de titres) sans que l’apport se fasse
au moment d’une augmentation de capital ou d’un
apport en nature (prime d’apport).
2.4. Disponibilité des « apports en
capitaux propres non-rémunérés
par des titres » – Distribution.
Justification de ces apports
A quoi peuvent servir les apports qui ne sont pas
rémunérés par l’émission de nouveaux titres ? Quelle
est la justification de ces apports ?
Les « apports en capitaux propres non rémunérés par
des titres (« capital contribution ») » on l’a vu, se
trouvent d’un point de vue comptable dans le même
compte que les primes d’émission ou primes de
fusion.
Les primes d’émission, ayant fait l’objet d’un précédent article paru au même endroit, sont distribuables
(sous condition que l’actif net tel qu’il résulte des
comptes annuels est, ou deviendrait à la suite d’une
distribution, inférieur au montant du capital souscrit,
augmenté des réserves que la loi ou les statuts ne
permettent pas de distribuer), sauf si les statuts disposent spécifiquement et expressément que les
primes d’émission ne sont pas distribuables.
En tout cas la possibilité de pouvoir utiliser les
apports afin de pouvoir distribuer des dividendes à
des intervalles réguliers, sans rencontrer de soucis de
disponibilité de de profits suffisants, est la justification majeure pour recourir aux apports (autre que les
primes d’émission ou primes d’apport ou de fusion).
La deuxième justification majeure pour recourir aux
« capital contributions » est l’absence de formalisme
lié à ces apports. En cas de constitution d’une société 20, tout comme en cas d’augmentation de capital 21 il faut recourir aux services d’un notaire, alors
qu’un apport au capital sans émission de nouveaux
titres peut se faire sous seing privé, étant donné
qu’un apport à la société ne résultera pas d’une modification statutaire et qu’aucun texte n’exige la passation d’un acte notarié pour faire un apport nonrémunéré par l’émission de nouveaux titres 22. Cet
acte sous seing privé ne sera d’ailleurs pas non plus
publié, alors qu’aucun texte n’en prescrit la publication.
Dans le même ordre d’idée, l’absence d’exigence
d’un rapport du réviseur (ou de la déclaration prévue
à l’article 26-1 (3quinquies) dans le contexte d’un
apport en nature (fait à une société anonyme ou à
une société en commandite par actions) peut être un
autre attrait pour certains, alors qu’en cas d’augmentation de capital et paiement d’une prime, un
rapport du réviseur devra porter sur la description de
l’apport, la méthode d’évaluation et indiquer si la
20. Conformément à l’article 4 de la loi du 10 août 1915 sur les
sociétés commerciales, telle que modifiée, les sociétés anonymes, sociétés en commandite par actions et sociétés à responsabilité limitée, sont à peine de nullité, formées par des
actes notariés spéciaux.
21. Conformément à l’article 32-1 de la loi du 10 août 1915 sur les
sociétés commerciales, telle que modifiée, les mêmes formalités sont prescrites en cas d’augmentation du capital par des
apports nouveaux.
22. Ceci n’est pas vrai dans tous les cas, alors qu’en cas d’apport
(non-rémunéré par de nouveaux titres) d’un immeuble, il faut
passer un acte authentique, exigé en matière immobilière.
ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 27
• Droit des sociétés
valeur correspond au moins au nombre et la valeur
nominale, ou à défaut de valeur nominale, le pair
comptable et, le cas échéant, à la prime d’émission
des actions à émettre en contrepartie 23.
L’absence de formalisme (acte authentique, publication, rapport du réviseur) se justifie par le fait que les
tiers ne sont pas au courant de ces « capital contributions », et qu’ils ne nécessitent donc pas une protection spéciale. C’est en fait un « surplus » donné à
la société qui ne saurait que bénéficier aux tiers.
2.5. Droits d’enregistrement
Même en l’absence de recours aux services d’un
notaire pour faire acter cet apport, l’apport qui se
fait à la société sera soumis aux formalités de l’enregistrement afin de rendre l’apport à la société opposable aux tiers et de lui donner date certaine.
Sous l’ancien régime de la loi du 29 décembre 1971
sur le droit d’apport, telle que modifiée (abolie par la
loi du 19 décembre 2008) un droit de 1 % sur la montant de l’apport (diminué ensuite à 0.5 %) était dû,
peu importe qu’il s’agissait d’un apport fait par acte
authentique ou sous seing privé 24.
A l’heure actuelle, et depuis le 1er janvier 2009 (abolition du droit d’apport) d’un droit fixe de 12 EUR
s’applique en cas d’apport en numéraire, comme
pour l’enregistrement de n’importe quel autre acte
juridique pour lequel la loi ne prévoit pas l’application d’un tarif spécifique. Le droit fixe de 75 euros
prévu par la loi du 19 décembre 2008 ne n’applique
pas non plus aux apports non-rémunérés par de nouveaux titres, étant donné que le droit fixe de 75 euro
n’est dû qu’en cas de constitution de société, de
modification de ses statuts ou transfert de siège.
23. Article 26-2 (3) de la loi du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, telle que modifiée.
24. D’ailleurs certaines formes de sociétés comme les sociétés
civiles, sociétés en nom collectif, sociétés en commandite
simple, les sociétés coopératives peuvent être constituées par
acte sous seing privé, s’après l’article 4 de la loi du 10 août
1915 sur les sociétés commerciales. Ces sociétés devaient
avant l’abrogation de la loi de 1971 sur le droit d’apport également faire enregistrer leur acte de constitution et s’affranchir d’un droit d’apport.
ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 28
Pour une étude complète des droits d’enregistrements dus en cas d’apport à une société, y compris en
cas d’apport à titre onéreux d’un bien meuble ou en
cas d’apport pur et simple ou à titre gratuit d’immeuble, les lecteurs pourront se référer à l’article
paru dans la même édition en 2008.
En cas de donation déguisée, les droits de donation
pourront être perçus par l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines (voir même double
droit). Les tarifs en matière de donation varient de
1.5 % (plus 2/10e ) à 12 % (plus 2/10e ) en fonction du
degré de parenté ou d’absence de lien entre le donateur au donataire et en fonction du fait que la donation est avec ou sans dispense de rapport. Donc en
requalification d’un apport en donation (entre étranger), un droit de 14.4 % serait perçu au lieu d’un droit
fixe de 12 euro.
Même s’il est possible de faire un apport à une
société en dehors des cas classiques d’un apport en
capital par l’émission de titres (que ce soit au moment de la constitution ou au moment d’une augmentation de capital – avec ou sans prime d’émission)
et faire un apport en capital non rémunéré par l’attribution de titres, il convient d’utiliser ces apports
avec une certaine prudence, au vu de certains risques
de requalification (surtout en cas de requalification
en donation avec perception des droits de donations).
Ces apports présentent dans la majeure partie peu de
risques en cas de société unipersonnelle, mais s’avèrent plus délicats si la société qui reçoit l’apport a
plusieurs associés, au vu des risques de requalification en donation déguisée ou des problèmes d’intérêt
social. En pareil cas, il sera certes plus prudent de
faire une augmentation de capital classique avec
paiement d’une prime d’émission.
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