Réanimation 16 (2007) 42–48 a v a i l a b l e a t w w w. s c i e n c e d i r e c t . c o m j o u r n a l h o m e p a g e : h t t p : / / f r a n c e . e l s e v i e r. c o m / d i r e c t / R E A U R G / MISE AU POINT De la trachéotomie à la décanulation : quels sont les problèmes dans une unité de sevrage ? Tracheostomy to decannulation: what are problems in a weaning unit? G. Beduneaua,*, P. Bouchetembleb, A. Mullera a Service de réanimation médicale, Upres EA 3830, hôpital Charles-Nicolle, CHU de Rouen, 1, rue de Germont, 76031 Rouen cedex, France b Service d’otorhinolaryngologie et de chirurgie cervicofaciale, CHU de Rouen, 1, rue de Germont, 76031 Rouen cedex, France Disponible sur internet le 23 janvier 2007 MOTS CLÉS Trachéotomie ; Décanulation ; Ventilation mécanique prolongée Résumé Cette mise au point concerne la gestion quotidienne d’une trachéotomie, chez un adulte ventilé depuis sa réalisation jusqu’à son retrait. Durant la période de ventilation mécanique, les problèmes liés à la trachéotomie sont secondaires à un changement de canule, à une complication locale, ou à une mauvaise adaptation de la prothèse. La canule de trachéotomie doit être changée sur des critères ne relevant pas d’une attitude systématique. La décanulation est une démarche qui associe le sevrage de la ventilation mécanique, l’évaluation et si nécessaire la prise en charge de la déglutition, de l’expectoration et de la parole. La collaboration avec les spécialistes concernés s’impose en cas de difficulté avec entre autre, une exploration des voies aériennes supérieures. Cette démarche s’appuie sur une décroissance régulière du diamètre de la canule, qui est obstruée 24 à 72 heures avant le retrait. © 2007 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Tracheotomy; Decannulation; Prolonged mechanical ventilation Abstract The purpose of the present review is to discuss the daily practice of tracheostomy management in mechanically ventilated patients from cannulation to decannulation. During mechanical ventilation, tracheotomy difficulties are related to change in cannula or to local complication. Rather than systematic, replacement of cannula should be considered individually according to oro-tracheal requirements. The décannulation process includes weaning of mechanical ventilation, evaluation of swallowing, cough and speech. A multidisciplinary approach, with an exploration of upper-airway, may be necessary in case of difficulties. For this decannulation protocol, tracheostomy tube should be subsequently step by step downsized and obstructed for one to three days before removing cannula from trachea. © 2007 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (G. Beduneau). 1624-0693/$ - see front matter © 2007 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.reaurg.2006.12.007 De la trachéotomie à la décanulation : quels sont les problèmes dans une unité de sevrage ? Cette mise au point se focalise sur les difficultés de la « gestion » au quotidien d’une trachéotomie d’un adulte ventilé jusqu’à son retrait [1]. Nous n’aborderons pas les questions de la modalité de l’abord trachéal, du débat pour ou contre la trachéotomie, de la définition du moment optimal de sa réalisation, ou encore du choix de la modalité technique [2,3]. De même, nous n’aborderons ni la ventilation mécanique, ni le sevrage, du patient trachéotomisé [4,5]. Bien qu’il soit fréquent qu’un patient soit trachéotomisé et ventilé dans un service de réanimation (11 % des patients) [4], la littérature concernant cette situation est peu fournie [6]. Plusieurs des attitudes que nous proposons relèvent de l’expérience développée lors de l’activité quotidienne auprès des patients admis dans une unité spécifique de sevrage, telle que celle qui se trouve au sein du service de réanimation médicale du CHU de Rouen, entre autre pour la prise en charge de patients ayant développé au cours de leur hospitalisation en réanimation une dépendance à la ventilation mécanique. Cependant, nous espérons ne pas être tombés dans le piège de la « vehementbased medicine », qui se distinguerait de « l’evidencebased medicine » par l’oubli de la confrontation des pratiques aux données scientifiques disponibles [6]. La canule de trachéotomie pendant la ventilation mécanique Durant la période de ventilation mécanique, les problèmes relatifs à la trachéotomie sont essentiellement en rapport avec un changement de canule ou une complication locale. Changement(s) de canule Le changement est le plus souvent simple. Cependant, pour ne pas exposer le patient à des difficultés pouvant engager le pronostic vital, il doit être réalisé en respectant certaines règles classiques de prudence (hyperextension de la tête, écarteurs adaptés, matériel d’aspiration fonctionnels, matériel d’intubation disponible, serrage du cordon tête fléchie,…) et par des mains suffisamment expérimentées. Une attention particulière doit être apportée au premier changement, aux changements en cas de difficulté préalable, ou lorsqu’il est réalisé dans l’urgence. Pour les techniques chirurgicales le premier changement est classiquement conseillé à 48 heures et idéalement réalisé par le chirurgien. Quand une technique percutanée a été utilisée, le changement est réalisé entre sept et dix jours après la trachéotomie. L’usage d’un guide ou d’un mandrin (souvent fourni par l’industriel dans le kit comportant la canule) pour cathétériser le trachéostome est une précaution utile. Il n’existe pas, à notre connaissance, de recommandation concernant la fréquence de changement des canules de trachéotomie, que ce soit en milieu hospitalier et plus particulièrement de réanimation [7], ou dans le cadre d’une trachéotomie définitive chez un patient ambulatoire. Il ne paraît pas indispensable ni même utile de changer la canule de façon systématique, nous réservons ce geste aux situations l’imposant (canule ou ballonnet défectueux, retrait accidentel,…) ou dans le cadre d’une modification argumentée du type de canule (changement de diamètre 43 de la canule, de type de ballonnet ou de matériau composant la canule,…). En cas d’usage prolongé de la canule, il n’est pas possible de fixer une durée maximale d’utilisation. En présence d’infection pulmonaire récurrente à germes avides de matière inerte tels que les bacilles Gram négatif [8], un changement de canule est parfois proposé, sans réelle donnée scientifique publiée. En pratique, au sein de l’Unité de sevrage et de réhabilitation (USR) du service, nous avons arbitrairement choisi de ne pas dépasser une durée maximale de deux mois, que la canule utilisée dispose ou non d’une chambre interne. Les soins locaux sont fondamentaux. L’orifice cutané est nettoyé tous les jours afin d’éviter la stagnation périorificielle des sécrétions. Les soins apportés à la canule et particulièrement à la chambre interne sont également quotidiens. L’aspiration trachéale est pratiquée lorsque nécessaire avec le maximum d’asepsie, une sonde souple non traumatique, une pression d’aspiration modérée, et une technique adaptée pour éviter de traumatiser la muqueuse. Complication(s) de la trachéotomie Durant la ventilation mécanique, plusieurs types de complications locales peuvent survenir, se manifestant souvent par des saignements ou des stigmates locaux d’infection (inflammation, écoulement sale,…). Lorsque le symptôme est inhabituel ou persistant, l’avis spécialisé d’un otorhinolaryngologiste (ORL) nous paraît indispensable pour son analyse et sa prise en charge. Dans le Tableau 1 sont présentées les complications de la trachéotomie relevées dans l’étude de Goldenberg et al. [9]. La malposition de la canule dans la trachée, parfois appelée conflit trachéoprothétique, se manifeste par des difficultés de ventilation mécanique avec des pressions d’insufflation élevées ou une hypoventilation selon le mode de ventilation utilisé. Ce conflit survient si l’extrémité distale de la canule ne se situe pas dans l’axe trachéal, et peut se localiser au niveau des murs antérieur ou postérieur, ou bien au niveau du trachéostome. Ce problème peut bien sûr se rencontrer dès les premières heures après la réalisation de la trachéotomie, mais aussi au décours d’un changement de canule, d’un effort de toux ou encore d’une mobilisation du patient. Un bilan endoscopique est indispensable, afin de préciser les rapports anatomiques puis d’apporter une correction en replaçant la canule ou en choisissant le cas échéant une nouvelle canule plus adaptée. Dans ce contexte, le cas particulier que constitue la mise en évidence d’une trachéomalacie relève Tableau 1 Complications de 1130 trachéotomies [9] Complications Sténose trachéale Hémorragie Fistule trachéocutanée Infection Pneumothorax Décannulation/Obstruction de sonde Emphysème sous-cutané Fistule trachéo-œsophagienne Nombre (%) 21 (1,85) 9 (0,87) 6 (0,53) 5 (0,44) 3 (0,26) 1 (0,08) 1 (0,08) 1 (0,08) 44 d’une prise en charge individualisée. La mise en place de canule de plus gros diamètre et/ou plus longue peut être proposée, avec le risque d’une dilatation croissante de la trachée conduisant à la majoration régulière des tailles des canules. Dans de rares cas de trachéobronchomalacie, la mise en place de prothèse trachéale et/ou endobronchique peut être discutée [10]. Démarche de décanulation Le succès de cette démarche implique à l’évidence un sevrage de la ventilation mécanique. Elle doit être initiée précocement, dès le retour à un niveau de vigilance satisfaisant et dès qu’il existe une autonomie ventilatoire partielle. Le patient entre alors dans une phase dynamique durant laquelle la canule de trachéotomie va progressivement passer du stade de prothèse participant au maintien d’une fonction vitale à celui d’un obstacle dans les voies aériennes. Durant cette période de nombreuses étapes vont être franchies, en s’appuyant sur une collaboration entre les médecins (réanimateur, ORL, et aussi souvent d’autres spécialistes pneumologue, neurologue, nutritionniste, psychiatre…) et le kinésithérapeute. Début de la ventilation spontanée, reprise de la parole Le passage en ventilation spontanée sans assistance mécanique représente une étape majeure. Déterminer quand réaliser la première tentative, chez un patient jusque-là en échec de sevrage ventilatoire, repose sur un ensemble variable de critères que nous n’aborderons pas. Lorsque le clinicien estime le moment venu, une alternance de phase de ventilation mécanique et de ventilation sans respirateur est dans un premier temps progressivement mise en place. Lors des phases de respiration sans machine, la canule s’oppose à l’écoulement physiologique de « l’air », et peut donc participer à un échec. Idéalement, afin de minimiser cette résistance, toute phase de ventilation sans assistance mécanique via une trachéotomie se fait donc avec un ballonnet dégonflé. Très récemment, Nava et al. ont publié de très intéressantes données physiologiques en faveur du dégonflage du ballonnet de la canule lors d’une épreuve de ventilation spontanée [11]. En cas d’échec du passage en ventilation spontanée, et a fortiori en présence d’une symptomatologie clinique orientant vers un obstacle des voies aériennes supérieures, une exploration spécialisée s’impose depuis la sphère laryngée jusqu’à la carène, afin d’éliminer un facteur étiologique local (inflammation avec œdème, granulome, sténose,…) [12]. Selon le résultat de cette exploration, un traitement spécifique est proposé, s’appuyant sur les axes suivants : contrôle d’une situation pro-inflammatoire (retrait de la sonde nasogastrique (SNG), traitement antireflux), traitement anti-inflammatoire systémique, geste local (laser, chirurgical). En l’absence de facteur local d’échec, ou après le contrôle de celui-ci, il faut réduire le diamètre de la canule (y compris au prix de fuite modérée lors des phases de reprises de la ventilation mécanique), et/ou choisir un modèle à ballonnet plaqué, afin de réduire le caractère obstructif de la prothèse endotrachéale [12]. G. Beduneau et al. En ventilation spontanée la mise en place sur la canule d’une valve dite phonatoire (en pratique : elle empêche l’expiration via la canule et dirige le flux aérien vers les voies naturelles) permet au patient de recouvrer la parole. Il s’agit à nouveau d’une phase non dénuée de risque d’échec, car ces valves imposent un travail respiratoire discrètement majoré qui peut être excessif lors des situations où l’autonomie respiratoire est précaire [13]. Dans cette situation, le recours aux options précédemment décrites pour diminuer l’encombrement intratrachéal de la canule est préconisé [12]. La mise en place d’une valve phonatoire favorise également la toux en favorisant la formation physiologique d’une zone de surpression lors de l’occlusion des cordes vocales [12]. De plus, la réafférentation progressive des muqueuses du carrefour aérodigestif suite au passage du flux aérien par les voies naturelles joue un rôle majeur dans la rééducation de la déglutition [14,15]. Afin de faciliter le passage du flux aérien par les voies naturelles, une canule fenêtrée est parfois recommandée [12], avec changement de chambre interne selon les modalités ventilatoires en cours (chambre interne fenêtrée lors des phases de ventilation spontanée, non fenêtrée en ventilation mécanique). Compte tenu d’une part de la fréquence des granulomes rencontrés avec ce type de canule et des problèmes parfois majeurs qu’ils provoquent, et d’autre part de la multiplication des manipulations qu’elles induisent, nous avons renoncé totalement à l’usage de ces canules depuis plusieurs années. Par ailleurs, certains auteurs ont démontré, sur banc, l’effet positif sur le travail respiratoire du retrait de la chambre interne [16]. Cette attitude est contestable en pratique au vu des conséquences alors majorées d’éventuels bouchons, mais cela est une illustration du facteur obstacle joué par la canule de trachéotomie. En pratique, les moyens d’action sur l’écoulement du flux aérien reposent donc sur le caractère gonflé ou non du ballonnet, le diamètre de la canule utilisée, et l’ajout d’une valve phonatoire. Il existe un choix important de canule sur le marché, et il est très important d’être attentif aux diamètres internes et totaux des canules, ainsi qu’à « l’encombrement » du ballonnet lorsqu’il est dégonflé. Modalités de l’oxygénation et de l’humidification L’une des premières difficultés rencontrées lors du sevrage, même partiel lors du nycthémère, de la ventilation mécanique est liée à la perte de l’humidification des voies aériennes assurée auparavant par un filtre échangeur d’humidité ou un humidificateur chauffant. Cette fonction est pour autant capitale afin de lutter contre l’obstruction de la canule en l’absence d’un tel procédé, lorsque la ventilation par les voies naturelles et l’humidification en découlant n’est pas suffisante. Il n’existe, à notre connaissance, pas de recommandation pratique à ce sujet, tant du point de vue de l’indication des différents systèmes que de leur gestion quotidienne [7]. Plusieurs méthodes sont disponibles pour assurer cette humidification [17]. Nous privilégions volontiers la mise en place d’un filtre échangeur d’humidité à l’extrémité de la canule, avec une très satisfaisante efficacité clinique en termes de sécrétion et le plus souvent une excellente tolé- De la trachéotomie à la décanulation : quels sont les problèmes dans une unité de sevrage ? rance ventilatoire. Parfois ce dispositif est mal accepté par les patients dont l’insuffisance respiratoire est particulièrement sévère ; la résistance induite par ce système peut être en cause, mais nous avons vu qu’il existe d’autres déterminants sur lesquels agir en cas de difficulté à l’initiation d’une respiration autonome sur une canule de trachéotomie. Des systèmes plus complexes assurent l’humidification des voies aériennes, y compris en ventilation spontanée, à partir d’un humidificateur chauffant. Nous n’avons pas l’expérience de ce procédé. L’oxygénation additionnelle, lorsqu’elle est nécessaire, peut facilement être réalisée sur le raccord prévu à cet effet sur le filtre, après avoir déterminé le débit adéquat. A contrario, l’oxygénation et l’humidification assurées par un masque cervical placé tant bien que mal en regard de l’orifice de la canule sont souvent insuffisantes, source potentielle d’une part de bouchons formés par des sécrétions tant au niveau de la canule que des voies aériennes proximales et d’autre part d’un niveau d’oxygénation aléatoire. Exploration de la capacité à expectorer Parmi les éléments indispensables à une décanulation sécurisée figure l’aptitude renouvelée du patient à drainer efficacement son arbre bronchique. L’évaluation de cette capacité repose en partie sur l’analyse clinique quotidienne, en particulier lors des séances de kinésithérapie respiratoire, via l’expectoration de sécrétions en provenance de l’arbre bronchique. Il s’agit bien sûr d’une évaluation alors essentiellement subjective, qui peut être corrélée à la fréquence et à l’abondance des aspirations trachéobronchiques réalisées par les infirmier(e)s. De nombreux outils ont été développés pour tenter de compléter par des résultats plus objectifs les données de l’approche clinique, tels que l’analyse des pressions expiratoires maximales [18] ou une mesure plus simple basée sur le débit expiratoire de pointe [19]. Exploration de la déglutition et reprise de l’alimentation La reprise de l’alimentation doit s’envisager dès que possible, y compris alors que la ventilation mécanique se poursuit. L’analyse de la capacité à déglutir, le patient étant placé dans de bonnes conditions (assis, drainage bronchique réalisé, respiration calme,…), est réalisée au lit en plusieurs étapes simples par la kinésithérapeute (Tableau 2). La déglutition de différentes textures est ensuite testée, en commençant par une structure pâteuse et en finissant par les liquides lorsque aucune anomalie n’est mise en évidence. En cas d’échec (absence de déglutition, fausses routes cliniques primaires ou à distance, toux au décours de l’alimentation,…) une évaluation spécialisée est le plus souvent indiquée [14]. Elle repose dans un premier temps, chez ces patients encore peu mobilisables et dépendants d’une assistance ventilatoire, sur une évaluation des paires crâniennes avec un rôle dans la déglutition (V, VI, IX, X, XI, XII), et des voies aérodigestives supérieures. Cet examen est clinique mais aussi nasofibroscopique pour une analyse qualitative de la déglutition. Si le test de déglutition est cliniquement rassurant et la 45 toux suffisamment efficace, la présence de rares fausses routes n’est pas une contre-indication absolue à une reprise de l’alimentation orale avec normalisation progressive des textures, voire ensuite à la décanulation. Il faut demeurer très attentif lors des phases d’alimentation et au décours, pour ne pas méconnaître des fausses routes silencieuses ou inconstantes. Le ballonnet sera dégonflé lors du repas si les modalités d’assistance ventilatoire en cours le permettent. Si les critères de bonne déglutition ne sont pas réunis, il ne nous paraît pas logique dans un premier temps d’autoriser l’alimentation sous couvert d’un ballonnet gonflé qui n’offre pas une protection parfaite des voies aériennes, et peut contribuer en soi à la genèse des fausses routes par la gêne occasionnée à l’élévation du larynx. En cas d’échec initial de la déglutition, de nouveaux tests simples doivent être régulièrement réalisés. Si l’état de conscience et l’autonomie ventilatoire du patient le permettent, des tests plus complexes apportant des informations complémentaires à la nasofibroscopie comme la vidéoradioscopie de la déglutition ou l’électromyographie pourront être discutés [14]. Dans le même temps, il convient de s’interroger sur la voie d’abord de l’alimentation entérale, le plus souvent à ce stade via une sonde nasogastrique. Son rôle proinflammatoire local est certain, et parfois participe grandement aux troubles de la déglutition observés [14]. Lorsque la durée prévisible d’alimentation via une sonde s’avère prolongée (on propose classiquement une durée au-delà de deux à trois mois) la réalisation d’un abord percutané abdominal de l’estomac ou de l’intestin, que ce soit selon une technique endoscopique, radiologique ou encore chirurgicale, paraît opportune. Exploration des voies aérienne supérieures Cette exploration est un point potentiellement majeur de la démarche de décanulation. Elle peut être réalisée dans le même temps que l’exploration de la déglutition ou de manière plus systématique comme certains auteurs le recommandent avant la décanulation [20]. Ce caractère systématique peut-être contestable lorsque aucun symptôme clinique anormal n’est observé, mais cette approche est indispensable en présence d’un signe d’alarme clinique et/ou d’une difficulté notamment lors des phases de ventilation spontanée ou bien de déglutition. Il doit s’agir d’un véritable examen spécialisé des voies aériennes supérieures, à la recherche d’un dysfonctionnement du larynx et/ou des cordes vocales, d’une inflammation, d’un granulome, d’une sténose… [12]. Cette analyse doit déboucher sur une thérapeutique adaptée, intégrant par exemple le choix d’une prothèse d’abord trachéal de caractéristiques différentes, le retrait de la sonde nasogastrique, un traitement systémique inflammatoire ou local perendoscopique, voire même chirurgical dans certains cas de sténose. Il arrive qu’une atteinte d’une ou plusieurs paires crâniennes soit mise en évidence. Le bilan étiologique est alors potentiellement très large, pouvant intégrer la recherche d’une atteinte virale « neurotrope » (citons le cytomégalovirus, virus d’Epstein-Barr, l’Herpes simplex virus) ou d’une maladie de Lyme, une exploration neurolo- 46 G. Beduneau et al. Tableau 2 Bilan clinique initial de déglutition du patient trachéotomisé (réalisé par la kinésithérapeute au lit du malade) gique centrale étendue jusqu’aux noyaux des paires crâniennes, une tomodensitométrie cervicothoracique de la base du crâne à la crosse de l’aorte en cas d’atteinte récurrentielle. Retrait de la canule de trachéotomie La décision de retrait d’une canule de trachéotomie est bien sûr fonction de la disparition de la cause ayant conduit à sa mise en place. La multiplicité des étiologies possibles responsable d’une ventilation mécanique prolongée expose volontiers dans la période initiale de sevrage de la ventilation mécanique, au risque de fatigue musculaire, d’inadaptation transitoire des centres respiratoires, ou de récidive de la détresse respiratoire [12]. Ceriana et al. ont récemment publié leur arbre décisionnel [21] (Fig. 1), véritable démarche de décanulation validée auprès de 145 patients consécutifs. Notre pratique quotidienne, au sein de l’USR, s’en inspire fortement, puisqu’elle associe le sevrage de la ventilation mécanique, l’évaluation et si nécessaire la prise en charge de la déglutition et de l’expectoration, l’exploration au moindre doute des voies aériennes supérieures depuis la bouche jusqu’à la carène, et s’appuie sur une décroissance régu- lière du diamètre de la canule. De plus, lorsque les différentes étapes décrites ont été franchies, nous avons l’habitude de mettre en place pendant 24 à 72 heures un bouchon obstruant la canule. Si sa mise en place est bien tolérée sur le plan ventilatoire, et en l’absence de recours à des aspirations endotrachéales, la canule est retirée. Peu d’auteurs se sont intéressés aux conséquences physiologiques d’une décanulation. Après l’exploration de neuf patients consécutifs porteurs d’une pathologie neuromusculaire, Chadda et al. [22] ont montré une augmentation d’au moins 30 % du travail respiratoire. Cette augmentation est, dans cette étude, secondaire à un accroissement de l’espace mort, et conduit les auteurs à proposer une particulière prudence dans un contexte d’insuffisance respiratoire restrictive. La fermeture du trachéostome est en règle aisée, et effective en quelques heures à quelques jours. Dans de rares cas, cette fermeture peut ne pas être complète, ou la cicatrisation n’est pas satisfaisante. Ces deux situations relèvent d’une prise en charge spécialisée ORL. Il nous paraît prudent de conserver au décours de la décanulation une surveillance en milieu de réanimation ou de soins intensifs afin de pouvoir réaliser en cas de mauvaise tolérance un nouvel abord trachéal. Le plus souvent il est alors aisé d’utiliser le même trajet de trachéotomie ; en cas De la trachéotomie à la décanulation : quels sont les problèmes dans une unité de sevrage ? Figure 1 47 Arbre décisionnel du sevrage de la trachéotomie [21]. d’impossibilité, une intubation orotrachéale peut s’avérer nécessaire. Il n’est pas possible de proposer une durée optimale de cette surveillance, qui se fera en fonction de l’évolution et des structures existantes. Se pose fréquemment la question d’un éventuel bilan à distance, à la recherche de complication endotrachéale. La plus redoutable de ces complications est la sténose post-trachéotomie [23]. Elle doit être suspectée lorsque le sujet, à distance de la décanulation, présente une dyspnée qui s’aggrave. Le bilan endoscopique s’impose donc avant tout traitement en cas de symptomatologie atypique respiratoire et/ou ORL au décours du sevrage de la canule. Au vu des données les plus récentes de la littérature, qui ne rapportent qu’une morbidité très réduite [24,25], une évaluation systématique à distance est discutable. [2] [3] [4] [5] [6] [7] [8] Conclusion La prise en charge quotidienne de la canule de trachéotomie d’un patient ventilé de façon mécanique repose donc sur plusieurs règles simples, allant d’un recours raisonné et non systématique aux changements de canule à une démarche précise pour le retrait de la canule. Cette prise en charge, sous la responsabilité du réanimateur, est fréquemment multidisciplinaire. Se souvenir du caractère délétère, au-delà de l’aspect sécuritaire souvent avancé, de la canule pour la respiration spontanée, la déglutition ou encore la parole, constitue la pierre angulaire de toute attitude de décanulation. [9] [10] [11] [12] Références [13] [1] [14] Epstein SK. Anatomy and physiology of tracheostomy. Respir Care 2005;50:476–82. Friedman Y. Percutaneous versus surgical tracheostomy: the continuous saga. Crit Care Med 2006;34:2250–1. L’Her E, Renault A. Les trachéotomies percutanées. Réanimation 2001;10:53–60. Frutos-Vivar F, Esteban A, Apeztuguia C, Anzueto A, Nightingale P, Gonzalez M, et al. Outcome of mechanically ventilated patients who require a tracheostomy. Crit Care Med 2005;33:290–8. Diehl JL, El Atrous S, Touchard D, Lemaire F, Brochard L. Changes in the work of breathing induced by tracheotomy in ventilator-dependent patients. Am J Respir Crit Care Med 1999;159:383–8. Littlewood KE. Evidence-based management of tracheostomies in hospitalized patients. 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