Pelléas et Mélisande - Winterreise – Compagnie Théâtre Paris

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4 > 11 mars 2014
Lycée Saint-Louis – Ancien Réfectoire/Gymnase Saint-Michel
Pelléas et Mélisande
Opéra de Claude Debussy & Maurice Maeterlinck
Pelléas et Mélisande
Opéra de Claude Debussy d’après le drame de Maurice Maeterlinck
Mise en scène, scénographie et costumes Olivier Dhénin
Lumières Anne Terrasse
Assistants à la mise en scène Aymeric Mandaroux & Maud Roditi
Collaboration artistique à la scénographie Amélie Lauret
Mouvement corporel Lou Cantor
Piano Orlando Bass
Jeu
Etienne Billault Pelléas
Sophie Albert/Camille Royer Mélisande
Aurélien Pernay Golaud
Benjamin Kleiner Arkël
Stella Roulette Yniold
Lucie Pouille Geneviève
Sandra Giguet La Sœur de Charité
Et les enfants : Paul Alonso, Célia Bouchafaa, Bianca Boucheron, Antoine Bui, Geneviève Mahé, Julien
Poidevin, Jade Réfes, Isaure Santoire (en alternance)
Production Winterreise Compagnie Théâtre – Coréalisation : Lycée Saint-Louis
[Déléguée de production : Olivia Lauret – Chargé de diffusion : Ronan Evaux-Arnoult]
Remerciements au Théâtre du Rond-Point – Avec le soutien de la Société Frisquet
La compagnie Winterreise est subventionnée par la Ville de Rochefort (Charente-Maritime)
« J’ai essayé d’obéir à une loi de beauté qu’on semble
oublier
singulièrement
lorsqu’il
s’agit
de
musique
dramatique ; les personnages de ce drame tâchent de chanter
comme des personnes naturelles et non pas dans une langue
arbitraire faite de traditions surannées. [...] Il ne faut
pas oublier qu’une œuvre d’art, une tentative de beauté
semble toujours être une offense. »
Claude Debussy au sujet de Pelléas, 1902
« Il n’y a rien... pas de musique... cela ne suit pas...
pas de phrases musicales. Pas de développement... ce n’est
rien du tout. Je trouve que ce n’est pas plus que le drame
de Maeterlinck, tout seul, sans musique. »
Richard Strauss au sujet de Pelléas, 1907
> Yniold en Allemonde
Il y a vingt ans, j’assistais adolescent à la représentation du spectacle de Peter
Brook au Théâtre des Bouffes du Nord : Impressions de Pelléas. Le metteur en scène
anglais présentait une version au piano, transcrite par Marius Constant, de l’opéra de
Claude Debussy. Ces impressions, dans le cadre idéal des Bouffes du Nord marquèrent la
fin de mon enfance et ancrèrent sans doute la notion même de théâtre dans mon esprit.
Dix ans plus tard, à Rochefort, je présentais avec des jeunes comédiens une de mes
premières mises en scène dans l’ancien Cloître des Capucins de la ville construite par
Colbert en 1666 : Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlinck. Depuis j’ai réalisé plusieurs
pièces de l’auteur de L’Oiseau bleu, prix Nobel de littérature en 1911, à la manière d’une
petite tétralogie de la mort et de l’extase : les trois drames pour marionnettes : La Mort de
Tintagiles (Centre Wallonie-Bruxelles, 2008), Alladine et Palomides, Intérieur (Rochefort,
Cloître des Capucins, 2010 et 2011) et enfin Sœur Béatrice (Rochefort, Musée SaintClément, 2012).
Revenir à Debussy, à Maeterlinck est sans doute la chose la plus évidente dans mon
travail de metteur en scène. Dramaturge moi-même, je sais combien je dois à l’écriture
singulière de l’écrivain belge. Ma première pièce Ellénore, présentée sur pupitres en
février dernier à l’École normale supérieure, est ainsi construite comme un miroir de
Pelléas. Mes Feuillets d’Audelin peuvent évoquer l’atmosphère des Aveugles par la
perdition flagrante des personnages.
Ce qui m’intéresse dans l’opéra de Claude Debussy, c’est le respect du texte, la
mise en son d’une parole poétique unique, qui donne un objet vocal unique. Aucun
autre opéra ne sonne comme Pelléas. Aucune autre pièce ne sonne comme l’ouvrage
maeterlinckien. Il y a des choses impossibles à faire dans cette partition, pour le metteur
en scène de théâtre que je suis, les scènes emblématiques telles « la tour », le monologue
d’Yniold, la mort même de Pelléas. Par ailleurs, ce qui m’affecte le plus, c’est sans doute
l’anéantissement de la cellule familiale. Il y a quelque chose de pourri au royaume
d’Allemonde, et comme chez Shakespeare, les personnages eux-mêmes s’autodétruisent
par inaction — ou par excès d’action, soudaine, inattendue et injustifiée.
La cellule familiale, c’est évidemment l’enfant – et aussi l’absence de père (le père
de Pelléas est malade, celui de Golaud mort). Dans la lignée d’Orphelins de Rilke que je
présentai en 2010 à la Cartoucherie de Vincennes, j’ai décidé de centrer l’opéra sur la
figure de l’enfant : Yniold, tout d’abord, et l’enfant de Mélisande. Yniold n’est jamais
vraiment « incorporé » dans l’intrigue de la partition : il n’a que deux scènes chantées,
alors que dans la pièce de théâtre il est davantage présent. La difficulté de mettre en
scène Yniold résulte du fait que ses scènes sont complètement différentes, au regard
d’un travail de jeu théâtral : le dialogue avec le père – violent – et le monologue de l’acte
IV où il voit des moutons aller à l’abattoir – sans comprendre. Plutôt que de passer à
côté de cette dernière scène, j’ai préféré l’extrapoler, la transformer, et l’amener durant
tout l’acte IV. Yniold et des enfants sont réunis en arrière-plan : la joie est revenue avec
Mélisande, comme le dit Arkël sur l’avant-scène. Mais le plus important est sans doute
l’ultime phrase d’Yniold : « Je vais dire quelque chose à quelqu’un. » De quoi parle-t-il ?
Ni des moutons, ni de sa balle enfouie sous une pierre. Je fais entrer Pelléas peu avant
cette réplique, l’enfant l’aperçoit, annonce son intention, et s’enfuit. Pour moi, il va
dénoncer son oncle à son père. Traumatisé par la scène de voyeurisme que ce dernier lui
a imposée à l’acte précédent, il préfère à présent aller dire que de se taire. Yniold incarne
alors la question de la cellule familiale, de la compréhension indicible, de la délation et
du rejet.
Pelléas, c’est aussi un peu comme si un drame attendu, souhaité par les spectateurs,
ne parvenait pas à se jouer : celui où Mélisande suivant sa destinée de grande héroïne
amoureuse disparaitrait au fond de
la fontaine des aveugles à la suite de
Pelléas à la fin de l’acte IV. La pièce
aurait alors acquis une dimension
mythique, rejoignant les grandes
œuvres du genre, celles de l’amour
impossible – Roméo et Juliette,
Tristan et Yseult – où le destin des
amants se fond dans la mort.
L’essence du drame de Maeterlinck
semble résider en effet dans le refus
de Mélisande d’accomplir sa
destinée. « Je n’ai pas de courage, je
n’ai pas de courage » avoue-t-elle à
la fin de cet acte. Dans cette peur
qu’elle a de mourir, la pâle
Mélisande se condamne à une lente
agonie,
détachée
de
tous.
Allemonde
devient
dès
lors
pendant l’acte V un tombeau grec,
un mausolée tragique où les
personnages veillent la fin qui n’a
pas encore eu lieu, la mort
conjointe des amants, qui ne s’accomplira que dans l’ultime page de la partition. Golaud,
perdu dans la forêt dès l’ouverture de l’opéra – perdu volontairement à mon sens – ne
pourra que se perdre à nouveau, dans une autre forêt, avec sa petite fille. Yniold, seul,
reste en Allemonde. L’enfant donc, devient roi.
Olivier Dhénin, juin 2013
Il semble que pour bien comprendre le silence, notre âme ait besoin
de voir quelque chose qui se taise ; pour être sûre du repos, elle
a besoin de sentir près d’elle un grand être naturel qui dorme.
Maeterlinck a travaillé aux confins de la poésie et du silence, au
minimum de la voix, dans la sonorité des eaux dormantes.
Gaston Bachelard,
« L’Eau et les rêves »
Plan de l’opéra
Acte I — Scène 1 : Une forêt // Scène 2 : Un appartement dans le château // Scène 3 : Devant
le château
Acte II — Scène 1 : Une fontaine dans le parc // Scène 2 : Un appartement dans le château //
Scène 3 : Devant une grotte
Acte III — Scène 1 : Une des tours du château // Scène 2 : Les souterrains du château //
Scène 3 : Une terrasse au sortir du château // Scène 4 : Devant le château sous la fenêtre de
Mélisande
Acte IV — Scène 1 : Un appartement dans le château // Scène 2 : Un appartement dans le
château // Scènes 3 & 4 : Une fontaine dans le parc
Acte V — Une chambre dans le château
> Réflexions de Pierre Boulez sur Pelléas
Extrait de l’ouvrage Pelléas et Mélisande, cent ans après — Palazzetto Bru Zane
Pour l’Opéra il doit y avoir un "moyen" vocal et c’est pour cette raison que Pelléas n’est
pas populaire et qu’il ne le sera jamais pour "les amateurs d’opéra" qui veulent avant
toute chose de la performance vocale. Or, dans Pelléas, il n’y en a pas du tout. Le seul
moment un peu vocal, c’est la chanson de la tour qui, très courte, n’est pas un grand
moment de virtuosité. Ailleurs l’écriture vocale est très proche du parler, et même celle
de Moussorgski est plus mélodique. Chez ce dernier, même si certains dialogues sont
près du parler, il existe aussi des lignes mélodiques très simples, presque populaires,
qu’il n’y a pratiquement jamais chez Debussy. Donc il n’y a pas d’excitations vraiment
physiques sur le plan vocal. Sans compter cet excès dont on a revêtu le symbolisme où
toute musique doit être gentille et sans problèmes. Au contraire, je trouve - j’ai regardé
cela de très près quand je l’ai dirigé – que le caractère de Golaud est hystérique et que la
musique en devient hystérique. Toutes les scènes de Golaud sont hystériques et ce sont
les seules où il y a le plus de "challenge" vocale : que ce soit la scène avec l’enfant, que ce
soit la scène 2 de l’acte II, quand il s’aperçoit que l’anneau a disparu, et puis la scène des
cheveux, jusque dans l’acte V quand il veut savoir, savoir. Toutes les scènes de Golaud
sont des scènes hystériques – absolument. Alors que la seule scène un tout petit peu plus
agitée est celle de l’acte IV, la scène d’amour, sous l’emprise de Golaud, sous l’ombre de
la surveillance de Golaud. C’est le seul moment où il y a de l’excitation. Autrement, on
sent très bien que Debussy prend le contre-pied de Tristan : à la fin de l’acte I, comme
on dit, ça gueule. Dans Pelléas, les répliques « Je t’aime » et « Je t’aime aussi » se situent
dans le registre le plus grave de la soprano, c’est-à-dire que l’on est obligé de parler bas
la plupart du temps.
La caractéristique de cette œuvre, et en même temps sa faiblesse, c’est que les
personnages flottent et ne sont pas ancrés dans quoi que ce soit. Même si on s’intéresse
aux personnages, ils restent comme des fantômes quand ils ont disparu. Il n’y a pas cet
ancrage comme dans Tristan par exemple. Pourquoi reproche-t-on à Wagner de raconter
toujours les histoires et de les reprendre ? C’est intéressant finalement, car ces
personnages n’existent pas seulement au moment où ils apparaissent, mais également
Pelléas et Mélisande, mise en scène de Peter Stein, dirigé par Pierre Boulez en 1992 (Acte I, scène 1 : Une forêt)
avant et après. Tandis que Debussy se laisse emporter par le mouvement symboliste cela fait partie de son époque - en ne voulant aucune attache. Ces personnages
apparaissent et disparaissent. Le plus ancré, c’est Golaud – finalement – et c’est celui
auquel on est le plus attaché : il est le plus humain et s’apparente presque à un mythe,
celui de l’hystérique jaloux qui ne se trouve bien nulle part. Au contraire, lorsque l’on
réfléchit au personnage d’Ariel, malgré une très belle musique, il apparaît comme un
imbécile, s’exprimant toujours à côté : « Et c’est toi, maintenant, qui va ouvrir la porte à
l’ère nouvelle que j’entrevois… », mais c’est là que commencent les catastrophes. Pour
moi, Arkel, c’est un vieux Pelléas, un Pelléas qui a survécût gardé cette espèce de naïveté,
naïveté parfaite à l’âge de Pelléas, mais qui ne convient plus à l’âge d’Ariel. Et dans cette
musique se trouve en même temps une espèce de sublimation, d’éloge de la naïveté : « Si
j’étais Dieu, j’aurais pitié du cœur des hommes. » C’est vraiment un moment très beau et
en même temps, on se dit oui, mais comme il n’est pas Dieu… Il y a quelque chose que je
trouve fascinant dans Arkel : c’est cette espèce de vieillard complètement à côté de la
réalité. Donc oui, Pelléas et Mélisande représente un achèvement et une réalisation,
surtout pour les Français. C’est un produit typique de la culture française. Et à l’étranger,
j’exagère à dessein, on le voit comme un parfum français. C’est le luxe français avec tout
ce que cela implique de superbe et que l’on envie aussi. Mais il représente un produit de
luxe.
« Je rêve de poèmes qui ne me condamnent pas à perpétrer des actes
longs, pensants ; qui me fournissent des scènes mobiles, diverses
par les lieux et le caractère ; où les personnages ne discutent
pas, mais subissent la vie et le sort. »
Claude Debussy
> Pelléas lyrique ?
Essai de Bertrand Degott — Centenaires de Pelléas, 2001
Refusant le réel comme le vers mesuré, le poète ouvre le champ des possibles. Dans le
cas de Pelléas, l’enfance des personnages et par conséquent celle du dialogue, de même
que l’atmosphère de conte où baigne la pièce, effacent les contours trop précis : mais
c’est qu’elles ont l’universel pour ambition. Lorsqu’il est inspiré, le poète lyrique est
celui qui parle pour – c’est-à-dire à et à la place de – tous les hommes : il est à la fois
l’interlocuteur et le porte-parole, il les relie avec eux-mêmes, les aide à rétablir le
dialogue intime. En cela il diffère peu du musicien, tant il est vrai que leur expression à
tous deux est moins mentale qu’émotionnelle et sensible. Tout au plus attendrait-il du
musicien qu’il le délivre un peu du langage. Toute l’œuvre de Maeterlinck, à lire Nicole
Widart, vérifierait une loi dont Pelléas n’est que le signe le plus évident :
« Si Maeterlinck se sentait sur le
territoire musical comme "un aveugle
perdu dans un musée", il n’en a pas
moins
inspiré
compositeurs
:
nombre
Dukas,
de
Chausson,
Honegger, Absil, Rachmaninov avec
Monna Vanna, Stravinski avec La Vie
des abeilles ont succombé également à
la
tentation…
Y
aurait-il
dans
l’écriture de Maeterlinck un alliage
mystérieux qui abrite le germe de la
musique ? S’agirait-il de cette alchimie
trouble
des
"éléments
silences"
évoqués par Claude Debussy ? »
Ce qui vaut pour l’alchimie vaut aussi
du lyrisme. Car il s’agit de l’inconnu et
de l’esprit désormais : n’étant efficace
qu’à l’intérieur d’une langue donnée,
la parole du poète s’efface et laisse à la
musique
le
transmutation.
soin
On
d’achever
peut
alors
la
se
Pelléas et Mélisande de Maeterlinck, mise en scène d’Alain
Ollivier, Théâtre Gérard Philippe, 2004
demander quelles sont les conditions d’une telle transmutation, à quel prix le musicien
délivre le poète du langage et selon quelles modalités le lyrisme musical peut faire
concurrence à son homologue en poésie.
Il n'est question que de départ et de séparation dans cette
Bérénice centrifuge dont les héros ne peuvent rester réunis et
doivent nécessairement se disperser. (…) Mélisande et Pelléas ne
peuvent pas vivre ensemble. Mélisande et Pelléas sont voués au
désespoir de la dernière heure. « Pelléas et Mélisande » est tout
entier ce drame de l'absurde aventure : la rencontre fatidique de
Golaud et de Mélisande dans la forêt du premier acte et, à la fin
du quatrième, l'ultime entrevue de Mélisande et de Pelléas se
font écho ; l'ivresse tragique de la dernière fois répond à
l'étrangeté de la première.
Vladimir Jankelevitch
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