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L’âme du vin
Question : comment le poème permet-il de comprendre le sens du titre ?
Problématique simple : Partir de l’énonciation : qui parle ? à qui ? Le vin parle au buveur. Ensuite,
chercher à comprendre comment cela peut signifier quelque chose, puisque c’est une impossibilité
concrète.
Donc, on essaiera de comprendre ce qu’est ce dialogue, comme entre deux humains ? Quels humains ?
1ère lecture
C’est le Vin personnifié qui parle, donc un procédé poétique simple. Les preuves sont nombreuses.
Puisqu’il a une « âme » dans le titre et à deux autres endroits du texte,
1°) Vin conscient de sa nature, de sa situation, de son présent, de sa naissance : v. 3, métaphore des
flacons et bouteilles
Vin conscient de ses origines, v. 6-7, conscience des nécessités de sa naissance, parallélisme et rythme
du v. 7 évoquant l’engendrement, l’accès à l’existence, conscience d’un état antérieur (raisin ?), et
parallélisme avec la nature humaine, la conscience de ne pas sortir du néant, d’avoir un passé.
2°) Vin conscient du temps à venir :
v. 8, v. 16, v. 17-18-19, v. 21 : énonciation au futur, capacité de se projeter dans l’avenir, de garantir
des promesses
3°) Vin capable d’émotions, à son propre sujet et en direction de son destinataire :
v. 4 « fraternité », v. 8, « point ingrat ni malfaisant », litote complexe garantissant une humanité
généreuse
v. 9 et v. 12, sensations et sentiments mêlés aux sensations du destinataire,
v. 14, métaphore de « l’espoir qui gazouille en mon sein palpitant », « sein » au sens de cœur siège des
sentiments, et espoir pour lancer la série de verbes au futur.
Générosité étendue à l’univers du destinataire, dans la strophe 5 entière, avec des images de joie et de
santé, mêlées à des sensations implicites du domaine de l’amour peut-être.
La strophe 6 reprend cette capacité avec l’évocation d’une sorte d’union amoureuse entre le vin et le
buveur, jeu de mots implicite peut-être sur l’amour du vin
4°) Vin capable de produire une vie à son tour, dans la métaphore de la strophe finale : vocabulaire
riche et élevé, références aux divinités antiques et à une religion vaguement chrétienne, « éternel
Semeur » avec une majuscule, ce qui lui donne une valeur supérieure, annonce du mot « Dieu » au vers
24, jeu de mots sur le « grain » de raisin ou sur le grain qu’on sème, reprise de l’image de la naissance
de la strophe 2.
La reprise des valeurs de générosité évoquées dans la strophe 5, est aussi affirmation d’une mission,
d’un but.
En effet, la proposition « pour que de notre amour naisse … » marque bien que c’est le vin qui prend
l’initiative, qui prend possession de l’homme, devenu réceptacle pour une germination : v. 21,
« tomberai », v. 22, « grain précieux », v. 23 annonce de la créature à venir, « la poésie », donc
connaissance au-delà du temps.
5°) L’image finale, la modalité exclamative, la violence du verbe « jaillira », verbe évoquant la
liquidité du vin, ou la force de la nature, rappellent peut-être le désir d’ivresse comme un but supérieur,
et la destination « vers Dieu » est encore une sorte de prophétie, ou l’affirmation d’un but préétabli.
Le fait que le poème s’achève ici amène donc à penser que tout ce discours ne vise qu’à ce
jaillissement, valorisé par l’adjectif rare.
Donc, deuxième lecture ?
Qui d’autre parle ?
Puisque le vin, après la fécondation du buveur, produit une fleur, « rare fleur », rappel du titre du
recueil, c’est peut-être que l’autre sens du titre doit être interprété comme si l’équation était démontrée :
le vin = la poésie, ou le poème. C’est donc le vin qui parle au buveur, et le poème (ou le poète) qui
parle au lecteur.
Ce sont donc les valeurs de la poésie qui sont évoquées, et illustrées dans un poème, preuve par
l’exemple.
1°) La poésie est communication fraternelle, strophe 1, v. 2 : « ô cher déshérité », et ne s’adresse pas
seulement aux nantis, mais à ceux qui sont en détresse.
La strophe 2 dit la même chose : le poète connaît les souffrances humaines, il est un homme lui-même :
images du travail, travail agricole mais aussi travail d’élaboration poétique.
Cette communication est montrée comme extensible dans les strophes 4 et 5, englobant les fêtes, le
repos, et la joie familiale. La comparaison implicite entre le vin et « l’huile qui raffermit les muscles
des lutteurs », autre référence à l’antiquité, évoque les duretés de la vie, et la poésie comme remède, ou
soulagement, mais peut-être pas engagement.
2°) La poésie est aussi un plaisir pour le lecteur, avec l’évocation du « gosier » on a l’évocation de la
nécessité qu’un poème soit lu, prononcé, et l’image de la « chaude poitrine » assimilée à une « tombe »,
opposée à la froideur des « caveaux », marque la différence entre la poésie enfermée dans les livres, et
la poésie lue, ressentie. Cette métaphore de la « tombe », où le poème reste vivant, est un paradoxe qui
fait peut-être penser à la capacité éternelle d’émotion d’un poème.
3°) Enfin, la dernière mise en abyme, encore plus implicite, se trouve dans la strophe finale : le vin
produit l’élan poétique chez le buveur, le poème produit l’élan religieux chez le lecteur, et le lecteur
produit une prière à Dieu en remerciement de ces dons.
Conclusion ?
Poème à plusieurs niveaux de lecture et de compréhension, ce texte illustre parfaitement la nature de la
poésie, qui peut, par un récit, des images, émouvoir, et contient toujours plus que ce qu’elle dit au sens
littéral.
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