Éclairage
48 La Vie économique Revue de politique économique 6-2013
portion se monte à quelque 30% pour l’en-
semble de l’industrie d’exportation3. Une in-
tégration aussi avancée dans la CVM
implique que pour chaque milliard de francs
gagné à l’exportation par cette branche, seu-
lement 370 millions restent en Suisse à titre
de valeur ajoutée, ce qui correspond à moins
de 2000 emplois (voir graphique 1). Dans le
secteur financier, le ratio est de 851 millions
pour un milliard, soit 3700 postes en Suisse.
La valeur ajoutée par employé – le plus im-
portant déterminant pour le salaire – est très
élevée dans ces deux branches. À l’opposé, le
tourisme, peu intégré à la CVM, assure avec
un ratio élevé de 670 millions pour un mil-
liard plus de 9100 emplois relativement mal
rémunérés.
Les effets sur la structure de l’emploi
La fragmentation de la production à
l’échelle internationale s’est d’abord traduite
par une délocalisation vers des usines instal-
lées dans des pays à bas salaires pour des acti-
vités de fabrication. Les entreprises indus-
trielles sont toutefois restées actives dans les
économies développées, mais s’y limitent es-
sentiellement à opérer des services à forte in-
tensité de savoir liés à la fabrication propre-
ment dite. Ils peuvent la précéder (exemple:
design, recherche et développement) ou la
suivre (exemple: marketing ou logistique)
dans la chaîne de valeur ajoutée.
Les études4 confirment plutôt que les dé-
localisations n’ont pas entraîné de pression
sur l’ensemble des emplois, mais seulement
sur des postes et des qualifications spéci-
fiques. La délocalisation des tâches à forte
intensité de main d’œuvre a un effet béné-
fique: elle aide à maintenir le reste des activi-
tés dans les pays à hauts salaires, et donc à
conserver la majeure partie de la valeur ajou-
tée – du moins au prorata des emplois – ainsi
que des salaires élevés dans les économies
développées. L’exemple de l’entreprise Apple
montre que même après délocalisation de
l’essentiel de la fabrication vers la Chine, la
proportion de valeur ajoutée qui demeure
dans les économies développées reste très
élevée (voir encadré 1 et graphique 2). Il est
toutefois de plus en plus facile, grâce aux
progrès des technologies de l’information, de
délocaliser les activités à forte intensité de
savoir vers n’importe quel point de la planète
et de les y intégrer à la chaîne de valeur ajou-
tée. Le volume de connaissances tend, en
outre, à s’accroître dans les pays en dévelop-
pement.
Dans ces circonstances, la compétitivité
d’un pays ne peut plus être évaluée sur la seule
base des biens exportés. Il est désormais plus
pertinent d’examiner dans quelle mesure il est
capable de se spécialiser durablement, au sein
des CVM, dans des activités et des emplois à
haute valeur ajoutée, donc à salaires élevés. Il
importe moins désormais de savoir ce que
l’on exporte que de savoir ce que l’on fait, ce
qui revient à déterminer les activités et la va-
leur ajoutée intérieure qui entrent dans la
production des biens exportés. Le graphique 3
montre que la Suisse a également connu une
mutation structurelle, avec un recul des
activités industrielles traditionnelles (par
exemple fabrication et transformation de pro-
duits; mise en service, réglage et maintenance
de machines) au profit d’activités de services
souvent hautement qualifiées, situées en
amont et en aval dans la chaîne de valeur (par
exemple expertises, conseils, vente).
Les échanges internes aux entreprises
et aux réseaux de production
Le commerce mondial prend de plus en
plus souvent la forme d’échanges de biens in-
termédiaires au sein même des entreprises
.
Selon une étude de la Cnuced
5
, environ 80%
du commerce mondial est lié aux réseaux de
production internationaux des multinatio-
nales
6
. Les investissements directs étrangers
(IDE) de ces entreprises constituent égale-
ment un moteur de plus en plus important du
commerce mondial. Selon la Cnuced, le rap-
port entre l’ensemble des stocks d’IDE et les
flux commerciaux dans le monde a plus que
doublé entre 1990 et 2010, passant de 50% à
plus de 100%.
L’analyse de la Cnuced montre que les
pays dont les stocks d’IDE intérieurs sont les
plus importants (proportionnellement à la
taille de leur économie) se distinguent par
trois aspects:
– le pourcentage de valeur ajoutée étrangère
dans leurs exportations est substantiel;
Encadré 1
L’exemple de l’iPhone
L’exemple de l’iPhone, illustré dans le
gra-
phique 2
, montre que la balance commerciale
des États-Unis apparaît sous un tout autre
jour si l’on se base sur les chiffres de la valeur
ajoutée. D’après les statistiques commerciales
habituelles, l’iPhone produit un déficit com-
mercial de 1646 millions d’USD avec la Chine.
Mesuré en termes de valeur ajoutée, ce déficit
se réduit à 65 millions, car pratiquement seul
le montage final est effectué en Chine, lequel
ne représente qu’une infime partie des coûts
de production. Un déficit de la balance com-
merciale apparaît en revanche entre les États-
Unis et Taïwan, l’Allemagne, la Corée ainsi que
d’autres pays, dans la mesure où ces pays li-
vrent à la Chine des produits intermédiaires
entrant dans la fabrication de l’iPhone. Le
graphique n’inclut pas les chaînes de livrai-
son ou de production en amont de ces pays,
ni les intrants nécessaires à la production
des biens intermédiaires qui y sont produits.
Une analyse plus approfondie demanderait
un TES global avec les rapports commerciaux
bilatéraux.
Cet exemple montre que l’on ne doit pas
s’en tenir aux seules données commerciales,
mais aussi prendre en compte d’autres flux de
revenus si l’on veut savoir à qui les échanges
profitent en dernier ressort. L’utilisation des
droits de propriété intellectuelle revêt ici une
importance particulière. Korkeamäki et Takalo
(2012) estiment que les technologies breve-
tées déterminent à elles seules environ 25%
de la valeur d’un iPhone. Les droits de pro-
priété jouent aussi un rôle important: la com-
pagnie Foxconn, qui produit les iPhones en
Chine, est d’origine taiwanaise; une partie de
la valeur ajoutée générée en Chine est donc
transférée à Taïwan sous forme de rende-
ments de participations. Si l’on tient compte
– outre les biens intermédiaires produits aux
États-Unis – des salaires liés à la conception
du produit, des gains d’Apple et des recettes
des ventes, on arrive au constat que la ma-
jeure partie de la valeur ajoutée demeure aux
États-Unis.
Source: OCDE,
Revisiting trade in a globalised world:
current and future work on measuring trade in value added
terms
, Working Paper, 2011; OCDE, Trade in value-added:
concepts, methodologies and challenges (Joint OECD/WTO
Note), 2012; Korkeamäki Timo et Takalo Tuomas, Valuation
of innovation: The case of iPhone, Research Discussion
Papers 24/2012, Bank of Finland, 2012.
?
229
Composants
Produit fini
1875
États-Unis Chine
Montage
65
413
800
161
207
Fournisseurs
en amont
Taïwan
Reste du monde
Corée
Allemagne
Source: voir encadré 1 / La Vie économique
Graphique 2
La chaîne de valeur ajoutée internationale de l’iPhone
(en millions d’USD)