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Catherine de Sienne, ou encore, les oeuvres d'un Sabatier ou
d'un Joergensen, retinrent son attention bien avant qu'elles
fussent devenues de lecture courante. Mais aucun de ces grands
esprits n'eut sur lui une emprise égale à celle de Dante.
Se plongeant dans l'étude presque exclusive de la Divine
Comédie, il aimait à en mémoriser d'importants passages.
Parfois, il lui arrivait d'en réciter des chants entiers,
découvrant toujours une beauté nouvelle dans l'oeuvre préférée.
Il en notait avec ferveur le mysticisme érudit, imagé, vigou-
reux, àla fois réaliste et divinement inspiré ;la richesse
d'une langue créée forte et expressive l'enthousiasmait.
Mais il n'eût pas été dans la nature de mon père de se borner à
l'étude du seul chef-d'oeuvre de son auteur. Parmi les autres
ouvrages de Dante, le Banquet retint particulièrement son
attention; et il se mit à traduire —pour mieux s'en approprier
l'enseignement —ce traité qui contient en germe une grande
partie des idées philosophiques développées dans la Divine
Comédie.
Le Banquet est une oeuvre de longue haleine, commencée
dans la jeunesse, reprise et laissée inachevée : exercice de
virtuosité d'une grande âme qui se cherche, se devine, mûrit;
reliquaire où l'on met à l'abri des regards ce qui est le plus
intime de son être, à la fin de la jeunesse et ensuite, dans sa
maturité; enfin, les illusions dépouillées, les certitudes qu'on
retient, les pressentiments qui vous emportent vers de nouveaux
destins, par delà toute amertume et même le désespoir. Chaque
être porte en lui deux vies distinctes : l'une est faite des gestes
quotidiens, presque automatiques, liés aux circonstances de
lieu et de temps, humaine, éphémère ;l'autre demeure la vie
même: vie intérieure, jaillissant à son heure, dont la flamme
est la vraie image. Vie profonde, germe d'éternité, qu'il dépend
de l'être en soi de faire grandir ou décliner, selon que l'âme
s'approche ou se détourne de Dieu. Dans cet instant en l'éter-
nité qu'est une existence d'homme, elle seule importe. Grâce à