QUAND L`ART SE MET AU SERVICE DE LA PUBLICITÉ

publicité
LA REVUE
DE LA COMMUNICATION
ET DES TENDANCES
N° Spécial
Par Claire Faggiani
M1 Sup de Com Lyon
lE "arketing"
QUAND L'ART
SE MET AU SERVICE
DE LA PUBLICITÉ
A L’HEURE OÙ LES FRONTIÈRES ENTRE LA CRÉATION ARTISTIQUE ET LA CRÉATION AMATEUR S’ESTOMPENT GRÂCE AU DÉCLOISONNEMENT DES PRATIQUES ET DE LA CULTURE,
ON PEUT S’INTERROGER SUR LA PLACE DE L’ART DANS NOS QUOTIDIENS ET NOTAMMENT
DANS LE MILIEU DE LA PUBLICITÉ. QUELS LIENS EXISTENT-ILS ENTRE CES DEUX DOMAINES
ET COMMENT LES PUBLICITAIRES DÉTOURNENT-ILS L’ART DANS UNE OPTIQUE COMMERCIALE ? COMMENT LES MARQUES SE POSITIONNENT-ELLES COMME DES ICÔNES DE
L’HISTOIRE ET DU PATRIMOINE FRANÇAIS ? NOUS VOUS PROPOSONS UN SUPPLÉMENT
SPÉCIAL DE LA REVUE INFLUANCIA SUR CETTE NOTION D’ARKETING POUR VOUS PARLER
D’UNE NOUVELLE TENDANCE QUI MÊLE ART ET MARKETING, À LA FOIS DANS UN OBJECTIF
DE CRÉATION DE VALEUR ET D’EXTENSION DES TERRITOIRES DE MARQUE. LES MARQUES
ONT BIEN COMPRIS QU’IL S’AGIT LÀ D’UN VÉRITABLE ENJEU DE SOCIÉTÉ. DÉSORMAIS, LA
CULTURE N’EST PLUS UN LUXE OU UNE EXCUSE,
ELLE EST UNE STRATÉGIE...
DES ARTISTES ET DES PUBLICITAIRES
Dali, Mondrian, Toulouse-Lautrec, Léonard de Vinci
et bien d’autres… autant d’artistes qui ont marqués les
époques et les esprits grâce à leurs Œuvres, toujours
plus émouvantes, toujours plus touchantes ou
controversées. L’Art ! Un bien grand mot pour signifier
la beauté de l’expression de soi, du talent et du savoirfaire de génies. L’Art, qui traverse les époques est
ancrée en chacun de nous et l’attachement que nous
avons à lui fait qu’il s’immisce, furtivement, dans nos
vies et même… dans la publicité.
Et oui, l’Art et la Publicité sont deux domaines
auxquels on pourrait trouver des points communs :
les deux disciplines lient créativité et transmission de
message. C’est d’ailleurs pour cette raison que dès le
19ème siècle les publicités, alors appelées réclames,
prenaient des airs d’estampes artistiques aux messages
commerciaux.
On a surtout vu l’Art être utilisé dans la publicité
dans les années 50 avec l’arrivée du Pop Art et de la
consommation de masse. Il était alors une source
d’inspiration inépuisable pour les communicants. Et
quand nous dégustions, avec les yeux écarquillés de
bonheur, les sucettes Chupas Chups, nous étions loin
d’imaginer que ce n’était autre que Salvador Dali le
créateur du logo de la marque. Arracher un vulgaire
papier en plastique d’une sucette… voilà quel était
l’usage de l’œuvre d’un grand maitre.
Si les artistes tels que Dali et Warhol se prêtaient
au jeu des marques, les marques aussi s’emparaient
du jeu des artistes. Et c’est ainsi que dans les années
80, Nestlé, en quête d’une identité pour de nouveaux
yaourts au lait entier utilisa le tableau «La Laitière» de
Vermeer (1658) pour faire d’un simple lait caillé, la star
des rayons laitiers, au goût authentique, fabriqué avec
un grand savoir-faire. Ingénieux, non ? L’Oréal, à la
même époque, n’a pas hésité à créer le packaging de sa
gamme Studio Line entièrement inspiré du style de Piet
Mondrian.
Mais pourquoi un tel engouement pour l’Art
dans le milieu du marketing ? Du côté de la rédaction,
nous sommes allés interroger les consommateurs
d’aujourd’hui. Conclusions ? L’Art donne une dimension
symbolique aux produits. Il transmet des ambiances,
des valeurs et une image, aussi vraie soit-elle. Le
consommateur s’approprie le produit grâce à des codes
et des valeurs qui lui sont chères.
Le produit devient alors plus qu’un bien matériel
et consommable ; il représente un style de vie et des
émotions. Lorsque nous mangeons une mousse au
chocolat La Laitière, nous fondons d’émotions. Et ce
n’est pas le chocolat qui nous procure ce plaisir, mais
plutôt le doux souvenir de notre enfance…
L’Art que l’on retrouve dans les packagings ou
les publicités est ainsi une manière de nous toucher plus
durablement, nous, consommateurs, qui transformons
un simple objet en outil identitaire.
Les mass market se sont donc appropriées l’Art
pour toucher le plus grand nombre, et sont devenues
les marqueurs d’une époque, touchant le quotidien des
consommateurs à tel point qu’elles peuvent se mettre
en scène au travers d’expositions muséales. Aujourd’hui,
il existe près de 1500 musées de marques dont CocaCola, Perrier et Haribo !
Pour mieux comprendre cette tendance au
détournement des produits par l’Art, nous avons
rencontré Alain Thuleau, Directeur de l’Agence Artevia
spécialisée dans le développement de projets culturels.
Est-ce que l’appropriation de l’Art par la publicité est
une tendance qui tend à se développer davantage ?
A.T : Depuis qu’Andy Warhol l’a peinte en noir en 1985,
la vodka Absolut axe l’essentiel de sa communication sur
le détournement de son produit par des artistes. L’apéritif
Suze, lui, se fait chaque année habiller par Christian
Lacroix. Les marques et la publicité aiment flirter avec le
monde de l’art.
Dans le genre happening, en 2002, Kenzo Parfums a
planté 180000 coquelicots dans les rues de Paris, suivant
une idée de Patrick Corillon, artiste contemporain belge.
Le passant pouvait découvrir des messages poétiques
enroulés autour des tiges. Mettre l’art au service
des marques n’est donc pas nouveau. Mais encore fautil en cerner les tendances.
La mouvance actuelle laisse la part belle au retour
de l’engagement politique, au jeu sur l’humour et
au décalage. L’Art ne se contente pas de constater, il
propose d’autres visions du monde. Les gens sont en
quête d’engagement et de sens.
On voit aussi un retour à l’Art naïf et lyrique, qui procure
des sensations de quiétude, nous extirpant de la réalité
du quotidien.
Pourquoi mettre de l’Art dans la publicité ? Est-ce
légitime et est-ce que les gens y sont sensibles alors
qu’ils ont accès à la Culture dans les musées et lieux
d’expositions ?
A.T : « La laideur se vend mal », disait Raymond Loewy.
L’Art est une sorte de retour aux sources, une façon de
s’émanciper de ses problèmes quotidiens.
Le rôle des marques est aussi de rendre les gens plus
heureux. Il ne faut pas nier les fins commerciales de telles
démarches, mais peut être que l’Art sur les packagings
ou dans l’univers des marques, donne plus d’importance
aux consommateurs, qui se sentent considérés en tant
qu’individus. Je pense que les marques et les entreprises
sont légitimes pour s’approprier l’Art car elles lui donne
une autre dimension et le rend plus accessible.
On assiste depuis quelques années déjà à une
délocalisation de l’Art hors des musées, dans les rues. Il
y a un Art populaire qui touche un public très large et qui
décloisonne la création artistique. Les marques sont des
protagonistes intéressants car elles donnent une autre
approche de l’Art.Elles le détournent, le rendent plus
compréhensible et montre que finalement, l’Art c’est
pour tout le monde !
Les marques traitent l’Art de manière plus humoristique
et détournée. Elles traitent simplement la beauté ou
le sens primaire pour transmettre des messages plus
impactants. Les gens aiment ça !
C’est tout de même les marques de Luxe qui s’appro
prient le plus l’Art lorsqu’elles construisent leurs univers
de marque ?
A.T : Effectivement, le secteur le plus en relation avec
le monde de l’Art est celui du Luxe. Le Luxe a une sorte
« d’obligation » de se référer à l’Art car il est une forme
d’Art à lui seul.
Le processus de création est directement lié au produit
de Luxe et il s’inspire fortement du monde des Arts pour
nourrir sa créativité. Les maisons de Luxe soignent leur
image et mettent en scène leurs collections et leurs
savoir-faire. Elles s’exposent ainsi comme de véritables
biens culturels.
Le mot de la fin ?
A.T : Mettez de l’Art dans votre communication !
Prenez le avec humour et pensez que la création et
l’expression de soi correspond aux nouvelles attentes des
consommateurs. Nous sommes en recherche de sens et
d’émotion. L’Art s’y prête parfaitement et la Culture est le
nouvel opium du peuple !
Publicité de Allianz reprise du célèbre tableau de Magritte «Ceci n’est pas une pipe» en novembre 2006, par
l’agence Atletico International
Finalement, est-ce que toutes les marques, et
notamment les mass-market ont le potentiel pour
créer ce genre d’univers ?
A.T : Oui évidement ! Le monde de la Culture s’ouvre
beaucoup plus aux marques. Pour toucher leur public
ou leurs consommateurs, les territoires et les marques
déploient des stratégies de communication de plus en
plus communautaires et affinitaires. C’est surtout les
mass-market qui ont ce potentiel. Elles vendent des
produits grands publics, utilisables par tous. Desperados
qui propose de personnaliser ses bouteilles avec des
œuvres de grapheurs, ça parle aux jeunes d’aujourd’hui.
Certainement plus que Cartier qui crée un musée de la
joaillerie. Les marques de grandes consommations ont
une légitimité car elles sont au cœur de nos quotidiens et
peuvent utiliser des codes issus des grandes références
du monde de l’Art.
En février 2014, Etienne Lavie a remplacé les publicités
des métros et panneaux d’affichage publicitaires parisiens par des œuvres d’Art Classique.
Claire Faggiani
LES MARQUES DE LUXE, ICÔNES ET MÉCÈNES
L’intervention du privé dans le monde de l’Art est
devenue un réel enjeu de communication pour les
marques qui par ce biais donnent du sens à leur
image institutionnelle. C’est chiffres à l’appui que
nous pouvons prendre au sérieux l’importance de
l’implication des entreprises dans le milieu artistique.
Selon une étude de Carat Culture, 81% des
personnes interrogées ont une bonne opinion des
entreprises mécènes et 80% d’entre elles peuvent citer
des entreprises engagées dans cette cause comme
par exemple le concours «Push Art Contact» de
Orange, premier concours mêlant la création artistique
et l’innovation technologique, ou encore le Festival
d’Avignon soutenu par SFR en 2007.
Les entreprises privées auraient donc bien un rôle à
jouer et une légitimité dans l’évènementiel culturel
des marques dans un souci de notoriété mais aussi de
soutien aux communautés.
Comme nous l’a savamment expliqué Alain
Thuveau, ce sont les marques de Luxe qui ont le plus de
lien avec le milieu artistique. Ce sont des métiers d’art
où la dimension créatrice est fondamentale. Ce qui les
rapproche de l’Art c’est la préoccupation esthétique, la
recherche du Beau, qui sont des dimensions intrinsèques
à leur activité.
Les marques de Luxe se positionnent comme
de véritables témoins de l’Histoire, participant à la
transmission du savoir et des savoir-faire. Ainsi, il existe
des musées tels que le Musée Dior de Granville ou La
Maison de Famille de Louis Vuitton qui exposent leurs
archives et montrent leur qualité d’artisan comme
partie intégrante du Patrimoine français. Ces musées
sont à la fois un outil de souvenir, mais aussi un outil de
communication interne et externe.
« L’art sauvera le monde », disait Dostoïevski.
Il semble que pour certains, l’Art peut sauver du flou
économique. Aujourd’hui, à la faveur d’une législation
française incitative (la loi Aillagon de 2003 et la loi de
finances 2008),
La Fondation est le couronnement de la réussite des
maisons de luxe. « Notre succès économique repose
pour une large part sur le travail des créateurs... L’idée
de renvoyer vers la création une petite partie des
moyens du Groupe me paraissait juste. Même si sa
vocation reste de générer du profit, il est là aussi pour
défendre un certain nombre de valeurs esthétiques et
culturelles », explique au journal Le Monde le président
de LVMH.
On assiste cependant à un phénomène nouveau:
le foisonnement d’expositions et d’évènements
artistiques mettant en scène une marque de luxe, qui
nous interroge sur le rôle de mécène que le secteur
du luxe veut jouer vis-à-vis de l’Art. Considéré sous
l’Antiquité comme un seul concept, le Luxe et l’Art
se rapprochent de nouveau. Sous la Grèce Antique,
on ne distinguait pas l’artiste de l’artisan. Et ce lien
très fort avec l’Art, les maisons de Luxe sont expertes
pour le développer. En invitant de célèbres artistes à
signer une collection, mais aussi en s’exposant comme
de véritables biens culturels.
Au-delà des musées privés ou des Fondations,
on assiste à un mouvement plus profond : de plus en
plus, de maisons de luxe s’exposent, dans des lieux
d’expositions très célèbres, qu’elles privatisent : à Paris,
Cartier était récemment au Grand Palais, après Bulgari
en 2013. Cela prend la suite de sa première rétrospective,
il y a 20 ans au Petit Palais. Et de nombreuses marques
font de même : cela leur permet de montrer la tradition,
de renforcer leur cœur de marque sur le savoir-faire,
voire le sens artistique.
Cela prend sens pour le visiteur, puisque la
consommation de produits de luxe est devenue une
consommation culturelle. Les visiteurs interrogés
pensent en majorité que cela participent au Beau, à
l’émotion, et trouvent les musées parfaitement légitimes.
Certains visiteurs soulignent que cela met en scène le
patrimoine de la marque, donc le patrimoine français.
En revanche, une exposition uniquement centrée sur un
produit (Chanel Numéro 5 ; Miss Dior) peut apparaitre
comme trop commerciale.
Les visiteurs, au sortir de ces expositions,
déclarent avoir appris des choses mais regrettaient
souvent le caractère exclusivement centré sur le
produit. Et c’est là qu’on touche au « arketing »,
néologisme composé d’Art et de Marketing. Ce concept
naissant explique les réticences que l’on peut avoir face
aux démarches commerciales qui se manifestent dans
certaines expositions et témoigne d’une frontière de
plus en plus ténue entre Art et Marketing.
Publicité Prada et robe s’inspirant clairement du
style de Mondrian. Photographie artisitique.
Claire Faggiani
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