Faut-il un dépistage systématique

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Pour une autre médecine
28
débat
Faut-il un dépistage systématique
du cancer de la prostate ?
Nicole Delépine, Pédiatre, Oncologue
Les Zindigné(e)s militent pour une
autre conception et pratique de
la médecine. Nous sommes donc
aux côtés des lanceurs d’alerte
comme le docteur Nicole Delepine.
Ce spécialiste des cancers nous
précise ici que le dépistage des
cancers de la prostate par le dosage
des PSA1 est inutile et dangereux
pour les hommes qui le pratiquent.
Elle ajoute : « Cette donnée
acquise de la science ne mériterait
pas qu’on la rappelle si je n’avais
été stupéfiée d’être sollicitée, il y a
quelques jours, par une pétition en
sa faveur lancée par on ne sait
quel groupe d’intérêt ».
I
l s’agit d’un dépistage dangereux du fait
de la fréquence des surdiagnostics et
des gestes inopportuns qui en découlent.
Rappelons la fréquence extrême de ce
cancer chez les hommes âgés. Les séries
autopsiques réalisées sur des sujets décédés
d’autres causes que le cancer de la prostate
et n’ayant souffert d’aucun symptôme
prostatique particulier indiquent que la
proportion d’hommes ayant un cancer de
la prostate varie de 12 % à 40-49 ans à 43 %
au-delà de 80 ans.
de métastases. Mais en pratique, comment
convaincre un citoyen dans notre société
proactive en matière de santé d’une simple
surveillance si on a dépisté un taux élevé de
PSA et a fortiori des cellules tumorales ! De
nombreuses études, ont tenté de démontrer
l’intérêt du dépistage par le dosage sanguin
des PSA. Aucune n’y est parvenue.
Même lorsque la biopsie affirme le cancer,
plus 75% des tumeurs malignes de la
prostate sont limitées en dangerosité. Les
hommes atteints de cancer de la prostate
décèdent le plus souvent d'une autre cause.
L’étude PIVOT, la plus large des études
sur le sujet et celle qui bénéficie du plus
long recul montre que les hommes atteints
le sont d’un cancer de la prostate de bas
degré de malignité menaçant rarement
la vie (8%) et plus rarement encore (3%)
lorsque les PSA sont inférieures à 10 ng/
ml. La meilleure option lors de découverte
d’un tel cancer est la simple surveillance2,
les traitements actifs exposant à de
nombreuses complications sans augmenter
l’espérance de vie ni diminuer le risque
L’étude européenne ERSPC3 est une étude
prospective randomisée réalisée par
l’EORTC qui offre le plus haut niveau de
preuve. Elle a comparé la mortalité par
cancer de la prostate chez les hommes
qui se faisaient dépister et ceux qui ne le
faisaient pas. La surveillance de 182160
hommes montre un plus faible taux de
décès par cancer de la prostate chez les
patients dépistés (2.6 décès / 1000 contre
3.3/1000 dans le groupe témoin) mais cette
différence faible n’entraine pas de gain de
survie globale du fait des complications
secondaires au dépistage et aux traitements
qui en résultent. Les auteurs de l’étude
américaine PLCO3 ont montré que les
hommes qui se font dépister par les PSA
Les Zindigné(e)s n°20 - décembre 2014
chaque année ont davantage de cancers
prostatiques reconnus mais ne bénéficient
pas d’un meilleur pronostic malgré les
traitements entrepris. Les conclusions de
cet essai américain incluant 76693 hommes
suivis en moyenne 9 ans plaident contre le
dépistage.
L’inventeur du PSA lui-même, le Dr Richard
J. Ablin,
a énergiquement désavoué
l’utilisation de son propre test à des fins
de dépistage dans les colonnes du New
York Times4 qualifiant cette utilisation de
«désastre de santé publique» en raison de
ses imperfections, des sur- diagnostics et
sur-traitements et de son coût démesuré (3
milliards de dollars annuels aux EtatsUnis).
En octobre 2011, le Preventive Services
Task Force US a conclu à son inefficacité
et a décidé de ne plus le recommander.
L’échec du dépistage par le dosage
systématique des PSA est la conséquence
des sur- traitements entraînés par les sur-
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Pour une autre médecine
débat
diagnostics. Le dosage des PSA est trop
efficace ; il dépiste des petites lésions dont
la grande majorité n’évoluera jamais. La
biopsie est incapable de reconnaître ces
cancers biologiques (sur-diagnostic) qui ne
seront jamais des maladies. Le dépistage
transforme ainsi beaucoup d’hommes
sains en cancéreux angoissés, à qui les
médecins infligent inutilement chirurgie,
chimiothérapie,
radiothérapie,
et/ou
hormonothérapie selon les cas.
Aucun de ces traitements n’est anodin, tous
exposent à des complications rares mais
potentiellement graves. La simple annonce
du diagnostic de cancer bouleverse la vie,
est source d’angoisse et pose des problèmes
pratiques parfois pénibles (difficultés de
s’assurer pour l’achat d’un appartement,
frein à la progression de carrière en
entreprises..) La prostatectomie radicale
bouleverse l’image de l’homme
et sa
vie familiale le rend habituellement
impuissant et fréquemment incontinent.
La radiothérapie peut donner des
complications urinaires et digestives
parfois même mortelles. La chimiothérapie
expose à de multiples complications.
L’hormonothérapie augmente le risque
de complications cardiovasculaires..La
somme de ces complications de traitements
inutiles est susceptible d’expliquer l’excès
de décès « toutes causes confondues »
observées chez les hommes qui se prêtent
aux dépistages systématiques.
L’opportunité d’un dépistage par un test de
dosage du PSA sérique total a fait l’objet de
nombreuses autres évaluations. L’ensemble
des agences d’évaluation en santé qui se
sont prononcées sur le thème, dont l’Anaes5
et l’International Network of Agencies for
Health Technology Assessment (Inahta)
regroupant alors 15 agences d’évaluation
en santé, ont conclu que le dosage du PSA
sérique total n’était pas recommandé dans
le cadre d’un dépistage de masse, c’est-àdire organisé ou de manière systématique.
Le tribunal de grande instance de Troyes
a relaxé un généraliste à qui un patient
reprochait de ne pas avoir pratiqué un
dépistage précoce de son cancer de la
prostate. Âgé de 63 ans, ce patient accusait
son praticien de ne pas lui avoir délivré
des « soins attentifs et diligents conformes
aux connaissances et aux données de la
science médicale », alors qu'il se plaignait de
troubles urinaires depuis plusieurs années.
La justice ne lui a pas donné raison. Par
son jugement du 22 mars 2013, elle a estimé
« qu’au regard des données acquises de la
science, le médecin n’a commis aucune
faute de diagnostic ou de dépistage en lien
avec le cancer de la prostate dont souffre
son patient ».
Au total l’information qu’il faut donner
aux hommes est la même qu’on doit fournir
aux femmes qui croient que le dépistage
du cancer du sein par la mammographie
leur permettra de vivre plus longtemps
« si vous vous soumettez au dépistage, vous
ne vivrez pas plus longtemps, mais la vie
pourrait vous paraître plus longue »6.
Refusons ce dépistage. Ne mutilons plus
inutilement les hommes ! Utilisons plus
efficacement l’argent de la Sécurité
Sociale.. Ne remboursons plus le dosage
des PSA chez les hommes ne souffrant pas
de cancer prostatique connu. Ne tolérons
plus des publicités mensongères sur le
sujet.. Exigeons une information loyale sur
le sujet. Seule une information objective
fondée sur l’état actuel de la science
permettra de lutter contre les groupes de
pression qui nous asservissent par la peur
pour doper leurs bénéfices. p
Pour aller plus loin : Nicole Delépine, Neuf
petits lits sur le trottoir, éd. L'harmattan
1. Dosage sérique de l’antigène spécifique de la
prostate (Prostatic Specific Antigen =PSA).
2. Timothy Wilt, No Survival Benefit of Radical
Prostatectomy vs Observation for Localized
Prostate Cancer Detected by PSA Testing Asco
post September 15, 2012, Volume 3, Issue 14.
3. Schröder FH, Hugosson J, Roobol MJ, et
al. Prostate-cancer mortality at 11 years of
follow-up. New England Journal of Medicine
2012;366(11):981-990.
4. Gerald L. Andriole, M.D Mortality Results from
a Randomized Prostate-Cancer Screening Trial
N Engl J Med 2009; 360:1310-1319.
5. Richard J. Ablin The Great Prostate Mistake
New York Times 9 mars 2010.
6.
ANAES
Éléments
d’information
des
hommes envisageant la réalisation d’un
dépistage individuel du cancer de la prostate
Recommandations Septembre 2004.
7. Le cancer, un fléau qui rapporte, N. Delépine
éd. Michalon 2013
AGRICULTURETIONAL>10
INTERNATIONAL>
6
Mali : l'aide
et la dette
SOCIÉTÉ>18
POLITIQUE>24
Réforme deslaretraites
Comprendre
montée :
quand
du
Frontonnational
veut noyer ses vieux...
SOCIÉTÉ > 20
Justice : de l'indépendance
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RÉFLEXION> 28
Les cultures populaires, un soutien
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Rédaction en chef : Paul Ariès
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Patrice Canal et Françoise Blandel, Réseau
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Bellahsen, Laurent Paillard, Thierry Brugvin,
Yann Fiévet.
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