R. BOUSTA : LA « SPÉCIFICITÉ » DU CONTRÔLE DE PROPORTIONNALITÉ FRANÇAIS
Peut-on alors parler de spécificité française en la matière ? Cette
question, délicate, soulève à la fois l’intérêt et l’enjeu de l’approche
comparative4.
Intérêt, car c’est en partant de la comparaison de jurisprudences
étrangères que l’on forgera une définition de la proportionnalité au regard de
laquelle pourra se poser la question de cette spécificité. Enjeu, parce que
cette définition doit être suffisamment neutre par rapport aux jurisprudences
comparées, sans quoi la comparaison s’avérerait faussée. Par conséquent, si
la comparaison avec la jurisprudence de la BverfGE, en raison de son
autorité, paraît particulièrement opportune pour discuter la spécificité
française5, il faudra se garder d’en faire l’étalon au regard duquel serait
analysée (voire pire, évaluée) cette dernière.
Mais quelle définition de la proportionnalité, à la fois neutre, large et
suffisamment précise6, guidera la comparaison ?
4 Sur l’intérêt de l’approche comparative en la matière, v. : J. BARNES, « Introducción al
principio de proporcionalidad en el derecho comparado y comunitario », in Revista de
Administración Pública, sept.-déc. 1994, n° 135, p. 495.
5 La comparaison se limitera, en ce qui concerne les cours internes, aux jurisprudences
française, allemande et espagnole. En effet, bien que la jurisprudence des autres cours
constitutionnelles relève un intérêt certain, en particulier celle du Tribunal fédéral suisse, à raison de
sa maturité et de son ampleur, elles dépassent le cadre modeste de cet article. Bien qu’il nous aurait
permis à la fois de confirmer l’autorité de la définition allemande de la proportionnalité et de
montrer l’acclimatation de ce principe dans la jurisprudence constitutionnelle, nous pensons que
l’exemple suisse n’aurait pas apporté d’éléments fondamentalement nouveaux pour l’idée que nous
souhaitons soutenir (au sujet de l’influence, sur la jurisprudence du Tribunal fédéral suisse, de la
jurisprudence et doctrine allemandes en matière de proportionnalité, v. pour ex. : M. S. VAN
DROOGHENBROECK, La proportionnalité dans le droit de la Convention européenne des droits
de l’Homme. Prendre l’idée simple au sérieux, éd. Bruylant, Bruxelles, 2001, p. 40). Pour un aperçu
du contrôle de proportionnalité exercé par le Tribunal fédéral suisse, v. notamment : A. BONNARD,
« Le principe de proportionnalité en droit public Suisse », in Recueil de travaux du Xème Congrès
international de droit comparé, Bâle, Helbing et Lichtenhän, 1979, p. 201 ; P. MULLER, « Le
principe de proportionnalité », in Zeitschrift für Schweizerisches Recht, n° 3, 1978, p. 210. Nous
n’insisterons également pas sur la jurisprudence de la CJCE et de la CEDH, d’une part parce les
contributions, de très bonne qualité, sont plus nombreuses en la matière, et surtout, parce que ces
jurisprudences dépassent le cadre limité de cet article. Pour un aperçu de la notion européenne de
proportionnalité (avec quelques références à d’autres États), v. : M. FROMONT, « Le principe de
proportionnalité », in AJDA, n° spécial, 20 juin 1995, p. 156 ; J. ZILLER, « Le principe de
proportionnalité », in AJDA, n° spécial, 20 juin 1996, p. 185. S’agissant de la jurisprudence de la
CEDH, v. : P. MUZNY, La technique de proportionnalité et le juge de la Convention européenne
des droits de l’homme. Essai sur un instrument nécessaire dans une société démocratique, éd.
PUAM, Université Paul Cézanne-Aix Marseille III, Faculté de droit et de Science Politique, t. 2,
2005, 734 p ; S. VAN DROOGHENBROECK, op. cit.
6 En effet, Monsieur Pfersmann définit (en partie) le droit comparé comme « la discipline qui
permet de décrire les structures de n’importe quel système juridique à l’aide de concepts généraux
présentant la finesse nécessaire et suffisante ». O. PFERSMANN, « Le droit comparé comme
interprétation et comme théorie du droit », in Revue internationale de droit comparé, avril-juin 2001
(2-2001), n° 53, p. 275.