Comptabilité, fiscalité, audit, droit des affaires au Luxembourg Comité de rédaction Anne-Sophie PREUD’HOMME et David BURBI (PricewaterhouseCoopers), Thierry LESAGE (Arendt & Medernach), Cyril LAMORLETTE (Audit & Compliance), Yoanna STEFANOVA (Kremer Associés & Clifford Chance), Danielle KOLBACH, Jean-Michel SCHMIT (Nauta Dutilh) et Patrick MISCHO (Allen & Overy) SOMMAIRE ÉDITORIAL 1 DROIT FINANCIER Renforcer la sécurité juridique de la réalisation des garanties financières: l’appel à la loi Daniel Boone David Maria 3 Coordination René JUDAK DROIT DES SOCIÉTÉS Auteurs de ce numéro Apport en société non-rémunéré par l’émission de nouveaux titres de société Danielle Kolbach Daniel Boone, David Maria, Danielle Kolbach 22 Service clientèle Kluwer tél. : 800 48 034 (gratuit) fax : 800 48 027 (gratuit) e-mail : [email protected] Editeur responsable Hans Suijkerbuijk Waterloo Office Park, Drève Richelle 161 L, B-1410 Waterloo ACE est une publication de Kluwer www.kluwer.lu Les auteurs, la rédaction et l’éditeur veillent à la fiabilité des informations publiées, lesquelles ne pourraient toutefois engager leur responsabilité. © 2010 Wolters Kluwer Belgium SA Hormis les exceptions expressément fixées par la loi, aucun extrait de cette publication ne peut être reproduit, introduit dans un fichier de données automatisé, ni diffusé, sous quelque forme que ce soit, sans l’autorisation expresse et préalable et écrite de l’éditeur. Dépôt légal D/2010/8868/213 ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 1 • Éditorial Chère lectrice, Cher lecteur, Les garanties financières sous forme de gage sont examinées par Daniel Boone et David Maria. Plus particulièrement les auteurs se penchent sur la vente de gré à gré, caractérisée par son absence de formalisme. Il s’agit, en outre, d’un des modes de réalisation les plus fréquemment rencontrés dans la pratique. Face aux lacunes de la Loi sur les garanties financières concernant ce qu’il faut entendre exactement par « vente », l’article propose une approche « fonctionnelle ». D’ailleurs, les auteurs s’interrogent sur l’absolue nécessité de recourir à une vente comme seul mode de réalisation : les intérêts légitimes des tiers seraient-ils, en effet, atteints si l’on avait recours à un échange ou à une dation en paiement, par exemple ? La notion de « conditions commerciales normales », posée par la Loi précitée n’est pas non plus définie outre mesure et fait, elle aussi, l’objet d’une analyse poussée par les auteurs. L’article passe également en revue le régime juridique et les effets de la réalisation des garanties financières. Les auteurs concluent sur une note résolument optimiste et soulignent, malgré certains écueils, l’efficacité démontrée de cette Loi. Le second article se penche sur la notion d’apport en société non-rémunéré par l’émission de nouveaux titres de société. Danielle Kolbach part de la constatation qu’un apport en société, autre qu’une prime d’émission, n’exclut pas de procéder à des apports non-rémunérés par des titres représentatifs en actions, pour s’interroger sur le risque de requalifications de tels apports. Parmi ces requalifications envisageables, l’auteur examine le prêt, la donation et la vente. Aucune de ces trois qualifications n’étant adéquate, l’article envisage la possibilité d’un contrat sui generis. L’auteur analyse ensuite tous les aspects pratiques de ce genre d’apport : aspects comptables, droits d’enregistrement, … Avant de vous laisser parcourir le présent numéro de votre magazine ACE, nous avons le plaisir de vous annoncer que le jeudi 9 décembre prochain, se tiendra notre conférence sur les évolutions fiscales qu'a connu en 2010 le Luxembourg en matière législative et jurisprudentielle. Comme d’habitude, cette conférence se déroulera de 9h00 à 12h30 dans les locaux de la Chambre de Commerce (Centre de Conférences). Bonne lecture, ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 2 • Droit financier Renforcer la sécurité juridique de la réalisation des garanties financières : l’appel à la loi Daniel Boone, Avocat à la Cour, Chargé de cours associé à l’Université du Luxembourg David Maria* Avocat à la Cour, Wildgen, Partners in Law « Values demand deeds and not just words » Barack Obama, The audacity of hope : thoughts on reclaiming the American dream 1 A partir de 2008, la crise financière et ses effets en cascade ont mis en péril un certain nombre de structures d’acquisition mises en place par le biais de financements structurés (plus communément désignés sous le vocable de leveraged buy-out (LBO) 2). Par un effet mécanique irrésistible, la contraction de la demande, conjuguée à la raréfaction du crédit, ainsi qu’il faut bien le dire, à une surenchère en termes de prix des cibles à la veille de l’implosion de la bulle financière, ont eu pour conséquence que nombre de structures d’acquisition se sont trouvées dans l’impossibilité d’honorer le service de leur dette. La survie même des groupes cibles était alors en jeu, au risque de causer la destruction de milliers d’emplois et de faire disparaître du paysage économique des entreprises par ailleurs pleinement efficientes et rentables. La raison poussait ainsi les différents acteurs à se mettre autour de la table des négociations. Dans les cas de figure les moins problématiques, ce sont simplement les termes de la dette qui sont renégociés : les prêteurs syndiqués consentent un rééchelonnement de la dette et/ou à l’injection de lignes de crédit supplémentaires. Dans d’autres cas, une restructuration plus radicale se révèle nécessaire, soit que des désaccords se fassent jour entre les prêteurs et les promoteurs ou entre les prêteurs eux-mêmes, soit que la structure d’acquisition apparaisse comme inadaptée, hypothéquant ainsi les chances d’un retour à meilleure fortune du groupe cible. Dans de telles situations, la restructuration implique, dans un premier temps, de défaire entièrement le montage financier et juridique. Sont concernées, en particulier, les garanties financières de droit luxembourgeois mises en place pour garantir le remboursement de la dette bancaire. Ce sont donc à des exercices de réalisation des garanties financières auxquels les praticiens luxembourgeois se sont trouvés confrontés et ce, sous la double contrainte de l’inédit et de la pression des acteurs impliqués (banques, prêteurs junior, emprunteurs, groupe cible). Contrainte de l’inédit, tout d’abord : ce n’est qu’au printemps 2009, que, pour la toute première fois, des garanties financières de droit luxembourgeois ont été soumises au test de leur réalisation, sans, par conséquent, qu’existât préalablement une expertise tirée d’une pratique établie ou des sources jurisprudentielles ou doctrinales. Contrainte de la pression des acteurs, ensuite: la réalisation des garanties financières s’opère dans un contexte de tension extrême, tant à raison des contraintes de temps imparties – il ne peut être exclu que de brusques faillites en chaîne au niveau du groupe cible ne viennent rendre vaine toute restructuration de la dette –, que des montants parfois considérables des intérêts en jeu, des relations antagonistes entre certaines parties en cause, et des responsabilités pesant sur certaines des parties en cause, telles que l’agent des sûretés. A la lumière des contraintes précitées, les conseils luxembourgeois ont du prendre la mesure des enjeux juridiques de manière à la fois immédiate, à raison des contraintes de temps précitées, et exhaustive, à raison des contraintes exercées par les acteurs. Dans ces conditions, le risque était que la réalisation des garanties finan- * Les auteurs tiennent à remercier chaleureusement Me Yann Payen, Avocat, WILDGEN, qui a enrichi le présent article de ses précieuses observations et critiques. 1. Paperback ed., 2008, page 84. 2. Pour une synthèse, voy. p. ex. Ph. Thomas, LBO, Montages à effet de levier, Paris, RB Editions, 2010. ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 3 • Droit financier cières s’apparente à une boîte de Pandore, et tel fût en effet le cas. Il est vite apparu que, pour simples qu’elles soient en apparence, les réalisations de garanties financières soulèvent en réalité une multitude de problématiques, dont certaines se sont révélées, à l’analyse, d’une redoutable complexité juridique. A l’heure où ces lignes sont écrites, le temps a fait son œuvre, dans une certaine mesure. Une pratique s’est dégagée, un consensus s’est établi au sujet d’un certain nombre de questions qui s’étaient faites jour. Par ailleurs, un certain nombre de publications remarquées ont eu pour mérite d’approfondir certaines questions et de jeter des lumières précieuses sur des points cruciaux et non moins épineux 3. La question peut dès lors se poser de l’utilité d’un commentaire additionnel. Deux justifications peuvent être avancées. Tout d’abord, le sujet demeure, et demeurera, on peut le craindre, d’une réelle actualité dans les années à venir. Il est loin d’être acquis, en premier lieu, que la crise financière ait achevé de produire ses effets et on peut légitimement s’attendre à ce que de nouvelles restructurations rendent nécessaires de procéder à la réalisation d’autres garanties financières. Par ailleurs, il est évident que les acteurs, au premier chef desquels les banques, ont et auront à cœur de tirer tout le parti utile, pour l’avenir, des leçons reçues. Celles-ci consistent essentiellement dans un besoin accru de sécurité juridique. Les garanties financières, comme tout instrument de sûretés, exigent avant tout une sécurité juridique maximale au moment de leur réalisation. En cette matière, l’incertitude, le risque, l’impressionnisme juridique, sont les ennemis jurés : « La sécurité juridique est un élément indispensable au développement d’une place financière internationale » 4. Ce sont d’abord les ennemis des prêteurs, cela va sans dire. Ce sont aussi les ennemis des emprunteurs. Il est en effet bien évident que l’insécurité juridique a pour conséquence de renchérir le crédit, voire de susciter la réticence des banques à l’octroyer. Par ailleurs, si une réalisation incertaine des garanties financières peut sembler constituer un avantage à courte vue pour les emprunteurs, une perspective plus haute convainc que cet avantage est chèrement payé par le tarissement et le surenchérissement du crédit : c’est alors le modèle économique même du LBO qui est fondamentalement remis en cause. Si l’on admet l’impératif de sécurité juridique, on doit alors se demander quelle source juridique est susceptible de répondre pleinement à cette exigence. La réponse va de soi : la loi. S’il est essentiel de diagnostiquer les problématiques juridiques et de les analyser en profondeur, une étape supplémentaire doit consister, le cas échéant, à proposer au débat des améliorations législatives. Telle est la seconde justification et raison d’être du présent article. Dans cette perspective, nous procèderons selon une démarche des plus classiques, en examinant tour à tour les conditions de la réalisation des garanties financières (Section 1), le régime juridique de la réalisation (Section 2), puis les effets de la réalisation (Section 3), le tout étant précédé d’une section préliminaire dont l’objet consistera à poser les termes du débat. 1. Section préliminaire. Les termes du débat transposer en droit luxembourgeois la directive 2002/ 47/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juin 2002 concernant les contrats de garantie financière (ci-après la « Directive garanties financières ») 5. 1.1. Le cadre de l’analyse Les mécanismes généraux de la Loi sur les garanties financières sont bien connus des praticiens et il n’est nul besoin d’y revenir 6. Précisons d’emblée cependant que le cadre de la présente étude sera restreint à l’un des types de garanties financières envisagés par la Loi sur les garanties financières, à savoir le gage. C’est que les garanties financières mises en place dans le cadre de structures d’acquisition LBO se font en général sous forme de gage des avoirs détenus par une société tête de groupe luxembourgeoise (LuxCo 1) à l’encontre de sa filiale luxembourgeoise détenue à 100 % (LuxCo 2). Une telle structure luxembourgeoise à deux étages (two-tier) a pour finaliser de maximiser, tant du point de vue du droit des Le débat a pour cadre exclusif la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière (ci-après la « Loi sur les garanties financières »). Pour rappel, la Loi sur les garanties financières a eu pour objet de 3. Doit être cité à cet égard l’ensemble des contributions publiées par le Journal des Tribunaux Luxembourg, n° 7, 4 février 2010, et, plus particulièrement pour ce qui concerne le sujet du présent article, la contribution de P. Schleimer, Réalisation des garanties financières et pratiques des prêteurs bancaires, aussi claire que convaincante. Nous ne manquerons pas d’y faire de fréquentes références. Il convient également de citer les quatre contributions rassemblées dans le dossier « Le financement du crédit en temps de crise », publié au Bulletin Droit et Banque, n° 45, p. 21 s. Les contributions composant ces dossiers seront citées spécifiquement plus avant. 4. Travaux préparatoires de la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière, n° 5251, Exposé des motifs, p. 3. Eg. en ce sens, Directive garanties financières, Considérant (5) : « Pour renforcer la sécurité juridique des contrats de garantie financière, (…) ». ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 4 5. JOCE, 27 juin 2002, L 168/43. 6. Voy. M. Mey, Principales caractéristiques de la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financières, Bull. Droit et Banque, n° 37, p. 7 s.; Chr. Cormet, Droit bancaire, Codex, 2005, p. 276 s. • Droit financier sûretés que du droit fiscal, les avantages comparatifs du droit luxembourgeois. Le cadre de la présente étude est restreint à un autre égard, ce que, du reste, son intitulé indique déjà : les problématiques examinées seront celles relatives à la réalisation des garanties financières sous forme de gage. Seront par conséquent exclus tous les aspects relatifs à la mise en place du gage, à son régime juridique et à ses effets. Enfin, ce ne sont pas toutes les modalités légales de réalisation des garanties financières de droit luxembourgeois sous forme de gage qui seront passées au crible. Le cadre de la présente étude est restreint à une des modalités de réalisation les plus couramment pratiquées, à savoir la vente de gré à gré, telle que prévue par l’article 11 (1) b) de la Loi sur les garanties financières 7. La raison d’être d’une telle faveur tient à deux raisons majeures. La vente de gré à gré présente le double mérite de l’absence de formalisme et d’éviter tout recours à une quelconque autorité tierce, que ce soit une autorité judiciaire, ministérielle ou cambiaire (bourse). Au surplus, au rebours de l’appropriation, les biens gagés faisant l’objet de la réalisation présentent l’intérêt de n’entrer à aucun moment, ne serait-ce qu’un instant de raison, dans le patrimoine du détenteur du gage. Or, dans la mesure où, dans la pratique des prêts syndiqués, le détenteur du gage n’agit qu’en qualité d’agent des sûretés, ce au bénéfice des prêteurs et non dans son intérêt propre, des raisons supérieures liées au risque de responsabilité que l’agent des sûretés serait susceptible d’encourir justifient aisément qu’il ne soit nullement enclin à devenir redevable des obligations du propriétaire et à prendre le risque éventuel de … devoir le rester, ce qui n’est nullement sa vocation. Ramenée à un instrument spécifique, à savoir le gage, et sous le seul angle de sa réalisation sous forme de vente de gré à gré, l’analyse a cependant vocation à être pluridisciplinaire. Si les considérations de droit des sûretés prédominent de toute évidence, ne peuvent être omis d’autres domaines du droit, tels que le droit des obligations ou le droit fiscal. 1.2. Le clair et l’obscur de la Loi sur les garanties financières Les opérations de restructurations de dette ont servi de révélateurs : la Loi sur les garanties financières 7. Art. 11 (1) b) Loi sur les garanties financières : « En cas de survenance d’un fait entraînant l’exécution de la garantie, le créancier gagiste peut, sauf convention, sans mise en demeure préalable, soit : (…) b) céder ou faire céder les avoirs nantis par vente de gré à gré à des conditions commerciales normales, (…) ». a-t-elle donné autant qu’elle promettait ? La réponse est positive : le test de résistance est réussi (A). Pour autant, la Loi sur les garanties financières a révélé certaines carences, tenant peut-être au fait que le législateur luxembourgeois n’avait pu anticiper, et pour cause, la crise financière et les problématiques spécifiques qu’elle allait générer (B). A. La réalisation des garanties financières : un test de résistance réussi La critique est aisée, l’art est difficile. Aussi convient-il, nous joignant à de nombreuses autres voix 8, de vanter en préambule les mérites de la Loi sur les garanties financières. Le Luxembourg peut légitimement se targuer de disposer d’un instrument juridique de pointe, témoignant, de la part du législateur, d’une profonde et savante réflexion, fondée sur une ligne directrice clairement identifiée : faciliter au maximum la réalisation du gage et assurer à cette réalisation la plus grande efficacité juridique possible. Cette entreprise, engagée du reste bien avant que le législateur communautaire ne vienne la relayer, a trouvé dans la Directive garanties financières un encouragement supplémentaire à la parfaire. Les travaux préparatoires de la Loi sur les garanties financières témoignent de cette volonté affichée: « Anticipant la Directive, le Luxembourg a depuis une dizaine d’années, entrepris une démarche systématique visant à renforcer le régime juridique des contrats de garantie financière (…) » 9. Ramenée à l’essentiel, la Loi sur les garanties financières repose, s’agissant de la réalisation du gage, sur les trois piliers fondamentaux que sont la liberté contractuelle, l’absence de formalisme et l’immunisation vis-à-vis des risques de faillite et autres procédures collectives susceptibles de s’appliquer au constituant. Chacun des trois piliers justifiant à soi seul des développements substantiels et, du reste, cette entreprise ayant d’ores et déjà été brillamment entamée, en particulier au sujet du troisième pilier (immunisation contre les procédures collectives) 10, il ne saurait être question d’entrer ici dans le détail de cet examen. Tout au moins a-t-on pu vérifier in vivo, à l’occasion des opérations de réalisation de gages, l’efficience pratique du système luxembourgeois. 8. H. Wagner et A. Djazayeri, La réalisation du gage en temps de crise : aspects juridiques, in Dossier : le financement en temps de crise, Bull. Droit et banque, n° 45, p. 39 ; P. Schleimer, art. cit., p. 16. 9. Travaux préparatoires de la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière, n° 5251, Exposé des motifs, p. 3. 10. S. Jacoby, Les garanties financières face aux problèmes d’insolvabilité, Journal des Tribunaux Luxembourg, n° 7, 4 février 2010, p. 24 s. ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 5 • Droit financier En particulier, l’absence de formalisme a produit tous ses effets positifs, que ce soit en termes de gains de temps et de coûts induits 11. La vente de gré à gré, en particulier, a pleinement démontré son efficience en tant que mode de réalisation exclusivement privé, n’impliquant aucune intervention notariale ou d’une quelconque autre autorité publique ou ministérielle, et dénué de tout formalisme exigeant, par exemple en termes de mise en demeure préalable ou d’octroi de délai supplémentaire accordé au constituant. C’est ainsi qu’en l’espace de quelques heures 12, l’ensemble des gages constitués sur l’intégralité des avoirs du constituant peut être réalisé sans encombres au profit de l’agent des sûretés et des bénéficiaires des sûretés et, de son côté, l’acquéreur des titres, le plus souvent constitué sous forme d’une entité luxembourgeoise nouvellement constituée à cet effet, devient pleinement propriétaire des biens acquis. On n’insistera jamais assez sur l’importance de ces aspects pratiques positifs générés par la Loi sur les garanties financières. Les parties, à juste titre, y sont particulièrement sensibles, tant il est vrai que les plus belles constructions juridiques ne sont que des vues de l’esprit dès lors que leur mise en œuvre est, dans les faits, soumise à des rigidités et des contraintes. Tel n’est pas le cas des garanties financières de droit luxembourgeois, ce qui leur confère, par là-même, un avantage comparatif incontestable. Les réalisations opérées ont été de véritables tests de résistance des garanties financières de droit luxembourgeois et l’on peut dire, sans exagération, que le test a été passé avec succès. Cette conclusion était certes conforme aux expectatives attendues de la Loi sur les garanties financières. Encore convenait-il de le vérifier sur le terrain. B. Les carences de la Loi sur les garanties financières : « On ne connaît son cheval qu’en chemin » De cette abstention, faut-il en faire grief au législateur et autres commentateurs du projet de loi ? Non. Il est certes facile, avec davantage de recul et surtout, nourri par l’expérience concrète des opérations de réalisation des garanties financières, de pointer du doigt le flou entourant telle ou telle disposition. Mais, en la matière, comme peut-être en toute autre, seule l’expérience tangible de la pratique est source d’enseignements, de questions et, peut-on l’espérer, de lumières : « On ne connaît son cheval qu’en chemin ». 13 Toute loi est un work-in-progress, dont les évolutions dépendent soit de choix de politique législative, soit 11. Il y a lieu de noter ici que, dans le contexte des restructurations de dette, la phase de réalisation des garanties financières de droit luxembourgeois n’est que l’un des premiers maillons d’une longue chaîne d’opérations multiples et complexes, articulées dans le temps selon un ordre successif. De là l’importance que les opérations de réalisation des sûretés, qui, par essence, se situent chronologiquement au début du plan de restructuration, se déroulent rapidement et sans contretemps. 12. Sous réserve, bien entendu, de la finalisation du processus d’évaluation des biens devant faire l’objet de la réalisation, ce conformément au respect des « conditions commerciales normales », au sens de l’Article 11 (1) b) de la Loi sur les garanties financières. Ce processus d’évaluation est parfois extrêmement complexe et peut durer plusieurs semaines, voire plusieurs mois. 13. Proverbe chinois. ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 6 des enseignements tirés de l’observation des faits et de la pratique. Au moment où la Directive garanties financières, respectivement la Loi sur les garanties financières, ont été édictées, la problématique de la réalisation des garanties financières n’était pas à l’ordre du jour. En ces temps d’« âge d’or » du LBO, la question essentiellement discutée dans les travaux préparatoires avait trait à la mise en place et au régime juridique des garanties financières. Certes, pour parer à des scénarios moins optimistes, l’arsenal de réalisation était en place. Mais on ne peut qu’être étonné, a posteriori, par la modestie des développements consacrés dans les travaux préparatoires de la Loi sur les garanties financières à une disposition aussi centrale que son Article 11, relatif à la réalisation du gage. Cette modestie est tant quantitative que qualitative. Les quelques lignes de commentaires émanant du gouvernement 14, du Conseil d’Etat 15 ou de la Commission des finances et du budget 16, consistent davantage en une paraphrase du texte de la loi qu’en une occasion d’éclaircir des termes, expressions ou concepts généraux ou abstraits. Ainsi en va-t-il, pour ne prendre qu’un seul exemple, de la condition que la vente de gré à gré se fasse à des conditions commerciales normales. Que faut-il entendre précisément par « conditions commerciales normales » ? On serait bien en peine de le déterminer à la lecture des travaux préparatoires de la Loi sur les garanties financières. 2. Section 1. Les conditions de la réalisation des garanties financières Ainsi qu’il a été indiqué, la vente de gré à gré constitue l’un des modes de réalisation les plus couramment pratiqués. La vente étant un concept civiliste, il serait souhaitable que la Loi sur les garanties financières précise ce qu’il faut entendre par ce terme. 14. Exposé des motifs et commentaire des articles, Doc. parl. 5251. 15. Avis du Conseil d’Etat, Doc. parl. 5251-3, p. 7. 16. Rapport de la Commission des finances et du budget, Doc. parl. 5251-7, p. 11. • Droit financier A l’encontre d’une interprétation strictement orthodoxe du concept de vente, on peut préconiser qu’une approche plus fonctionnelle soit retenue (1). Par ailleurs, la vente de gré à gré est soumise à la condition d’être faite à des « conditions commerciales normales ». Cette condition cardinale mérite aussi incontestablement une clarification législative (2). 2.1. Pour une approche fonctionnelle du concept de « vente » Une approche fonctionnelle du concept de vente doit être envisagée à deux niveaux. En premier lieu, la question est de déterminer si la qualification de « vente » présuppose nécessairement le versement du prix en numéraire. Etant donnée la ratio legis de la Loi sur les garanties financières, on peut penser qu’une telle approche est par trop orthodoxe et rigide (A). En second lieu, on peut sérieusement se demander si retenir la vente comme seule catégorie permise de cession à titre onéreux n’est pas trop restrictive (B). A. Le versement du prix ne doit pas nécessairement être effectué sous forme numéraire A raison de la grande division qui agite la jurisprudence et la doctrine civiliste, il serait souhaitable que la Loi sur les garanties financière tranche ce nœud gordien en faveur d’une approche ouverte et flexible. Position du problème : une interprétation jurisprudentielle et doctrinale divisée En droit des obligations, une des caractéristiques essentielles du contrat de vente consiste en la détermination d’un prix par les parties. L’article 1591 du Code civil luxembourgeois dispose que le prix doit être déterminé ou déterminable. La détermination d’un prix distingue le contrat de vente du contrat d’échange : « L’échange est un contrat par lequel les parties se donnent respectivement une chose pour une autre » (Article 1702 du Code civil luxembourgeois). Dans le cadre d’un contrat d’échange, il n’y a pas de prix déterminé par les parties, lesquelles acceptent réciproquement et implicitement que la valeur de la chose reçue soit la contre-valeur de la chose donnée. Ce caractère implicite justifie que l’échange exclut la sanction de la rescision pour lésion (Article 1706 du Code civil luxembourgeois). S’agissant du prix en tant qu’élément constitutif du contrat de vente, la question est alors de savoir si le prix doit répondre à des conditions strictes quant à sa nature. Cette question est à vrai dire extrêmement agitée en jurisprudence et en doctrine françaises, tandis qu’elle semble être résolue de manière plus unanime en Belgique. Selon un arrêt de la Cour de cassation française du 9 décembre 1986, la contrepartie de la vente ne doit pas nécessairement être sous forme d’une somme d’argent 17. Il semble que cette décision, qui fît en son temps l’objet d’une publication au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, ce qui souligne son importance, n’ait pas fait l’objet de revirement jusqu’à ce jour. Cependant, cette interprétation a été l’objet de vives critiques de la part d’une fraction significative des auteurs français, parmi les plus éminents, qui estiment que le prix sous forme d’un montant en numéraire est et demeure le critère essential de distinction entre la vente et d’autres contrats, tels que l’échange, l’apport ou la dation en paiement 18. Cette opinion est à son tour battue en brèche par d’autres auteurs, selon lesquels seule la détermination du prix distingue le contrat de vente d’autres types de contrats, peu important que le prix soit payé en numéraire ou sous toute autre forme, telle qu’en nature 19. Le droit français présente par conséquent un champ contrasté d’opinions. Si l’on se tourne vers le droit belge, la doctrine formulée en son temps par De Page fait toujours autorité. Or, De Page est catégorique : « En quoi consiste le prix ? Par définition et nécessairement, le prix consiste en une somme d’argent. La loi ne le précise pas expressément mais la solution est certaine. Il s’ensuit que si une chose est donnée par l’acquéreur en paiement, le contrat est un échange et non point une vente » 20. De Page appuie sa démonstration sur d’illustres auteurs, tels que Laurent et Baudry-Lacantinerie 21, ainsi que sur la jurisprudence belge 22. Il précise également que, dans le cas où la contrepartie est, pour partie, en numéraire et, pour l’autre partie, en nature, le contrat sera qualifié de vente pour la première partie, et d’échange pour la seconde. Selon une appréciation des proportions en 17. Cour de cassation, France, Civ. 3ème, 9 Décembre 1986, Bull. Civ., III, n° 177 : « Considérant, d’une part, que la vente d’une chose peut être réalisée moyennant une contrepartie autre que le versement d’une somme d’argent, la Cour d’appel n’a pas violé l’Article 1582 du Code civil ». 18. Mazeaud, Leçons de droit civil, T. 3, Vol. 2, Paris, 4ème éd., n° 753; Ghestin et Desché, op. cit., n° 49, page 44; Bénabent, Les contrats spéciaux, civils et commerciaux, 8ème éd., Paris, 2008, n° 51, page 27 ; Collart, Dutilleul et Delebecque, Contrats civils et commerciaux, Paris, 3ème éd., Paris, 1996, n° 137, page 118 ; Schmidt-Szalewski, Juriscl. civil, Fasc. Article 1582, n° 25. 19. Ralet, Encyclopédie Dalloz, V° Vente, Formation, n° 422 s. 20. De Page, Traité élémentaire de droit civil, Bruxelles, 3ème éd., 1972, T. IV, n° 35, p. 68. 21. De Page, op. cit., ibid., notes infra-paginales 5, p. 68, et 1, p. 69. 22. Cass., Belgique, 5 mai 1881; Gand, 5 juillet 1928, cit. in op. cit., ibid., note 2, page 69. ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 7 • Droit financier cause, les tribunaux seront alors souverains pour décider quelle qualification de la vente ou de l’échange doit éventuellement l’emporter sur l’autre 23. La revue qui précède rend compte d’une extrême incertitude, en droit civil, en ce qui concerne la nature du prix dans un contrat de vente. Or, à notre connaissance, ce débat n’a pas fait l’objet d’un quelconque examen à l’occasion des travaux parlementaires relatifs à la Loi sur les garanties financières et celle-ci ne comporte aucune indication ni dans un sens ni dans un autre. Solution du problème : une approche ouverte de la notion de contrepartie A la lumière de ce qui précède, à savoir une situation extrêmement confuse génératrice d’insécurité juridique, il serait hautement souhaitable que la Loi sur les garanties financières fasse la lumière sur ce point, lequel n’est pas anodin et ce, tant du point de vue juridique que pratique. Du point de vue juridique, la question demeure ouverte quant aux effets d’une requalification judiciaire d’un contrat de vente en contrat d’échange. Une telle requalification entraînerait-elle l’annulation judiciaire de la réalisation, au motif que la réalisation n’aurait pas été opérée selon l’une des modalités de réalisation permises par la Loi sur les garanties financières ? La requalification ne donnerait-elle au contraire lieu qu’à une compensation sous forme de dommages et intérêts, pour autant qu’il y ait un dommage et que ce dommage soit quantifiable ? Du point de vue pratique et, dans le cadre des opérations de restructuration de dette, la nature de la contrepartie offerte pour l’acquisition des biens réalisés n’est pas fortuite. Cette contrepartie s’ancre dans le cadre plus général de la restructuration de la dette. Or, l’un des concepts essentiels de toute restructuration est l’espoir de retour à meilleur fortune du groupe cible. Dans cette perspective, il est essentiel que les instruments de dette ou de quasi-capital mis en place permettent des remontées maximisant ce retour à meilleure fortune. Tel est l’objet des instruments variables que sont les titres hybrides, les titres de prêts participatifs ou obligataires. En revanche, une contrepartie sous forme numéraire pure ne fait pas bénéficier de ces mécanismes et a un caractère statique qui est de peu d’utilité. A raison de ce qui précède, il serait donc souhaitable que la Loi sur les garanties financières confirme expressément que le prix, tel que déterminé en numéraire, puisse être payé, en tout ou partie, au comptant ou par un paiement différé, sous une forme 23. De Page, op. cit., ibid. ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 8 que les parties à la vente auront choisi, que ce soit en numéraire, en nature, ou sous toute autre forme susceptible d’évaluation. Il importe en effet que la contrepartie soit évaluable objectivement afin que le vendeur puisse s’assurer que la modalité de paiement corresponde économiquement au prix déterminé 24. Une telle préconisation n’est nullement contraire aux prescriptions de la Directive garanties financières et est, par ailleurs, en phase avec une opinion doctrinale dont nous partageons entièrement, sur ce point, les analyses et les conclusions 25. B. Le dépassement de la vente comme modalité de réalisation sous forme de cession de gré à gré La discussion précédente a laissé clairement apparaître qu’au sein de la doctrine civiliste, les frontières entre les différentes catégories juridiques que sont la vente, l’échange, l’apport ou la dation en paiement sont, dans certaines hypothèses, poreuses et source d’incertitudes. Nous avons relevé que, selon la doctrine française majoritaire, admettre que le prix pourrait être sous une autre forme qu’en numéraire aboutirait à qualifier l’opération d’échange, et non plus de vente. Renversant la perspective par rapport aux développements précédents qui consistaient à maintenir à toute force la qualification de vente, et ce quelle que soit nature de la contrepartie, on peut se demander s’il est véritablement requis, après tout, que le mode de réalisation doive nécessairement s’opérer sous la forme d’une vente. En quoi en effet les intérêts légitimes des parties en cause, ainsi que ceux des tiers à la réalisation, seraient-ils atteints si, outre la vente, la cession opérée pouvait prendre la forme d’un quelconque type de contrat commutatif à titre onéreux, dès lors que la valeur de la contrepartie est fixée d’un commun accord et selon des critères vérifiables (en particulier en justice) ? Cette question a des incidences très pratiques dans le cadre des opérations de restructuration de dette. Il peut arriver en effet que les acteurs de la restructuration aient, par exemple, le projet de faire apporter les titres sociaux réalisés à une société, en échange de titres sociaux émis par cette autre société. En l’état actuel de la Loi sur les garanties financières, il faut d’abord passer par une vente, ou par une appropriation, pour pouvoir ensuite procéder à l’apport. Permettre l’apport en tant que mode 24. Comme cela a été justement souligné par P. Schleimer, art. cit., n° 22, p. 13, cette évaluation échappe en réalité au champ de protection visé par la Loi sur les garanties financières. Il s’agit donc seulement d’une protection qui sera exigée par le vendeur, qui doit légitimement se prémunir du risque de recevoir une contrevaleur inférieure au prix fixé. 25. P. Schleimer, art. cit., spéc. n° 22, pages 12-13. • Droit financier direct de réalisation ferait faire l’économie d’une opération juridique (la vente ou l’appropriation), générant des gains de temps et de coût. Cependant, une difficulté se présente : en son Article 4 (1) a), la Directive Garanties financières n’envisage, outre l’appropriation, que la vente comme mode de réalisation d’une garantie financière constituée sur des instruments financiers 26. Est-ce-à dire que, à l’instar de toutes les législations des Etats membres qui ont transposé dans leur droit national la Directive garanties financières, la Loi sur les garanties financières serait tenue de ne prévoir, au titre de la cession des avoirs nantis, que la modalité de la vente et serait par conséquent dans l’impossibilité d’élargir la palette, par exemple au profit d’autres types de transfert par voie commutative à titre onéreux ? La question posée revient à se demander si la Directive garanties financières est limitative ou si, au contraire, elle se borne à fixer un régime minimal que les Etats membres sont libres de dépasser. Si l’on s’en tient à une interprétation exégétique, la réponse ne va pas de soi. Il est extrêmement malaisé, voire divinatoire, de tirer interprétation dans un sens ou dans un autre de l’Article 4 (1) de la Directive. Tout au plus peut-on faire remarquer que le texte ne se présente pas comme expressément limitatif et n’emploie pas une formulation impliquant que le preneur de la garantie ne puisse réaliser que selon l’une des manières décrites. La même remarque vaut pour le Considérant 17 de la Directive, dont l’expression est neutre quant à la question posée : « La présente directive prévoit des procédures d’exécution rapide et non formelles (…) ». Une approche téléologique paraît en revanche plus féconde et, pour autant que l’interprétation exégétique se soit révélée vaine, ce qui est le cas en l’espèce, particulièrement justifiée 27. Cette approche est justifiée dans la mesure où la Directive garanties financières se présente comme un instrument juridique poursuivant un but politique clairement identifié : « Ce régime (de garanties financières) favorisera l’intégration et le fonctionnement au meilleur coût du marché financier ainsi que la stabilité du système financier de la Communauté et, partant, la libre prestation de services et la libre circulation des capitaux dans un marché unique des services financiers » 28. 26. « Les Etats membres veillent à ce que, dans les cas entraînant l’exécution de la garantie, le preneur de la garantie puisse réaliser d’une des manières décrites ci-après toute garantie financière fournie en vertu d’un contrat de garantie financière avec constitution de sûreté et conformément aux stipulations de celui-ci : a) tout instrument financier par voie de vente ou d’ appropriation (…) » 27. Dans le même sens favorable à une approche téléologique, P. Schleimer, art. cit., spéc. n° 22, page 13. 28. Considérant 3 de la Directive garanties financières. A ce but politique sont assignés des moyens comportant eux-mêmes une finalité bien précise, à savoir assurer la sécurité juridique aux détenteurs de garanties financières : « Pour renforcer la sécurité juridique des contrats de garantie financière, (…) » 29, « la présente directive vise à protéger la validité des contrats de garantie financière (…) » 30. Dans le même sens, le Considérant 17 précité, relatif à la réalisation des garanties financières, dispose que les modes d’exécution prévus visent à « préserver la stabilité financière et limiter les effets de contagion en cas de défaillance d’une partie à un contrat de garantie financière ». Il suit de ce qui précède que l’on est fondé à interpréter la Directive garanties financières à la lumière de ses buts et moyens et que, par la même, toute entreprise qui vise précisément à favoriser et à renforcer ces buts et moyens ne peut, pour autant qu’elle demeure dans une limite raisonnable, être considérée comme contraire à la directive. Une telle approche téléologique paraît d’autant plus fondée que la Directive garanties financières se présente elle-même comme fixant un seuil minimal, n’interdisant pas par conséquent aux Etats membres d’aller plus loin, pour leur compte, à condition, bien entendu, qu’ils inscrivent leur action dans les objectifs de la directive : « Etant donné que l’objectif de l’action envisagée, à savoir la mise en place d’un régime minimal concernant l’utilisation des garanties financières (…) » 31. N’est-ce pas là une invitation faite aux Etats membres de dépasser le socle minimal de la Directive garanties financières, étant entendu que cette dernière se cantonne pour sa part à fixer un cadre général plus modeste, limité par les contraintes politiques et par la nécessité de s’en tenir, au niveau communautaire, au plus petit dénominateur commun ? Aller plus loin peut consister, en particulier, à élargir l’offre des modes de réalisation permis. Dans cette perspective, adjoindre à la vente une ou plusieurs autres catégories de contrats nommés, tel que l’échange, ne paraît pas être la méthode la plus adéquate, dans la mesure où elle demeure restrictive. L’approche la plus dynamique consisterait à ce que l’Article 11 (1) b) de la Loi sur les garanties financières ait la formulation suivante : « céder ou faire céder, respectivement transférer ou faire transférer, les avoirs nantis par vente ou par tout autre type de contrat commutatif à titre onéreux opéré de gré à gré ». Chacun de ces modes alternatifs de réalisation serait bien entendu soumis, comme pour la vente, au respect des conditions commerciales normales, telles que visées par la Loi sur les garanties financières. A ce 29. Considérant 5 de la Directive garanties financières. 30. Considérant 13 de la Directive garanties financières. 31. Considérant 22 de la Directive garanties financières. ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 9 • Droit financier titre, il y a lieu à présent de se demander si le critère légal des conditions commerciales normales ne justifie pas, à son tour, une action volontariste de la part du législateur luxembourgeois. 2.2. La nécessaire clarification des « conditions commerciales normales » A. Position du problème : l’introuvable définition du concept de « conditions commerciales normales » L’Article 11 (1) b) de la Loi sur les garanties financières dispose que, entre autres mesures permises de réalisation du gage, le créancier gagiste peut céder ou faire céder les biens gagés par vente de gré à gré « à des conditions commerciales normales ». Ce concept des « conditions commerciales normales » résulte d’une transposition littérale du concept visé à l’Article 4(6) de la Directive garanties financières. Pour rappel, cette disposition de la Directive garanties financières se présente comme une option offerte aux Etats membres d’adjoindre cette condition aux modes de réalisation. S’agissant de la vente de gré à gré, le législateur luxembourgeois a choisi de retenir cette option. Par conséquent, cette condition s’applique en droit luxembourgeois dès lors que le recours à la vente de gré à gré est envisagé et ce, que le contrat de nantissement l’ait prévu ou non. Il s’agit en effet de toute évidence d’une règle impérative à raison même de sa ratio legis : la vente s’opérant dans un cadre purement privé et à la seule initiative du créancier gagiste, il convient de s’assurer que les droits du constituant ne sont pas atteints du fait d’une sous évaluation manifeste du prix de vente. La préservation des intérêts des tiers est également en jeu 32. La ratio legis inspirant cette condition est parfaitement légitime en ce qu’elle vise à prévenir d’éventuels risques d’abus. Le Considérant 17 de la Directive garanties financières se fait l’écho de cette préoccupation 33. La difficulté se situe ailleurs : elle réside, d’une part, dans le silence complet observé par les 32. On peut penser en particulier aux intérêts des prêteurs juniors. 33. « La présente directive prévoit des mesures d’exécution rapides et non formelles afin de préserver la stabilité financière et de limiter les effets de contagion en cas de défaillance d’une partie à un contrat de garantie financière. Elle concilie cependant ces objectifs avec la protection du constituant et des tiers en confirmant expressément la possibilité pour les Etats membres de conserver ou d’introduire dans leur législation nationale un contrôle a posteriori que les tribunaux peuvent exercer en ce qui concerne la réalisation ou l’évaluation de la garantie financière et le calcul des obligations financières ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 10 législateurs communautaire et luxembourgeois quant à ce qu’il faut entendre par « conditions commerciales normales » et, d’autre part, quant aux modalités par lesquelles le créancier gagiste est susceptible de pouvoir démontrer, le cas échéant en justice, qu’il a satisfait à cette condition. Il n’y a rien en effet dans la Directive garanties financières ou dans la Loi sur les garanties financières qui puisse renseigner sur le sens qu’il convient de conférer aux termes « conditions commerciales normales ». Les travaux préparatoires de la Loi sur les garanties financières sont également décevants à cet égard. Or, il faut admettre que le concept des « conditions commerciales normales » est susceptible d’interprétations diverses, ce qui génère une insécurité juridique majeure. B. Un concept à facettes multiples Les termes du débat ont été parfaitement posés par Pierre Schleimer et il convient de renvoyer, pour l’essentiel, aux excellents développements de l’auteur 34. Très schématiquement, la problématique consiste à déterminer si, par « conditions commerciales normales », les législateurs communautaire, puis luxembourgeois, ont entendu viser des conditions commerciales « chimiquement pures », symbolisées, au vœu de la doctrine économique libérale, par la rencontre entre une offre et une demande sur un marché transparent et ouvert ou si, au contraire, ce concept doit prendre en compte les spécificités concrètes de la situation en cause, tenant à l’extrême urgence de réaliser la restructuration de la dette pour sauver le groupe cible, à la considération du surendettement du groupe cible, aux coûts engendrés par le processus de réalisation, au souci légitime de confidentialité qui peut animer le groupe cible et ses dirigeants afin d’éviter le risque de prédateurs externes indésirables 35 ou d’alerte des salariés ou de la concurrence. En réalité, comme le souligne à juste titre Pierre Schleimer, il n’existe pas, dans un tel contexte, de véritable marché transparent au sens de la théorie économique. Les « conditions commerciales normales » ne peuvent par conséquent que prendre en compte de tels éléments parasites bien réels, et, à ce titre, essentiels. Toute autre approche s’apparenterait à une construction artificielle. De ce qui précède et à raison même de l’incertitude fondamentale qui préside au sens qu’ont voulu donner les législateurs communautaire et luxembour- couvertes. Ce contrôle devrait permettre aux autorités judiciaires de vérifier que la réalisation ou l’évaluation a été effectuée dans des conditions commerciales normales ». 34. P. Schleimer, art. cit., n° 18 s., page 12. 35. Pierre Schleimer mentionne les hedge funds potentiellement à l’affût (art. cit., n° 21, page 12). • Droit financier geois au concept de « conditions commerciales normales », on peut se demander s’il ne conviendrait pas que la Loi sur les garanties financières précise, a minima, que les « conditions commerciales normales » doivent s’entendre comme tenant compte de tous les éléments factuels, économiques, et financiers en cause au moment de la cession. Cependant, là n’est pas encore l’essentiel. L’essentiel, en la matière, réside en effet dans les modalités pratiques en vertu desquelles le créancier gagiste est à même de démontrer qu’il a pris toutes les mesures utiles et nécessaires pour veiller au respect des conditions commerciales normales. C. Les modalités de mise en œuvre des conditions commerciales normales Que doit faire en pratique le créancier gagiste pour s’assurer qu’il s’est conformé au criterium des conditions commerciales normales ? Etant entendu qu’il peut difficilement fixer de lui-même le prix 36 sans être taxé d’être juge et partie et étant observé que, aussi bien la Directive garanties financières que la Loi sur les garanties financières sont muettes sur ce point, plusieurs options viennent alors à l’esprit. On peut d’abord penser à l’organisation d’une vente publique, vers laquelle convergeraient les offres de manière ouverte et qui s’apparenterait le plus possible à une simulation de marché transparent au sens de la théorie libérale de marché. Cependant, quelle serait alors la différence entre une vente de gré à gré et une vente publique, qui est une autre modalité de réalisation expressément prévue par la Loi sur les garanties financières, et qui ne requiert pas qu’elle se tienne obligatoirement à la Bourse de Luxembourg 37 ? Il n’y aurait évidemment aucune différence et, par conséquent, on doit en déduire que la vente de gré à gré, au sens de la Loi sur les garanties financières, vise nécessairement d’autres cas de figure que la vente publique. Une version dégradée d’une vente publique consisterait en une enchère privée. On observera alors que, au caractère fondamentalement insatisfaisant du caractère privé de l’enchère – à qui doit être restreinte l’offre ? Selon quels critères ? Selon quelles modalités et délais d’information? – viennent se surajouter des inconvénients majeurs : lenteur quant à l’organisation de l’enchère, peu compatible avec 36. P. Schleimer, art. cit., n° 19, p. 12, souligne à juste titre que le critère des « conditions commerciales normales » vise d’abord et essentiellement, bien que non exclusivement, la détermination du prix de vente. 37. Art. 11 (2) Loi sur les garanties financières : l’organisation de la vente publique à la Bourse de Luxembourg est supplétive de volonté. l’urgence qui préside à la restructuration de la dette, coûts engendrés par le processus d’information (encarts dans les journaux financiers) et d’organisation de l’enchère, publicité défavorable faite au groupe cible, risque d’irruption de prédateurs à la stratégie imprévisible et susceptibles de proposer un prix manifestement déraisonnable aux seules fins de prise de contrôle du groupe cible. En somme, requérir l’organisation d’une enchère privée afin de répondre au critère des conditions commerciales normales apparaîtra le plus souvent comme présentant un bilan coûts-avantages négatif. Une dernière alternative se présente alors, consistant dans le recours à un expert indépendant et neutre, qui aura pour mission d’émettre un rapport d’évaluation. Cette solution apparaît de loin la plus réaliste, tout en étant de nature à respecter le criterium légal des conditions commerciales normales. La pratique ne s’y est pas trompée puisque, dans les opérations de réalisation des garanties financières qui se sont déroulées au Luxembourg jusqu’à présent, c’est cette voie qui a été suivie de manière répétée. Dans le cadre de son article précité, Pierre Schleimer semble également lui accorder ses faveurs 38. Si les praticiens et la doctrine semblent donc unanimes, c’est cependant au prix d’une libre interprétation de leur part du concept légal de « conditions commerciales normales ». Les praticiens, en particulier, ne peuvent qu’émettre des réserves dès lors que l’une ou l’autre partie à l’opération de réalisation requiert de leur part une confirmation expresse que cette analyse est pleinement conforme aux réquisitions légales. De là, une insécurité juridique indésirable, qui pourrait être évitable si la Loi sur les garanties financières venait préciser ce qu’il convient d’entendre par « conditions commerciales normales ». Cette précision devrait, à notre sens, tenir expressément compte de tous les éléments factuels, économiques et financiers en cause au moment de la réalisation du gage 39. Cette précision pourrait également mentionner que pour apprécier tous les éléments factuels, économiques et financiers en cause, il pourra être fait appel à un expert neutre et indépendant de toutes les parties en cause. 3. Section 2. Le régime juridique de la réalisation des garanties financières Le régime juridique de la réalisation des gages soumis à la Loi sur les garanties financières soulève un cer- 38. P. Schleimer, art. cit., n° 21 in fine, page 12. 39. Cf. point 2.2 de la présente section. ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 11 • Droit financier tain nombre de questions et de difficultés mises à jour lors des opérations de réalisation. Nous examinerons plus particulièrement trois d’entre elles, à savoir la question de la réalisation opérée sans que la dette soit due et exigible (3.1), la problématique de la validité de la renonciation par le constituant à tout droit de recours (3.2), et le risque de perception des droits d’enregistrement proportionnels (3.3). 3.1. La problématique de la réalisation opérée indépendamment d’une dette due et exigible La Loi sur les garanties financières comporte une caractéristique proprement révolutionnaire par rapport à la théorie classique du gage, qui considère cet instrument juridique comme un accessoire à la dette garantie (A). La Loi sur les garanties financières opère en la matière une rupture radicale qui n’est cependant pas sans soulever de sérieuses interrogations quant à son régime et ses effets (B). A. La rupture opérée par la Loi sur les garanties financières : le gage n’est plus un accessoire de la dette Le caractère révolutionnaire de la Loi sur les garanties financières Le contrat de gage est classiquement défini comme étant une sûreté réelle sur une chose mobilière donnée en garantie du remboursement d’une dette principale. En ce sens, le gage est défini comme étant un accessoire de la dette, au sens où, d’une part, un lien ontologique existe entre les deux instruments que sont la dette et le gage et où, d’autre part, la réalisation du gage est subordonnée au non-remboursement de la dette et donc à la défaillance du débiteur principal 40. Or, une lecture attentive de la Loi sur les garanties financières laisse apparaître que cette conception classique et immémoriale du gage semble avoir fait long feu. En effet, l’Article 1 de la Loi sur les garanties financières définit comme « fait entraînant l’exécution de la garantie » : « une défaillance ou tout autre évènement convenu entre les parties 41 dont la survenance, en vertu du contrat de garantie financière ou du contrat contenant l’obligation financière couvert ou en application de la loi, habilite le preneur de la garantie à réaliser la garantie finan- 40. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, Bruxelles, 1942, n° 1015, p. 1002 ; L. Aynès et P. Crocq, Les sûretés, la publicité foncière, Paris, 4ème éd., 2009, n° 500, p. 222. 41. C’est nous qui soulignons. ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 12 cière ». Cette disposition est à relier à l’Article 11 (1) de la Loi sur les garanties financières, lequel dispose : « En cas de survenance d’un fait entraînant l’exécution de la garantie, le créancier gagiste peut, sauf convention contraire, soit : (…) » 42. De manière frappante, la Loi sur les garanties financières semble aller plus loin que la Directive garanties financières, dans la mesure où L’Article 2 (1) l) de cette dernière définit comme « fait entraînant l’exécution » : « une défaillance ou tout autre évènement similaire convenu entre les parties ». Par conséquent, la Directive garanties financières semble encore conditionner le droit de réaliser la garantie financière au non-remboursement de la dette de la part du débiteur. On peut par conséquent légitimement se demander si l’interprétation donnée à l’Article 1 de la Loi sur les garanties financières est bien celle que l’on subodore ou bien ne s’agirait-il que d’une formulation ambiguë n’ayant pas vocation à déroger à l’Article 2 (1) l) de la Directive garanties financières ? La première interprétation est cependant confortée par l’examen des travaux préparatoires de la Loi sur les garanties financières : « La définition de « fait entraînant l’exécution de la garantie » ne reprend pas le terme d’évènement « similaire » afin d’éviter des problèmes d’interprétation de ce terme et de laisser la liberté aux parties de définir les évènements pouvant provoquer la réalisation de la garantie » 43. Le Conseil d’Etat semble aussi s’être rallié à cette interprétation : « Le Conseil d’Etat note que les auteurs du projet de loi ont bien choisi le terme de « garanties financières » et non celui de « sûretés ». Le choix des notions dans ce contexte n’est pas anodin. La doctrine a pu définir les garanties comme étant « des avantages spécifiques à un ou plusieurs créanciers dont la finalité est de suppléer à l’exécution régulière d’une obligation ou d’en prévenir l’exécution. La notion de garantie aurait donc un caractère fonctionnel, alors que la sûreté se caractérise par une finalité particulière » 44. En conclusion, alors que la Directive maintient le caractère d’accessoire de la sûreté par rapport à la dette, la Loi sur les garanties financières semble instituer le gage comme étant une sûreté réelle autonome par rapport à la dette. Cette interprétation semble partagée par les auteurs d’une contribution récente, quand bien-même ces derniers relèvent les difficultés conceptuelles soulevées par cette possibilité 45. 42. Suit l’énumération des différents modes de réalisation du gage. 43. Doc. parl. n° 5251, Commentaire des articles, p. 14, Ad Article 1. 44. Doc. parl. n° 5251-3, Avis du Conseil d’Etat luxembourgeois du 13 mars 2005, page 2. 45. H. Wagner et A. Djazayeri, art. cit., pages 40 s. • Droit financier Si, par conséquent, tel est bien le sens à conférer à l’Article 1 de la Loi sur les garanties financières, il faut alors admettre le caractère révolutionnaire de ce texte par rapport à la théorie classique du droit civil, qui veut qu’une sûreté ne soit que l’accessoire de la dette, et constater qu’elle ouvre un champ de perspectives jusqu’alors ignoré. Des perspectives nouvelles en termes de réalisation des garanties financières Le plus fréquemment, le schéma contractuel de financement implique, en cas de survenance d’un quelconque cas de défaut (event of default) de la part du débiteur, l’accélération de la dette, laquelle devient alors due et exigible. Etant donnée l’asphyxie financière du groupe cible, le paiement de la dette ne pourra pas, bien souvent, être honoré. Dans un tel cas de figure, la théorie classique du gage reposant sur l’accessoire se suffit alors à elle-même pour déclencher l’événement générateur de réalisation du gage, puisque la défaillance est établie. Cependant, il apparaît qu’une accélération de la dette est problématique, dans la mesure où, à l’instant même où la dette devient exigible, les entités emprunteuses et garantes au niveau du groupe cible se trouvent ipso facto en état de faillite. Les dirigeants de ces entités ont alors pour obligation légale de demander l’ouverture de procédures d’insolvabilité … au risque que de telles procédures aient pour effet de neutraliser, interdire ou, plus largement, rendre plus difficile la procédure de réalisation des garanties financières de droit luxembourgeois. L’exigibilité de la dette pose par conséquent un problème majeur du point de vue de l’efficacité des sûretés. L’idée germe alors de découpler évènement générateur de la réalisation de la garantie financière et exigibilité de la dette, et c’est ici que le caractère révolutionnaire de la Loi sur les garanties financières prend toute sa dimension. Ainsi, pour ne prendre qu’un seul exemple, considérons qu’un cas de défaut (event of default) soit constitué par le non-respect par le débiteur du ratio d’endettement permis par rapport à ses fonds propres consolidés, tel que prévu dans le cadre des documents de financement. Prenons pour hypothèse qu’aux termes de la documentation de financement, ce cas de défaut n’a pas nécessairement pour effet d’entraîner l’exigibilité de la dette. Cependant, à l’estime des prêteurs, la survenance de cet évènement peut être légitimement perçue comme le signe avant-coureur d’une défaillance financière prochaine de l’emprunteur. Pour autant que le contrat de gage ait prévu qu’un tel cas soit compris au nombre des évènements générateurs de la réalisation, la Loi sur les garanties financières semble donner droit à la réalisation du gage, et ce, sans que la dette soit chue et due. Ce faisant, la réalisation du gage pourra être menée sans qu’il y ait le risque que soient ouvertes des procédures collectives concomitantes susceptibles de venir menacer l’efficacité de la réalisation, puisque techniquement, un tel cas de défaut n’est pas nécessairement constitutif d’un état de faillite. Le tour est joué ! Une telle possibilité laisse rêveurs nombre d’observateurs non luxembourgeois, pour qui une telle perspective est tout simplement inconcevable sur la base de leurs systèmes juridiques nationaux, lesquels systèmes juridiques demeurent fermement attachés à la conception classique du gage comme sûreté accessoire d’une dette. Sur ce point, comme sur d’autres, la Loi sur les garanties financières est un instrument juridique hors de pair et confère au droit luxembourgeois un avantage comparatif indéniable. Cependant, la mise en œuvre et les effets d’une réalisation opérée dans ces conditions n’est pas sans susciter certaines perplexités et interrogations. B. Les interrogations liées au régime et aux effets de la réalisation Dans l’hypothèse précitée de réalisation d’un gage sur base de la survenance d’un cas de défaut n’ayant pas pour effet d’entraîner l’exigibilité anticipée de la dette, on peut légitimement s’interroger quant au mécanisme sous-tendant la distribution du produit de la réalisation. Comment s’opère la décharge subséquente du constituant ou du débiteur principal ? Comment la décharge peut-elle s’opérer en fait et en droit alors que, par hypothèse, il n’y pas de montants exigibles du fait de l’absence d’accélération de la dette ? Dans le cadre d’un financement structuré, l’agent des sûretés peut-il, en toute confiance, distribuer le produit de la réalisation entre les différents prêteurs et opérer proportionnellement la décharge au bénéfice du débiteur, alors même que celui-ci a parfaitement assuré jusqu’alors le service de sa dette ? L’agent des sûretés ne court-il pas le risque de voir le débiteur saisir les tribunaux aux fins de constater et de sanctionner sa mauvaise foi consistant à le priver définitivement de tous ses moyens de remboursement de sa dette que sont les avoirs gagés, alors même qu’il a, jusqu’alors, respecté scrupuleusement ses échéances de remboursement ? Une telle réalisation ne heurte-t-elle pas l’équité et les principes généraux du droit, tels que les principes d’équité et bonne foi dans l’exécution des contrats (Articles 1134, al. 3 et 1135 du Code civil) ? N’est-elle pas constitutive d’un enrichissement sans cause, source de responsabilité quasi-contractuelle 46 ? 46. Même si l’on admet que la Loi sur les garanties financières est dérogatoire par rapport au gage de droit civil (en ce sens, Réf. Luxembourg, 4 décembre 2009, N° 879/2009), on peut penser que les principes généraux du droit des obligations s’appliquent aux garanties financières. ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 13 • Droit financier L’agent des sûretés ne pourrait-il tout au plus que s’approprier les avoirs gagés et les conserver sous écrou jusqu’à la constatation d’un défaut de paiement ultérieur de la part du débiteur, l’autorisant alors à vendre lesdits avoirs et en distribuer le produit aux prêteurs 47 ? Sur toutes ces questions cruciales, la Loi sur les garanties financières ne fournit aucune indication susceptible de calmer les inquiétudes que peuvent nourrir les bénéficiaires de gages, et plus particulièrement les agents des sûretés. Or, ces derniers redoutent par-dessus tout que l’opération de réalisation dont ils ont la charge ne puisse être menée à terme en toute sécurité juridique et que leur responsabilité puisse être engagée ultérieurement. En pratique, on peut penser qu’ils s’abstiendront prudemment de s’engager dans une telle voie, sauf à ce que la Loi sur les garanties financières vienne leur donner des assurances tangibles. Une telle abstention prive d’effet une virtualité extrêmement attractive de la Loi sur les garanties financières. On ne peut que le regretter et espérer que le législateur luxembourgeois s’empare de cette question sensible. 3.2. La problématique de la renonciation à tout droit de recours de la part du constituant La problématique dont il s’agit ayant fait l’objet d’un exposé exhaustif 48, il convient seulement d’en rappeler les lignes essentielles. Dès lors que, par l’effet de la réalisation du gage, le constituant a acquitté tout ou partie de la dette, il se voit conféré un droit légal de recours subrogatoire qu’il peut exercer à l’encontre du débiteur principal et/ou des co-garants de la dette. Le droit de subrogation légal du garant est consacré par l’article 1251, al. 3, du Code civil luxembourgeois : « La subrogation a lieu de plein droit (…) au profit de celui qui, étant tenu avec d’autres ou pour d’autres au paiement de la dette, avait intérêt à l’acquitter ». Le droit de subrogation légal au profit du constituant du gage est en pratique particulièrement incompatible avec les mécanismes inhérents aux opérations de financement structuré et à la réalisation des gages. En effet, comme il a été justement souligné 49, ce droit de subrogation s’exercera contre des entités juridiques du groupe cible qui se trouveront, par suite de la réalisation, sous le contrôle de l’acquéreur. Il s’ensuit deux effets néfastes du point de vue du créancier gagiste : le gage dont il dispose à une valeur économique nulle par le fait même que, à la 47. En ce sens, H. Wagner et A. Djazayeri, art. cit., page 42. 48. P. Schleimer, art. cit., n° 26 s., pages 13 s. 49. P. Schleimer, art. cit., n° 27, pages 13 s. ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 14 réalisation, il s’appropriera ou cèdera des avoirs grevés d’une dette correspondant à la valeur de ces avoirs. En second lieu, le créancier gagiste s’appropriera ou cèdera des avoirs générateurs d’une dette équivalente à la valeur de réalisation. Ces deux effets résultant du droit de subrogation légal sont naturellement dissuasifs et la raison veut alors que créancier gagiste invite le constituant du gage à renoncer, par avance, à ce droit. Or, rien ne dit que la renonciation par avance au droit de subrogation légal soit elle-même … légale. Le doute à tout le moins existe, dans la mesure où ni la jurisprudence ni la doctrine ne fournissent de guides sûrs en la matière 50. Le caractère impératif ou non, d’ordre public ou non, de l’article 1251, al. 3, du Code civil demeure par conséquent une question ouverte. La renonciation soulève également une interrogation en termes d’intérêt social du renonçant 51. A raison de ce qui précède, il est souhaitable que la Loi sur les garanties financières vienne confirmer expressément que le constituant puisse valablement renoncer par avance au droit de subrogation légal. On notera avec satisfaction que cette avancée a été inscrite au programme du projet de loi n° 6164 52, déposé devant la Chambre des Députés le 30 juillet 2010. Il est en effet prévu d’insérer un nouveau paragraphe (6) à l’Article 2 de la Loi sur les garanties financières, qui aura la teneur suivante : « Les parties à un contrat de garantie financière peuvent convenir que le constituant de la garantie financière renonce, en cas d’exécution de cette garantie, à tout recours qu’il pourrait avoir contre le débiteur des obligations financières couvertes. Une telle renonciation est valable entre (les) parties et (est) opposable aux tiers ». 3.3. La problématique du risque de perception des droits d’enregistrement proportionnels Si les praticiens peuvent se baser sur un certain nombre de précédents pour résoudre la majorité des questions de droit fiscal pouvant intervenir lors de la 50. P. Schleimer, art. cit., note infra-paginale 52, renvoie à un auteur faisant autorité en doctrine française (Ph. Simler), et dont l’exposé semble pouvoir être interprété de deux manières diamétralement opposées. 51. Si tant est, bien entendu, que le renonçant soit une société commerciale. P. Schleimer, art. cit., n° 28, p. 14, vide cette dernière objection au moyen d’une argumentation classique, mais non moins pertinente, selon laquelle l’intérêt social, du point de vue du constituant luxembourgeois, est nécessairement constitué par l’octroi du crédit, sous condition de renonciation au droit de subrogation légal. 52. Projet de loi portant transposition de la directive 2009/110/CE et de la directive 2009/44/CE, Doc. parl. 6164. • Droit financier réalisation d’un gage (on peut citer, s’agissant des questions les plus fréquemment rencontrées, la possible réalisation de plus-values au moment lors de vente de gré à gré ou au moment de l’appropriation les biens gagés par le créancier gagiste ou les abandons de créances entre sociétés anciennement liées), il demeure une incertitude au sujet des droits d’enregistrement et, en particulier, du droit d’enregistrement ad valorem de 0,24 % prélevé, en substance, sur les valeurs exprimées dans les contrats de gage. A. Position du problème La problématique pratique est la suivante : aux termes des Articles 42 et 47 de la loi du 22 Frimaire an VII, un juge luxembourgeois ne peut rendre aucun jugement sur la base d’actes non enregistrés, à peine d’être personnellement redevable du paiement des droits d’enregistrement. S’agissant d’un contrat de gage devant être soumis à l’enregistrement en ces circonstances, la difficulté réside dans le fait que, le plus souvent, sinon systématiquement, le contrat de gage fait mention, plus ou moins en détail, du ou des contrats de financement sous-jacents. Ces contrats sous-jacents sont alors susceptibles de faire l’objet de la perception du droit d’enregistrement ad valorem de 0,24 %, en particulier si les montants des prêts figurent en toutes lettres dans le contrat de gage. Etant donné le montant souvent élevé des prêts (de plusieurs millions à plusieurs centaines de millions d’euros), les montants en jeu de droits d’enregistrement ne seront pas modiques. Sans entrer ici dans le détail de la base juridique de la perception de ce droit 53, nous nous contenterons de rappeler qu’à la lecture conjointe des dispositions relatives au taux des droits d’enregistrement 54, sont soumis au droit d’enregistrement, au taux effectif de 0,24 % 55, « les contrats, promesses de payer, arrêtés de comptes, billets, mandats, les transactions de sommes payées ou non ; les transports, cessions, quittance subrogatoires et délégations de créances à termes ; les délégations de prix stipulées dans un contrat, pour acquitter des créances à terme envers un tiers sans énonciation de titre enregistré, (…), les conventions de crédit ouvert sur tout le montant de l’ouverture de crédit et abstraction faite de la réalisation du crédit, ainsi que tous autres actes ou écrits, qui contiendront obligation de sommes, sans libéra- 53. Un tel examen de détail a été fait par M. Junius-Gaston, La réalisation du gage en temps de crise : conséquences fiscales « collatérales » ? Quelques pistes de réflexion, ALJB – Bulletin Droit et Banque, n° 45, mai 2010, p. 46 s. 54. Le détail s’en trouve, d’une part, sous le chapitre V du volume 5 du code fiscal luxembourgeois, section « Enregistrement », et, d’autre part, dans la loi du 22 frimaire An VII, dont le détail se trouve sous le chapitre XIX du volume 5 du code fiscal luxembourgeois, section « Enregistrement ». 55. Il s’agit d’un taux de 0,20 % majoré de 0.04 %. lité et sans que l’obligation soit le prix d’une transmission de meubles ou d’immeubles non enregistrée ». Seules les notes, que l’on traduit généralement en français par « obligations », et, d’une manière plus générale, les obligations de payer résultant d’un emprunt collectif fractionné en notes d’égale valeur remboursables à une même date et déclenchant un même intérêt, ne sont pas soumis à ce droit d’enregistrement 56. A contrario, tout emprunt contracté sous une autre forme qu’un emprunt collectif ne devrait donc pas échapper, en principe, à la perception de ce droit. Le risque effectif de perception des droits d’enregistrement dans les scénarios précités n’est donc pas théorique 57 et est, semble-t-il, expressément confirmé par l’Administration de l’Enregistrement 58, même si cette position de l’administration peut être considérée comme une interprétation extensive, et ce, à un double titre, de la loi fiscale. En premier lieu, cette interprétation consistant à frapper des actes sous-jacents à l’acte soumis à l’enregistrement ne va-t-elle pas à l’encontre du principe général, voire constitutionnel, d’interprétation stricte du droit fiscal 59 ? En second lieu, l’Article 26 de la Loi sur les garanties financières dispose que les actes constatant un contrat de garantie financière « sont enregistrés au droit fixe s’ils sont présentés à la formalité de l’enregistrement ». N’y-a-t-il pas là le vœu clairement exprimé par le législateur de soustraire les contrats de garantie financière à la perception du droit proportionnel, laquelle irait à l’encontre de la démarche proactive et favorable aux intérêts des opérateurs qui inspire la Loi sur les garanties financières ? Si l’Article 26 de la Loi sur les garanties financières, ainsi 56. Cette exception figure en note explicative sous la section énumérant les différents taux des droits d’enregistrement applicables, Code fiscal, Vol. V, Titre 2, mise à jour au 1er janvier 2009, p. 24. 57. La question de l’incidence que peut avoir une telle disposition dans les relations entre les parties au contrat de gage, mais également plus en amont au moment de la mise en place des garanties, peut légitimement se poser, en particulier dans un contexte où un débiteur n’arrive plus à faire face à ses échéances. Il est en effet probable que par le jeu des dispositions contractuelles, le créancier gagiste met ou mettra cette charge additionnelle à la charge du constituant. Ce dernier étant l’emprunteur ou le garant, toute charge venant à survenir du fait de la réalisation du gage devra être supportée par ce dernier. Or en pratique, le constituant, au moment de la réalisation du gage, sera difficilement en position financière de subir une telle charge qui peut s’élever, le cas échéant, à un montant relativement substantiel. Il est donc probable que cette charge reposera in fine sur le créancier gagiste, en tous cas s’il souhaite faire valoir ses droits sur la base du contrat de gage. 58. M. Junius-Gaston, art. cit., p. 49. 59. A. Steichen, Précis de droit fiscal de l’entreprise, Luxembourg, 2ème éd., 2002, p. 23. ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 15 • Droit financier que les travaux préparatoires de la loi, sont silencieux sur le point de savoir si par « actes constatant un contrat de garantie financière », il faut également comprendre les actes sous-jacents mentionnés dans les contrats de garantie financière, on peut légitimement se demander si, implicitement mais assurément, le législateur n’a pas entendu également couvrir tous les actes et obligations sous-jacents. A défaut d’une telle interprétation téléologique, le but poursuivi par l’Article 26, à savoir limiter l’incidence fiscale de la formalité de l’enregistrement, ne serait pas atteint. En dépit des contre-arguments juridiques que l’on peut opposer à l’interprétation suivie par l’administration de l’enregistrement, le risque n’est cependant pas théorique et appelle une réflexion plus avant visant à résoudre cette problématique, qui génère de toute évidence une insécurité juridique défavorable. B. Solution du problème Deux approches distinctes sont envisageables. Une première approche contractuelle se heurte cependant à des objections d’ordre pratique. Une seconde approche de type normatif semble plus adéquate. Les limites de l’approche contractuelle S’inspirant d’une note de service de la Direction de l’Enregistrement et des Domaines du 29 février 2008 60, on a pu proposer une première approche de contournement du problème consistant à ne pas mentionner le contrat de financement sous-jacent, ou, à tout le moins son montant, dans le contrat de gage lui-même 61. Cette approche est une application spécifique d’une pratique déjà couramment employée en matière d’apports de créances. Cette solution ne semble cependant que partiellement satisfaisante, dans la mesure où elle se heurte à une objection d’ordre pratique. On imagine en effet assez malaisément un contrat de gage qui ne ferait aucune référence quelque peu précise à la créance originelle qu’il a pour objet de sécuriser. Il existe un lien ontologique et indissociable entre le gage et la dette sous-jacente et le contrat de gage doit nécessairement le refléter. Outre cela, il y va de la sécurité des parties à la transaction. On imagine difficilement un débiteur accorder un « blanc-seing » sur ses actifs sans que l’on puisse se référer avec certitude à la créance garantie, à la fois dans son montant et dans sa durée. Une telle omission de la mention de la dette sous-jacente dans le contrat de financement semblera d’autant plus hasardeuse s’il existe des 60. Cité par M. Junius-Gaston art. cit., p. 49. 61. M. Junius-Gaston art. cit., p. 50. ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 16 créanciers de rangs différents bénéficiant chacun de nantissements sur les mêmes actifs du constituant, si la créance à l’origine du gage est cédée ou est remboursée, en tout ou partie. Les avantages d’une approche normative Une autre approche consisterait à adresser la problématique du point de vue normatif, qui serait de nature à conférer une plus grande sécurité juridique. Indiquons d’emblée que cette approche normative ne préjuge pas des résultats auxquels elle pourrait aboutir. En effet, la problématique de la perception des droits d’enregistrement s’inscrit dans la politique fiscale globale suivie par le Luxembourg et tous les paramètres de cette politique doivent être appréciés à cet égard. En particulier, le budget de l’Etat peutil s’accommoder de la suppression du droit d’enregistrement proportionnel prélevé sur la base des contrats de gage ? D’autres considérations doivent également être prises en considération : vis-à-vis des juridictions étrangères faisant directement concurrence au Luxembourg en matière de financements structurés, le Luxembourg peut-il se permettre de soumettre les contrats de gage à des droits proportionnels dont les montants peuvent être éventuellement élevés ? Dans le même ordre d’idées, le Luxembourg peut-il prendre le risque de voir des procédures judiciaires ayant pour objet la contestation de la validité du droit d’enregistrement proportionnel prélevé sur la base d’un contrat de gage et dont le retentissement à l’étranger pourrait être défavorable aux intérêts luxembourgeois ? L’approche normative peut se situer à différents niveaux. A un premier niveau, on peut envisager une initiative prise par l’administration de l’enregistrement ellemême, laquelle confirmerait expressément sa position, par exemple dans le cadre d’une circulaire. A un second niveau, qui peut paraître plus adéquat en termes de sécurité juridique, on peut penser qu’il serait souhaitable que l’Article 26 de la Loi sur les garanties financières précise expressément, si telle est la voie choisie, que par « actes constatant un contrat de garantie financière », il faut y inclure les actes ou obligations mentionnés expressément ou implicitement dans lesdits actes constatant un contrat de garantie financière. 4. Section 3. Les effets de la réalisation des garanties financières La Loi sur les garanties financières suscite deux difficultés particulières, tenant, en premier lieu, aux effets d’une réalisation opérée en violation de la Loi • Droit financier sur les garanties financières (4.1) et, en second lieu, au champ d’application du contrôle judiciaire (4.2). 4.1. Effets d’une réalisation opérée en violation de la Loi sur les garanties financières A. Position du problème Une réalisation contra legem d’une garantie financière peut s’envisager à différents niveaux. Il se peut d’abord qu’une des conditions essentielles du droit des obligations soit enfreinte : on peut songer à un vice du consentement ou à une contestation relative aux droits du créancier gagiste opérant la réalisation. Tel pourrait être le cas, par exemple, d’un créancier gagiste de second rang qui réaliserait le gage en violation des droits du créancier gagiste de premier rang. On doit cependant constater que de telles situations débordent le champ de la Loi sur les garanties financières. Il s’agira de contraventions au droit des obligations en général, et, par conséquent, on peut penser que les sanctions attachées par le droit des obligations à la violation de ces conditions de formation ou d’exécution des obligations, que ce soit, selon les cas, par la nullité du contrat, l’inexistence d’une clause non écrite, la résolution judiciaire, la modification judiciaire ou la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle, doivent s’appliquer, sans que la Loi sur les garanties financières n’y ait rien à y retrancher ou à y ajouter. Il n’y a dès lors pas lieu d’analyser davantage ces situations. D’autres situations visent le cas où la réalisation s’opèrerait en violation des stipulations contractuelles conclues entre les parties, telles que ces obligations figurent dans les contrats de financement ou d’autres contrats (p. ex., dans le cadre d’un financement structuré, un intercreditor agreement qui a pour objet de prévoir les droits et obligations des différentes catégories de prêteurs). On peut penser que, là aussi, la Loi sur les garanties financières est extérieure à la violation de ces obligations contractuelles. Les sanctions y attachées résulteront soit des dispositions contractuelles elles-mêmes, soit de la loi qui leur est applicable 62. Il n’y a pas non plus lieu d’examiner plus avant ces cas de figure. Il se peut encore que les modalités de réalisation du gage ne correspondent pas à l’un des modes de réalisation visés par la Loi sur les garanties financières. Tel pourrait être le cas, comme nous l’avons vu, d’une réalisation opérée sous la forme exprimée d’une 62. En règle générale, le droit luxembourgeois n’est pas désigné par les parties comme étant le droit gouvernant ces obligations contractuelles. vente de gré à gré mais qui doit être requalifiée en échange, c’est-à-dire selon une modalité de réalisation ignorée par la Loi sur les garanties financières. Enfin, s’agissant de la réalisation sous forme de vente de gré à gré, on ne peut ignorer l’éventualité qu’une telle vente ne soit pas faite à des « conditions commerciales normales ». Dans ces deux dernières hypothèses (mode de réalisation non autorisé par la Loi sur les garanties financières, violation des « conditions commerciales normales »), c’est bien le respect des dispositions de la Loi sur les garanties financières qui est en cause et qui doit retenir notre attention. Quelles sont les sanctions et, plus généralement, les effets qui s’attachent à de telles hypothèses ? Ni la Directive garanties financières ni la Loi sur les garanties financières n’apportent de réponses, ni-mêmes ne fournissent la moindre indication. Or, la question est cruciale pour chacune des parties. Elle l’est pour le constituant du gage, qui est en droit de savoir quelles sont les sanctions auxquels sont exposées les autre parties, en particulier le créancier gagiste, au cas où ce dernier enfreindrait les dispositions de la Loi sur les garanties financières et porterait atteinte à ses droits. La question est tout autant cruciale pour le créancier gagiste, qui peut légitimement se demander à quels risques il s’expose dans l’hypothèse d’une réalisation non conforme à la Loi sur les garanties financières. La question est cruciale, enfin, pour l’acquéreur des biens ayant fait l’objet de la réalisation au moyen d’une vente de gré à gré : selon qu’il pourra être considéré comme ayant agi de bonne foi ou non, sera-t-il, le cas échéant, tenu de restituer les biens acquis ? A défaut de réponses susceptibles d’être fournies par la Directive ou la Loi sur les garanties financières, les effets d’une réalisation faite en violation de la Loi sur les garanties financières sont, a priori, de trois ordres possibles : annulation de la réalisation, octroi de dommages et intérêts, et/ou révision judiciaire. B. Analyse du problème La théorie des nullités virtuelles fait peser une épée de Damoclès sur la réalisation des garanties financières et appelle, par là-même, une intervention législative. Cette première conclusion conduit à s’interroger sur la direction que devrait prendre une telle intervention. La théorie des nullités virtuelles appelle une intervention législative La nullité « consiste en une sanction produite par la réaction de l’ordre juridique à la violation de la loi dans la conclusion de l’acte » 63. Cette sanction, obli- 63. C. Thibierge, Nullité, restitutions et responsabilité, Paris, 1992, n° 927. ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 17 • Droit financier geant les parties à effectuer la restitution de ce qui a fait l’objet de l’opération incriminée, entraîne un retour au statu quo ante : elle consiste à remettre les parties dans l’état où elles se trouvaient si le contrat n’avait pas été conclu 64. La nullité offre l’avantage de la simplicité 65. Etant donné le caractère pour le moins radical des effets de la nullité sur les parties, la question se pose de savoir si toute nullité ne doit pas nécessairement avoir un fondement textuel, émanant d’une volonté exprimée par le législateur de sanctionner par l’anéantissement tout acte juridique ayant contrevenu à telles prévisions de la loi. La règle « pas de nullité sans texte » est-elle d’application générale et, si tel est le cas, peut-on en déduire de ce que la Loi sur les garanties financières ne frappant pas expressément de nullité la violation de ses dispositions, que les tribunaux ne pourraient en faire application ? La règle « pas de nullité sans texte » prévaut en effet pour certaines institutions qui intéressent les tiers et, à travers eux, la société 66. Ainsi en va-t-il notamment en matière de mariage 67 et de sociétés 68. Il n’existe pas, à notre connaissance, une extension de ce principe au droit des sûretés. A défaut, les tribunaux pourraient-ils, le cas échéant, prononcer l’annulation de la réalisation dans le silence de la Loi sur les garanties financières ? C’est tout le débat autour des nullités textuelles et des nullités virtuelles qui est en jeu. A défaut de texte édictant les cas de nullités, on considère que le silence de la loi ne fait pas, à lui seul, obstacle au prononcé de la nullité, laquelle, si elle est prononcée, est alors dite virtuelle 69. Il faut cependant que les intérêts en jeu soient suffisamment importants pour justifier une telle sanction 70 et il revient à la jurisprudence de résoudre la question règle par règle 71. Par conséquent, il est insuffisant, pour pouvoir conclure que la Loi sur les garanties financières exclurait l’annulation d’une réalisation violant ses dispositions, de tirer argument du silence de la loi sur ce point. que cet esprit serait traduit dans ses travaux préparatoires et/ou dans les dispositions mêmes de la Loi sur les Garanties financières. S’agissant des travaux préparatoires, on a fait valoir le commentaire de l’Article 11 du projet de loi sur les garanties financières, aux termes duquel le créancier gagiste engagerait sa responsabilité s’il ne respectait pas la condition des « conditions commerciales normales » 73. Peut-on en déduire que cette référence à la responsabilité n’équivaudrait qu’à la mise en cause de la responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle, selon les cas, se résolvant en dommages et intérêts, et excluant par conséquent la sanction de l’annulation ? S’agissant de la Loi sur les garanties financières elle-même, on peut être tenté de se fonder sur la volonté politique qui s’y trouve imprimée de voir immuniser, dans toute la mesure possible, l’exécution des garanties financières et de favoriser la sécurité juridique au profit des détenteurs de garanties financières. On pouvait cependant se demander, et on s’est en effet demandé 72, si, à défaut d’une affirmation expresse de la Loi sur les garanties financières, il était possible de tirer argument de l’« esprit » de la loi, tel Les sources précitées sont cependant extrêmement incertaines. Sans même ranimer la question de la force juridique attribuable aux travaux préparatoires d’une loi, on ne peut tout d’abord que s’interroger sur le point de savoir si le commentaire de l’Article 11 du projet de Loi sur les garanties financières vaut exclusion expresse de la nullité 74. On peut se demander s’il ne s’agit pas seulement d’une formulation très générale par laquelle il est simplement rappelé que tout abus dans la réalisation que commettrait le créancier gagiste doit être sanctionné, l’irrespect des « conditions commerciales normales » constituant la mesure de l’abus. S’agissant de l’« esprit » de la Loi sur les garanties financières elle-même, il est également extrêmement difficile, sinon impossible, d’en déduire que le souci de sécurité juridique qui l’anime exclurait ipso facto tel ou tel type de sanctions en cas de violation de ses dispositions. Comme certains commentateurs l’ont fait 75 et comme nous-mêmes l’envisagerons plus avant, une telle analyse permet davantage de cerner des lignes directrices en termes d’intervention judiciaire permise que d’en tirer de véritables conclusions quant aux sanctions pouvant résulter de l’irrespect de la Loi sur les garanties financières. 64. C. Thibierge, op. cit., n° 928. 65. L. Fin-Langer, L’équilibre contractuel, Paris, 2002, p. 334. 66. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Les obligations, 7ème éd., Paris, 1999, n° 79, p. 92. 67. F. Terré et D. Fenouillet, Les personnes, La famille, Les incapacités, Paris, n° 292 s. 68. A. Steichen, Précis de droit des sociétés, 2ème éd., Luxembourg, 2010, p. 176 s. 69. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, op. cit., ibid. 70. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, op. cit., ibid. Les auteurs citent à l’appui Planiol et Ripert, ainsi que J. Ghestin. 71. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, op. cit., ibid. 72. P. Schleimer, art. cit., n° 30, p. 15. 73. Doc. parl. n° 5251, Commentaire des articles, p. 19, Ad Article 11. Eg. en ce sens ibid., p. 21, mais dans le contexte très particulier de l’Article 20(4) de la Loi sur les garanties financières. 74. V. les intéressants développements de P. Hurt, La compensation comme garantie d’une créance sur un débiteur en faillite, JT Luxembourg, préc., p. 40, n° 63 s., par lesquels l’auteur s’insurge contre une interprétation de la Loi sur les garanties financières aboutissant à exclure la nullité de la garantie en cas de fraude entre les parties. L’auteur se fonde sur le principe fraus omnia corrumpit. 75. P. Schleimer, art. cit., n° 29 s., p. 14 s. ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 18 • Droit financier L’incertitude qui entoure la nature des sanctions frappant la violation de la Loi sur les garanties financières est préjudiciable. Des précisions législatives seraient par conséquent les bienvenues. Reste à savoir dans quel sens ces précisions pourraient – devraient – s’orienter. Le sens de l’intervention législative Il convient d’examiner tour à tour les trois ordres de sanctions envisageables : annulation de la réalisation, pouvoir de révision judiciaire, indemnisation déduite de la mise en jeu de la responsabilité contractuelle ou délictuelle. Le caractère inadapté de l’annulation de la réalisation du gage La question doit être envisagée selon une perspective pratique : l’annulation de l’opération de réalisation d’une garantie financière est-elle souhaitable ? Estelle même envisageable en pratique ? On a fait valoir de longue date combien la nullité, de par sa radicalité, est particulièrement rigoureuse. Elle conduit à détruire une situation de droit déséquilibrée mais qui peut rester utile, surtout si elle est susceptible de correction ou, à défaut, de juste compensation 76. A raison du caractère rétroactif de la nullité, on a également souligné combien elle entraîne des restitutions parfois difficiles, voire impossibles à réaliser 77. Or, tel est précisément le cas en matière de réalisation de garanties financières. Comme nous l’avons déjà souligné 78, l’opération de réalisation des garanties financières n’est, dans le contexte des restructurations de dettes, que l’un des maillons initiaux d’une chaîne d’opérations multiples et complexes. Au surplus, la réalisation des garanties financières s’inscrit dans le cadre d’une restructuration dont les enjeux financiers (desserrement de l’asphyxie financière éprouvée par le groupe cible), industriels (assurer la viabilité du groupe cible) et sociaux (sauvegarder les emplois au sein du groupe cible) sont considérables. Il ne peut par conséquent être raisonnablement question de remettre en cause l’intégralité de la restructuration au seul motif que la réalisation des garanties financières sous forme de vente de gré à gré n’aurait pas été faite en conformité avec « les conditions commerciales normales » ou que la vente doive être requalifiée en échange ou 76. P. ex. Perrin, Essai sur la réductibilité des obligations excessives, Th. Paris, 1905, p. 290 ; Ph. Simler, La nullité partielle des actes juridiques, Th. Strasbourg, 1968, n° 225 s.; R. Marty, De l’absence partielle de cause de l’obligation et de son contrôle dans les contrats à titre onéreux, Th. Paris II, 1995, n° 356 (tous ces travaux sont cités par L. Fin-Langer, op. cit., p. 340, note infra-paginale n° 429). 77. L. Fin-Langer, op. cit., n° 493, p. 340. 78. Note infra-paginale n° 11. en autre type de contrat non visé par la Loi sur les garanties financières. La sanction de la nullité paraissant de toute évidence inapplicable en la matière, les solutions alternatives peuvent consister soit dans un pouvoir de révision judiciaire octroyé par la Loi sur les garanties financières, soit dans la mise en jeu de la responsabilité contractuelle donnant droit à réparation du dommage. Les limites du pouvoir de révision judiciaire Le pouvoir de révision judiciaire présente un certain nombre d’avantages qu’il serait trop long d’énumérer ici 79, mais qui peuvent se résumer en l’idée d’une intervention de la part d’un professionnel du droit, neutre par rapport aux parties, et permettant, dans le meilleur des cas, de rétablir l’équilibre contractuel défaillant. Cependant, le pouvoir de révision judiciaire comporte un handicap majeur : l’insécurité juridique. A moins d’être strictement encadré par la loi, ce qui, dans une certaine mesure, lui fait alors perdre sa raison d’être, le champ de l’intervention judiciaire est ouvert et laisse les parties dans l’incertitude des modes d’intervention auquel le juge pourra avoir recours, de même que les conséquences qui résulteraient de cette intervention judiciaire. S’agissant d’un domaine juridique comme celui des garanties financières, qui requiert par-dessus tout la sécurité juridique, consacrer un pouvoir d’intervention judiciaire paraît ouvrir une nouvelle boîte de Pandore. La responsabilité contractuelle/extra-contractuelle Demeure alors l’option de la mise en jeu de la responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle. C’est une responsabilité contractuelle d’un type particulier dont il s’agira, dans la mesure où, à la faute contractuelle au sens de la responsabilité contractuelle classique, se substituera la constatation judiciaire d’une faute résultant de la violation d’une ou plusieurs dispositions de la Loi sur les garanties financières. En revanche, l’indemnisation devrait être, selon le schéma classique, évaluée à la hauteur du préjudice subi par l’une ou plusieurs des parties en cause, voire par les tiers, auquel cas la responsabilité contractuelle dégénèrera en responsabilité extra-contractuelle. S’agissant de l’hypothèse de requalification de la vente en un autre type de contrat, se posera alors probablement la question de savoir si un dommage quelconque a pu résulter, pour le constituant ou pour les tiers, du fait que la réalisation ne se serait pas opérée par une vente mais, par exemple, en vertu d’un échange. 79. Voy. les longs développements consacrés à ce sujet par L. FinLanger, op. cit., p. 366 s. ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 19 • Droit financier Sous réserve de ces limites et précisions, on peut penser, à tout le moins, qu’une consécration par la Loi sur les garanties financières au terme de laquelle l’irrespect des « conditions commerciales normales » ne serait sanctionné que par l’engagement de la responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle du créancier gagiste et par l’octroi de dommages et intérêts au bénéfice de celui qui prouve un dommage, serait une précision bienvenue, tant pour des motifs de sécurité juridique que d’équilibre contractuel. 4.2. Le champ d’action du contrôle judiciaire A. Pour la consécration d’un contrôle judiciaire a posteriori La sécurité juridique, qui est, on ne le répètera jamais assez, l’un des principes directeurs de la Loi sur les garanties financières, requiert que les expectatives des parties en cause à la réalisation des garanties financières, ne soit pas menacée par le risque d’un interventionnisme judiciaire extensif. Pour autant que le rôle du juge soit nécessaire pour sanctionner, le cas échéant, l’infraction aux dispositions légales ou aux obligations contractuelles, encore faut-il le cantonner à une juste mesure. C’est là un point essentiel qui n’a pas échappé aux commentateurs de la Loi sur les garanties financières, lesquels y ont consacré des développements auxquels il convient de renvoyer 80. Rappelons simplement que la Loi sur les garanties financières, contrairement aux législations de certains autres Etats membres 81, n’a pas pris à son compte une option ouverte par la Directive garanties financières, à savoir la possibilité de ne permettre qu’un contrôle judiciaire a posteriori de la réalisation des garanties financières 82. Sous réserve de ce que 80. En particulier, P. Schleimer, art. cit., n° 29 s. 81. P. ex. Articles 8, paragraphe 3 in fine, et 9, paragraphe 2, in fine, de la loi belge du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières (Moniteur Belge, 1er février 2005, p. 2961). 82. Considérant 17 Directive garanties financières: « La présente directive prévoit des procédures d’exécution rapides et non formelles afin de préserver la stabilité financière et de limiter les effets de contagion en cas de défaillance d’une partie à un contrat de garantie financière. Elle concilie cependant ces objectifs avec la protection du constituant de la garantie et des tiers en confirmant expressément la possibilité pour les Etats membres de conserver ou d’introduire dans leur législation nationale un contrôle a posteriori que les tribunaux peuvent exercer en ce qui concerne la réalisation ou l’évaluation de la garantie financière et le calcul des obligations couvertes. Ce contrôle devrait permettre aux autorités judiciaires de vérifier que la réalisation ou l’évaluation a été effectuée à des conditions commerciales normales ». On peut noter que, de façon curieuse, cette option envisagée par le Considérant 17 n’a pas été reprise dans les articles de la Directive garanties financières. ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 20 ces législations entendent exactement par contrôle a posteriori, il demeure que la Loi sur les garanties financières pêche par son abstention caractérisée sur cette question importante qu’est le champ d’action du contrôle judiciaire. Or, étant donné les enjeux financiers en cause et les sacrifices auxquels, de gré ou de force, doivent consentir certaines parties, le risque contentieux est loin d’être négligeable, impliquant au surplus, étant donné la grande complexité des transactions en cause, des frais considérables, et promettant aux parties de longues années de bataille judiciaire. Pour autant, le contrôle judiciaire doit exister. Un juste équilibre doit donc être trouvé. La question s’ancre dans le moment à compter duquel l’intervention judiciaire est permise. Ce contrôle doit-il être éventuellement préventif par rapport à la réalisation, afin d’empêcher que l’irréparable ne puisse être commis, ou ne peut-il être que postérieur à la réalisation, permettant ainsi au créancier gagiste de mettre en œuvre ses droits de réalisation sans entraves ? De toute évidence, le contrôle ne peut être qu’a posteriori, sauf à priver d’efficacité l’un des leitmotivs de la Loi sur les garanties financières, à savoir permettre au créancier gagiste de réaliser le gage par vente de gré à gré, sans que soit ajoutées des contraintes, judiciaires ou extra-judiciaires, autres que le respect des conditions posées par son Article 11 (1), b). Admettre un contrôle préventif reviendrait implicitement à reconnaître la possibilité pour une partie de faire, sinon approuver, du moins, ce qui revient somme toute à la même chose, faire examiner judiciairement la réalisation par anticipation. Or la Directive garanties financières prohibe expressément l’exigence légale d’une telle approbation judiciaire préalable 83. Sur ces bases, on ne peut par conséquent que souhaiter que la Loi sur les garanties financières, à l’instar d’autres législations des Etats membres, vienne consacrer ce principe de contrôle judiciaire a posteriori, ainsi que l’y autorise expressément la Directive garanties financières. Encore peut-on se demander ce qu’il convient alors d’entendre par « contrôle judiciaire a posteriori » : ce contrôle ne peut-il être qu’un contrôle au fond ou peut-il également s’entendre de mesures d’urgence obtenues par voie de requête ou de référé ? B. La limitation des mesures d’urgence ? La question est devenue d’une actualité brûlante depuis que plusieurs actions en référé ont été lancées à peu de temps d’intervalle à la suite de réalisations 83. Article 4 (4) b) Directive garanties financières. • Droit financier de garanties financières 84. Ces actions ont visé, en particulier, à demander au juge des référés de déclarer la suspension des effets de la réalisation des gages, jusqu’à ce qu’une décision au fond soit rendue. Par deux fois, le juge des référés a, en première instance, déclaré la demande recevable et ordonné le séquestre judiciaire des avoirs 85. Dans la première affaire, l’ordonnance a cependant été réformée en appel 86. Quoiqu’il en soit du cas d’espèce dans chacune de ces affaires 87, on observe que le juge des référés n’exclut pas un pouvoir d’intervention en ce domaine. Que faut-il en penser ? Certains commentateurs en appellent à une attitude prudente de la part du juge de l’urgence, et ce, sur le fondement des buts et objectifs poursuivis par la Loi sur les garanties financières. A leur estime, seuls des abus ou des manœuvres illicites manifestes risquant de causer un préjudice irrémédiable seraient de nature à justifier la recevabilité de telles actions 88. On peut également se demander si la nature des effets possiblement encourus à l’occasion d’une action au fond ne serait pas également propre à influer sur la recevabilité de telles actions. Ainsi, s’il est envisageable, en droit, que le juge du fond prononce l’annulation de la réalisation, avec pour conséquence la restitution des avoirs, on comprend bien alors que la partie qui s’estime lésée du fait de la réalisation souhaite éviter le risque de dissipation des avoirs, qui rendrait la restitution impossible ou plus difficile en pratique. A cet égard, une demande dans l’urgence en gel des effets de la réalisation et en nomination d’un séquestre judiciaire peut permettre d’obvier ce risque. En revanche, dès lors que la seule sanction possiblement décidée par les juges du fond ne peut consister qu’en l’octroi de dommages et intérêts, la justification d’une action en référé apparaît bien moins fondée. On peut alors se demander, dans l’hypothèse où, par exemple, la Loi sur les garanties financières ne sanctionnerait la violation des « conditions commerciales normales » que par l’octroi de dommages et intérêts, si une limitation corrélative des éventuelles mesures judiciaires préventives ne devrait pas être également envisagée. 84. Trib. arr. Luxembourg, référé, 19 mars 2009, réf. N° 185/2009, 120120, 120230 et 120275 du rôle ; Cour, appel référé, 3 juin 2009, n° 34674 du rôle ; Trib. arr. Luxembourg, référé, 4 décembre 2009, réf. N° 123551 du rôle. 85. Trib. Arr. Luxembourg, référé, 19 mars 2009, préc. ; Trib. arr. Luxembourg, référé, 4 décembre 2009, préc. 86. Cour, appel référé, 3 juin 2009, préc. 87. Pour un examen plus analytique de cette jurisprudence, P. Schleimer, art. cit., n° 29 s. 88. P. Schleimer, art. cit., n° 33. 5. Conclusion La Loi sur les garanties financières constitue un instrument juridique remarquable au service de la place financière luxembourgeoise, de ses acteurs et des investisseurs. A l’occasion de son œuvre de transposition de la Directive garanties financières, le législateur luxembourgeois a eu à cœur de combiner le « meilleur des deux mondes », par l’intégration au sein d’un même instrument des avancées représentées par la Directive garantie financières et des acquis importants qu’avait préalablement mis en place la législation luxembourgeoise. Il n’est par conséquent nullement souhaitable de bouleverser cette savante construction juridique qui, pour l’essentiel, a donné ce qu’elle promettait. Pour autant, toute législation, en particulier dans le domaine du droit financier, est par nature évolutive et doit tenir compte tant de l’évolution du contexte économique, financier et juridique que des leçons de la pratique. A ce dernier égard, les opérations de réalisation des garanties financières intervenues depuis le déclenchement de la crise financière ont suscité nombre d’interrogations sur lesquelles il serait souhaitable que le législateur luxembourgeois se penche, afin que la Loi sur les garanties financières puisse continuer de tenir, voire de parfaire, sa position d’instrument juridique de référence et que la sécurité juridique, qui est au cœur de son système, soit encore davantage assurée. Les autorités luxembourgeoises ne s’y sont du reste pas trompées en insérant dans un projet de loi tout dernièrement déposé devant la Chambre des Députés un projet d’amendement bienvenu relatif à la validité de la renonciation par le constituant à tout droit de recours après réalisation 89. C’est un premier pas qui, nous en avons l’espoir, sera accompagné d’autres initiatives allant dans le même sens et dont certaines ont pu être esquissées dans le cadre du présent article. 89. Projet de loi portant transposition de la directive 2009/110/CE et de la directive 2009/44/CE préc., Doc. parl. 6164. ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 21 • Droit des sociétés Apport en société non-rémunéré par l’émission de nouveaux titres de société Danielle Kolbach, Avocat à la Cour Admise au Barreau de New York La notion de prime d’émission Traditionnellement les associés font des apports au capital à la société dans laquelle ils détiennent une participation contre l’émission de nouveaux titres représentatifs du capital. Souvent, les actionnaires qui souhaitent souscrire à des actions après que la société ait eu une activité, se voient obligés de libérer en plus du capital, une prime d’émission. Cette prime d’émission assurera l’équilibre entre les actionnaires de la première minute et les nouveaux actionnaires du fait de la dilution (dans les profits reportés qu’on retrouve dans la société) qui résulterait de l’émission de nouvelles actions, et la participation de ces actions dans le capital et les distributions de la société. La prime d’émission est donc un « surplus » payé par un nouvel actionnaire au moment de l’émission de nouvelles actions. La prime d’émission est traditionnellement assimilée au capital social, comme le sont les réserves (légales ou statutaires). La prime est donc un supplément d’apport qui n’est pas rémunéré par l’attribution de droits d’associé, peu importe d’ailleurs que l’apport soit en numéraire ou en nature. Traditionnellement on rencontre les primes d’émission au moment de la constitution d’une société ou au moment d’une augmentation de capital, voir même en cas de fusion. La fonction primaire d’une prime est d’éviter une dilution des actionnaires existants et une rupture d’égalité entre les actionnaires anciens et nouveaux au moment d’une augmentation de capital 1. La pratique à Luxembourg tend cependant à recourir aux primes d’émissions dans des buts autres que de faire l’équilibre entre les anciens et les nouveaux actionnaires. Souvent les praticiens recourent aux primes d’émission pour permettre à une société de procéder de façon régulière dans le temps à des « paiements » aux actionnaires. Le paiement de dividendes présuppose cependant la réalisation de profits, sauf si la société a d’autres réserves disponibles. Or les primes d’émission sont (sauf en cas de pertes qui entacheraient ces primes), disponibles pour une distribution aux actionnaires sous forme de distribution de prime ou même distribution de dividendes intérimaires. Les primes d’émission peuvent également être utilisées pour apurer les pertes d’une société sans toutefois grever le capital social 2. De plus, le « paiement de dividendes prélevés sur les primes » ne constitue pas un dividende classique, mais équivaut à un remboursement de l’apport et échappe aux règles parfois strictes sur le paiement d’un dividende (ceci était d’autant plus vrai à une époque où le paiement d’acomptes sur dividendes ne pouvait se faire qu’à certaines époques et à des intervalles limités). La doctrine française 3 n’a cependant pas critiqué la validité de ces primes d’émission (à un moment où le législateur en France n’avait pas encore consacré implicitement la validité des primes d’émission), alors que ce procédé crée des ressources à la société sans toutefois grever le capital et donne des garanties additionnelles aux tiers. 1. P. Didier et M. Marteau-Petit, dans l’Encyclopédie Dalloz, v° Prime d’émission, n°4. 2. Cette pratique a d’ailleurs donné lieu dans le passé é certains abus et le krach de l’Union Générale en est un bon exemple. On faisait croire à la valeur des titres et à la prospérité de cette société et ceci malgré le déclin des bénéfices de cette dernière. Cité par P. Didier et M. Marteau-Petit, dans l’Encyclopédie Dalloz, v° Prime d’émission, n°3. 3. Houpin, Du caractère et de l’affectation de la prime d’émission d’actions, Rev. Soc. 1915, 145 ; Lyon-Caen, De l’émission des actions au-dessus du pair, Rev. Soc. 1909, 186. ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 22 • Droit des sociétés Ces dernières années on voit de plus en plus souvent des apports en société qui ne sont pas rémunérés par l’émission de nouvelles actions et ceci en-dehors du cas classique d’une augmentation de capital. Donc on voit des apports qu’on peut assimiler à une prime d’émission, sans qu’il y ait une émission quelconque. L’apport fait par l’apporteur ne peut donc pas être qualifié de « prime d’émission » au sens stricte du terme, comme ce n’est pas une « prime » (donc surplus) payée au moment de l’émission de nouvelles actions. Mais le fait qu’un apport en société qui ne soit pas une « prime d’émission », n’exclut pas nécessairement la possibilité de faire en toute légalité des apports non-rémunérés par des titres représentatifs en actions. Il faut cependant se poser la question si un « apport en société non-rémunéré par des titres » ne risque pas d’être requalifié. 1. Les risques de requalifications d’un apport en société qui n’est pas rémunéré par l’attribution de nouveaux titres 1.1. Prêt ? Héritage du droit romain, l’article 1874 du code civil distingue deux types de prêts : le prêt à usage (encore appelé commodat) et le prêt de consommation ou simple prêt (encore appelé mutuum). Selon l’article 1875 du code civil, le prêt à usage est un contrat synallagmatique selon lequel le prêteur livre un bien (non consomptible) à l’emprunteur, à charge par l’emprunteur de le rendre après s’en être servi. Ce contrat est un contrat à titre gratuit 4, et le prêteur demeure propriétaire de la chose prêtée 5. Selon l’article 1892 du code civil, un simple prêt est un contrat synallagmatique par lequel le prêteur remet un bien (fongible et qui se consomme par l’usage) ou une somme d’argent à l’emprunteur à charge de lui en restituer autant de même espèce et qualité ou la même somme d’argent. Le mutuum est normalement (mais pas obligatoirement) rémunéré. La rémunération s’appelle « intérêts » 6. Le code civil traite du prêt à intérêt (qui est un cas particulier du mutuum) aux articles 1905 et suivants. Un prêt d’argent est normalement un simple prêt, souvent rémunéré par un intérêt qui dépend du montant prêté, de la durée du prêt et du risque. D’après l’article 1905 du code civil, le prêt à intérêt est un prêt de consommation. 4. CA Paris, 25 Oct. 1989, JCP 1990.IV.135. 5. Article 1877 du code civil. 6. Mazeaud, Leçons de droit civil, t. 3, 2e vol., 5e éd par De Juglart, n° 1432 et suiv. Un apport en société peut-il être assimilé à un prêt ? L’apporteur donne ou cède effectivement une somme d’argent/ou une créance d’argent à la société. Cependant l’intention des parties à l’apport, n’est pas une restitution des sommes données. L’apport en société se caractérise par une participation aux pertes et profits de l’activité de la société, alors que pour un prêteur il n’y a pas de participation aux pertes. Dans le contexte d’un prêt, l’objet du prêt devra être restitué à l’échéance du contrat. La nature du prêt ne change même pas, si le prêteur stipule une participation aux bénéfices (comme c’est le cas des prêts participatifs) 7. L’intention de l’apporteur est de faire simplement un apport à la société pour permettre à la société de faire usage de ces fonds, sans que l’apporteur puisse réclamer le remboursement des sommes. L’intention d’un apporteur en société est l’intention de s’associer, de mettre en commun certaines choses et d’accepter l’aléa lié à cet apport 8. D’après Malaurie et Aynès 9, le véritable critère est l’immixtion. Or un apport en société suppose d’être associé et de s’immiscer comme un associé dans la marche de la société. La Cour d’Appel de Paris a distingué un prêt participatif d’une société en participation (et donc d’un véritable apport en société) en appliquant les critères : affectio societatis, recherche et partage des bénéfices, acceptation des risques, participation des associés à la gestion 10. Quelle est la rémunération de l’apporteur ? L’apporteur qui est déjà actionnaire valorisera sa participation dans la société et les bénéfices que réalisera la société pourront soit lui être distribués sous forme 7. Planiol et Rippert, Traité pratique de droit civil français, t.11, par Savatier, LGDJ, n° 1139. 8. Cass. Co. Fr, 12 oct. 1993, JCP, éd. N, 1994.II.45, cité par JeanRégis Mirbeau-Gauvin, Encyclopédie Dalloz, v° Prêt 9. Droit civil. Les contrats spéciaux, 1994/1995, Cujas, n°905 et suiv. 10. CA Paris, 21 février, 1986, D. 1986.548, note Honorat, cité par Jean-Régis Mirbeau-Gauvin, op. cit. ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 23 • Droit des sociétés de dividendes ou pourront lui être distribués au moment de la liquidation de la société par le biais d’un boni de liquidation. rait dès lors s’analyser comme une libéralité déguisée faite aux coassociés si ces derniers ne font pas d’apport proportionnellement à leur participation. Donc en l’absence d’un des éléments caractéristiques d’un prêt à savoir la restitution du bien/sommes d’argent prêtés, un apport ne peut pas être requalifié en prêt. Les cours et tribunaux français ont depuis longue date requalifié un apport « déséquilibré » en donation déguisée. Le ou les donataires sont les coassociés de l’apporteur et par cet apport déséquilibré bénéficient de la partie « déséquilibrée » de l’apport 11. Une telle donation déguisée pourra être déclarée nulle si elle est frauduleuse, par exemple si le seul but de l’apport en société était de contourner une réserve héréditaire. 1.2. Donation Le prêt à usage se distingue du don manuel par l’intention des parties. Dans le cas du prêt à usage l’intention du prêteur est de rendre service à l’emprunteur, alors que dans le cas du don, l’intention du donateur est d’enrichir le donataire. Dans le premier cas la jouissance du bien est temporaire alors que dans le deuxième cas la jouissance est définitive, même si les deux sont des contrats à titre gratuits. Selon l’article 894 du code civil la donation est un contrat synallagmatique par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée, en faveur du donataire qui l’accepte. Le donateur gratifie donc le donataire qui devra cependant accepter le don qui lui est fait. Le donataire veut donc faire une libéralité au donataire et gratifier ce dernier. La doctrine appelle cette intention « animus donandi » (l’intention de gratifier). C’est l’élément essentiel de la donation. Dans un apport à une société non rémunéré par l’émission de titres représentatifs du capital, l’apporteur transfère effectivement des éléments d’actifs au bénéficiaire (à savoir la société). Cependant l’apporteur n’a pas l’intention de faire une libéralité. Son intention est bien un but de lucre qui est de valoriser sa participation dans la société à laquelle il a fait l’apport. Il y a donc bien une contrepartie de l’apport. Quel est l’intérêt de faire cette distinction entre apport en société et donation ? L’intérêt est double – dans le cas d’une donation des droits de donation seront perçus par l’Administration de l’Enregistrement. En second lieu, une donation serait susceptible de réduction, étant donné que le donateur personne physique ne pourra disposer par donation que des biens qui sont « disponibles » c’est-à-dire qui se trouvent en-dehors de la réserve héréditaire (la réserve variant avec le nombre d’enfants du disposant). Mais que se passe-il dans la situation où l’apporteur a des coassociés qui de leur côté ne font pas un apport (ou moins que proportionnel à leur participation actuelle) à la société ? En pareil cas, l’apporteur bénéficie bien de son apport, mais il devra « partager » son apport avec ses coassociés. L’apport pour- ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 24 En pareil cas, se pose également la question de l’intérêt social qu’a l’apporteur à faire une telle libéralité à ses coassociés. Le même raisonnement vaut d’ailleurs en sens inverse si des actionnaires permettent à des nouveaux investisseurs de souscrire des titres, à la valeur nominale ou au pair comptable de ces titres, si la valeur intrinsèque de la société est supérieure. En permettant une dilution de leur participation, ces actionnaires pourraient être considérés vouloir faire une libéralité aux nouveaux investisseurs (sous condition qu’il y ait effectivement la volonté de gratifier). Mais dans tous les cas, la question de l’intérêt social au niveau de l’actionnaire dilué et qui a accepté cette dilution, se pose. 1.3. Vente ? Un apport (en nature, comme par exemple l’apport d’une participation dans une autre société) est une aliénation à titre onéreux et peut dès lors être rapproché à une vente 12. Suivant le viel adage « apport en société vaut vente », un apport en société ne peut pas être complètement assimilé à une vente. En effet la différence réside dans la contrepartie de la prestation qui constitue la contrepartie du transfert de propriété. En effet, la contrepartie du bien cédé dans une vente est le prix (donc les espèces) alors que dans un apport, la contrepartie est normalement une attribution des droits de l’associé. Quant à un apport en numéraire, il serait assez difficile de le comparer à une vente, alors qu’il n’y a pas transfert de propriété d’un bien – c’est une somme d’argent qui change de main. 11. Civ. 5 janv. 1886, D.P. 86.1.22. 12. J. Hamel, G. Lagarde et A. Jauffret, droit commercial, t.1, vol.2 : sociétés, groupements d’intérêt économique, entreprises publiques, 2e éd., Dalloz, n°392 ; Rippert et Roblot, Traité élémentaire de droit commercial, t.1, 13e éd. 1989, n° 734, Y. Guyon, Droit des affaires, t.1 : Droit commercial général des sociétés, 5e éd, 1988, Economica, n°104. • Droit des sociétés 1.4. Contrat sui generis ? Il faut donc conclure qu’un apport en société, est un contrat sui generis, qui même s’il ressemble dans certains cas, comme on l’a vu, à une vente, un prêt ou même une donation, présente en principe des différences avec chacun de ces trois contrats spéciaux. Il semble donc bien y avoir un contrat d’apport, sauf à être partisan du principe « institutionnel » des sociétés, en quel cas l’apport ne serait qu’une consécration de l’affectio societatis. En revanche, il n’est pas entièrement certain, qu’un apport qui ne se fait pas en contrepartie de droits sociaux puisse vraiment être qualifié d’apport, un apport ne pouvant se faire qu’en échange de titres. Houpin disait à ce sujet : « ce qui est apporté et versé par un associé ne peut être considéré comme bénéfice réalisé par la société. Et si ce n’est pas un bénéfice, ce ne peut être qu’un apport » 13. 2. Les aspects pratiques d’un apport en société non-rémunéré par de nouveaux titres 2.1. Clause léonine cachée ? Absence d’affectio societatis ? En dehors des cas où on fait un apport non-rémunéré pas l’émission de nouveaux titres pour rétablir un équilibre entre associés, en faisant un apport à une société sans se voir attribuer de nouveaux titres on renonce en quelque sorte à participer aux bénéfices en renonçant aux titres qui le feraient participer à une distribution de dividendes et il faut se demander si une telle renonciation aux bénéfices est valable ou peut constituer une clause léonine. Une clause léonine est une clause privant un associé de tout droit aux profits de la société ou lui attribuant la totalité des profits, mettant à sa charge la totalité des pertes ou l’exonérant de toute contribution au passif social. Cette clause est réputée nonécrite dans le contrat de société 14. Les clauses léonines sont prohibées par l’article 1855 du Code Civil. 13. Houpin, Rev. Soc. 1915.151. 14. Lexique des termes juridiques, 8e éd., Dalloz, v° clause léonine. L’existence d’une société présuppose la recherche d’un profit et la répartition de ce profit entre les associés. Normalement la répartition des bénéfices devrait se faire au pro rata des apports ayant été faits à la société et ayant donné lieu à l’attribution des titres représentatifs du capital. Il semble cependant qu’on puisse aménager contractuellement ou par les statuts une telle participation aux bénéfices. Il est donc permis soit de prévoir une répartition inégale, malgré les apports égaux, soit une répartition égale, malgré des apports inégaux, c’est en tout cas ce qu’a retenu la Cour de Cassation française 15, sachant toutefois que le contexte dans lequel s’inscrit cet arrêt est sensiblement différent du contexte luxembourgeois 16. Sont cependant interdites les clauses attribuant la totalité des bénéfices à une personne, sans que le terme totalité doive être pris à la lettre. Sont considérées comme nulles les clauses qui réduisent la participation à un associé à une part insignifiante, sans que cette part soit nulle 17. Il y a dès lors toujours une certaine appréciation qui dépend des faits d’un cas donné. Du moment qu’un apport non-rémunéré par des titres (donc apport qui ne fait pas participer l’apporteur aux bénéfices) est disproportionnellement élevé par rapport au capital de la société et aux apports faits par les autres associés, un apport non-rémunéré pourrait éventuellement s’analyser comme clause léonine. Par ailleurs la contribution aux pertes de l’apporteur (apporteur n’ayant pas été rémunéré par des titres) peut être assimilée à une exonération des pertes des autres associés du moment que l’apport non-rémunéré est disproportionnellement élevé par rapport au capital et aux apports des autres associés. Quelle sera la conséquence si l’apport était requalifié en clause léonine ? La clause (inexistante dans les faits) serait réputée non-écrite et l’apport pourrait être requalifié en prêt. Quant à l’absence d’affectio societatis qui engendrerait une nullité de la société, il est difficile d’imaginer qu’un apport non rémunéré par des titres tomberait sous le coup de cette nullité. En effet, tout d’abord, même si l’apporteur-associé ne souhaite pas se voir attribuer de nouveaux titres, il continue à vou- 15. Cass fr. 1re civ. 16 octobre 1990, Bull. Joly 1990.1029, note P. Le Cannu. 16. Il convient à ce sujet de noter que l’article 1844-1 du Code Civil français, qui est l’équivalent de l’article 1855 du Code Civil luxembourgeois, est libellé différemment et permet spécifiquement un aménagement contractuel permettant une distribution inégale des bénéfices et de répartir différemment les bénéfices et les pertes. 17. Ripert et Roblot, Traité de droit commercial, t.1, éd.14, n°780. ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 25 • Droit des sociétés loir se comporter en associé et contribue à la société. Par ailleurs l’affectio societatis (donnant lieu à une annulation de la société) n’est exigé qu’au moment de la constitution (et non pas au moment de l’apport non-rémunéré par l’attribution de nouveaux titres où un défaut d’affectio societatis ne pourrait entraîner que la dissolution de la société). ticipation importante dans ses coassociés, la société apporteuse peut avoir un intérêt social personnel à renoncer à accroître sa participation. En revanche si les différents coassociés ne sont pas liés, il sera difficile pour l’apporteur de justifier d’un intérêt quelconque à gratifier ses coassociés. Il est assez peu probable qu’une donation déguisée puisse être justifiée par l’intérêt social du donateur. 2.2. Intérêt social de l’apporteur personne morale ou l’impact du nombre d’associés? L’apporteur qui n’est pas rémunéré par l’émission de nouveaux titres, devra être conscient du fait qu’il ne profitera pas de son apport en recevant plus de dividendes au cours de la vie de la société et ne récupérera pas son apport au moment de la liquidation, car les actifs de la société seront distribués aux associés proportionnellement à la participation dans le capital social (sans tenir compte d’éventuelles primes ou autres apports). L’apporteur personne morale qui renonce à une participation (additionnelle) au capital à proprement parler devra tout de même veiller à ce que la transaction soit dans son intérêt social et pour son bénéfice. Il est évident qu’un apport à une société non-rémunéré par des titres ne pose pas de problèmes majeurs si la société n’est détenue que par un associé unique. En pareil cas il n’y a pas de rupture d’égalité entre associés, ce sera l’associé unique qui profitera entièrement de son apport. L’apporteur, personne morale n’a dès lors pas de problèmes au niveau de son propre intérêt social, alors que l’apport à sa filiale détenue à 100 % lui profitera. L’intérêt social de l’apporteur personne morale sera la valorisation de la filiale. En revanche pour un particulier, associé unique, le problème de l’affectation de la réserve héréditaire pourrait théoriquement se poser (si l’apport était à considérer comme donation), même si on pense que l’affectation de la réserve est compensée par l’augmentation de valeur de la participation. L’analyse dépendra cependant de la liquidation de la masse testamentaire, mais dépasserait le cade de cette étude. Si le particulier a des coassociés qui ne participent pas à même hauteur dans l’apport, les difficultés liées aux donations ressortent pleinement. Si la société a plusieurs associés (personnes morales), et que chaque associé apporte une part proportionnelle, la même analyse que dans le cas d’un associé unique se fait, comme il n’y a pas de dilution ou rupture d’égalité entre associés. Si la société a plusieurs associés, et un seul des associés fait un apport, il y a rupture d’équilibre entre l’apport et la participation dans les bénéfices et le boni de liquidation, et il sera beaucoup plus difficile, mais pas impossible, de trouver un intérêt social de l’apporteur. En apportant plus que les autres sans en retirer plus de bénéfices (via une attribution de titres de participation dans le capital), une société gratifierait ses coassociés. Si ces coassociés font partie d’un même groupe et que la société a elle-même une par- ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 26 Il faut dès lors aborder la question des apports nonrémunérés par des titres à une société avec plusieurs associés avec une certaine prudence. Il y a des cas où de tels apports se justifient et sont dans l’intérêt de l’apporteur. Ils représentent tout de même dans certain autres cas un risque de requalification en donation ou de requalification en clause léonine ou ne sont simplement pas dans l’intérêt de l’apporteur. 2.3. Les apports non-rémunérés par l’émission de nouveaux titres sur le plan comptable Le plan comptable normalisé 18, prévoit dans la classe 1 (Comptes de capitaux, de provisions et de dette financières) au compte 115 (qui est au point 11 – Primes d’émission et primes assimilées) des « apports en capitaux propres non rémunérés par des titres (« capital contribution ») ». Au point 11 on retrouve au compte 111 – les primes d’émission, au compte 112 – les primes de fusion, au compte 113 – les primes d’apport 19 et au compte 114 – primes de conversion d’obligations en actions. 18. Adopté par règlement grand-ducal du 10 juin 2009 déterminant la teneur et la présentation d’un plan comptable normalisé, Mém. A N° 145 du 22 juin 2009. Le plan comptable sera applicable à partir du premier exercice débutant après le 31 décembre 2010 (donc normalement pour la plupart des sociétés à partir du 1er janvier 2011). 19. La prime d’apport étant la prime qui résulte de l’attribution à un apporteur en nature d’un nombre de titres inférieur à la valeur réelle de l’apport et peut résulter soit d’un souci d’éviter la dilution des associés anciens soit d’une prudence comptable ayant trait à l’évaluation du bien apporté. – Voir P. Didier et M. Marteau Petit, Encyclopédie Dalloz, v° Prime d’émission, n° 24. • Droit des sociétés Il faut donc conclure que le législateur, en adoptant ce plan comptable, reconnaît l’existence d’apports en capitaux qui ne sont pas considérés comme du capital (point 10 du plan comptable) ou comme une prime (qu’elle soit d’émission, de fusion ou d’apport). Il est certes prudent de prévoir une disposition statutaire en ce sens, qui soit permet la distribution des primes (y compris les « apports en capitaux propres non rémunéré par des titres (« capital contribution ») ») ou soit prévoit expressément une interdiction de distribuer. Comme l’apporteur souhaite que son apport à la société soit considéré comme apport au capital sans toutefois souhaiter recevoir de nouvelles actions, il faut conclure qu’un tel apport devra se retrouver au compte 115. Les actifs se trouvant au compte 11 « primes d’émission et primes assimilées » pourront en l’absence de stipulation statutaire être distribués comme un dividende (par décision des associés) ou comme acompte sur dividendes (par l’organe de gestion à qui cette compétence a été octroyée ou les cas échéant, dans certains cas, par les actionnaires). Il serait cependant erroné de qualifier cet apport (sans émission de nouveaux titres) de prime d’émission et de l’inscrire aux compte 111 ou 113. On pourrait cependant se poser la question si les associés ne peuvent pas qualifier leur apport d’apport à une « Autre réserve – soit disponible (compte 1382), soit indisponible (compte 1383) ». Il faut cependant penser que le compte 115 « Apport en capitaux propres non rémunéré par des titres » est plus approprié, alors qu’il reflète exactement la situation de fait et de droit, à savoir la volonté d’un apporteur de faire un apport à la société qui est à assimiler à une prime d’émission (sans en être une prime d’émission faute d’émission de titres) sans que l’apport se fasse au moment d’une augmentation de capital ou d’un apport en nature (prime d’apport). 2.4. Disponibilité des « apports en capitaux propres non-rémunérés par des titres » – Distribution. Justification de ces apports A quoi peuvent servir les apports qui ne sont pas rémunérés par l’émission de nouveaux titres ? Quelle est la justification de ces apports ? Les « apports en capitaux propres non rémunérés par des titres (« capital contribution ») » on l’a vu, se trouvent d’un point de vue comptable dans le même compte que les primes d’émission ou primes de fusion. Les primes d’émission, ayant fait l’objet d’un précédent article paru au même endroit, sont distribuables (sous condition que l’actif net tel qu’il résulte des comptes annuels est, ou deviendrait à la suite d’une distribution, inférieur au montant du capital souscrit, augmenté des réserves que la loi ou les statuts ne permettent pas de distribuer), sauf si les statuts disposent spécifiquement et expressément que les primes d’émission ne sont pas distribuables. En tout cas la possibilité de pouvoir utiliser les apports afin de pouvoir distribuer des dividendes à des intervalles réguliers, sans rencontrer de soucis de disponibilité de de profits suffisants, est la justification majeure pour recourir aux apports (autre que les primes d’émission ou primes d’apport ou de fusion). La deuxième justification majeure pour recourir aux « capital contributions » est l’absence de formalisme lié à ces apports. En cas de constitution d’une société 20, tout comme en cas d’augmentation de capital 21 il faut recourir aux services d’un notaire, alors qu’un apport au capital sans émission de nouveaux titres peut se faire sous seing privé, étant donné qu’un apport à la société ne résultera pas d’une modification statutaire et qu’aucun texte n’exige la passation d’un acte notarié pour faire un apport nonrémunéré par l’émission de nouveaux titres 22. Cet acte sous seing privé ne sera d’ailleurs pas non plus publié, alors qu’aucun texte n’en prescrit la publication. Dans le même ordre d’idée, l’absence d’exigence d’un rapport du réviseur (ou de la déclaration prévue à l’article 26-1 (3quinquies) dans le contexte d’un apport en nature (fait à une société anonyme ou à une société en commandite par actions) peut être un autre attrait pour certains, alors qu’en cas d’augmentation de capital et paiement d’une prime, un rapport du réviseur devra porter sur la description de l’apport, la méthode d’évaluation et indiquer si la 20. Conformément à l’article 4 de la loi du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, telle que modifiée, les sociétés anonymes, sociétés en commandite par actions et sociétés à responsabilité limitée, sont à peine de nullité, formées par des actes notariés spéciaux. 21. Conformément à l’article 32-1 de la loi du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, telle que modifiée, les mêmes formalités sont prescrites en cas d’augmentation du capital par des apports nouveaux. 22. Ceci n’est pas vrai dans tous les cas, alors qu’en cas d’apport (non-rémunéré par de nouveaux titres) d’un immeuble, il faut passer un acte authentique, exigé en matière immobilière. ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 27 • Droit des sociétés valeur correspond au moins au nombre et la valeur nominale, ou à défaut de valeur nominale, le pair comptable et, le cas échéant, à la prime d’émission des actions à émettre en contrepartie 23. L’absence de formalisme (acte authentique, publication, rapport du réviseur) se justifie par le fait que les tiers ne sont pas au courant de ces « capital contributions », et qu’ils ne nécessitent donc pas une protection spéciale. C’est en fait un « surplus » donné à la société qui ne saurait que bénéficier aux tiers. 2.5. Droits d’enregistrement Même en l’absence de recours aux services d’un notaire pour faire acter cet apport, l’apport qui se fait à la société sera soumis aux formalités de l’enregistrement afin de rendre l’apport à la société opposable aux tiers et de lui donner date certaine. Sous l’ancien régime de la loi du 29 décembre 1971 sur le droit d’apport, telle que modifiée (abolie par la loi du 19 décembre 2008) un droit de 1 % sur la montant de l’apport (diminué ensuite à 0.5 %) était dû, peu importe qu’il s’agissait d’un apport fait par acte authentique ou sous seing privé 24. A l’heure actuelle, et depuis le 1er janvier 2009 (abolition du droit d’apport) d’un droit fixe de 12 EUR s’applique en cas d’apport en numéraire, comme pour l’enregistrement de n’importe quel autre acte juridique pour lequel la loi ne prévoit pas l’application d’un tarif spécifique. Le droit fixe de 75 euros prévu par la loi du 19 décembre 2008 ne n’applique pas non plus aux apports non-rémunérés par de nouveaux titres, étant donné que le droit fixe de 75 euro n’est dû qu’en cas de constitution de société, de modification de ses statuts ou transfert de siège. 23. Article 26-2 (3) de la loi du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, telle que modifiée. 24. D’ailleurs certaines formes de sociétés comme les sociétés civiles, sociétés en nom collectif, sociétés en commandite simple, les sociétés coopératives peuvent être constituées par acte sous seing privé, s’après l’article 4 de la loi du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales. Ces sociétés devaient avant l’abrogation de la loi de 1971 sur le droit d’apport également faire enregistrer leur acte de constitution et s’affranchir d’un droit d’apport. ACE • n° 09 • novembre 2010 • page 28 Pour une étude complète des droits d’enregistrements dus en cas d’apport à une société, y compris en cas d’apport à titre onéreux d’un bien meuble ou en cas d’apport pur et simple ou à titre gratuit d’immeuble, les lecteurs pourront se référer à l’article paru dans la même édition en 2008. En cas de donation déguisée, les droits de donation pourront être perçus par l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines (voir même double droit). Les tarifs en matière de donation varient de 1.5 % (plus 2/10e ) à 12 % (plus 2/10e ) en fonction du degré de parenté ou d’absence de lien entre le donateur au donataire et en fonction du fait que la donation est avec ou sans dispense de rapport. Donc en requalification d’un apport en donation (entre étranger), un droit de 14.4 % serait perçu au lieu d’un droit fixe de 12 euro. Même s’il est possible de faire un apport à une société en dehors des cas classiques d’un apport en capital par l’émission de titres (que ce soit au moment de la constitution ou au moment d’une augmentation de capital – avec ou sans prime d’émission) et faire un apport en capital non rémunéré par l’attribution de titres, il convient d’utiliser ces apports avec une certaine prudence, au vu de certains risques de requalification (surtout en cas de requalification en donation avec perception des droits de donations). Ces apports présentent dans la majeure partie peu de risques en cas de société unipersonnelle, mais s’avèrent plus délicats si la société qui reçoit l’apport a plusieurs associés, au vu des risques de requalification en donation déguisée ou des problèmes d’intérêt social. En pareil cas, il sera certes plus prudent de faire une augmentation de capital classique avec paiement d’une prime d’émission.