La prison, le médecin… le secret

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DOSSIER
Le secret en médecine
Prison
Secret professionnel, secret médical
Médecine pénitentiaire
La prison, le médecin…
le secret
Le respect du droit au secret médical pour les personnes placées sous main de justice, bien
qu’affirmé et très encadré, requiert des personnels soignants une vigilance de tous les instants
et la capacité de dire non aux trop nombreuses sollicitations.
Jean-Luc Boussard, médecin hospitalier exerçant en prison
« Au Docteur B., unité sanitaire 1 du centre de détention de M.
Mon cher confrère, je vous remercie de nous avoir adressé Monsieur A. qui se plaint de…
Je suis au regret de vous informer que je n’ai pas pu procéder à l’interrogatoire et à l’examen du patient, les agents
pénitentiaires chargés de sa surveillance ayant refusé de quitter la salle d’examen…
Bien cordialement. Docteur C., service d’urgences médicales du centre hospitalier de M. »
Les textes : du secret médical…
nels soignants est fondée sur la confiance en la
préservation du secret médical rappelle le Guide
méthodologique sur la prise en charge sanitaire des personnes
placées sous main de justice 4 : sa dernière publication
fait une large place au secret médical : celui-ci s’impose en milieu pénitentiaire comme en milieu libre.
Sauf dérogation prévue par la loi, le secret est opposable à toute autorité, même si cette autorité est
elle-même astreinte au secret professionnel.
Dans les années 80, l’irruption du sida, maladie stigmatisante entre toutes, dans l’univers carcéral a
entraîné une vague de panique. Ce n’est pas un hasard
si le tout nouveau Conseil National du Sida, sous la
présidence de Françoise Héritier, s’est penché dès
1990 sur la difficile question de la confidentialité en
prison. Dans son Avis et rapport sur les situations médicales sans absolue confidentialité dans l’univers carcéral,
publié le 12 janvier 1993, le CNS estime « urgent et
nécessaire, pour faciliter l’action des personnels de santé et
faire disparaître les ambiguïtés existant sur leurs missions
et leurs tâches, que les pouvoirs publics achèvent de faire
passer sous le contrôle administratif et financier exclusif du
ministère de la Santé la médecine en milieu carcéral, et les
personnels de santé intervenant en milieu pénitentiaire ».
Il est garanti par le Code civil 5, par le Code pénal 6,
par le Code de déontologie et par le Code de la
santé publique 7. C’est une obligation à la charge
des professionnels, mais aussi un droit des malades 8.
Il couvre tout ce qui vient à la connaissance du
médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-àdire tout ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il
a vu, entendu ou compris.
Le secret professionnel doit être respecté dans le
cadre des informations échangées lors des réunions
de travail avec les services des établissements pénitentiaires et ceux de la Protection Judiciaire de la
Jeunesse. Le personnel pénitentiaire, et plus particulièrement celui affecté aux structures médicales,
est tenu d’observer une stricte discrétion. Il ne doit
divulguer à personne des informations concernant
la santé des personnes détenues. Le médecin intervenant en milieu pénitentiaire doit veiller au
comportement des personnes qui l’assistent et
empêcher toute indiscrétion qui se produirait en
son absence 9.
Si, pour chaque personne détenue devant faire
l’objet d’une consultation médicale à l’hôpital, le
chef d’établissement pénitentiaire décide par écrit
du port ou non de menottes ou entraves et définit
par écrit le niveau de surveillance qui doit être
appliqué pendant la consultation compte tenu des
risques évalués, quel que soit le niveau de surveil-
Cet avis sera entendu et la réforme du système de
soins en milieu pénitentiaire, initiée par la loi du
18 janvier 1994 2, confiera au service public hospitalier l’ensemble de ces prises en charge.
Les personnes sous main de justice doivent avoir
accès à une qualité de soins équivalente à celle de
la population générale : en cela, la loi de 1994 représentait une avancée de santé publique et un progrès
considérable pour les droits d’une population particulière. Ce principe a été réaffirmé par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009.
Cette dernière, concernant la santé, réaffirme le
droit des personnes détenues au secret médical, au
secret de la consultation, et leur octroie également
le droit de s’entretenir, hors la présence du
personnel pénitentiaire, avec les personnes de
confiance, les personnes majeures accompagnant
les personnes mineures ou les bénévoles intervenant auprès des malades en fin de vie 3.
La relation entre la personne détenue et les person-
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MENACES SUR LE SECRET
la confidentialité des soins, quand les médicaments
doivent être pris en présence des codétenus d’une
cellule commune ? Quand l’exiguïté de certains
locaux de soins ne laisse entre les surveillants
chargés de la sécurité de l’unité sanitaire (US) et
la salle de consultation qu’une simple porte, qui
ne ferme pas toujours ? Quand le surveillant appelle
les détenus pour la distribution journalière des
médicaments à l’US ou accompagne l’infirmière
pour la distribution en cellule ? Quand les fouilles
des cellules permettent aux surveillants d’identifier les médicaments de chacun – quoi de plus
facile que taper « Atripla » ou « Kaletra 17 » sur un
moteur de recherche pour savoir quelle maladie
on traite ? Comment imposer le silence au surveillant d’US connaissant le statut séropositif – et ils
finissent toujours par le connaître – d’un détenu
blessé lors d’une rixe lorsqu’un de ses collègues
est victime d’une exposition au sang ?
Et on ne s’étonne pas d’apprendre que nombre
de détenus vivant avec le VIH préfèrent taire leur
statut et interrompre leur traitement pendant le
temps de leur incarcération, au péril de leur santé.
Comment, à la consultation hospitalière, concilier
la surveillance constante d’un détenu objet d’une
surveillance de niveau 3, et la confidentialité de
l’entretien médical ? Que répondre au collègue
des urgences qui nous informe en toute bonne foi
qu’il n’a pas pu examiner notre patient, le surveillant refusant de quitter la salle ? Insoluble dilemme
de la sécurité, de l’obligation de soins – les mêmes
que pour tout le monde, dit la loi – et de l’obligation de secret.
Et on ne s’étonne pas des refus par certains détenus
d’extractions médicales pourtant nécessaires.
lance retenu 10, le chef d’escorte doit veiller à ce
que les mesures de sécurité mises en œuvre n’entravent pas la confidentialité de l’entretien médical.
Si, à la demande des autorités pénitentiaires, le
médecin intervenant dans l’établissement pénitentiaire peut délivrer des documents médicaux 11,
ceux-ci ne doivent contenir que les renseignements
strictement nécessaires, à l’exclusion de tout
élément de diagnostic.
...au partage d’informations
Une circulaire 12 publiée le 21 juin 2012 définit le
cadre et les limites du partage d’informations opérationnelles entre les professionnels de santé exerçant en milieu pénitentiaire et ceux de l’administration pénitentiaire et de la protection judiciaire
de la jeunesse. Ce partage a pour objectif de
préserver la santé et la sécurité de la personne
détenue, mais également de participer à la sécurité de l’ensemble des personnes intervenant en
milieu pénitentiaire. Il s’exerce dans le respect du
droit au secret médical, garanti aux personnes
détenues par l’article 45 de la loi pénitentiaire
n° 2009-1436 du 24 novembre 2009.
La consultation de la commission pluridisciplinaire
unique (CPU) 13, présidée par le chef de l’établissement pénitentiaire ou son représentant, est obligatoire pour l’examen des parcours d’exécution
de peine (PEP) des personnes condamnées 14 (et
facultative pour toute autre situation la justifiant).
Elle a pour objectif une connaissance partagée de
la situation globale d’une personne détenue tout
au long de son parcours de détention.
Les professionnels de santé représentant des unités
sanitaires sont invités à y participer en fonction de
l’ordre du jour et y apporter des éléments permettant une prise en charge plus adaptée des patients
détenus grâce à une meilleure articulation entre
les professionnels, dans le respect du secret médical 15,
et ce après en avoir informé les personnes détenues
concernées de l’échange d’informations envisagé.
Si une personne condamnée à un suivi socio-judiciaire avec injonction de soin est incarcérée, elle
doit l’être dans un établissement où elle pourra
bénéficier d’un suivi médical et psychologique 16.
Le juge d’application des peines pourra l’inciter
à des soins. Ne pas s’y soumettre empêchera la
personne condamnée de bénéficier d’aménagements et de réductions de peine. Le juge d’application des peines pourra demander une attestation de suivi 16 qui devra être remise en mains
propres au détenu.
Sans oublier les pressions fréquentes, pour ne pas
parler de harcèlement, de l’administration pénitentiaire, des services d’insertion et de probation,
pour soutirer plus de précisions sur l’état de santé
d’un détenu, « dans son intérêt premier », ce qui
est particulièrement vrai des commissions pluridisciplinaires uniques, auxquelles de nombreuses
Unités sanitaires refusent de participer.
Ni celles du juge d’application des peines, qui non
satisfait de l’attestation de suivi, demande plus d’informations sur la nature et les modalités de ce suivi,
pour « mieux adapter sa décision aux réalités
médico-psychologique du détenu », plaçant de fait
le médecin traitant dans la position intenable, et
interdite, d’expert 18.
Et des faits
L’espace est étroit, qu’administration pénitentiaire
et justice n’ont de cesse de vouloir franchir, entre
partage d’informations et secret partagé !
Les médicaments ne sont plus distribués en cellule
par les surveillants, parfois sous forme pilée et
diluée (la « fiole ») et ne doivent plus être absorbés
devant le surveillant. Pourtant, comment assurer
Si, peut-être plus qu’ailleurs, le droit au secret
médical pour les personnes placées sous main de
justice est affirmé et encadré par de nombreuses
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Le secret en médecine
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notes, directives, circulaires, décrets, lois, « guide
méthodologique », plus qu’ailleurs encore il est
fragile et l’objet de pressions multiples des intervenants non soignants, juges, surveillants, conseillers d’insertion, et des conditions de vie inhérentes
au fonctionnement de l’institution pénitentiaire
qui le mettent sans cesse en péril. Son respect
requiert des personnels soignants une vigilance de
tous les instants et la capacité de dire non aux trop
nombreuses sollicitations.
1. L’appellation Unité Sanitaire (US) a remplacé la précédente Unité
de Consultation et de Soins Ambulatoire (UCSA).
2. La loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à
la protection sociale a posé le principe du transfert de la prise en
charge sanitaire des personnes détenues au ministère de la Santé.
3. Article 45 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire.
4. Guide méthodologique sur la prise en charge sanitaire des personnes
placées sous main de justice (Circulaire Interministérielle N°DGOS/
DSR/DGS/DGCS/DSS/DAP/DPJJ/2012/373 du 30 octobre 2012).
5. Article 9 du Code civil.
6. L’article 226-13 du Code pénal dispose que « la révélation d’une
information à caractère secret par une personne qui en est
dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une
fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an
d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
7. Code de Santé Publique : Articles R. 4127-4 pour les médecins, R.
4127-206 pour les chirurgiens-dentistes, R. 4127-206 pour les
pharmaciens, R. 4312-4 pour les infirmiers, R. 4127-303 pour les
sages-femmes.
8. Cf. Loi n° 2002-403 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades
et à la qualité du système de santé) et article L. 1110- 4 du Code de
la santé publique.
9. Article R. 4127-72, R. 4127-71 et 73 du CSP.
10. Circulaire JUSK0440155 C du 18 novembre 2004, selon lequel
trois niveaux de surveillance sont prévus : la consultation
s’effectue hors la présence du personnel pénitentiaire avec ou
sans moyen de contrainte (niveau 1) sous la surveillance constante
du personnel pénitentiaire mais sans moyen de contrainte
(niveau2), avec moyen de contrainte (niveau 3).
11. Articles R. 57-8-1 et D. 382 du Code de procédure pénale.
12. Circulaire_DGS_DGOS_DAP_DPJJ_du_21_juin_2012_CPU
13. Dispositif pénitentiaire prévu par le décret n° 2010-1635 du
23 décembre 2010 portant application de la loi pénitentiaire et
modifiant le Code de procédure pénale.
14. Article D. 89 du Code de procédure pénale.
15. Cette information préalable de la personne détenue et l’échange
prévu à son sujet doivent s’exercer dans le strict respect des
dispositions de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux
droits des malades et à la qualité du système de santé.
16.Article 763-7 du CPP modifié par la loi n° 2010-242 du
10 mars 2010 – art. 1011.
17. Médicaments utilisés dans le traitement de l’infection VIH.
18. Article R. 4127-105 du CSP : « Nul ne peut être à la fois médecin
expert et médecin traitant d’un même malade […]. »
Des carottes pour les anges…
Le secret de Wall Street
Si l’on admet volontiers que le secret médical est
nécessaire et fonde la relation thérapeutique, on
oublie qu’il devrait peut-être être scindé en deux
entités.
D’une part le secret transparent pourrait-on dire,
officiel, auquel les soignants se soumettent en prêtant
serment avant d’acquérir leur titre et leur fonction.
Ainsi est validée et garantie l’opacité nécessaire à la
définition de la vie privée.
On pourrait dire déjà que l’obligation faite aux
travailleurs, aux emprunteurs de remplir un dossier
médical est une violence faite au secret. Pourtant,
cette pratique est facilement passée dans les mœurs,
justifiée par la liberté du patient/client/postulant qui
remplit lui-même son dossier et accepte donc
librement de lever le secret…
Mais, il existe un secret plus opaque ; celui que les
soignants, et en particulier les médecins prescripteurs,
partagent avec le monde marchand.
En acceptant d’être formés, nourris, distraits, payés
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Gaëlle Texier, médecin généraliste
par les firmes, en acceptant de vendre une partie des
informations contenues dans leurs logiciels
professionnels, les soignants passent un accord secret
avec Wall Street… la marchandisation des
phantasmes, des peurs et des corps ne se fait pas sans
l’aval des soignants… même si, bien sûr, les stratèges
commerciaux rusent et cherchent de plus en plus
sauvagement à les contourner en visant directement
les clients/patients sous prétexte de… transparence
Si le premier secret relève de l’essence même du soin,
le second piétine sa légitimité et son sens. Certains
voiles commencent à se lever, à l’initiative des
soignants d’ailleurs, la plupart du temps, et il est
nécessaire que ces remises en cause se généralisent et
surtout se démocratisent pour que la dignité humaine
ne soit pas traitée comme les baleines, dont on sait
qu’elles disparaissent, mais dont on s’occupera peutêtre dans une vingtaine d’années.
À défaut de refuser ce secret, la médecine devient une
cArotte sans « A » pour des anGes sans « G ».
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