1 « Au secours, les relations humaines reviennent » Dans un monde où la conception même de l'entreprise est remise en cause, les relations humaines reviennent au centre du débat. A l'heure des technologies de la communication et des nouveaux modes collaboratifs, la question des personnes et du travail est au cœur des mutations, non seulement dans le lien entre l'employé et l'employeur, mais aussi dans celui de toutes les formes contractuelles de contribution à la performance de l'entreprise. Le "travail-ensemble" revient au centre des préoccupations. Mais alors que les visions traditionnelles des relations dans le monde du travail sont bousculées, les "relations humaines" apparaissent comme une alternative presque neuve, avec l'avantage de ne pas avoir à changer de dénomination. Certes, tout le monde souligne l'importance de la qualité des relations humaines pour développer l'engagement et assurer du bien-être au travail. Plus encore ces relations, dans la variété des situations professionnelles et avec la diversité de leurs protagonistes, s'imposent comme un facteur déterminant de performance quelle que soit la qualité des organisations et des systèmes. Elles ne sont pas une solution mais un problème. Les politiques de GRH, les managers et chacun dans une organisation est en partie responsable de l'amélioration permanente de leur qualité. Notre conférence a permis de mettre en évidence les enjeux concrets de ce retour en force de la dimension relationnelle, audelà des mythes et des illusions qui peuvent aisément se développer à leur propos. En multipliant les approches, les enseignants et les praticiens apportent des regards neufs pour stimuler la réflexion des dirigeants et managers et les aider à aborder les relations humaines dans leur contexte professionnel avec toujours plus de pertinence et de réalisme. 2 Organisateurs et partenaires L'AGRH, Association francophone de Gestion des Ressources Humaines, est une association qui rassemble plus de 1300 enseignantschercheurs francophones en Gestion des ressources humaines. L'objet de l'AGRH est de promouvoir la recherche, la formation en gestion et développement des ressources humaines dans la communauté francophone, en particulier par des rencontres, des travaux et des publications. Plus d'informations sur www.agrh.fr L'ANDRH, est, depuis 1947, l'association de référence des professionnels des ressources humaines. Avec plus de 5000 membres, au cœur de tous les secteurs d'activité et d’organisations de toutes tailles, publiques et privées, nationales et internationales, organisée en 80 groupes locaux, elle est la plus grande communauté de professionnels des ressources humaines en France. L'ANDRH anticipe et accompagne l'évolution des métiers RH, contribue au développement de la performance sociale et économique des organisations et au débat public. Plus d'informations sur www.andrh.fr Groupe Xerfi et Precepta : Le groupe Xerfi est aujourd'hui le premier groupe d'analyses économiques privé en France et le leader des études sectorielles. Precepta est le département d'études stratégiques du groupe Xerfi. Pour éclairer le changement et les stratégies innovantes, Precepta décrypte les inflexions de la concurrence et des business models sectoriels. Xerfi Canal diffuse chaque jour sur internet des émissions économiques et stratégiques destinées aux décideurs d'entreprises. Plus d'informations sur www.xerfi.com et www.xerficanal.com 3 La FNEGE, Fondation Nationale pour l'Enseignement de la Gestion des Entreprises, a pour mission de développer en France l'excellence de l'enseignement supérieur de gestion et de favoriser le développement de la recherche en sciences de gestion. La FNEGE est un lieu d'échanges privilégié entre les Universités, les Instituts d'Administration des Entreprises (IAE), les Ecoles de Management et les entreprises. Le Conseil d'Administration de la FNEGE est paritaire, composé de représentants des pouvoirs publics et d'entreprises. Plus d'informations sur www.fnege.org The Conversation France : The Conversation est un nouveau média en ligne d'information et d'analyse de l'actualité indépendant, qui publie des articles grand public écrits par les chercheurs et les universitaires. Notre équipe de journalistes expérimentés travaille en collaboration avec les universités et les instituts de recherche afin de diffuser leur savoir vers le plus grand nombre. L'accès à un journalisme d'expertise authentique et de qualité est un des piliers de la démocratie. Notre objectif est de permettre une meilleure compréhension de l'actualité et des sujets les plus complexes. Dans l'espoir d'alimenter un débat public de meilleure tenue. Plus d'informations sur http://theconversation.com/fr 4 Introduction du Président de la FNEGE ........................................ 7 Bruno Lafont, Président de la FNEGE La société émotionnelle : les RH face aux technologies numériques ................................... 9 Laurent Faibis, Président de Xerfi, chef d’entreprise et économiste L’enjeu sociétal des relations humaines .................................... 14 Aline Scouarnec, Professeur à l’IAE de Caen et Présidente de l’AGRH Les relations humaines au-delà du rêve ..................................... 20 Yasmina Jaïdi, Professeur associé Université Paris II Panthéon Assas, Directrice du Master Gestion des Ressources Humaines Internationales du CIFFOP Les impacts de nouveaux outils collaboratifs sur les relations humaines / Les exigences de relations humaines pour faire fonctionner ces nouveaux outils ................................................. 25 Charles-Henri Besseyre Des Horts, Professeur émérite à HEC Paris 5 Le retour aux théories classiques des relations humaines : quel regard critique et rétrospectif sur McGregor ou Maslow des décennies plus tard ............................................................... 30 Pierre Louart, Professeur à l’IAE de Lille La dimension culturelle des relations humaines ....................... 35 Benoît Serre, DGA – RH Groupe MACIF, Vice-Président national de l’ANDRH La dimension juridique et normative des relations humaines . 40 Jacques Igalens, Professeur à l’IAE de Toulouse La diversité au cœur des relations humaines ............................ 45 Isabelle Barth, Professeur à l’EM Strasbourg Les relations humaines au cœur du dialogue social ................. 51 Xavier Moulins, DRH Groupe du Groupe Eurotunnel Conclusion à la matinée ............................................................... 57 Maurice Thevenet, Délégué Général de la FNEGE et Professeur à ESSEC Business School 6 Introduction du Président de la FNEGE Par Bruno Lafont, Président de la FNEGE Le Président de la FNEGE est très heureux de vous accueillir si nombreux ce matin pour cette conférence sur un thème un peu provocateur, « Au secours, les relations humaines reviennent ! » Je me réjouis de cette manifestation organisée dans le cadre d’un partenariat fécond avec nos amis de Xerfi, avec l’AGRH Association académique des enseignants chercheurs en ressources humaines, the Conversation France et l’ANDRH, l’Association Nationale des DRH, dont je salue le Président. Nous sommes ici réunis, professionnels des ressources humaines dans les entreprises ou dans l’enseignement supérieur, et cette rencontre s’inscrit parfaitement dans le cadre des missions de la FNEGE. L’une d’elles consiste à rassembler les entreprises et les enseignants autour des grandes questions de management qui intéressent les entreprises et la société. Nous publions d’ailleurs régulièrement un baromètre des thèmes de recherche plébiscités par les entreprises et nous aidons chercheurs et professionnels à travailler ensemble sur ces thèmes. C’est dans ce même esprit que nous avons organisé depuis plusieurs années avec Xerfi la diffusion de vidéos d’enseignants de management pour mettre à la disposition d’un vaste public de managers les résultats de la recherche trop 7 peu connue et valorisée. Ce partenariat connaît un beau succès et je me réjouis, cher Laurent Faibis, de la perspective de nos projets communs. « Au secours, les relations humaines reviennent ! » Ce thème s’est imposé à nous car la question des relations humaines, pas seulement les ressources humaines, est un vrai besoin ressenti par les managers des organisations actuelles, souvent éclatées, soumises à trop de règles et de processus et pas encore toujours expertes dans le maniement d’outils de communication qui évoluent plus vite que ne s’apprend leur usage. Certes la qualité des relations humaines est essentielle dans l’expérience quotidienne des salariés au travail mais, plus encore, cette dimension relationnelle du travail relève aussi de la responsabilité sociétale des entreprises : c’est important pour la FNEGE où nous avons le souci de l’utilité sociale de l’enseignement du management et de sa responsabilité vis-à-vis de la société dans son ensemble. 8 La société émotionnelle : les RH face aux technologies numériques Par Laurent Faibis, Président de Xerfi, chef d’entreprise et économiste Je ne suis pas un spécialiste des relations humaines. Je suis d’abord un économiste, mais aussi un chef d’entreprise, et c'est à ce titre que je vais m'exprimer. Dans ma discipline scientifique comme dans ma pratique managériale, je me nourris de travaux d'études et de recherche. Mais chaque jour, je suis confronté à une réalité empirique qui va plus vite que la recherche. Une réalité qui me presse de trouver le bon compromis entre les contraintes économiques d’une PME, l'impératif de motiver les équipes, tout en naviguant dans le labyrinthe du droit du travail. Dans les quelques minutes qui me sont accordées, je voudrais attirer votre attention sur un signal que je vois clignoter de plus en plus fort ces dernières années : je veux parler de la fantastique irruption des technologies numériques, et dans leur sillage, du tsunami des émotions qui envahissent les relations au travail. Des émotions qui n’ont certainement pas leur place dans le monde glacial des équations économétriques chères aux économistes. 9 A Xerfi, nous avons depuis 5 ans massivement investi dans le digital. De cette expérience, je voudrais vous livrer quelques pistes sur de nouveaux impacts dans les relations humaines en entreprise. Avec l’invasion numérique, le rôle du management change de nature. Les tâches répétitives sont progressivement prises en charge par la machine. Quand j’étais débutant, il fallait une journée pour faire le diagnostic financier d’une seule société. Aujourd’hui, un ordinateur bien programmé crache en quelques petites minutes des milliers d'analyses avec leurs commentaires et les graphiques qui les accompagnent. Fantastique me direz-vous ! Oui, mais les collaborateurs sont dépossédés de ces tâches routinières et ennuyeuses qui permettaient de prendre son temps, de rêvasser, bref de décompresser. Face aux avancées de la machine numérique, nous sommes pris dans un phénomène de contraction du temps. Il faut aller toujours plus vite, et presser toujours davantage le jus de cerveau humain pour qu'il reste compétitif face aux algorithmes. Quand la machine numérique organise les missions et exécute les tâches récurrentes, elle devient une véritable prothèse intellectuelle, et même une prothèse managériale. Autant dire que le rôle de l’encadrement en est chambardé. Il s’agit désormais de stimuler des talents avec lesquels s’engage une relation de collaboration bien plus que de subordination. C’est d’ailleurs la grande promesse du digital, telle que véhiculée par ses apôtres : tous entrepreneurs, ou au moins tous intrapreneurs. Cette idée ou peut-être ce mythe du « tous entrepreneurs », doit conjuguer un paradoxe, issu de la mise en réseau généralisée. D’une part nous sommes 10 entrés dans le monde du partage : on n’a jamais autant parlé d’intelligence collective, de travail collaboratif, d’accès à la connaissance mutualisée. Mais d’autre part, jamais le MOI, l’EGO, n’a trouvé autant de ressources pour proclamer son identité. Les réseaux sociaux permettent non seulement de se connecter à tous, mais aussi de peaufiner sa réputation individuelle, de faire de son nom une véritable marque. Chacun peut désormais chercher la célébrité sur LinkedIn, Facebook ou Twitter. Cela veut dire qu'au-delà du fantasme du « tous entrepreneurs » pointe déjà la perspective du « tous mercenaires ». Disons-le tout net : les esprits managériaux ne sont pas encore entrainés à gérer ce paradoxe des réseaux, qui combine le chacun pour tous et le chacun pour soi. Les managers et leurs équipes ne sont pas préparés à cette autonomie paradoxale, qui conjugue dépendance et interdépendance, liberté d’initiative et discipline d’équipe. Comme toute injonction paradoxale, cette nouvelle exigence est facteur de stress et d’anxiété. C’est encore plus vrai pour ces générations de digital natives, qui sortent d’un système scolaire directif, où l’erreur est une faute, la créativité une transgression dérangeante, et le bon élève formaté le bon exemple à suivre. Le boomerang des affects est d’autant plus fort que l’enthousiasme et l’engagement qui est exigé de chacun s’inscrit dans une société de plus en plus émotionnelle, qui accepte de moins en moins les discours rationnels et normatifs. D’abord parce les grandes démonstrations analytiques ont perdu de leur prestige et de leur crédibilité. C'est trop lent, c'est trop froid. 11 Alors, place au règne du storytelling et de la vibration intuitive. On le sait aujourd'hui : le flair et les outrances de Donald Trump ont été plus efficaces que les analyses rigoureuses des experts. Les médias, qu’ils soient print ou numériques, l’ont compris depuis longtemps : l’émotion c'est bon pour le tirage et l'audimat ; l'émotion est un levier qui fait vendre et voter. Mais il faut y prendre garde : abuser du levier des émotions dans les relations humaines au travail, c'est ouvrir la boite de pandore de l’affectif et de l'irrationnel. Nous devons piloter l’entreprise dans une société émotionnelle. Comment faire autrement quand s’abolissent les frontières entre vie professionnelle et vie privée. On tchate sur WhatsApp, règle ses affaires privées et on se défoule sur un jeu vidéo pendant les heures d’astreinte. Toujours connecté, le domicile de chacun devient aussi un lieu de travail. Bonnes et mauvaises nouvelles personnelles ou professionnelles n'ont plus d'espace spécifique. Avouez que lorsque les smartphones en 4G abolissent les frontières entre sphère professionnelle et sphère privée, pas facile de respecter le droit du travail. D’ailleurs la médecine et l’inspection du travail sont en embuscade pour fustiger les burn-out, cet objet psychiatriquement non identifié. On fait mine d’oublier que chacun vient dans l’entreprise avec ses névroses, des névroses qui ne sont plus régulées par un sas affectif, celui de la porte de l'entreprise. De fait, on ne sait plus identifier les vraies causes du mal-être, et il est bien tentant de rendre l’entreprise responsable de tout, d’autant plus qu’elle est bankable devant les prud’hommes. Oui, cette société digitale, collaborative, connectée, réticulaire, émotionnelle, open source, entrepreneuriale et égocentrique est lourde de défis révolutionnaires. Pendant tous les débats sur la Loi El Khomri, j’ai vu et entendu 12 des politiques bien sûr, des syndicalistes, des juristes, des économistes médiatiques. Mais les sciences du management sont restées à la porte des plateaux de télévision. Face à l’invasion digitale et à la société émotionnelle, c’est bien le moment de sonner l'alerte : « Au secours, les relations humaines reviennent ». 13 L’enjeu sociétal des relations humaines Par Aline Scouarnec, Professeur à l’IAE de Caen et Présidente de l’AGRH Dans le contexte actuel, les incertitudes croissantes sur l'environnement global incitent les organisations, qu'elles soient privées ou publiques, à repenser leurs modes de management et leurs façons d'appréhender leurs collaborateurs. Les modes de gestion d'hier ne sont plus suffisants pour piloter les organisations d'aujourd'hui et de demain. Les approches co-construites entre acteurs concernés prennent de plus en plus le pas sur les grands modèles du siècle dernier. Les collaborateurs expriment de plus en plus des attentes nouvelles auxquelles il faut savoir répondre. L'impact du numérique conduit également à envisager de nouvelles modalités de travail. Un changement de paradigme serait en marche...de la modernité, nous passerions à la postmodernité... Ce changement de monde serait caractérisé par quelques grandes ruptures. Les grandes ruptures de la postmodernité On passerait d’une logique de l’individu, interchangeable, à une logique de personne, au sens de persona, c'est-à-dire du masque, c'est-à-dire du pluriel, du multiple. Dans cette approche du multiple, le terme de communauté - au sens de tribus affectuelles - serait également à prendre en compte. Du travail obligé, source d’intégration dans la société, on passerait à la 14 valorisation de la création, de la réalisation de soi au travers d’une belle œuvre. Il y aurait un réinvestissement de l’idée de création : l’idée serait de faire de sa vie une œuvre d’art. Dans la logique moderne, la recherche de rationalité était centrale, elle a conduit à la valorisation du modèle de l’ingénieur, incarnation même s’il en était de cette rationalité au sein de l’organisation. Aujourd’hui, on est à la fois dans une vision plus globale, plus systémique et corporéiste. On s’intéresse au corps, au bien-être du corps et de l’esprit dans ces nouvelles démarches bien souvent regroupées sous le vocable de qualité de vie au travail. Lié à la logique rationnelle, l’utilitarisme d’hier semble être remplacé par une sorte d’esthétisation du monde. C’est à la fois la recherche du beau mais aussi l'idée de partager ensemble des émotions. Aujourd’hui, on revient au sens premier : tout est bon pour vibrer ensemble ; on baigne dans quelque chose d’émotionnel. L’évolution du rapport au temps est également très riche d’enseignement. Hier, tout reposait sur l’idée du progrès, et bien entendu du progrès technique. Aujourd’hui, on est dans le moment présent, voire même dans l’instant. Il n’y a plus de projet au sens de projection. Ce qui compte alors dans une organisation, c’est de construire et de partager une vision commune. Si l’on s’intéresse au futur, c’est pour mieux profiter du moment présent. On comprend alors le regain d’intérêt depuis quelques années pour la prospective qui est là pour éclairer l’action présente. De plus, comme le souligne Maffesoli (2013), « après la verticalité du pouvoir, 15 on assiste à son horizontalisation ». Cette lecture sociologique nous permet de mieux appréhender les ruptures en cours et nous invite à imaginer, à bricoler de nouvelles solutions de pilotage des personnes et des organisations. De la GRH à la gouvernance des personnes Eh oui, dans ce contexte postmoderne, véritable changement de paradigme... les relations humaines reviennent... et de la GRH, nous passerions peut être à une Gouvernance des Personnes et des Organisations. Des années 60 à aujourd’hui, l’idée même de gestion s’est centrée bien plus sur l’outillage, la technique que sur la réflexion stratégique. Il conviendrait aujourd'hui de préférer au vocabulaire de gestion celui de management, marquant ainsi une différence essentielle, celle de valoriser l’idée du pilotage. Certains, préfèreraient même à ce concept de management, réservé au fonctionnement interne trop souvent, celui de gouvernance, mettant bien en évidence cette nécessité de regarder aussi bien dedans mais aussi dehors, autrement dit de s’intéresser aux parties prenantes externes et d’avoir cette vision systémique. La gouvernance pourrait alors se résumer à du management et de l’outillage utilisés ou déployés aussi bien dans l’organisation qu’en dehors de cette dernière. Cette approche semble particulièrement pertinente aujourd’hui et le sera encore plus demain dans les nouvelles configurations organisationnelles qui arrivent. 16 Concernant le vocabulaire RH, et au regard d'une lecture sociologique renouvelée, nous préférons utiliser le terme de Personne. Nous considérons en effet, que le management ou la gouvernance des personnes va devenir un enjeu central dans nos organisations. La personne, qui vient de « persona », invite à s’intéresser à la personne dans sa globalité et pas seulement au regard de ses diplômes ou de ses expériences. Au niveau individuel, il s’agit d’accompagner le collaborateur dans sa trajectoire professionnelle, dans son projet professionnel et de plus en plus dans son projet de vie. Il convient alors d’être à l’écoute, de développer des postures d’empathie pour comprendre et accompagner chacun dans l’organisation ou même en dehors. Au niveau collectif, il s’agit de penser de nouvelles segmentations du personnel afin d’identifier des tribus, des communautés de pratiques ou métiers, des groupes ou segments ayant des particularités nécessitant un pilotage particulier. Besoin de nouvelles approches et de nouveaux outils Le développement des compétences, des talents aussi bien sur un plan individuel que collectif va nécessiter de nouvelles approches et outils, en partie grâce à une digitalisation bien pensée. Dans ces collectifs, une nouvelle conception du dialogue social serait certainement à imaginer, beaucoup moins centrée sur les syndicats et beaucoup plus sur les nouvelles communautés stratégiques. 17 Utiliser et valoriser le vocabulaire de « Personne », c’est finalement reconnaitre la nécessité de la prise en compte de la dimension humaine voire humaniste nécessaire au bon fonctionnement de l’organisation. Dans cette conception, les questions d’éthique, de déontologie et de responsabilité devront également être appréhendées ! Trop souvent oubliée des réflexions RH, l’organisation doit et devra également être au centre des réflexions sur le travail. Il convient de penser un management du travail ou une gouvernance du travail mettant en avant l’intérêt porté au fonctionnement de l’organisation, au « comment travailler » et au « où travailler ». Il s’agit tout d’abord de prendre en compte la nécessité de bien connaitre les fonctionnements organisationnels pour mieux appréhender les solutions managériales de demain. Les compétences en diagnostics organisationnels, en démarche prospective de type Vision pour demain, en audit social seront les fondamentaux avant de construire une stratégie de pilotage des personnes et des organisations. Les questions de conditions de travail et plus globalement d’environnements de travail sont des questions clés. Il y aura lieu tout d'abord de penser les organisations de demain, plus petites, plus agiles, plus en réseau, plus territorialisées etc. Il faudra également construire les nouvelles formes de reconnaissance (salaire et autres) les plus adaptées à ces nouvelles configurations organisationnelles, et pour être en capacité de bien évaluer et mesurer 18 l'ensemble des risques sociaux et numériques auxquels l'organisation devra faire face. Bien entendu, cette réflexion sur le travail intègre à la fois les questions de digitalisation, de big data, et de lieu et formes de travail (télétravail, ubérisation entre autres). Dans cette conception du management du travail, la question essentielle est liée au travail et à ses représentations. D'une vision ancienne "tripalium", le travail pourrait également être appréhendé dans une dimension plus positive de "plaisir et de réalisation de soi". En synthèse, et pour conclure provisoirement… S'il y a changement de paradigme, c’est pour repositionner la fonction RH ou Gouvernance des Personnes et des Organisations là où elle aurait toujours dû être : une fonction centrale, une fonction de direction générale. Alors nous pouvons l'affirmer, si les relations humaines reviennent, la Gouvernance des Personnes et des Organisations aura un rôle clé à jouer ! 19 Les relations humaines au-delà du rêve Par Yasmina Jaïdi, Professeur associé Université Paris II Panthéon Assas, Directrice du Master Gestion des Ressources Humaines Internationales du CIFFOP Il est un rêve dont tout le monde parle aujourd’hui, celui de l’entreprise libérée. La presse se fait l’écho d’entreprises dotées de pratiques managériales nouvelles. Les dirigeants de FAVI, Chronoflex ou Poult partagent leurs expériences respectives dans les médias, les conférences, et proposent leurs conseils à qui souhaite transformer ses méthodes de d’organisation et de management. Des ouvrages ont aussi popularisé le modèle : Isaac Getz et Brian M. Carney avec Liberté et Cie, Frédéric Laloux avec son ouvrage intitulé Reinventing Organizations, ou encore Gary Hamel au travers de La fin du management : inventer les règles de demain. Les chercheurs en gestion, enfin, s’intéressent également à ce phénomène en décortiquant les caractéristiques de ces entreprises. On citera ici les travaux de Damien Richard et Christian Defélix ou ceux de Patrick Gilbert, récemment présentés au congrès de l’Association de Gestion des Ressources Humaines à Strasbourg en octobre 2016. Qu’est-ce qu’une entreprise libérée ? Comment ces travaux caractérisent-ils ces entreprises libérées, qui font tant rêver certains ? Ces entreprises partagent, par essence, des principes 20 fondamentaux. Pour elles : 1) l’être humain est fondamentalement bon, 2) la performance d’une entreprise trouve sa source dans la base, 3) l’innovation est l’affaire de tous, 4) la confiance donne plus de résultats que le contrôle. L’application de ces principes conduit à drastiquement réduire les niveaux hiérarchiques, à supprimer les fonctions support, à élargir la participation à tous les niveaux de l’entreprise et à entamer une réflexion profonde sur le rôle des dirigeants, alors tenus de lâcher prise sur les décisions opérationnelles, pour se consacrer à la qualité de l’environnement de travail. Ces entreprises ont ainsi revisité les principes du management hérités du passé. Elles ont fait d’un rêve, une réalité souvent perçue comme révolutionnaire. Pour autant, ce rêve n’est pas nouveau. Depuis longtemps, des théoriciens et penseurs cherchent à remettre en cause les principes tayloriens d’organisation du travail. Dès 1934, époque où l’Ecole dite des « Relations Humaines » est en plein essor, le syndicaliste français Hyacinthe Dubreuil publiait un ouvrage qui fait étrangement écho aux préoccupations des entreprises aujourd’hui : A chacun sa chance, l’organisation du travail fondée sur la liberté. Plus tard, les mouvements autour de l’autogestion, les travaux de Philippe Bernoux, auteur en 1982 d’Un travail à soi – Pour une théorie de l’appropriation du travail, iront aussi dans le sens d’une autonomie grandissante des salariés. Les grandes entreprises aussi font évoluer leurs pratiques Rien de neuf, donc, sous le soleil de l’entreprise libérée. Mais pourquoi ce rêve, transformé en réalité par certains, fait-il autant de bruit ? Peut-être répond-il à un besoin du moment en catalysant des idées qui, certes, viennent de loin, mais trouvent aujourd’hui un écho réel. Sens partagé, collaboration, reconfiguration permanente des équipes, temps de travail flexible, créativité. 21 Ces entreprises sont des organisations apprenantes. Il y a là le plaisir de travailler1, le sentiment d’apprendre chaque jour quelque chose. Il y a aussi, dans ce rêve devenu réalité, un défi pour nombre de grandes d’entreprises qui observent aujourd’hui le phénomène avec intérêt, voire avec envie. La prochaine « frontière » de ce mouvement concerne sa capacité à être diffusé dans de grands groupes. Mais qu’en est-il des pratiques managériales dans les grandes entreprises aujourd’hui ? Sont-elles prêtes à « libérer leur management » elles aussi ? Je mène actuellement avec Frank Bournois, Directeur Général d’ESCP Europe et Ezra Suleiman, Professeur à l’université de Princeton aux EtatsUnis, une recherche sur les pratiques managériales des grandes multinationales françaises. Nous interrogeons près de 3000 managers non français, dans 20 grands groupes du CAC 40, partout dans le monde, avec des niveaux de maturité variés, du jeune manager au cadre dirigeant. Tous partagent le fait de travailler au siège ou dans une filiale d’un grand groupe français. Nous leur demandons de parler des managers français avec qui ils travaillent au quotidien. Voici une brève synthèse du portrait qu’ils dressent du management à la française aujourd’hui. Contre toute attente, à l’heure où le « french bashing » est de mise, ces managers apprécient de travailler dans les grandes entreprises françaises, car elles placent, selon eux, l’humain, et les relations humaines, au centre de leurs préoccupations. Elles font grandir leurs collaborateurs, créent un cadre 1 En référence à l’ouvrage de Maurice Thévenet, Le plaisir de travailler – Favoriser l’implication des personnes, Editions d’Organisation, 2004. 22 de travail formalisé, tout en sachant s’en affranchir, si besoin, pour plus d’innovation. Les managers français, moins autocrates mais toujours méfiants Ces grandes entreprises ont donc, elles aussi, su faire évoluer leurs pratiques et rendre ainsi caduque une partie de l’héritage du passé. Elles allient aujourd’hui le sens de la performance et l’humanisme, promeuvent la créativité et l’esprit entrepreneurial au nom de pratiques managériales renouvelées. Elles transforment aussi le rapport à la hiérarchie, dans un contexte où traditionnellement, la distance au pouvoir est grande en vertu de longs siècles d’histoire. Le manager français comprend désormais qu’il ne peut plus fonctionner seul avec une approche autocratique. Le style à la française se fait plus accessible, plus ouvert, pour plus d’efficacité. Bien sûr il reste des défis à relever. Le premier concerne le processus décisionnel qui demande à être clarifié. Dans les entreprises françaises, plus qu’ailleurs, décider prend du temps. Les débats se diluent entre des acteurs multiples. Le style décisionnel à la française déroute les managers étrangers qui y sont confrontés. Un second défi relève de la capacité des managers français à faire confiance à l’inconnu. Nous revenons là sur une hypothèse fondamentale de l’entreprise libérée. Nombreuses sont les situations dans lesquelles les managers internationaux expriment le sentiment de ne pas pleinement bénéficier de la confiance de leurs homologues français. Le parcours de formation des cadres marque déjà une séparation entre ceux qui sont passés par les bancs des 23 grandes écoles françaises et ceux qui n’y étaient pas. Il y a aussi les réunions où l’on a le sentiment de ne pas faire entendre sa voix et la progression de carrière dont les arcanes sont relativement impénétrables. La confiance n’est pas toujours au rendez-vous alors que le monde extérieur plaide pour des organisations agiles. L’entreprise libérée, une simple mode ? Comment, dès lors, libérer la grande entreprise pour faire de ce rêve une réalité pour elle aussi ? La confiance, là encore, joue ici un rôle clé. Il faut repenser les modes de fonctionnement en remplaçant le jugement et la méfiance par l’inclusion du plus grand nombre. Il faut arriver en France à considérer ce qui est différent comme une source d’enrichissement et d’apprentissage, pour une capacité d’action renouvelée. Ainsi donc, de la petite à la très grande entreprise, ce rêve de l’entreprise libérée attire mais mérite aussi de plus amples recherches, pour ne pas virer au cauchemar. Ces nouvelles méthodes de management réclament en effet un fort engagement affectif de la part des salariés, qui pourrait ne pas être sans incidence sur les questions de santé au travail. Quelles sont les conditions pour qu’un individu s’adapte à un tel système ? Sa généralisation est-elle possible et souhaitable ? N’est-ce pas là un eldorado qui tournera au mirage d’ici peu, à l’image des modes managériales qui se succèdent ? Autant de questions ouvertes qui restent à approfondir. 24 Les impacts de nouveaux outils collaboratifs sur les relations humaines Les exigences de relations humaines pour faire fonctionner ces nouveaux outils Par Charles-Henri Besseyre Des Horts, Professeur émérite à HEC Paris Tous les observateurs, académiques et praticiens, s'accordent aujourd'hui à reconnaître que la révolution digitale est bien plus que la mise en œuvre d'outils technologiques pour certains "disruptifs", comme les imprimantes 3D à l’origine du mouvement des « Fab Labs » ou la réalité augmentée permettant à des opérateurs de réparer des machines sans en avoir même les plans. Elle porte en effet en elle la remise en cause des fondements du travail et de l’organisation qui ont fait le succès du modèle de l'entreprise depuis plus d'un siècle. Numérique, mutation du travail et des organisations Sur le plan du travail, tout d'abord, la révolution digitale est susceptible de le rendre plus virtuel, plus connecté et plus nomade avec la banalisation de l'usage des smartphones depuis une dizaine d'années, plus instantané et plus flexible, permettant à l'entreprise de devenir plus agile, et enfin plus 25 transparent et plus collaboratif avec la généralisation de la mise en œuvre d'outils tels que les réseaux sociaux d'entreprise. Sur le plan de l'organisation, ensuite, la révolution digitale est susceptible de détruire les silos qui caractérisent trop souvent l'entreprise, de casser les hiérarchies en renversant les structures traditionnelles de pouvoir et de de savoir, et de briser les frontières temporelles et géographiques de l'entreprise en réduisant considérablement les coûts de transaction. Re-taylorisation, précarisation Mais tous ces effets, pour la plupart très positifs, de la révolution digitale, ne cachent-ils pas des zones d'ombre largement occultées par ses ardents défenseurs ? Comment ne pas reconnaître, par exemple, les risques de précarisation et de re-taylorisation du travail avec le développement de plateformes offrant des services aux particuliers et entreprises ? De même, l'organisation digitalisée n'est-t-elle pas source de tensions nouvelles dans la mesure où l'innovation technologique, dans un certain nombre de cas, prend assez peu en compte le système social qu'est l'entreprise, oubliant ainsi les principes fondateurs de l'Ecole SocioTechnique ? En s'intéressant maintenant à certains des outils parmi les plus emblématiques de cette révolution digitale - les outils collaboratifs –, nous allons tenter de montrer comment ils impactent, positivement et négativement, les relations humaines entre les acteurs de l'entreprise, et quelles peuvent être, face à ces constats, les exigences de relations humaines pour permettre à ces outils de tenir leurs promesses. 26 Les impacts positifs Mais auparavant il semble nécessaire de clarifier ce que sont précisément ces outils : en dehors du courrier électronique, premier outil collaboratif né il y a plus de deux décennies avec Internet, il faut mentionner les outils traditionnels de partage de connaissance, de conversation instantanée – les fameux chats – et plus récemment les applications comme WhatsApp ou WeChat en Chine, les réseaux sociaux publics comme Facebook et Linkedln, les réseaux sociaux d'entreprise à l'image de Yammer ou Chatter… Cette liste n'est évidemment pas limitative car la créativité de start-ups, comme Zewaow ou Beclips en France, est sans limites pour proposer aux entreprises, petites et grandes, des solutions collaboratives toujours plus innovantes. Parmi les impacts très positifs de ces outils collaboratifs sur les relations humaines on peut citer, entre autres : la facilitation, voire la possibilité nouvelle, de communication instantanée ou asynchrone entre les acteurs internes et externes de l'entreprise, la création de communautés de travail ou d'intérêts partagés en dehors des structures traditionnelles traduisant ainsi dans la réalité l'organisation informelle mise en évidence par de nombreux chercheurs depuis les travaux pionniers d'Elton Mayo, l'identification et la valorisation de personnes ayant des talents non mobilisés ou cachés dans les systèmes traditionnels de management des talents mis en œuvre par les DRH, la capacité de développer l'innovation en mettant en relation les acteurs internes et/ou externes sur des projets qui peuvent être disruptifs pour l'entreprise, 27 le rassemblement des personnes autour d'une vision relevant du bien commun tout en réduisant, dans la mesure du possible, les inévitables jeux politiques internes par le développement d'une plus grande transparence dans les relations entre les acteurs. Les impacts négatifs Mais face à cette vision un peu idyllique de l'impact des outils collaboratifs sur les relations humaines dans l'entreprise, il faut bien, comme l'exige la posture du chercheur, mettre l'accent sur certains impacts potentiellement négatifs de ces outils. Les outils collaboratifs risquent, en effet, entre autres : de mettre en difficulté des personnes ou des groupes qui ne sont pas disposés, pour des raisons légitimes, à collaborer conduisant à une nouvelle forme de fracture numérique, de transformer la transparence attendue des échanges en une injonction à tout révéler ce qui peut être en définitive nuisible au fonctionnement harmonieux de l'entreprise, de faire émerger de nouveaux jeux de pouvoir entre des acteurs sachant, pour certains d'entre eux, beaucoup mieux gérer leur eréputation notamment par leur niveau de centralité dans les réseaux collaboratifs, de créer de nouveaux clans avec l'apparition de communautés hors du contrôle de l'entreprise et pouvant résulter dans des situations de communautarisme très éloignées de la notion de bien commun. Les conditions du succès des outils collaboratifs A la suite à ces constats, quelles peuvent être alors les exigences sur le plan des relations humaines pour assurer le succès de la mise en œuvre des outils 28 collaboratifs dans l'entreprise ? On peut en citer cinq sans en exclure d'autres qui seraient plus spécifiques du contexte : toujours considérer que la technologie n'est qu'une condition nécessaire mais jamais suffisante pour renforcer la collaboration eu sein de l'entreprise, la dimension des relations humaines représente cette condition suffisante, prendre en compte le fait que l'on ne décrète pas la nécessité de collaborer dans l'entreprise, encore faut-il que le corps social en soit convaincu ce qui se suppose un travail important préalable sur le plan des relations humaines, s'assurer que la mise en place des outils collaboratifs s'appuie sur une démarche de gestion du changement en apportant des réponses aux questions classiques d'une telle démarche : pourquoi ? qui ? comment? et quand ?, montrer, par l'exemplarité des comportements des dirigeants, que la collaboration est pratiquée au plus haut niveau de l'entreprise, renforcer les pratiques collaboratives entre les acteurs par des dispositifs RH cohérents : recrutement, formation, évaluation, rémunération, carrières… Pour conclure, la collaboration n'est pas naturelle dans l'entreprise même avec les plus beaux outils digitaux. Seule, la qualité des relations humaines au sein de l'entreprise peut faire la différence entre le succès et l'échec des outils collaboratifs. C'est ce qu'avait bien compris le dirigeant la société Indienne HCL Technologies, Vineet Nayar, lorsqu'il a entrepris en 2005 la transformation profonde de son entreprise décrite dans son best-seller Employees First, Customers Second. 29 Le retour classiques humaines : aux des théories relations quel regard critique et rétrospectif sur McGregor ou Maslow des décennies plus tard Par Pierre Louart, Professeur à l’IAE de Lille Dans trop d’entreprises aujourd’hui, la GRH est devenue de la gestion des fichiers individuels, des emplois et de la masse salariale. Les services RH sont face à leurs écrans, pas en face à face avec des personnes. Trop d’entre eux (pas tous) méconnaissent le vécu profond des gens qui travaillent. Ils s’occupent avant tout des activités, des performances et des obligations légales en matière de gestion. Ils font de la régulation sociale (en évitant certains risques) ou des arbitrages entre contributions et rétributions. Revenir à une lecture plus subjective et relationnelle A force de ne plus rencontrer les personnes dans ce qu’elles sont, dans leurs désirs, leur projets, leur présence, on obtient des résultats dangereux. A petit niveau, l’état des gens est proche de ce qu’on observe un peu partout dans le monde à l’occasion des élections. Ils vont vers ceux qui leur parlent, même si c’est trop souvent de l’illusion ou du faux-semblant. 30 Quelqu’un « qui nous parle », ce n’est pas forcément quelqu’un à qui on parle, c’est quelqu’un dont on a l’impression qu’il ressent les mêmes choses que nous, et à qui on pourrait se confier ou partager nos difficultés, nos inquiétudes ou nos souhaits. La GRH s’est désintéressée de l’organisation (« comment les gens travaillent ») au profit de la gestion de stocks (« de quelles compétences je dispose ») et du contrôle de gestion (« de quelle façon optimiser mon budget »). De même, elle s’est éloignée des personnes, pour s’intéresser à des tableaux de bord et à des procédures. Il est temps de revenir à une lecture plus subjective des attentes, plus relationnelle aussi, en renouant avec la force des échanges interpersonnels, et avec le plaisir à se parler au travail (en discutant du travail et un peu du reste aussi). Il faut retrouver la subjectivité, non pour la manipuler (la « coacher »), mais pour la reconnaître et l’aimer telle qu’elle est. L’approche par les besoins Derrière les désirs qu’expriment les personnes, derrières leurs envies affichées, leurs attentes ouvertes ou secrètes, il y a des besoins. Ces besoins, il faut pouvoir les comprendre et y répondre, indépendamment des processus cognitifs par lesquels s’organisent les motivations individuelles. Or, cette approche par les besoins a été largement traitée, en gestion, à l’époque où on s’y intéressait. Des chercheurs comme MC GREGOR, MASLOW, HERZBERG ou ALDERFER en ont parlé dans des ouvrages qui 31 ont eu leur heure de gloire, et qui ont connu des diffusions parfois extraordinaires pour des livres traitant de psychologie ou de management. Même si leurs travaux sont en partie contestables, ils apportent des résultats toujours efficaces aujourd’hui, et dont on ferait bien de s’inspirer en GRH. Leurs conclusions sont d’ailleurs plus subtiles, en les lisant dans leur texte, que ce qu’en disent les diffuseurs traditionnels, prompts à réduire la pensée de ceux dont ils s’inspirent, en la résumant pour l’un à une pyramide (MASLOW), pour les autres à une différenciation entre deux visions a priori de l’homme (MC GREGOR) ou deux types d’agents motivationnels (HERZBERG). Que nous dit encore Maslow aujourd’hui ? Grâce à son expérience de clinicien, il a montré que l’être humain devait répondre à des niveaux différenciés de besoins. Certains sont plus pressants et plus immédiats que d’autres, du moins pour la plupart des gens. D’autres ne peuvent s’installer qu’après avoir satisfait en partie les premiers, bref dans un environnement satisfaisant. Par exemple, pour soutenir les salariés dans leur besoin d’affirmation et de réalisation personnelle, on doit d’abord les mettre en sécurité (à un niveau suffisant). La forte augmentation actuelle des risques économiques et sociaux n’est donc pas favorable. La sécurité passe par des besoins de survie (manger correctement, dormir convenablement, répondre aux exigences de son corps), mais aussi par un minimum de sérénité psychique (ne pas vivre dans l’inquiétude des autres, être apaisé sur son devenir à court terme – en tout cas dans son contexte de travail, disposer d’une ambiance affective où peuvent se développer la confiance et la coopération). 32 Les apports de Mc Gregor et Herzberg De son côté, MC GREGOR nous rappelle l’importance des prophéties créatives. Ce que nous projetons sur les autres contribue à façonner leur évolution. Nous devons être attentifs à ce que nous croyons des autres, à ce que nos pensées (parfois sommaires) produisent sur nos comportements. Si nous estimons que les gens sont passifs ou peu enclins à se responsabiliser (théorie X), nous insistons sur la surveillance et l’évaluation formelle. Nous devenons les esclaves de l’audit et du contrôle de gestion. Au contraire, si nous pensons que les gens sont capables d’autonomie, d’initiatives et de projets (théorie Y), nous les encourageons à l’action, nous les aidons à devenir créatifs et bâtisseurs. Nous mettons en application des logiques d’entreprises apprenantes, ouvertes ou « libérées ». Enfin, HERZBERG nous fait comprendre qu’il y a deux types de besoins (« ne pas être insatisfait », « avoir envie de se mobiliser »). Ils ont des effets très différents sur les personnes et leurs comportements. En répondant aux premiers besoins (par des actions sur le contexte et les conditions de travail, ou encore sur les rémunérations de base), on ne réagit qu’à des risques d’insatisfaction. Au contraire, en aidant les personnes à se développer, à prendre des responsabilités ou à être reconnues dans ce qu’elles font, on active leur mobilisation. D’un côté, on diminue leurs maux, de l’autre on augmente leur potentiel d’êtres humains. Comprendre et articuler les besoins et les motivations Malgré leurs excès idéologiques, ces auteurs sont attachants, car ils ont construit des modèles dynamiques pour comprendre et respecter les motivations. Ils ont créé de la régulation entre les besoins des personnes, et 33 ils ont réfléchi à des modèles de développement individualisé en milieu professionnel. Ce faisant, ils ont aussi cherché à être des soigneurs d’âme. Dans ce monde actuel qui réclame du respect, de l’attention et de la considération, ils offrent un moyen de retrouver le chemin des personnes, de regarder qui elles sont, ce qu’elles expriment, en tâchant de mieux répondre à leurs besoins. Pour ceux qui sont intéressés par la pensée de MASLOW et de HERZBERG, je vous renvoie à un article que j’ai écrit il y a une quinzaine d’années (2002), et qui est toujours disponible gratuitement sur Internet : « MASLOW, HERZBERG et les théories du contenu motivationnel ». 34 La dimension culturelle des relations humaines Par Benoît Serre, DGA – RH Groupe MACIF, Vice-Président national de l’ANDRH Evoquer la culture d’une entreprise c’est faire appel certes à l’histoire mais aussi à l’organisation, au management, aux valeurs et aux convictions partagées ou dont on souhaite qu’elles le soient. Evoquer la culture d’une entreprise c’est convoquer la logique collective, le destin commun et le sens partagé. Partant de cette approche ou de ce postulat, quelle fonction dans l’entreprise est plus collective que les ressources humaines, dont les défis multiples se rassemblent autour d’un seul : faire travailler des personnes ensemble. Après tout, les relations humaines dans l’organisation relèvent un défi quotidien qui est de faire vivre ensemble toute la journée des personnes qui n’ont pas choisi d’être ensemble plusieurs heures par jour. Déterminer quel est l’équilibre subtile qui consiste à leur faire accepter cette réalité, à la rendre compatible individuellement et collectivement avec les aspirations des hommes et des femmes et les attentes légitimes de l‘organisation, qu’elles soient économiques ou pas. La culture d’entreprise est un pivot La culture d’une entreprise n’est pas une donnée statique. Elle peut être symbolisée par une charte, un modèle de valeurs, des rites, mais 35 fondamentalement elle ne peut être que mouvante dans le sens du mouvement. Elle est en effet soumise à nombre de forces externes comme l’inter-générationnelle, l’organisation du travail, le dialogue social, la transformation digitale, la conception du client, les comportements des concurrents, les orientations des dirigeants, les évolutions de marché ou d’actionnariat... La culture d’entreprise est un pivot autour duquel tournent tant d’éléments que la conserver relève du défi. Elle fait aussi partie intégrante des éléments de réassurance interne en période de transformation et peut jouer le rôle de bouée de sauvetage aux réfractaires du changement, inquiets de projets qui remettraient en cause leur culture ou ce qu’il croit être le fondement de leur entreprise. Elle peut aussi être fort utile aux porteurs du changement car elle permet de s’y accrocher comme un élément de permanence protecteur pour ne pas aller trop loin dans la perturbation, la remise en cause parfois même pour démonter la pertinence du changement proposé par rapport à la culture de l’entreprise. Le rapport parfois rationnel, peut être irrationnel avec la culture d’entreprise à qui on fait jouer tous les rôles ; certains allant même jusqu’à l’autoproclamer immuable et à soumettre au procès de la trahison ceux et celles qui changent et font évoluer. Le DRH se doit de la faire vivre Pourtant, pour exister et pour se différencier, une culture d’entreprise se doit d’être vivante car elle traduit dans le temps une part de la dynamique d’organisation, de son innovation comme de sa modernité ou son adaptation. Edouard-Malo Henry, DRH du Groupe Société Générale, a une jolie formule : « la fonction RH s’occupe du vivant dans l’entreprise ». Dans le monde tout 36 digital que certains semblent préparer, appeler de leurs vœux ou redouter, cette affirmation raisonne et fait porter une responsabilité sur les ressources humaines. Partant de là, que le DRH impacte la culture d’entreprise est une évidence parce qu’il a en charge ses acteurs principaux, parce qu’il a la responsabilité du fonctionnement des relations humaines, leur constance comme leur bienveillance, leur efficacité comme leur coût dans une entreprise. Comme tout collaborateur il est un acteur de cette culture, mais comme dirigeant il en est aussi le dépositaire, le défenseur bien que parfois perçu comme l’un de ceux qui la remettent en question au gré des projets de transformation qu’il porte ou défend par fonction. A n’en pas douter, les relations humaines sont donc affaire de culture parce qu’elles la créent, la modifient, la font grandir et changer et si l’on n’y prend pas garde, elles peuvent la détruire. Peut-on dès lors considérer que la manière de gérer les relations humaines oriente ou influence la culture ? La manière de gérer les relations humaines influence la culture A cela il faut sans doute répondre par l’affirmative, mais de manière diffuse et partagée. Bien évidemment une culture ne se décrète pas, elle peut éventuellement se décrire mais peut-elle s’écrire ? Si oui, ce serait sa fin car elle deviendrait un objet statique, désincarné, une sorte de dogme destiné à être respecté et non à évoluer. 37 Par nombre de décisions, la fonction ressources humaines influe sur la culture directement ou indirectement. Par exemple, le choix d’un dirigeant, l’orientation de management, le modèle de dialogue social, la stratégie de compétences, le volontarisme sur les évolutions de carrière, la préférence à l’interne, la promotion par le terrain, l’enrichissement par l’externe, la formation, la communication interne. Tous ces éléments, consubstantiels des relations humaines car ils les fondent ou les organisent, impactent la culture d’entreprise puisqu’ils concernent ses acteurs. Multiples sont donc les décisions que le DRH prend sur la base de sa fonction stratégique et qui vont impacter, modeler et même parfois changer la culture d’une organisation. Parfois les choix stratégiques RH présentent les mêmes caractéristiques qui se confrontent avec « l’impatience » du business. Ne pas tenir compte de certaines réalités culturelles d’entreprise peut d’une part réduire l’efficacité d’une décision économique mais aussi tordre certains principes ancrés dans l’inconscient collectif, qui pourraient provoquer un cabrage du corps social, plus par incompréhension que par attachement à un corpus de règles non dites et immuables. La culture d’entreprise comme relais de la culture client Est-ce à dire que l’exigence économique s’oppose au respect de la culture d’entreprise ? Évidemment non, pas plus que la direction financière ne s’oppose à la direction des ressources humaines. C’est une approche complémentaire qu’il faut privilégier car rien ne serait pire que d’opposer culture d’entreprise et performance… Ce serait servir l’argument des opposants structurels à la transformation nécessaire. 38 D’ailleurs, faire évoluer la culture d’une entreprise par une politique RH peut se révéler un juste relais d’une stratégie business. L’exemple le plus parlant est évidemment la recherche d’une culture « client centric ». Chacun a ou aura à répondre à cet enjeu : il faut renforcer, changer, instaurer, imposer une culture client. La machine interne se met alors en marche : assez rapidement, on tombe sur des questions de formation, de recrutement, de dynamique managériale, de communication interne, d’impulsion collective… Autant de leviers d’actions qui relèvent de la fonction RH. Une construction dans le temps, fondée sur les relations humaines La reconnaissance comme l’évolution d’une culture d’entreprise ne saurait être donc qu’un temps long et parfois même imperceptible qui se construit dans le temps sans pouvoir affirmer à un moment ou à un autre que ça y est, nous avons une culture d’entreprise ou nous l’avons rénovée. Elle a nécessairement une part de tradition orale, la référence à certaines personnes qui ont marqué l’organisation par leur qualités, leur management, leurs personnalités, leurs choix. Après tout, la culture d’entreprise ne s’apparenterait elle pas aussi au « roman d’entreprise », à l’instar des Nations et de leur propre roman ? Au final, si les relations humaines ne sont pas à l’origine de la culture, elles fondent son évolution, sa traduction perceptible. Elles en sont le dépositaire parce qu’elles en sont le lien comme le moyen d’expression. 39 La dimension juridique et normative des relations humaines Par Jacques Igalens, Professeur à l’IAE de Toulouse La gestion des relations humaines existe dès le premier salarié, et avec elle la dimension juridique puisque ce salarié bénéficie de droits que son employeur ne peut ignorer. Les obligations de l’employeur croissent avec l’augmentation du nombre de salariés et, en France, par l’effet des franchissements de seuil, elles atteignent assez rapidement un volume considérable. L’inflation du droit social Pour ne prendre que trois exemples très récents on peut citer l’entretien professionnel, la pénibilité et le CPA. Tous les 2 ans, l'entretien professionnel est un rendez-vous obligatoire entre le salarié et l'employeur. Il est destiné à envisager les perspectives d'évolution professionnelle du salarié et les formations qui peuvent y contribuer. Si le salarié n'a pas bénéficié au cours des 6 dernières années des entretiens professionnels prévus et d'au moins deux actions de développement, son compte personnel de formation (CPF) est crédité à hauteur de 100 heures. Concernant la pénibilité, toute entreprise doit prévenir la pénibilité au travail, quelles que soient sa taille et ses activités. Lorsqu'un salarié est exposé à des facteurs de pénibilité au-delà de certains seuils, l'employeur doit établir une 40 déclaration. Le salarié bénéficie alors d'un compte personnel de prévention de la pénibilité sur lequel il peut accumuler des points. Enfin au premier janvier 2017, tout salarié pourra ouvrir son CPA pour accéder à ses droits et les mobiliser de façon autonome. Ces trois exemples récents montrent, s’il en était besoin, l’imagination et la fertilité du législateur en matière de droit social. Aucun recoin des relations sociales ne semble échapper à sa vigilance, dès l’embauche et jusqu’au terme de la relation de travail, il détaille et modifie sans cesse les obligations qui incombent à l’employeur. Même si certains commentateurs exagèrent parfois l’épaisseur du code du travail en agrégeant le texte et ses commentaires, il n’en reste pas moins que la France se distingue des autres pays par une minutie juridique à nulle autre pareille en matière de régulation des relations sociales. Ce constat appelle une double interrogation. La première consiste à se demander si nous n’allons pas trop loin et si nous n’entrons pas trop dans les détails. La seconde interrogation a trait à la normalisation non juridique, c’està-dire à l’application volontaire de dispositifs techniques relatifs aux relations sociales. Reste-t-il une place pour de tels dispositifs dans un environnement saturé par le droit ? Trois pas vers la simplification Concernant la première interrogation relative au volume et à la complexité des obligations sociales, le gouvernement actuel a pris trois initiatives. Il a rédigé une ordonnance datée du 26 juin 2014 portant simplification et adaptation du droit du travail. La simplification concerne essentiellement 41 des obligations d’affichage à la charge de l’employeur et des obligations de transmission de documents à l’administration. C’est le même souci de simplification qui l’a conduit à demander à l’ancien directeur du travail du Ministère du Travail un rapport pour réformer le droit social. Jean-Denis Combrexelle a ainsi proposé de limiter le caractère impératif de la loi à quelques règles d'ordre public social - par exemple les 48 heures de durée maximale de travail par semaine en matière de temps de travail, le SMIC en matière de salaires -, et de renvoyer le détail au niveau des branches ou au niveau des entreprises. Pour freiner le flux incessant et souvent désordonné de textes législatifs, l’auteur du rapport proposait également « l'application du principe selon lequel toute disposition nouvelle du Code du travail doit être gagée par l'abrogation d'une disposition devenue obsolète du même code ». Avec la loi travail dite « Loi El Khomri », le gouvernement de Manuel Valls a fait, non sans grandes difficultés, un pas dans la direction du renversement de la hiérarchie des normes juridiques mais en la limitant à un petit nombre de sujets. En revanche il n’a pas retenu les propositions destinées à limiter l’obésité juridique. Enfin, le Premier ministre a confié à un comité, présidé par Robert Badinter, une mission d'identification des principes du droit du travail français. Dès l’introduction de ce rapport, R. Badinter précise sa principale limitation : « Le comité a travaillé à droit constant ». Suivent 61 principes, de rédaction souvent concise, qui mettent bien en valeur les particularités des relations sociales « à la française ». 42 La difficulté de combiner protection des salariés et besoins des entreprises Au terme de ces trois initiatives il ne semble pas que le droit du travail ait été véritablement simplifié et on peut toujours déplorer que sa complexité nuise gravement à l’intelligibilité des règles, et donc à leur appropriation par les employeurs comme par les employés. Certains avancent que cette complexité même dissuade les petites entreprises d’embaucher. D’où la question, avonsnous un droit social trop envahissant ? Le droit social est, par définition, protecteur des intérêts des salariés. Cela est nécessaire car la relation d’emploi est une relation déséquilibrée qui met face à face un employeur qui propose un emploi, une rémunération et les avantages sociaux qui s’y rattachent tandis que l’employé propose seulement ses compétences et qu’il a un besoin vital de travail. Il ne s‘agit pas d’opposer un employeur tyrannique à un employé angélique, mais de faire ressortir l’asymétrie de situation qui rend nécessaire le droit social. Mais, pour nécessaire qu’il soit, le droit social présente aussi des limites et notamment celle de ne pas suffisamment prendre en compte les besoins de l’entreprise qui ne se confondent ni avec ceux des employés ni avec ceux des employeurs. Conçu le plus souvent comme un jeu à somme nulle, le droit actuel a le plus grand mal à faire prévaloir ce qui est l’équivalent du bien commun ou de l’intérêt général lorsqu’on observe le niveau de l’Etat. Si l’on admet ce constat, la question de la nécessaire simplification du droit des relations sociales devient plus qualitative que quantitative, il convient de ne plus toujours raisonner « à droit constant » pour prendre en compte les intérêts de l’entreprise à côté de ceux des employeurs et des employés. 43 Reste-t-il une place pour la normalisation non juridique ? Concernant la seconde interrogation, la norme non juridique, il existe actuellement des travaux au sein de l’ISO pour normaliser la GRH (ISO/TC 260). Le process est arrivé au niveau du dernier « draft » avant le vote définitif. Or, la France est très peu active dans ce process, 5 personnes participaient à la dernière réunion au mois de juin alors qu’aux USA ou en Allemagne ce sont par centaines que les professionnels et les scientifiques participent. Cette désaffection a une explication mais elle présente aussi des risques. L’explication c’est l’excès d’obligations juridiques qui décourage le DRH devant la perspective de nouvelles contraintes. Le risque c’est celui de ne pas peser sur le contenu d’une norme internationale qui progressivement s’imposera dans le cadre des relations inter-entreprises. Dès la terminologie (ISO 30400 – Management des ressources humaines – Terminologie) on sent le poids de la culture anglo-saxonne. Les autres aspects de la version actuelle de la norme concernent le recrutement, la GPEC, le reporting, la gouvernance humaine ainsi que la question des indicateurs sociaux. Il n’y a aucun expert français dans le groupe technique qui travaille sur la question de l’inclusion et de la diversité dont le secrétariat est assuré par l’organisme américain de normalisation. Or, en matière de normalisation internationale il n’existe que deux possibilités, participer et ainsi faire prendre en compte les valeurs et les idiosyncrasies nationales ou bien ne pas participer et, à terme, accepter celles des autres pays. 44 La diversité au cœur des relations humaines Par Isabelle Barth, Professeur à l’EM Strasbourg La diversité fait partie des sujets qui sont à la fois une évidence et un défi, une notion morale et un acte rationnel, un thème de société comme d’entreprise. C’est aussi un mot valise dans lequel chacun se projette à sa façon, tant dans la définition que dans l’adhésion. On peut donc gloser sans fin sur le sujet, et sombrer vite dans l’opinion. Ce serait dommage car une vision et une mise en œuvre intelligente de la diversité dessinent un chemin vers l’innovation sociale, le management responsable, et la performance globale de l’entreprise. Démonstration. La diversité comme une évidence Si l’on regarde la « grande image », la diversité est une évidence dans le monde du vivant, les biologistes et autres scientifiques experts de ces domaines, nous expliquent avec abondance de preuves, que la nature végétale comme animale n’aurait pu se développer et prospérer sans la biodiversité, que nous mettons fort à mal depuis quelques décennies, avec les dangers qui s’annoncent pour la pérennité de l’humanité. 45 De la même façon, l’humanité est diverse : il y a des Blancs, des Noirs, des métisses, des hommes et des femmes, des musulmans et des sikhs, des handicapés et des bien-portants, des jeunes et des vieux, des hétérosexuels et des homosexuels …. C’est une évidence, et pourtant, si on se rapproche du tableau, on se rend compte que ce n’est pas toujours aussi simple. Les défis de la diversité Regardons ensemble cette salle : il n’y a pas beaucoup de diversité, des hommes et des femmes certes, mais un faible brassage ethnique, des âges très semblables, des niveaux de formation très proches, beaucoup de Français …. Pendant que je vous dis cela, vous pensez très fort : « Mais c’est n’importe quoi, je ne ressemble pas à mon voisin de droite ou à ma voisine de gauche ! Il est petit et gros, je suis grand et mince, elle est blonde et habite Paris, je suis brune et je viens de Lyon, il est musulman et je suis athée… » C’est bien là le premier défi : chacun veut être reconnu pour qui il est, dans ses différences, comme une personne unique, mais se trouve bien parmi ceux et celles qui lui ressemblent. C’est une construction qui commence dès l’âge de la socialisation : « les filles avec les filles, les garçons avec les garçons », le rejet du rouquin ou de la fille trop grosse … C’est comme cela que des personnes se retrouvent écartées de la société, discriminées dans le monde du travail, parce qu’elles sont labellisées comme « différentes » : trop gros, trop belles, trop enceintes, trop handicapés, trop 46 marqués politiquement ou religieusement… L’évidence ce transforme en défi si on veut inclure ces personnes au groupe. Les personnes discriminées sont en souffrance, et la société comme l’entreprise se privent de leurs talents, de leurs compétences, de leurs contributions au projet commun. Le deuxième défi est de lutter contre cette tendance très partagée à exclure ceux qui ne nous ressemblent pas, en partant de l’hypothèse ou peut être du postulat que les différences sont une richesse pour chacun d’entre nous comme pour l’organisation à laquelle nous appartenons. Le troisième défi est de manager la diversité pour aller vers un management inclusif dans les organisations. Il s’agit d’un projet global pour l’organisation, et donc, de la conduite d’un changement structurant. Le management de la diversité : de quoi s’agit-il ? Rappelons tout d’abord que la lutte contre les discriminations n’est pas optionnelle et qu’elle s’impose à l’entreprise dans le cadre de la loi du 16 Novembre 2001 avec la définition de 21 critères bien identifiés : le sexe, l’origine, l’orientation sexuelle, la religion, le handicap, l’âge, la grossesse, les opinions politiques et syndicales, l’apparence physique, le patronyme … en sont quelques-uns. Le management de la diversité relève, lui, d’un choix, politique et stratégique. Il s’agit alors d’un projet global pour l’organisation, qui doit être pris comme la conduite d’un changement structurant. 47 Comme tel, il implique : la volonté du dirigeant, des arbitrages constants en faveur du projet, de la communication interne, des moyens dédiés. Sans cela, il reste du domaine de l’intention ou de la stratégie « cosmétique », du « diversity washing » ! Il faut donc du courage et la volonté de s’inscrire dans la durée car il n’y aura pas de « grand soir de la diversité » ! Comment aller vers un management inclusif ? De façon classique, il faut d’abord faire un état des lieux sur le sujet, ce qui demande du courage. Combien de femmes au comité de direction ? Quelles différences salariales ? Combien de salariés de plus de 50 ans envoyés en formation ? Combien de salariés en situation de handicap ? Quelles initiatives pour gérer le fait religieux ? Combien de jeunes en apprentissage ? Quelles pratiques de recrutement ? De promotion ? De gestion de fin de carrière ? Car le management de la diversité compte 21 critères et touche toutes les étapes de la vie professionnelle. Ce diagnostic n’est pas simple, car le tableau n’est pas toujours idyllique, et poser les questions amène à ouvrir la boite de Pandore des mécontentements, des revendications, des attentes jusque-là contenus. Un outil très précieux est le « label diversité » qui, comme d’autres certifications, s’il est pris de façon proactive, est un formidable levier pour avancer. Son obtention donne un cap, et son cahier des charges un bon mode d’emploi pour y arriver : car la définition des rubriques, la construction et le suivi des indicateurs dans ce domaine, sont souvent des sujets mal connus des managers des ressources humaines. 48 De la contrainte à l’opportunité Devant tant d’exigences, j’entends bien que cela pose la question classique de « Pourquoi le faire ? ». Et c’est là que les témoignages comme les études montrent qu’il ne s’agit pas d’une question morale mais bien d’un investissement immatériel dont on peut attendre un véritable retour. En nous appuyant sur de multiples études, nous pouvons affirmer que la diversité est porteuse de créativité, qu’elle permet d’intégrer des talents nouveaux et souvent ignorés, qu’elle contribue à la réputation de l’entreprise, qu’elle la rend plus attractive, qu’elle permet aussi, en réduisant les souffrances ou les malaises au travail, d’améliorer la performance sociale et donc globale. Chaque critère est le levier d’un développement spécifique mais les 21 critères doivent être pris de façon systémique pour construire un management inclusif. Si des entreprises ont eu à payer des amendes importantes, et ont vu leur image être dégradée pour discrimination, celles qui gèrent au mieux la diversité en voient les effets positifs en interne comme vis-à-vis de leurs parties prenantes. La diversité est le pilier social de la responsabilité sociétale des organisations. Pour rassurer, avoir un management de la diversité ne signifie pas que toutes les comptables vont arriver voilées, que les informaticiens seront en situation de handicap ou les vendeurs obèses, pour reprendre des angoisses de managers. L’entreprise doit pouvoir continuer à travailler et le code du travail est là pour donner un cadre. L’enjeu n’est pas le laisser-faire mais bel et bien de se focaliser sur la compétence en incluant le savoir-être, au-delà de la différence intrinsèque. 49 En conclusion : et si ? La diversité est une évidence, mais pour qu’elle soit réelle et porteuse d’innovation et de performance, elle reste un défi au quotidien dans le monde du travail. Elle a besoin de champions, de personnes qui « y » croient. La diversité passe par des managers qui parient sur les valeurs les plus durables qui soient : la confiance et la reconnaissance, ce qui n’exclut en rien l’exigence. La diversité nous propose tout simplement de passer du « trop » au « et si ? »… Et si une vendeuse du Luxe pouvait être obèse ? Et si un comptable pouvait être tatoué ? Et si une femme pouvait diriger une entreprise du CAC40 ? Et si ? Et si ? 50 Les relations humaines au cœur du dialogue social Par Xavier Moulins, DRH Groupe du Groupe Eurotunnel Le dialogue présuppose par nature et a minima la relation de deux parties prenantes soucieuses d’entrer en communication, voire, comme le suggère certains, de penser à deux. Le dialogue social en entreprise pose ainsi, en ce sens, assurément le postulat d’une interaction entre les femmes et hommes qui la composent, qui la dirigent, qui y travaillent. Il apparaît dès lors naturel de plaider avec conviction pour la valorisation des relations humaines au service de ce dialogue social. Le dialogue social au service de l’engagement Parce que ces hommes et ces femmes sont au cœur du projet d’entreprise, parce que ces hommes et ces femmes dans leur mobilisation quotidienne sont les catalyseurs et les accélérateurs de son succès ou de son échec, parce que, afin de leur donner l’envie et le sens de l’engagement, la capacité du dirigeant et des managers de l’entreprise à échanger avec eux, directement et/ou par le truchement de leurs représentants, est essentielle, oui, dès lors et indiscutablement, les relations humaines semblent bien être au cœur du dialogue social, dialogue social en tant que déterminant puissant au service de l’engagement. 51 Définitivement en effet, le dialogue social doit ainsi être apprécié à sa juste valeur : à savoir, comme un levier essentiel au service de la performance durable des entreprises et de la mobilisation des femmes et des hommes qu’elles emploient. Pour cette raison, le dialogue social se doit ainsi d’être au cœur des préoccupations du management de l’entreprise - dans son acception élargie allant du « top management » au « middle management » -, approprié par celui-ci avec conviction, car convaincu qu’il renforce l’adhésion des salariés à un projet commun et, par induction, le sentiment d’appartenance à l’entreprise. Et, c’est justement parce que ces relations humaines en forment le noyau dur, que le dialogue social n’en est que plus riche, mais aussi plus complexe, tantôt plus puissant, plus constructif s’il est de qualité, et tantôt plus fragile, plus destructeur s’il est négligé. Nourri de relations humaines, le dialogue social interroge à ce titre immanquablement des notions d’intuitu personae et de confiance, des qualités d’écoute et de partage, des aptitudes à la transparence et à la conviction. Autant de concepts, de notions, où la part de l’Humain est primordiale. Mais autant d’éléments, de prérequis, qui s’apprécient, se jaugent, se renforcent ou s’altèrent sur la durée. Le dialogue social, ce n’est pas que du juridique ! Partant, la qualité des relations humaines à mobiliser au quotidien est donc absolument déterminante. La capacité des différents acteurs du dialogue social à savoir entretenir des relations humaines de bonne facture est dès lors 52 un élément clé dans la qualité du dialogue social sur le temps long et qui saura notamment être mesurée lors de crises sur le temps court. Cette nécessaire et permanente quête de qualité du dialogue s’inscrit dans un environnement protéiforme, i.e. dans un environnement de dialogue social multi-acteurs, multi-niveaux. Il en va donc ainsi des relations humaines. Multi-acteurs, car, dans un environnement français notamment, il implique tant les organisations syndicales, les représentants du personnel élus, les managers, les dirigeants, les DRH, les salariés parfois directement, les représentants des territoires, ceux de l’Etat, ... Voire dans certaines situations des acteurs tiers à l’entreprise que sont les clients, les actionnaires, la concurrence… Multi-niveaux, car il peut s’exprimer tant au niveau de l’entreprise, de l’établissement, du groupe, du territoire, parfois de l’Etat mais aussi, et plus généralement, en dehors de toute structure juridique au niveau de la collectivité de travail. C’est dans cet environnement pluridimensionnel, aux multiples acteurs, aux multiples espaces d’expression, où, de plus en plus, le temps long du projet et de la vision est régulièrement confronté aux temps courts de la décision et de la nécessaire réactivité pour faire face aux incessants changements de notre temps, que la qualité des relations humaines doit s’exprimer avec acuité. En ce sens, toujours au service d’un dialogue social efficient et pertinent, la relation humaine, certes source de complexité, doit être indiscutablement préférée à un dialogue social envisagé sous un angle exclusivement juridique. 53 Il faut dès lors préférer avec conviction et détermination la complexité de l’humain à celle de la norme, la complexité et la singularité de l’Homme à celle des structures et des process. Le dialogue social, c’est l’affaire de tous En ce sens aussi, le dialogue social n’est pas uniquement l’affaire d’une fonction, n’est pas uniquement la mission d’un DRH, d’un directeur des relations sociales, n’est pas exclusivement une affaire de respect de normes, n’est pas et ne doit être l’expression de la soumission résignée à une contrainte ou à un mal nécessaire. Mais le dialogue social doit incarner une dynamique humaine volontariste et authentique d’échanges et de partages au service d’un objectif commun de performance économique et sociale. Parce que le dialogue social et les relations sociales qu’il sous-tend sont intrinsèquement avant tout des relations humaines, celles-ci exigent ainsi de la proximité, de l'écoute, de la fréquence, autant de leviers et prérequis déterminants pour créer la compréhension mutuelle et la confiance sur le long terme, quels que soient le lieu, le niveau ou le temps pendant lequel elles s’expriment. En d’autres termes, les relations sociales ne peuvent définitivement pas se résumer aux normes qui les encadrent, aux instances qui les structurent… Car le dialogue social, ce sont avant tout des Hommes qui se parlent, qui cherchent à se comprendre, à penser ensemble, à agir ensemble, à satisfaire leurs besoins, leurs objectifs. 54 Des Hommes, plus que des instances du personnel Négliger l’Homme au sein de l’instance de représentation du personnel, prioriser l’instance ou l’institution à l’humain, considérer le processus de dialogue uniquement sous l’angle d’instances ou de structures qui dialoguent entre elles seraient un écueil fatal, et pour le dialogue social, et pour la performance de l’entreprise dont il est un levier. Le sujet dimension humaine dans les relations sociales interroge par ailleurs incidemment et automatiquement une autre dimension : celle de la légitimité. Légitimité des partenaires sociaux, des parties prenantes entre lesquels ce dialogue s'instaure. La légitimé de ceux qui discutent, de ceux qui construisent ce dialogue social, ils peuvent certes, ab initio, la tenir des instances, des structures qui les désignent. En revanche ils ne la maintiendront, ne la renforceront, et ne l’amélioreront qu’en fonction de la qualité de leurs relations au quotidien. Et c’est parce que leurs relations seront de qualité que le dialogue social sera le levier de performance attendu et que la légitimité des acteurs sera indiscutable. Renforcer la qualité des relations humaines au cœur du dialogue social sert donc à la fois des impératifs d’exigence, de performance et de légitimité des acteurs sur la durée. On le voit : les relations humaines sont au dialogue social à la fois son matériau de construction et l’huile nécessaire à son bon fonctionnement. Plus que d’être au cœur de celui-ci, elles en sont philosophiquement l’essence. Elles le justifient et le font vivre. Les négliger reviendrait dès lors à dénier l’existence et l’importance de ce dialogue social. 55 Promouvoir les relations humaines au cœur du dialogue social, c’est à la fois une idée qu’il faut défendre, une ambition qu’il faut nourrir, un besoin qu’il faut satisfaire. Et c’est aussi sûrement, à l’instar d’Antoine de Saint Exupéry, avoir la ferme conviction que « La grandeur d'un métier est peut-être, avant tout, d'unir les hommes » mais qu’« il n'est qu'un luxe véritable, et c'est celui des relations humaines. » 56 Conclusion à la matinée Par Maurice Thevenet, Délégué Général de la FNEGE et Professeur à ESSEC Business School « Au secours, les relations humaines reviennent ! » C’est donc qu’elles étaient parties. Il est vrai que les relations humaines ne sont pas un problème pour des organisations qui attendent la performance de la seule sophistication de leurs structures, de leurs processus ou de leurs systèmes d’information. La question des relations humaines disparaît aussi quand le travail parcellisé dans un réseau autogéré ou contrôlé par les algorithmes n’exigerait plus de coordination ou de collaboration (le travail-avec étymologiquement). Sans doute la valorisation de la technique, de l’informatisation ou de la numérisation selon les époques donne-t-elle aussi l’illusion - comme il y a un siècle à la naissance de l’organisation scientifique du travail – qu’on puisse enfin se débarrasser de l’aléa humain dans la production. Les relations humaines ne seraient alors plus un problème mais juste ce supplément d’âme romantique, avec la bienveillance et la gentillesse si populaires aujourd’hui … Toutefois on s’aperçoit ici et là que seules les combinaisons rares de compétences rares permettent de relever les défis de l’innovation ou de la performance. On en appelle alors aux talents. On s’aperçoit aussi, dans 57 l’économie de l’expérience ou dans les situations de crise, que l’engagement des personnes dans leur travail, voire dans l’entreprise, devient indispensable. Ce n’est pas une découverte, Pierre Louart nous a rappelé les grands noms, déjà anciens, de ceux qui ont montré l’importance de la motivation et de la reconnaissance. Mais la personne, comme nos intervenants aiment à l’appeler, est sociale, elle vit avec, par et pour les autres, même si l’anthropologie du moment, individualiste ou « singulariste », a pu avoir la tentation de l’oublier. Benoît Serre nous rappelle d’ailleurs avec pertinence combien les relations humaines sont en partie liées à la culture de l’entreprise. En fait dans les entreprises, les administrations ou les associations, on ne travaille pas, on travaille toujours « avec ». Le travail est interdépendance, on ne peut faire le sien que si les autres ont accompli le leur, et réciproquement. Ces interdépendances peuvent être prescrites dans un bon manuel de procédures, elles peuvent aussi être tacites dans un jeu de promesses réciproques implicites qui fait toujours le lit invisible de la performance quand on fait l’effort de l’observation du fonctionnement réel des organisations. Mieux que cela, ces relations font une grande part de l’expérience concrète du travail pour les personnes : c’est la relation aux autres qui vous empêche de dormir le soir plutôt que la rémunération dont on s’est habitué à ce qu’elle soit faible ! Alors, l’importance des relations humaines revient au goût du jour pour interpréter les déceptions causées par une automatisation des processus administratifs, quand il s’agit de pallier les effets dévastateurs des risques psychosociaux, quand il faut résoudre ou anticiper les multiples conflits qui ne 58 manquent pas de survenir dans ces lieux tellement politiques que demeurent les institutions. A divers titres, nos intervenants ont rappelé dans des registres différents que les relations humaines étaient un problème plutôt qu’une solution. Nous avons entendu avec Jacques Igalens que les relations entre acteurs dont s’occupe le droit, ne peuvent se satisfaire d’une seule logique contractuelle mais qu’elles exigent un minimum de sens du bien commun que pourraient peut-être apporter les systèmes de normes et de références développés au niveau international. Xavier Moulins envoie le même message en rappelant fort à propos que le dialogue social se nourrit de relations humaines et pas seulement de rapports ministériels ou de lois. Comme le dit Charles-Henri Besseyre des Horts, les outils ne peuvent jamais remplacer ces relations humaines ou les améliorer comme par magie, mais ils peuvent les faciliter pour autant qu’on fasse l’effort de les utiliser au service de ces relations. Alors, comme le souligne Isabelle Barth, en parlant de diversité, les managers prennent une grande importance dans l’établissement, et le maintien de relations humaines de qualité : ces managers sont décidément responsables de tout. Cela tombe bien d’ailleurs, car les managers non-français au sein de grandes entreprises françaises, nous dit Yasmina Jaïdi, leur reconnaissent un certain sens de l’humain et il leur manquerait juste un petit peu d’ouverture. Alors que retenir de toutes ces interventions. Quatre idées essentielles. La première, c’est que le management gagne toujours à revenir à quelques solides références anthropologiques : il semble que 59 régulièrement, avec Taylor, l’ordinateur ou la personne augmentée, on ait la tentation de l’oublier. La deuxième, c’est que les relations humaines, cela s’apprend. Les relations familiales viennent assez naturellement, les relations choisies sur les réseaux sociaux ou dans les tribus « affectuelles », pour rappeler Aline Scouarnec, ne sont pas très difficiles, mais travailler dans une organisation c’est entrer en relation avec ses collègues, ceux que l’on n’a pas choisi, ceux avec lesquels on ne passerait pas un week-end. Les spécialistes du management ont-ils intégré que le travail devait aussi être un lieu d’apprentissage de ces relations humaines ? La troisième, c’est que les managers ont évidemment une charge de plus sur les épaules avec cet impératif relationnel. Mais encore faut-il qu’ils le veuillent et qu’ils en aient la compétence. Est-ce que nos outils de sélection, de promotion, d’évaluation et de rétribution des managers en tiennent compte ? La quatrième, sans doute la plus importante, c’est que la qualité des relations humaines est aussi une responsabilité générale, partagée. Chacun en a sa part, les organisations auxquelles on impose une responsabilité sociale, les managers généralement responsables de tout mais aussi l’ensemble des acteurs, des salariés. A l’heure où la maîtrise des outils numériques devient un impératif de l’honnête homme, il faudra peut-être y rajouter la qualité relationnelle. C’est un vrai enjeu car nos jeunes étudiants, comme nos managers, considèrent que leur efficacité managériale, le fait de devenir leader, ce mot qui se traduit si mal en allemand, tiendrait surtout à leurs qualités intrinsèques propres plutôt qu’à leurs relations aux autres. 60