IREDIES
LA CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX
DE LUNION EUROPEENNE SAISIE PAR LES JUGES
EN EUROPE
RAPPORT FRANÇAIS
1
EDOUARD DUBOUT

PERRINE SIMON

LAMPRINI XENOU

2
Au sein du système européen multi-niveau de protection des droits fondamentaux, le
juge national occupe une place déterminante. Sa participation conditionne non
seulement l’effectivité de la protection, mais confère plus profondément encore une
originalité au système européen, susceptible de marquer l’entrée dans une nouvelle
ère de la pensée juridique : celle du pluralisme constitutionnel. C’est pourquoi, la
manière avec laquelle la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne est
appliquée, utilisée, et interprétée par le juge national, juge européen de droit commun,
doit faire l’objet d’analyses attentives. Le présent rapport envisage la situation en
droit français.
I. LA CHARTE EN DROIT ECRIT ET SON ROLE DANS LA
CONFECTION DES LOIS
I. 1. Le statut formel de la Charte
Le statut formel de la Charte des droits fondamentaux demeure ambigu dans le
système constitutionnel français, illustrant une hésitation entre sa singularisation et sa
banalisation.
I. 1. a. Il est difficile de dire quel est exactement le fondement constitutionnel du
statut de la Charte en droit français
D’une part, il est clair que la Constitution française ne contient aucune référence
explicite à la Charte des droits fondamentaux, de même que de façon générale, il
n’est pas fait mention particulière de textes externes de protection des droits et libertés
(seul l’article 53-2 de la Constitution fait référence au traité instituant la Cour pénale
internationale pour en permettre la ratification). Les textes internationaux et
européens obéissent ainsi au droit commun des traités, sur le fondement de la clause
3
générale de l’article 55 de la Constitution française qui en prévoit la valeur supra-
législative dans le droit interne
1
.
D’autre part, l’article 88-1 de la Constitution vise expressément les traités sur
l’Union européenne et sur le fonctionnement de l’Union européenne
2
, qui
renvoient eux-mêmes à la Charte des droits fondamentaux, notamment par le
biais de l’article 6 §1 TUE. On pourrait ainsi considérer que par ricochet, la Charte
fait l’objet d’une clause constitutionnelle d’intégration spécifique dans l’ordre interne,
au même titre que l’ensemble du droit de l’Union européenne. C’est du moins en
faveur de cette interprétation singularisante du droit de l’Union au sein du système
constitutionnel français que semblait s’orienter la décision du Conseil constitutionnel
du 19 novembre 2004 relative au 
dans laquelle le juge français s’était appuyé sur l’article 88-1 de la Constitution pour
estimer en substance que la règle de primauté du droit de l’Union (inscrite à l’article
I-6 du traité constitutionnel) était déjà protégée dans la Constitution française en vertu
de cet article
3
.
Néanmoins depuis l’échec de la ratification du Traité établissant une Constitution
pour l’Europe, l’article 88-1 n’a été explicitement utilisé que pour fonder une
obligation constitutionnelle de transposer les directives européennes, et non de
respecter l’ensemble du droit de l’Union européenne découlant des traités fondateurs
(dont fait partie par ricochet la Charte). De sorte que, pour le moment, seul le
contentieux des lois de transposition des directives entraîne le déclenchement du
statut constitutionnel spécifique de l’article 88-1 de la Constitution
4
. Telle est
d’ailleurs la signification originelle de la jurisprudence constitutionnelle relative à la
portée de l’article 88-1 de la Constitution
5
. Ce régime propre peut s’expliquer d’un
1
Article 55 de la Constitution : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès
leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous serve, pour chaque accord ou traité, de
son application par l'autre partie ».
2
Article 88-1 de la Constitution : « La République participe à l'Union européenne constituée d'États
qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur
l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du
traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 »
3
CC, 19 novembre 2004, , 2004-505 DC, §§ 9 et
s.
4
CC, 28 mai 2014, Loi relative à l'interdiction de la mise en culture des variétés de maïs
génétiquement modifié, n° 2014-694 DC, § 5.
5
CC, 10 juin 2004, , n° 2004-496 DC.
4
point de vue pratique dans la mesure les lois de transposition des directives font
l’objet d’un risque de contradiction particulier entre d’un côté l’obligation de
respecter la directive européenne, et d’un autre côté l’obligation de respecter la
Constitution nationale. Le juge constitutionnel est ainsi amener à vérifier, au moins
implicitement que les dispositions législatives litigieuses « se bornent à tirer les
conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises de la
directive »
6
, avant d’estimer que la question qui lui est posée revient en réalité à
s’interroger sur le respect des droits fondamentaux par la directive elle-même, ce dont
il revient à la Cour de justice de s’assurer sur le fondement de la Charte et sur saisine
préjudicielle des juges ordinaires (sauf si est en cause « une règle ou un principe
       », auquel cas le juge
constitutionnel opérerait directement son contrôle sur le fondement de la Constitution,
mais l’hypothèse ne sest à ce jour pas encore présentée).
En d’autres termes, le respect de la Charte des droits fondamentaux en droit
constitutionnel français semble toujours relever du droit commun de l’article 55
de la Constitution et non du fondement spécifique de l’article 88-1 de la
Constitution. Or, depuis une jurisprudence ancienne et constante, le contrôle du
respect de l’article 55 de la Constitution incombe au juge ordinaire et non au juge
constitutionnel
7
, expliquant par la quasi-absence de la Charte dans la jurisprudence
constitutionnelle française (cf. infra).
Une évolution vers la consécration claire d’un statut constitutionnel interne de la
Charte est-elle envisageable ?
Dans ce qu’il présente comme une exception à ce système dual de fondement
constitutionnel (article 55 / article 88-1) selon qu’est en cause ou non une loi de
transposition d’une directive, le juge constitutionnel s’est référé à l’article 88-2 de
la Constitution pour poser directement une question préjudicielle à la Cour de
justice dans laquelle était en cause le respect des droits fondamentaux
8
. Bien que
6
CC, 17 décembre 2010, Kamel D., n° 2010-79 QPC, § 4.
7
CC, 15 janvier 1975, IVG, 74-54 DC, §§ 3 et s. ; CC, 12 mai 2010, Loi relative à l'ouverture à la
concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, 2010-605 DC, §
11.
8
CC, 4 avril 2013, J. Forrest, n° 2013-314 P QPC. Voy. infra II. 2.1.1.
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