Documentaliste - Sciences de l’information 2000, vol. 37, n° 3-4 •193
2La vision
ordonne
L’œil est un instrument d’optique qui permet d’en-
registrer les informations sur le monde environ-
nant. Face à une scène visuelle naturelle ou face à
une image, nous percevons des variations d’inten-
sité lumineuse réfléchies par les éléments consti-
tutifs de l’image. Lorsqu’elles
sont progressives et contrastées,
ces variations de luminance
véhiculent une perception
ordonnée. Lorsque leurs surfaces
varient en taille, elles traduisent
une proportionnalité et offrent
une perception hiérarchisée.
Jugement visuel et variation
de luminance
En ordonnant les luminances
achromatiques, l’œil associe aux
tâches les plus sombres les
valeurs les plus importantes. Les
figures 3a et 3b représentent une
carte par régions des hôpitaux
français qui pratiquent moins de
mille interventions chirurgicales
par an. Sur le plan graphique, ce
phénomène peut engendrer
deux jugements visuels opposés
si la constitution des paliers
visuels est indépendante de
l’ordre numérique des pourcentages.
En effet, si nous souhaitons connaître, dans un
temps minimum de perception, les régions les plus
marquées par la crise hospitalière, la figure 3a
montre trois régions : la Bretagne, le Centre et
Rhône-Alpes, tandis que la figure 3b identifie trois
autres régions : le Sud-Ouest, les régions du Nord
et du Nord-Est. Rapportée à la légende, la première
1La vision
est instantanée
La première propriété perceptive du médium
visuel réside dans sa capacité de transmission des
informations. Avec un débit de l’ordre de 107bits
par seconde, il permet d’acheminer vers le cerveau
sept fois plus d’informations que le système sen-
soriel auditif. Sa supériorité perceptive est liée à
sa capacité à communiquer, dans un même ins-
tant de perception, non pas un seul son ou une
seule syllabe (propriétés du système auditif) mais
les relations entre trois variables : les deux dimen-
sions du plan (x et y) et la luminance (z).
Ces trois variables définissent ce que l’on pour-
rait appeler le plus petit acte cognitif de la vision :
reconnaître et localiser une variation ponctuelle
de luminance, au niveau du pixel. La construction
d’une perception globale repose sur la capacité du
système visuel à traiter simultanément, en paral-
lèle, une multitude de pixels pour faire émerger
des formes de plus en plus organisées.
La figure 1 récapitule les spécificités respectives
des systèmes visuel et auditif.
Perception linéaire et perception globale
Considérons, pour montrer les différences entre
ces deux modes de perception visuelle, les deux
cartes présentées en figures 2 page suivante..
La figure 2a compare le nombre total de mater-
nités en France réalisant moins de 450 accouche-
ments par an. Cette représentation autorise une
perception linéaire et séquentielle de l’informa-
tion.
Pour répondre à une question générale de type :
«La répartition en France des maternités réalisant
moins de quatre cent cinquante accouchements
par an fait-elle apparaître des caractéristiques
régionales ? », il est nécessaire de déployer une
stratégie complexe d’exploration, de calcul, de
mémorisation et de comparaison des données. Ce
processus génère un coût cognitif important en
termes de temps de traitement de l’information et
de mobilisation de la mémoire de travail.
La figure 2b, en revanche, offre une vision glo-
bale et instantanée de la distribution du phéno-
mène étudié. L’œil peut identifier, comparer, oppo-
ser des départements, voire des régions, dans un
temps minimum de perception : au sud, on
manque de bébés ; en Bretagne et en Bourgogne,
nous avons de forts contrastes, etc. À la question
précédente : « La répartition en France des mater-
nités réalisant moins de quatre cent cinquante
accouchements par an fait-elle apparaître des
caractéristiques régionales ? », la réponse apparaît
immédiatement : oui, le sud de la France enre-
gistre les taux les plus élevés.
Joëlle Cohen est diplômée de
l’École des hautes études en sciences
sociales, dans la spécialité Sciences
de l’information. En projetant sur la
sémiologie graphique l’éclairage de
la psychologie cognitive, ses travaux
visent à énoncer les conditions
générales d’efficacité de tout
dispositif de visualisation des
informations. Cette spécialisation la
conduit à de multiples interventions
en conseil et en formation, le plus
souvent sur des problématiques liées
à des projets Intranet et Internet. Elle
est par ailleurs secrétaire générale de
l’association Carrefours télématiques
(Université Paris VII) et auteur
d’articles publiés dans la
Revue de
bibliologie : Schéma et
schématisation.
(Téléphone
06 19 74 09 93, courriel
Figure 1 - Spécificités des systèmes sensoriels visuel et auditif