2éme trimestre 2008 - Mécénat public des Arts et de la Culture

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REPUBLIQUE DU SENEGAL
Bulletin du C E P O D
Ministère de l’Economie et des Finances
Centre d’Etudes de Politiques pour le Développement
ISSN 0850 -1327
D e u x i è m e Tr i m e s t r e 2 0 0 8
http://www.cepodsn.org
Spécial Economie et Culture
Biennale de l’Art africain contemporain
Mécénat public des Arts et de la Culture
Dak’Art 2008
Economie et Culture
Centre d’Etudes de Politiques pour le Développement
Editorial
L’Art et l’Economie
Aliou FAYE, Directeur du CEPOD
Le 18 mai 2008, Monsieur Abdoulaye DIOP, Ministre
d’Etat, Ministre de l’Econoimie et des Finance, a procédé au vernissage de l’exposition de tableaux et de
tapisseries d’art par laquelle, le ministère de l’Economie et des Finances a participé à Dak’Art 2008.
Ce vernissage a eu pour cadre les locaux du Centre
d’Etudes de Politiques pour le Développement
(CEPOD) qui a prété ses “murs” pour la circonstance.
Mécénat public de l’art et économie ont été au centre
du propos du Ministre d’Etat, Ministre de l’Economie
et des Finances Monsieur Abdoulaye DIOP.
lifier et de repositionner les produits sénégalais.
Plus généralement une identité culturelle forte est le
fondement même de la capacité d’une société à prospérer, croître et à s’adapter aux mutations de l’environnement global ;
les activités culturelles améliorent la qualité de la
vie individuelle et collective, promeuvent l’inclusion
sociale, élévent l’estime de soi et élargissent les perspectives
investir dans la culture, génére des rendements
tant économiques qu’humains et renforce le capital soAu Sénégal, la tradition de mécène des Arts et de la cial ;
Culture que l’on peut reconnaitre à l’Etat, remonte au
Président Léopold Sédar Senghor pour qui, la culture chacune des éthnies présentes sur le territoire
est “l’ensemble des connaissances théoriques et pra- national contribue à la diversité de notre identité cultiques qui nous permettent de nous connaitre, nous turelle ;
et les autres hommes, mais aussi notre environnement.”
le développement optimal des ressources culturelles requiert un statut fort des artistes professionnels
Si à travers cette définition, la culture se trouve être et l’apport spécial d’un corps dévoué de volontaires
le support universel de toute srtratégie de développe- et d’amateurs ;
ment, il a fallu attendre la loi sur la fatalité des coûts
de Baumol et Bowen (1966) pour tenter une justifica- les écoles, les institutions post-secondaires, le
tion économique, d’ailleurs empirique, du mécénat secteur privé et les infrastructures publiques contribuent ensemble au processus d’éducation et d’apprenpublic des Arts et de la Culture.
tissage tout au long de la vie. Mieux encore, même si la double causalité qui existe
entre culture et développement semble bien être perçue de tous, c’est la mondialisation qui, par un des paradoxes qui la caractérisent et en invitent les nations
en compétition pour les niches de marché à miser sur
les attributs non productibles de leurs produits, fait des
contenus culturels des biens et services des facteurs
incontournables de compétitivité.
La Stratégie de Croissance Accélérée prend en considération ce rôle particulier de la culture, d’abord, à travers la grappe “Tourisme, Industrie culturelle et
artisanat d’arts”. Dans le secteur aussi ouvert et
conccurrentiel que le tourisme, la mise à contribution
des attraits culturels spécifiques permettra de requa-
Ministère de l’Economie et
des Finances
Centre d’Etudes de Politiques
pour le Développement
Trimestriel du CEPOD
Numéro 02 - avril 2008
ISSN 0850-1327
Avenue Carde, Dakar - Sénégal, BP
4017
Tel : (+221) 33 823 34 27 - Fax :
(+221) 33 821 83 12
www.cepodsn.org
Directeur de la Publication
Aliou FAYE, Directeur du CEPOD
Comité de rédaction
Aliou FAYE
Directeur du CEPOD
Bulletin du CEPOD
Oumar DIAKHATE
Expert économiste en
Dévelopement Institutionnel
Babacar NDIR
Expert économiste en charge des
NTIC
Aboubacry SOW
Expert économiste en Finances
Publiques
Mamadou NDONG
Expert économiste en Monnaie et
Economie Internationnale
Abdoulaye FAYE
Chargé de Communication
Cheikh THIAM
Conseiller Technique MEF
Photo MEF
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CEPOD , renforcement de capacités
Biennale de l’Art africain contemporain
Mécénat public des Arts et de la Culture
Dans les faits, le mécénat culturel consiste en des dons
en numéraire, en compétences, en nature ou en technologie au profit d’organismes et d’œuvres d’intérêt
général. Il se traduit par :
Aliou FAYE, Directeur du CEPOD
ditionnelle et de deux corps de ballets (Linguère et
Sidra Badral), le Musée dynamique en 1966 dans le
cadre du premier Festival mondial des arts nègres de
1966, l’Institut national des Arts (Beaux Arts, Conservatoire de Musique, danse, arts dramatiques) en 1972.
Le Musée ethnographique, créé par l’administration
coloniale en 1938, a été régulièrement enrichi et modernisé et des centres culturels régionaux ont été installés dans les capitales régionales. Le Mécénat d’Etat
en direction des artistes a été à l’origine de la mise en
place de l’Ecole de Dakar des arts plastiques (peinture,
sculpture, architecture, arts graphiques et communications, environnement et tapisserie). Les produits des
membres choisis sur arbitrage direct du Président Senghor étaient montrés dans les expositions à l’étranger
ou tissés par les manufactures et les tapisseries puis
achetés par l’Etat.
la sauvegarde, l’enrichissement et la valorisation
de monuments, musées, archives, livres, archéologie
etc. ;
la diffusion du spectacle vivant : musique, danse,
théâtre, cinéma, cirque etc. ;
le soutien à la création contemporaine par l’acquisition d’œuvres originales d’artistes vivants dans
les domaines des arts plastiques, audiovisuels, numériques etc. ;
le soutien à l’interprétation musicale par l’achat
et le prêt d’instruments de musique à des musiciens
de haut niveau, ou à fort potentiel ;
la diffusion de la littérature, de la langue et des
En appui, la loi du 1% de 1968 faisait à tout construcconnaissances scientifiques nationales ;
les actions au croisement de la culture et du so- teur obligation de consacrer 1% du coût total de toute
construction publique à financer la décoration des bâcial.
timents publics. De même, le Fonds d’aide aux artistes
Ainsi défini, le mécénat culturel interpelle tous les ac- et au développement de la culture de 1978 était chargé
teurs : Etats, organisations, entreprises et individus. Il d’accorder des aides et des subventions aux artistes
se retrouve également dans ce que Abdou SYLLA dans le cadre d’actions diverses.
dans le numéro 80 de la Revue Ethiopiques appelle le Sur le plan financier, l’investissement global pour
mécénat d’Etat pour désigner la politique culturelle au l’ensemble du secteur culturel couvrait 30% du budget
Sénégal des années 1960-1980. Sous l’impulsion et la national. C’est dire donc que plus qu’un mécénat,
supervision du Président Senghor, a été progressive- c’était une option politique qui avait choisie de confément mis en place tout un ensemble de textes législa- rer à la culture un rôle stratégique dans le processus de
tifs et réglementaires qui devaient servir de développement économique et social.
fondements aux structures et institutions de prise en
charge et de dynamisation de la vie culturelle natio- Soumis quasi exclusivement aux critiques du Présinale. Egalement, ont été progressivement installées dent Senghor, l’Ecole de Dakar n’a, cependant, pas eu
ces structures et institutions chargées tant de préserver à s’exposer aux exigences d’une demande multi-culque de promouvoir et de diffuser tout un ensemble de turelle et ne fut pas en marge des critiques. Par ailformes d’expression artistique, nationales et étran- leurs, cette politique ne pourra se poursuivre au-delà
gères, traditionnelles et modernes, sous le double des années 1970, période pendant laquelle la tutelle
éclairage de l’enracinement et de l’ouverture.
de l’Etat s’essouffle sous l’effet de l’ajustement structurel et de la libéralisation économique. De dirigiste,
Ainsi, le ministère de la Culture a été créé en 1966, l’Etat devient au plus accompagnateur, d’abord dans
le Service des archives culturelles en 1967, le Centre l’élaboration de la Charte culturelle dans le cadre d’un
d’études des civilisations en 1964, la Manufacture na- processus de construction consensuel ; ensuite, à trationale de tapisserie en 1966 avant de devenir la Ma- vers l’édition de la Biennale de Dakar (Dak’Art) ; le
nufacture sénégalaise des arts décoratifs, le Théâtre tout dans une perspective globale d’aménagement culnational Daniel Sorano en 1965 avec une salle de turel du territoire à travers la décentralisation de l’acspectacle, une troupe nationale dramatique, un ensem- tion culturelle, et la défense de la diversité culturelle.
ble lyrique spécialisé dans le chant et la musique traBulletin du CEPOD
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Centre d’Etudes de Politiques pour le Développement
Dak’ Art 2008
Economie et Culture
Aliou FAYE, Directeur du CEPOD
Le Ministère de l’Economie et des Finances participe, au
titre du mécénat public de l’art, à la Biennale DaK’aRT
2008 en exposant sur les murs du CEPOD sa collection de
tableaux et de tapisseries. Ce faisant, sous l’impulsion du
Ministre d’Etat, Ministre de l’Economie et des Finances,
le département répond favorablement à une sollicitation
vieille de plus de 70 ans et émanant d’un Economiste illustre, Sir John Meynard Keynes. Cependant, les économistes
se sont intéressés à l’art sur le tard et ont mis du temps pour
reconnaître à la culture un rôle économique et à trouver en
elle un champ d’application de leurs lois et approches. Il a
fallu l’apport des avancées récentes de la microéconomie
pour intégrer l’exception culturelle et établir la rationalité
des comportements culturels.
fiques maisons de campagne, de grandes bibliothèques, de
riches collections de statues, de tableaux et d’autres curiosités de l’art et de la nature font souvent l’ornement et la
gloire, non seulement de la localité qui les possède, mais
même de tout le pays. Versailles embellit la France et lui fait
honneur, comme Stowe et Wilson à l’Angleterre. » Smith
définit également les conditions et les objectifs d’une intervention de l’Etat en faveur de l’art et de la culture : « si
l’Etat encourageait ( …) tous ceux qui, pour leur propre intérêt, voudraient essayer d’amuser et de divertir le peuple,
sans scandale et sans indécence, par des peintures, de la
poésie, de la musique et de la danse, par toutes sortes de
spectacles et de représentations dramatiques, il viendrait aisément à bout, dans la majeure partie du peuple, de cette humeur sombre et de cette disposition à la mélancolie qui sont
presque toujours l’aliment de la superstition et de la (perte)
Cette exception qui caractérise le secteur de la culture est d’enthousiasme. »
mise en avant pour justifier l’intervention de l’Etat et déterminer les politiques publiques culturelles tout comme elle
Alfred Marshall, quant à lui reconnaît « la loi qui fait que
semble commander une approche spéciale de l’économie
plus l’on écoute de la musique, plus le goût pour celle-ci
de la culture. Pour rendre compte de cela, le présent article
augmente » ; ce qui voudrait dire que contrairement à la
traite successivement des relations entre les grands éconothéorie de la décroissance de l’utilité marginale d’un bien
mistes et l’art, de la contribution originale de William Bauéconomique ordinaire, l’économie de l’art et de la culture
mol et de William Bowen, des politiques culturelles et du
est à bâtir sur la théorie de la croissance de l’utilité margipérimètre de l’économie de la culture.
nale des produits artistiques ou culturels.
Les grands économistes et l’art : Quelques économistes, du
fait exclusif de leurs inclinaisons pour (ou contre) l’art, ont
posé, comme par accident, les jalons de l’économie de la
culture. Pour Adam Smith et David Ricardo, qui comptent
parmi les pères fondateurs de l’économie, la dépense pour
les arts relève de l’activité des loisirs et ne saurait contribuer
à la richesse de la nation. Pour Smith, particulièrement,
tout travail non productif tel que « la déclamation de l’orateur, le débit de l’orateur ou les accords du musicien, s’évanouit au moment même où il est produit».
Conséquemment, Marshall écrit dans « Principles of Economics » publié en 1891, « il est impossible d’évaluer les
objets tels que les tableaux de maître ou les monnaies rares,
puisqu’ils sont uniques dans leur genre, n’ayant ni équivalent ni concurrent (identique).» Il ajoute que « le développement des facultés artistiques des personnes est en
lui-même un objectif de la plus haute importance, et devient
un facteur clef de l’efficacité industrielle.»
John Meynard Keynes, le fondateur de la macroéconomie
en 1936, a négligé de considérer le bien-fondé d’une apCependant, se fondant sur les investissements longs et coûproche économique de la culture, mais en collectionneur
teux ainsi que sur la grande habileté que requièrent leurs
avisé d’œuvres d’art, a su convaincre le chancelier de
prestations, Smith considère que « la rétribution pécuniaire
l’Echiquier (le ministre des Finances du Royaume-Uni)
des peintres, des sculpteurs, des gens de loi et des médecins
d’acquérir des collections artistiques et de grands mécènes
doit donc être beaucoup plus forte ». Par ailleurs, Smith
privés de participer au financement d’une caisse de garantie
soulignait déjà les retombées positives des investissements
des revenus des artistes émergents.
culturels en indiquant que « de superbes palais, de magniBulletin du CEPOD
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CEPOD, renforcement de capacités
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Economie et Culture
John Kenneth Galbraith a consacré un chapitre à l’économie et l’art dans son livre « The Liberal Hour » publié en
1960 où il reconnaît à l’artiste un rôle économique important. Mais il faudra attendre les avancées des méthodes et
les champs nouveaux de la microéconomie pour voir les
grands économistes jeter les bases de l’économie de la culture et celles de sa reconnaissance institutionnelle.
Ainsi William Baumol et William Bowen vont démontrer
en 1965-66 que l’économie culturelle est tributaire des subventions publiques. Gary Becker, quand à lui, prend à son
compte la théorie de l’utilité marginale croissante et tente
d’établir la rationalité des comportements culturels. C’est
également au milieu des années 1960 que Max Weber a
trouvé des causes culturelles à l’apparition d’un nouveau
capitalisme à partir du 17ième siècle dans l’éthique religieuse
des protestants (en particulier des puritains) tournée vers la
production et l’épargne.
jourd’hui pour reconnaître à ses auteurs d’avoir créé l’économie de la culture, l’économie de l’art comme discipline
à part entière dans la science économique moderne. Dans
leur ouvrage « Performing Arts – The Economic Dilemma » publié en 1966, Baumol et Bowen se sont penchés
sur la situation financière et les activités des organisations
du spectacle vivant, à travers des sujets allant du nombre de
spectateurs/vsiteurs aux prix des tickets d’entrée.
Leur travail empirique est rendu compte dans 34 tableaux,
39 graphiques et une annexe statistique de près de 150
pages. Baumol et Bowen avaient pour ambition de donner
une explication valable à l’origine des difficultés financières
auxquelles les organisations du spectacle vivant sont généralement confrontées. Les données qu’ils avaient collectées
leur avaient permis de constater que les charges supportées
lors des évènements couverts croissaient plus vite que les
recettes qui en étaient tirées.
Pour autant que ce constat ressortait de dynamiques structurelles, il mettait en relief une certaine déconnexion entre,
Au cours des années 1970, les économistes américains de
d’une part, les forces à la base de l’évolution des charges
l’école institutionnaliste, notamment John K. Galbraith liées aux évènements et au travail artistique et, d’autre part,
(1973) et Kenneth Boulding (1978), confirmeront le rôle celles qui caractérisent la demande des produits artistiques
économique des arts et de la culture, en particulier celui de ou culturels.
créer et de faire circuler l’information.
Plus généralement, la reconnaissance de l’économie de la
culture est due à trois facteurs :la mise en avant des considérations relatives à la création d’emplois et de revenus ; le
besoin d’évaluation des politiques et des décisions culturelles ; l’extension de l’économie publique à des domaines
nouveaux comme les activités non marchandes, les organisations et institutions, l’information et l’incertitude, au prix
parfois d’une révision du présupposé de rationalité. Le reste
de l’article est consacré aux travaux de Baumol et Bowen,
aux politiques culturelles et au périmètre de l’économie de
la culture.
Baumol et Bowen ont ainsi proposé la loi de la fatalité des
coûts (cost disease) pour indiquer qu’en réalité, comme tous
les autres secteurs qui ont une productivité plus faible, en
d’autres termes qui connaissent des progrès techniques plus
faibles que le reste de l’économie, l’art et la culture voient
la dynamique de leurs coûts déterminée par les secteurs qui
réalisent des gains de productivité plus importants.
Certes, ces secteurs pourront vendre à l’art et à la culture des
intrants relativement moins chers du fait de leur productivité accrue, mais également ils pourront distribuer des revenus plus élevés à leurs travailleurs et contribuer ainsi au
Le travail original de Baumol et Bowen
relèvement du niveau général des salaires que les cachets et
les servitudes ne sauraient continuer à ignorer. De cette loi
Le besoin de mécénat public pour le développement des de la fatalité des coûts qui repose sur une situation de fait
arts a été documenté pour la première fois au milieu des (dans toute économie et à tout instant il y a toujours des
années 1960 par William Baumol et William Bowen qui secteurs plus productifs que d’autres), l’on peut simplement
portaient alors leur attention à l’économie du spectacle vi- tirer que les secteurs comme l’art et la culture auront plus
vant. C’est ce travail original en ce qu’il s’appuie sur un souvent que d’autres à connaître la rigueur d’un déficit de
volume impressionnant de données quantitatives dans un recettes (income gap) qui sera supporté par les acteurs, les
domaine culturel qui a créé le consensus qui existe auBulletin du CEPOD
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créateurs (chefs d’orchestres, peintres, cinéastes, chorégraphes), les promoteurs de spectacles ; les uns plus que
les autres en fonction de l’état du marché, en l’absence de
ressources compensatrices venant de sponsors ou de mécènes, publics ou privés. Baumol et Bowen se fondent sur
ce déficit (structurel) des recettes tirées des évènements culturels ou artistiques pour conclure à la nécessité du soutien
public (par l’octroi de bourses, l’achat d’ouvrages originaux, la distribution de tickets gratuits, etc.) si l’on veut éviter une baisse de l’activité artistique ; cependant, ils se
gardent d’y asseoir un plaidoyer direct pour des subventions
de l’Etat, la culture n’étant pas le seul secteur à connaître les
conséquences de la loi de la fatalité des coûts.
tovsky ajoute en 1972 qu’il faut éduquer les dispositions
esthétiques des hommes ; ils en ressentiront plus encore de
bien-être, même s’ils ne le perçoivent pas toujours. En
1963, Lionel Robbins soulignait également que les effets
positifs de l’art touche une communauté d’hommes plus
large que celle des hommes prêts à payer le prix de sa production. Throsby conclut en 1994 que le bien culturel est
« un bien social irréductible » dont les bénéfices ne sauraient être attribués à des individus précis.
En conclusion, les biens culturels doivent être mis sous tutelle publique et l’Etat doit se charger d’inciter, par l’impôt
notamment, les citoyens à leur production et leur consommation. La conservation du patrimoine existant, l’édification d’un patrimoine nouveau, la commande et l’acquisition
Toutefois, le travail de Baumol et Bowen a déclenché au- d’œuvres d’art ainsi que l’encadrement et la limitation des
près des économistes un regain d’intérêt pour l’analyse des exportations d’œuvres d’art, permet de contribuer dès à préfaits, comportements et politiques culturels, lequel regain sent au financement de la consommation des générations
d’intérêt a conduit à la reconnaissance institutionnelle de futures. Ainsi, les projets d’aménagement du territoire prenl’économie de la culture dont témoigne la publication en nent-ils en compte l’investissement culturel et l’Etat parti1994 de l’enquête (survey) de David Throsby dans le Jour- cipe - t- il à l’entretien et à l’enrichissement du patrimoine
nal of Economic Literature. Retournant aux travaux de historique ?
Baumol et Bowen au milieu des années 1960, nous pouvons d’abord noter le recours qui a été fait à la spécificité
de la culture pour justifier un soutien financier au spectacle L’Etat peut aussi justifier son intervention par les effets multiplicateurs sur l’activité culturelle qu’il en attendrait. Des
vivant.
études d’impact peuvent permettre d’évaluer les retombées
Les politiques culturelles
économiques des dépenses culturelles composées de flux
directs (dépenses locales, salaires, achats des institutions
En régime de libre concurrence, l’intervention de l’Etat est culturelles), de flux indirects (dépenses de tous ceux qui
légitimée par les défaillances du marché, lesquelles résul- fréquentent les sites culturels, notamment en frais de transtent de la nature des biens. Dans le secteur de la culture où port, d’hôtel et de restauration liés aux sorties culturelles) et
les biens sont indivisibles et collectifs ou mixtes, l’Etat peut de flux induits par les flux directs et indirects. Les coûts
recourir à l’impôt pour répartir la charge des coûts de pro- supportés comprennent quant à eux les subventions et les
duction et d’entretien des infrastructures et des produits cul- aides en nature.
turels et contrer les comportements de passager clandestin.
Quand des effets externes privés (en faveur du tourisme par
exemple ou les arts vivants à l’égard des mass media) ou Au Québec, un orchestre, un musée ou un festival génère
publics risquent de limiter l’offre en dessous de l’optimum, des retombées de 1,5 à 3 fois supérieures aux dépenses enl’Etat peut contribuer au financement de la production si gagées ; y dépenser pour la culture c’est agir en faveur de
l’agent économique qui bénéficie de leurs retombées ne le la vie économique. En outre, l’offre culturelle riche et vafait pas. L’industrie du disque finance ainsi les festivals, tout riée d’une ville est susceptible d’y attirer des consommacomme la ville d’accueil finance les festivals de musique ou teurs et des créateurs d’art. Inversement, l’absence de
de théâtre.
musées, de théâtres ou de salles de concerts, risque de nuire
à l’attractivité d’une agglomération.
Parmi les effets externes publics, Pigou retient que « la production et la consommation de biens culturels ont des effets
positifs sur la société, par la contribution qu’elles apportent Du côté de la demande individuelle, l’Etat peut aussi viser
à la cohésion sociale et à la formation des hommes. » Sci- à réduire les inégalités sociales par la démocratisation de
Bulletin du CEPOD
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Economie et Culture
l’accès à la culture, la protection de l’acheteur contre les
asymétries de l’information qui bénéficient à l’expert notamment, à travers l’institution de normes et de conventions
qui établissent le caractère culturel du bien. Par ailleurs,
toutes les formes d’art ne sont pas directement accessibles
à tous les individus. Selon Pierre Bourdieu (1997), « l’œuvre d’art ne prend un sens et ne revêt un intérêt que pour
celui qui est pourvu de la culture, ou de la compétence culturelle, c’est-à-dire du code selon lequel elle est codée. »
L’individu consomme l’art pour plusieurs raisons : par
indifférence, pour se mettre en valeur en montrant son appartenance à un clan ; comme moyen de thérapie psychiatrique (du fait des changements de comportements que peut
susciter l’émotion forte ressentie) ; parce qu’il a développé
par passion pour l’art une sensibilité à l’émotion (au syndrome de Stendhal de Graziella Magherini, psychiatre florentine) que peut provoquer une œuvre d’art, ou à des fins
de placement.
Périmètre de l’économie de la culture.
processus social ; la culture ne peut être que collective.
L’art dans la culture : Le dictionnaire “Le Petit Robert”
définit l’art comme l’ensemble de moyens, de procédés réglés, qui tendent à une certaine fin. L’art est alors façon,
manière, adresse, habileté, savoir-faire, activité ou discipline. Ainsi, au moyen âge, on opposait les (sept) arts libéraux, disciplines où le travail de l’esprit tient la plus grande
part (grammaire, dialectique, rhétorique, arithmétique, géométrie, astronomie et musique) aux arts mécaniques exigeant un travail manuel ou mécanique. A l’époque
contemporaine, on distingue également les beaux-arts
consacrés à la représentation du beau (architecture, gravure, peinture, sculpture) et souvent limités aux arts plastiques, c’est-à-dire les arts dont le but est l’élaboration de
formes (sculpture, architecture, dessin, peinture, arts décoratifs et chorégraphie).
Les arts décoratifs sont les arts appliqués aux choses utilitaires ; ils sont aussi appelés les arts appliqués ou arts industriels tels que ameublement, costume, orfèvrerie,
céramique, tapisserie, mosaïque. On distingue aussi les arts
de l’espace - architecture, peinture (et dessin), sculpture (et
gravure) et photographie ; auxquels on peut ajouter la bande
dessinée (le neuvième art), par opposition aux arts du
temps : musique, danse, cinéma (septième art) ; auxquels
on peut ajouter la télévision (le huitième art). On distingue
aussi les arts du spectacle : théâtre, cinéma, music-hall, télévision, etc. Les arts sans autre précision couvrent la littérature, la poésie, les arts libéraux et les beaux-arts.
Définition de la culture : Les philosophes réservaient la
culture aux peuples qui avaient dépassé le stade de la barbarie. A partir de la seconde moitié du 19ième siècle, les anthropologues vont rendre la culture applicable à toutes les
sociétés. En 1881, Edward Tyler définit ainsi la culture
comme étant “ un ensemble complexe incluant le savoir,
les croyances, les arts, la morale, les lois, les coutumes, et
toutes les autres aptitudes et habitudes acquises par un
homme en tant que membre d’une société “. Tyler recense
76 de ces aptitudes sans hiérarchie entre elles. En 1952, Alfred Kroeber et Clyde Kluckohn, deux anthropologues
américains, ont publié une liste de 160 composantes de la Cependant, la définition de l’art ne fait pas l’unanimité du
culture. De nombreux chercheurs établiront à leur suite de fait de son caractère subjectif, parfois polémique ou militant. Georges Dickie fait observer en 1984 que « l’œuvre
nouvelles classifications.
n’est qu’un artefact qui n’est devenu art qu’en tant qu’ayant
reçu le statut de possibilité d’être candidat à l’appréciation
En 1997, Jean Pierre Martinon définit la culture comme
d’une institution sociale dite monde de l’art. » Quant à l’arétant « l’ensemble d’éléments propres à tout groupe hutiste, il est considéré tantôt comme un être à part dans la somain, comprenant aussi bien la religion que les mœurs ciété faisant de l’art pour l’art ou pour défendre une cause,
sexuelles, le droit, les pratiques culinaires, les habitudes es- tantôt comme un acteur économique comme les autres.
thétiques, etc. ; toutes les fois que des aspects, des segments
de la vie sociale, peuvent être discernés et compris à partir
d’une cohérence, il s’agira d’une culture ; tout ce qui peut Après ces précisions sur la définition de la culture et de l’art,
être saisi comme une organisation, comme une régulation il convient de distinguer également l’économie culturelle ou
symbolique de la vie sociale, appartient à la culture. » Il le management, la gestion et le marketing de la culture de
ressort de ces définitions que la culture est le résultat d’un l’économie c’est à dire de la culture ou l’état du savoir économique sur la culture.
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Economie et Culture
Axes de délimitation du périmètre de l’économie de la culture Au cours des années 1980, l’accent est mis en France
sur l’organisation de rencontres et de débats fondateurs dont
les actes devaient servir de référence à la définition de l’économie de la culture. Le développement de l’information
quantitative entrepris au début des années 1970 n’aura, toutefois pas suffi pour la mise en place d’un système d’information plus précis, plus cohérent et plus interprétatif. Faute
de données suffisantes en quantité et en qualité, le projet de
compte satellite de la culture n’a pu donner satisfaction.Une
autre tentative pour mesurer la contribution de la culture au
développement a été celle de l’économie sectorielle à appliquer aux sous-secteurs de la culture : spectacle vivant,
industries culturelles, arts plastiques, patrimoine et musées.
Dans le sous-secteur du spectacle vivant, l’approche de
Baumol et Bowen a suscité des problématiques alternatives
requérant la contribution additionnelle de la sociologie politique.
l’objet d’un suivi expérimental de la relation entre qualité,
valeur et consentement à payer. Par ailleurs, certainement
pour conjurer la fatalité des coûts, un certain nombre de
produits culturels ou d’initiatives connaissent un dynamisme notable : l’évènementiel, les festivals, les productions à succès, le temporaire, les expositions, les
associations, les réseaux, les procédures de médiation, la
convergence entre culture et média ainsi que le rôle des TIC
dans la culture.
Conclusion
A la lumière de ce qui précède et en se fondant sur la théorie
de l’utilité marginale croissante et de la loi de la fatalité des
coûts, il pourrait être judicieux de mesurer la demande et
donc l’offre de produits culturels par leur prix de revient.
Cela permettrait de circonscrire l’analyse économique de
la culture à celle des infrastructures de production et de distribution culturelles (coût de construction, de restauration et
de maintenance , autres coûts fixes et coûts variables. En
tout état de cause , l’exception culturelle ouvre la voie à
une démarche spéciale pour articuler opportunément le
champ et les outils de l’économie de la culture. Dans les industries culturelles, les approches sectorielles du
livre, du disque, de la presse, du cinéma ou de la télévision
ont introduit avec succès les concepts comme filière,
concentration, barrières à l’entrée et autres concepts de
l’économie industrielle . Une réflexion commune entre les
professionnels français et la tutelle a pu ainsi rapprocher
acteurs publics et privés sur la base d’une meilleure com- Bibliographie :
préhension de ces sous-secteurs.
Concernant les arts plastiques, des travaux ont été menés
sur les enchères publiques, la cote des artistes, le suivi synthétique des transactions, les particularités des marchés artistiques, la production de la valeur et la construction de la
notoriété. S’agissant du patrimoine et des musées, les travaux de réflexion entrepris se limitent aux cadrages et
études préalables et ont besoin d’être approfondis, notamment sur les notions de bassin patrimonial, de valeur du
non-vendable, de valeur d’option et de transferts intergénérationnels. Par ailleurs, l’économie de la culture reste davantage une économie de l’offre de produits culturels, les
publics consommateurs étant pus difficiles à appréhender.
Benhamou, Françoise (2004): L’économie de la culture,
5ième Edition, La Découverte;col. Repères, Paris;
Besharov, Gregory (2003) : The Outbreak of the Cost Disease Baumol et Bowen’s Case for Public Support of the
Arts ;
Rouet, François (1998) : L’approche économique de la culture, Revue Culture & Recherche, n° 68, septembre –octobre 1998, Ministère de la Culture et de la Communication,
Paris
Werquin, Thomas (2006) : Impact de l’infrastructure cultuPour bien cerner la demande de produits culturels, il relle sur le développement économique local, Thèse de
convient de mieux comprendre le processus de formation doctorat
des préférences et de renforcement des capacités d’expertise ainsi que les processus décisionnels ; quitte à capitaliser
les apports de la sociologie et les rapports avec les professionnels. Quant aux prix et aux tarifs, ils gagneraient à faire
Bulletin du CEPOD
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