Drépanocytose Fréquente, douloureuse et pourtant maladie trop

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Pour mieux comprendre
SAMEDI 23 AVRIL 2011 3
Drépanocytose Fréquente, douloureuse
et pourtant maladie trop négligée
La drépanocytose, ou anémie à cellules falciformes, est une maladie génétique qui se caractérise
par une anomalie de l’hémoglobine, une protéine
présente dans les globules rouges, ces cellules qui
assurent le transport de l’oxygène dans le sang.
Cette maladie est très fréquente en Afrique, dans
les Antilles, en Inde, au Moyen-Orient et dans tout
Constant Vodouhe, neurobiologiste et président de l’association
strasbourgeoise Dorys, se bat depuis plusieurs années pour
sensibiliser à la drépanocytose.
Photo Dominique Gutekunst
L’Alsace est une des régions françaises les plus touchées par la
drépanocytose, après l’Ile-deFrance, la région Paca et le languedoc-Roussillon. Chaque année en France, 350 nouveau-nés
sont dépistés avec cette maladie.
L’OMS estimait en 2006 que
10 000 personnes étaient touchées par cette maladie en France
métropolitaine, 2000 en Martinique et 1500 en Guadeloupe.
Implication
de plusieurs gènes
Constant Vodouhe, neurobiologiste âgé de 44 ans, préside Dorys, l’association qu’il a créée à
Strasbourg pour faire connaître
la drépanocytose. « On offre aussi
un soutien aux patients et à leurs
familles à travers des activités et des
groupes de paroles. » Dorys organise depuis 2005 à Strasbourg des
rencontres scientifiques régulières. Dont cette année, le 6e congrès international sur la
drépanocytose, qui s’est tenu du
12 au 15 avril. Des chercheurs de
tous pays y ont participé pour
évoquer les aspects médicaux,
scientifiques, mais aussi sociaux
de cette pathologie.
« La difficulté avec la drépanocytose,
c’est que plusieurs gènes interviennent dans la maladie, et les mutations donnent des signes cliniques
très différents d’un individu à
l’autre ». Pour le Pr Martin Steinberg, de la faculté de médecine de
Boston, qui est intervenu au con-
Mon œil !
le pourtour du bassin méditerranéen. On estime à
50 millions le nombre d’individus atteints dans le
monde dont 10 000 en France, ce qui en fait la
maladie, génétique la plus fréquente dans notre
pays — et probablement dans le monde.
L’Ile-de-France est la région la plus touchée par la
drépanocytose, en raison des flux migratoires. En
2007, l’Alsace se classait 4e région en terme de
pourcentage de nouveau-nés à risque, avec un
taux de 29,29 % (contre 17,90 % en Franche Comté
et 28,45 % pour la France). Un congrès international s’est déroulé à Strasbourg pour faire le point
sur l’impact médical, sanitaire et social de cette
maladie, ainsi que la prise en charge de sa douleur.
grès de Strasbourg, il faut arriver
à prédire la façon dont la drépanocytose va se manifester chez
un patient. « Mais il y a certainement des dizaines de gènes, voire
une centaine, qui travaillent ensemble. L’idée est de tenter d’identifier les
gènes associés à ces différentes formes
cliniques pour pouvoir ensuite développer un diagnostic prénatal et connaître dès la naissance le type de la
maladie. »
Connaître les formes d’hémoglobine anormales présentes dans le
sang des patients est très important pour leur prise en charge
précoce, seule à même de permettre une survie dans de bonnes conditions.
Dans les pays africains, faute de
moyens pour assurer ce suivi, sur
les 300 000 enfants qui naissent
chaque année atteints par cette
pathologie, la moitié d’entre eux
n’atteindra pas l’âge de 5 ans. Au
Gabon, par exemple, il n’y a pas
d’adulte vivant avec la maladie.
MF au Gabon et s’intéresse à l’exposition des personnes
drépanocytaires à des maladies
infectieuses, notamment la malaria ou paludisme. « On a observé
que les personnes hétérozygotes (définition ci-contre)pour la drépanocytose étaient moins exposées que
celles non drépanocytaires. »
Cette protection contre le paludisme serait due à la déformation
des globules rouges, qui empêche le parasite de se fixer à ces
cellules. « En comparant les cartes
de répartition du paludisme et de la
drépanocytose, on voit qu’elles se recouvrent. Il y a eu une compétition
entre la réceptivité et la résistance au
parasite du paludisme qui a conduit
à favoriser les gènes de la drépanocytose comme un moyen de s’adapter
à la malaria. »
breville, puis dans plusieurs des
neuf provinces gabonaises avec
un test peu coûteux (environ un
euro par enfant). 35 enfants ont
été sauvés depuis, grâce à ce dépistage. « Au Gabon, 25 % des bébés qui naissent sont porteurs de la
mutation, poursuit Lucas Sica. Ceci veut dire que chacun de ces enfants aura une chance sur quatre
d’épouser un autre porteur de la
maladie et de donner naissance à
des enfants atteints par la maladie.
Quand un enfant est dépisté, toute
la fratrie et les parents le sont aussi. »
Les parents sont alors formés,
grâce aux associations présentes
sur place, aux gestes du quotidien
pour aider et prévenir les crises
chez leurs enfants. « On leur apprend à bien les hydrater, reprend
le médecin, à prévenir les infections
et à les supplémenter en acide folique. Et tous les enfants atteints sont
adressés à un pédiatre. »
Jean-Paul Gonzalez dirige le CR-
Cette émergence s’est faite essentiellement en Afrique subsaharienne, mais les échanges
humains entre les continents, et
l’esclavage en particulier, ont entraîné une propagation de la drépanocytose à d’autres continents
et dans les Antilles. « Le Brésil est
ainsi devenu le pays où l’on retrouve
le plus la maladie, relève le directeur du CIRMF. La même question
de santé publique risque de se poser
en Europe, d’où un aspect social très
important. »
35 enfants sauvés
grâce au dépistage
Lucas Sica, chef de l’unité « Études des hémopathies » au CIRMF (Centre international de
recherches médicales de Franceville) au Gabon, a monté un programme de dépistage néonatal
systématique dans ce pays et sur
les territoires limitrophes. « Il
faut éviter que les complications de
la maladie s’installent, car la drépanocytose est une maladie très invalidante » (voir encadré). Le
programme a débuté il y a trois
ans : d’abord dans la capitale Li-
Une question de santé
publique
Lucas Sica a lancé au Gabon
un dépistage systématique à la
naissance de la drépanocytose.
Dossier réalisé par
Geneviève Daune-Anglard
FSOUTENIR Association Dorys, 1a
place des Orphelins, 67000 Strasbourg.
Sous le signe de la faucille
La drépanocytose (du grec
drepnos, qui signifie faucille)
tire son nom de la déformation caractéristique en faucille que donne la maladie
aux globules rouges.
Cette déformation rigidifie
les globules rouges et ne leur
permet plus de s’aplatir pour
se glisser dans les capillaires
les plus fins du corps afin
d’alimenter les tissus en oxygène. La maladie entraîne la
formation de caillots bouchant des artères et provoquant des infarctus très
douloureux dans différents
endroits du corps.
Les autres symptômes sont
l’anémie, des infections à répétition, un retard de poids et
de taille, des déficits nutritionnels, des troubles cardiopulmonaires, des anomalies
rétiniennes et des complications articulaires.
La drépanocytose est due à
des mutations sur le gène
d’une des chaînes (bêta) de
l’hémoglobine, donnant une
forme anormale, ou forme S,
au lieu de la forme saine A de
cette protéine. Les porteurs
de la mutation sur un seul
chromosome (hétérozygotes
S/A) ont peu de symptômes,
voire pas du tout. En revanche, les porteurs de la mutation sur les deux
chromosomes (homozygotes) ont la forme la plus sévère et la plus douloureuse.
Une douleur à prendre en compte
La drépanocytose est une maladie extrêmement douloureuse, et
cela dès l’âge de six ou neuf mois.
Si, en France et dans les pays
développés, la prise en charge des
patients est précoce et le traitement de la douleur efficace, il
n’en va pas de même dans les
pays pauvres du Sud.
Constant Vodouhe, président de
l’association Dorys à Strasbourg,
espère conduire prochainement,
avec l’Université de Strasbourg,
un projet pluridisciplinaire axé
sur la douleur des patients atteints de drépanocytose. « Je vais
aller au Gabon fin mai pour poser
les jalons d’une collaboration avec le
CIRMF. Et Kalpna Gupta, qui est
quasi la seule personne au monde à
avoir publié sur la douleur drépanocytaire chez la souris, a également
demandé à collaborer à ce projet. »
Repères
Des formes médicales
du cannabis
La drépanocytose, ou anémie à cellules falciformes, a été découverte
en 1904 par James Herrick à Chicago. Son patient, âgé de 20 ans, avait
été hospitalisé pour une toux et de la fièvre et avait dans son sang
moitié moins de globules rouge que la normale. Ces globules apparaissaient au microscope avec une forme inhabituelle en faucille.
En 1949, James Neel démontre que la transmission de cette maladie
répond aux lois mendéliennes de l’hérédité, et Linus Pauling (qui
recevra le prix Nobel de chimie en 1954) montre qu’elle est due à une
structure anormale de l’hémoglobine.
Sept ans plus tard, Vernon Ingram montre que la maladie a pour
origine le remplacement d’un acide aminé dans la protéine anormale
d’hémoglobine. Pour la première fois, on démontrait que les gènes
déterminaient la nature de chaque acide aminé dans une protéine
Le gène est isolé en 1978 et un test génétique prénatal est mis au point
en 1980.
Kalpna Gupta, de l’Université du
Minnesota, aux États-Unis, travaille sur la douleur intense dans
la drépanocytose, et cherche à
comprendre ce qui provoque cette douleur et comment l’atténuer.
« Chez la souris, on a observé que
des extraits de résine de cannabis
donnaient de meilleurs résultats que
la morphine pour les crises aiguës.
On travaille avec des formes médicales de cannabis, qui ont été développées et autorisées en Europe et au
Canada. »
La chercheuse tente aussi de percer les mécanismes qui déclen-
chent les douleurs chroniques,
dans les articulations notamment. « Il y a un cycle de douleur
qui démarre et persiste à cause d’une
inflammation et d’une activation
des fibres nerveuses qui deviennent
hypersensibles. Il faut comprendre
cette hyperactivation pour pouvoir
la combattre. »
Alain Serrie, anesthésiste-réanimateur spécialiste de la douleur,
exerce à l’hôpital Lariboisière à
Paris. Il est président fondateur
de l’association Douleur sans
frontières créée en 1995. Son
ONG travaille dans treize pays
pour apporter des solutions en
terme de traitement de la douleur
aiguë ou chronique. « Le problème
est que les pays pauvres, qui ont
beaucoup de malades drépanocytaires, n’ont pas de médicaments antidouleur. »
Le médecin relève aussi que les
antidouleur qui ont été mis au
point pour certains cancers n’ont
pas d’AMM (autorisation de mise
sur le marché) en France pour la
drépanocytose. « Ce sont pourtant
des produits très efficaces, et on les
utilise souvent hors AMM. Mais la
Sécurité sociale ne les rembourse pas
forcément dans ce cas. »
Dans les pays du Sud, c’est la
morphine qui est souvent utilisée. « On utilise des formes injectables qu’on administre par la bouche,
sur un morceau de sucre ou dilué
dans du jus de fruit. »
Les parents se sentent souvent
impuissants devant les crises
douloureuses de leurs enfants.
Les réglettes d’évaluation de la douleur ou le simple comptage sur
les doigts sont utilisés dans les pays pauvres pour connaître la
douleur des patients.
Photo d’archives Thierry Gachon.
« On leur apprend à rester calmes, à
ne pas crier pour ne pas aggraver
encore la détresse de leur enfant. »
Une diminution
de moyens
L’ONG utilise aussi le système de
réglette de douleur pour estimer
l’intensité de celle-ci. « Pour les
enfants en dessous de cinq ans, on
enseigne aux équipes sur place l’hétéro-évaluation traduite dans la langue écrite, mais aussi parlée ».
L’hétéro-évaluation consiste à
prendre en compte plusieurs critères pour évaluer la douleur
chez le petit enfant, à partir notamment des grimaces du visage,
des pleurs, des perturbations de
la respiration, de la tension et de
l’agitation des bras ou des jambes, et de l’état de veille agité. Les
patients plus âgés disposent
d’une réglette d’évaluation pour
indiquer l’intensité de leur douleur.
Mais Douleurs sans frontières se
heurte aujourd’hui à une diminution dramatique de ses
moyens. « L’aide de la France a
beaucoup diminué, et nous n’avons
reçu cette année qu’à peine la moitié
des sommes qui nous avaient été
promises. » La mort dans l’âme,
l’ONG a dû revoir à la baisse
plusieurs de ses programmes de
lutte contre la douleur.
FAIDER Douleurs sans frontières sur
son site www.douleurs.org
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