« Le discours est un grand souverain qui avec le plus petit et le plus inapparent des
corps performe les actes les plus divins ».
Trois termes sont à souligner, qui renvoient sinon à l’acte de langage, du moins, au
langage comme acte. La différence entre les deux, acte de langage et langage comme
acte, est précisément ce que je cherche à interroger.
Dunavsthı : c’est le premier déterminant du lovgoı. Notons, pour s’en débarasser,
que je rends lovgoı par « discours » en souhaitant recouvrir du manteau de ce terme
toutes les distinctions ultérieures incubées dans le français ; il importe en effet, pour
comprendre comment « ce discours-ci » tenu par Gorgias (o{de oJ lovgoı §3) peut
légitimement servir de point de départ pour une réflexion sur l’acte de langage, de
remarquer que l’amplitude sémantique du grec lovgoı y est très largement mobilisée,
ne serait-ce que via le jeu constant entre singulier et pluriel. On pourrait par exemple
traduire (ou surtraduire) les occurrences des paragraphes 9 à 13, selon le cas, non
seulement, au singulier, par « langage », « parole », « discours », mais, au pluriel, par
« genres littéraires », « doctrines et traités », « discussions », « phrases et mots ». Il y
va simultanément du rapport à la ratio comme formalisation rationnelle (ejgw; de;
bouvlomai logismovn tina tw`i lovgwi dou;ı §2, « moi, je veux, donnant logique au
discours ») et comme proportion (to;n aujto;n de; lovgon e[cei h{ te tou`` lovgou
duvnamiı pro;ı th;n th`ı yuch``ı tavxin, « il y a le même rapport entre pouvoir du
discours et disposition de l’âme qu’entre dispositif des drogues et nature des corps »
§14). Bref le lovgoı, celui que produit Gorgias comme celui qui a pu persuader
Hélène, ceux des poètes et des oracles, ceux des météorologues, des orateurs et des
philosophes, le lovgoı est un « dynaste » : suivant Chantraine1, dunavsthı est celui
qui a « le pouvoir d’agir » en général, et notamment le « pouvoir politique », comme
Zeus (Sophocle), les chefs d’une cité (Hérodote, Platon), un prince ou un roi
(Thucydide). La parole est d’emblée puissance d’agir.
jApotelei` : tel est le premier verbe qui définit cette puissance d’agir. Il est
composé de televw, « achever, mener à terme, accomplir » une œuvre, une entreprise,
une action, conformément à l’ambiguïté de tevloı, la « fin » comme terme et comme
but, et de ajpov qui insiste sur l’achèvement d’un jusqu’au bout, exactement comme le
1 Chantraine, Pierre, Dictionnaire étymologique de la langue grecque. Histoire des mots, Paris,
Klincksieck, 1968-1980, sur lequel je m’appuie pour tout ce qui suit.