Au secours, les relations humaines reviennent

publicité
1
« Au secours, les relations humaines reviennent »
Dans un monde où la conception même de l'entreprise est remise
en cause, les relations humaines reviennent au centre du débat. A
l'heure des technologies de la communication et des nouveaux
modes collaboratifs, la question des personnes et du travail est au
cœur des mutations, non seulement dans le lien entre l'employé et
l'employeur, mais aussi dans celui de toutes les formes
contractuelles de contribution à la performance de l'entreprise. Le
"travail-ensemble" revient au centre des préoccupations. Mais
alors que les visions traditionnelles des relations dans le monde du
travail sont bousculées, les "relations humaines" apparaissent
comme une alternative presque neuve, avec l'avantage de ne pas
avoir à changer de dénomination.
Certes, tout le monde souligne l'importance de la qualité des
relations humaines pour développer l'engagement et assurer du
bien-être au travail. Plus encore ces relations, dans la variété des
situations professionnelles et avec la diversité de leurs
protagonistes, s'imposent comme un facteur déterminant de
performance quelle que soit la qualité des organisations et des
systèmes. Elles ne sont pas une solution mais un problème. Les
politiques de GRH, les managers et chacun dans une organisation
est en partie responsable de l'amélioration permanente de leur
qualité.
Notre conférence a permis de mettre en évidence les enjeux
concrets de ce retour en force de la dimension relationnelle, audelà des mythes et des illusions qui peuvent aisément se
développer à leur propos. En multipliant les approches, les
enseignants et les praticiens apportent des regards neufs pour
stimuler la réflexion des dirigeants et managers et les aider à
aborder les relations humaines dans leur contexte professionnel
avec toujours plus de pertinence et de réalisme.
2
Organisateurs et partenaires
L'AGRH,
Association
francophone
de
Gestion
des
Ressources
Humaines, est une association qui rassemble plus de 1300 enseignantschercheurs francophones en Gestion des ressources humaines. L'objet de
l'AGRH est de promouvoir la recherche, la formation en gestion et
développement des ressources humaines dans la communauté francophone,
en particulier par des rencontres, des travaux et des publications.
Plus d'informations sur www.agrh.fr
L'ANDRH, est, depuis 1947, l'association de référence des professionnels des
ressources humaines. Avec plus de 5000 membres, au cœur de tous les
secteurs d'activité et d’organisations de toutes tailles, publiques et privées,
nationales et internationales, organisée en 80 groupes locaux, elle est la plus
grande communauté de professionnels des ressources humaines en France.
L'ANDRH anticipe et accompagne l'évolution des métiers RH, contribue au
développement de la performance sociale et économique des organisations et
au débat public.
Plus d'informations sur www.andrh.fr
Groupe Xerfi et Precepta : Le groupe Xerfi est aujourd'hui le premier groupe
d'analyses économiques privé en France et le leader des études sectorielles.
Precepta est le département d'études stratégiques du groupe Xerfi. Pour
éclairer le changement et les stratégies innovantes, Precepta décrypte les
inflexions de la concurrence et des business models sectoriels. Xerfi Canal
diffuse chaque jour sur internet des émissions économiques et stratégiques
destinées aux décideurs d'entreprises.
Plus d'informations sur www.xerfi.com et www.xerficanal.com
3
La FNEGE, Fondation Nationale pour l'Enseignement de la Gestion des
Entreprises, a pour mission de développer en France l'excellence de
l'enseignement supérieur de gestion et de favoriser le développement de la
recherche en sciences de gestion. La FNEGE est un lieu d'échanges privilégié
entre les Universités, les Instituts d'Administration des Entreprises (IAE), les
Ecoles de Management et les entreprises. Le Conseil d'Administration de la
FNEGE est paritaire, composé de représentants des pouvoirs publics et
d'entreprises.
Plus d'informations sur www.fnege.org
The Conversation France : The Conversation est un nouveau média en ligne
d'information et d'analyse de l'actualité indépendant, qui publie des articles
grand public écrits par les chercheurs et les universitaires. Notre équipe de
journalistes expérimentés travaille en collaboration avec les universités et les
instituts de recherche afin de diffuser leur savoir vers le plus grand nombre.
L'accès à un journalisme d'expertise authentique et de qualité est un des
piliers de la démocratie. Notre objectif est de permettre une meilleure
compréhension de l'actualité et des sujets les plus complexes. Dans l'espoir
d'alimenter un débat public de meilleure tenue.
Plus d'informations sur http://theconversation.com/fr
4
Introduction du Président de la FNEGE ........................................ 7
Bruno Lafont, Président de la FNEGE
La société émotionnelle :
les RH face aux technologies numériques ................................... 9
Laurent Faibis, Président de Xerfi, chef d’entreprise et économiste
L’enjeu sociétal des relations humaines .................................... 14
Aline Scouarnec, Professeur à l’IAE de Caen et Présidente de
l’AGRH
Les relations humaines au-delà du rêve ..................................... 20
Yasmina Jaïdi, Professeur associé Université Paris II Panthéon
Assas, Directrice du Master Gestion des Ressources Humaines
Internationales du CIFFOP
Les impacts de nouveaux outils collaboratifs sur les relations
humaines / Les exigences de relations humaines pour faire
fonctionner ces nouveaux outils ................................................. 25
Charles-Henri Besseyre Des Horts, Professeur émérite à HEC
Paris
5
Le retour aux théories classiques des relations humaines :
quel regard critique et rétrospectif sur McGregor ou Maslow
des décennies plus tard ............................................................... 30
Pierre Louart, Professeur à l’IAE de Lille
La dimension culturelle des relations humaines ....................... 35
Benoît Serre, DGA – RH Groupe MACIF, Vice-Président national
de l’ANDRH
La dimension juridique et normative des relations humaines . 40
Jacques Igalens, Professeur à l’IAE de Toulouse
La diversité au cœur des relations humaines ............................ 45
Isabelle Barth, Professeur à l’EM Strasbourg
Les relations humaines au cœur du dialogue social ................. 51
Xavier Moulins, DRH Groupe du Groupe Eurotunnel
Conclusion à la matinée ............................................................... 57
Maurice Thevenet, Délégué Général de la FNEGE et Professeur à
ESSEC Business School
6
Introduction du Président
de la FNEGE
Par Bruno Lafont, Président de la
FNEGE
Le Président de la FNEGE est très heureux
de vous accueillir si nombreux ce matin pour
cette conférence sur un thème un peu
provocateur, « Au secours, les relations
humaines reviennent ! » Je me réjouis de
cette manifestation organisée dans le cadre d’un partenariat fécond avec nos
amis de Xerfi, avec l’AGRH Association académique des enseignants
chercheurs en ressources humaines, the Conversation France et l’ANDRH,
l’Association Nationale des DRH, dont je salue le Président.
Nous sommes ici réunis, professionnels des ressources humaines dans les
entreprises ou dans l’enseignement supérieur, et cette rencontre s’inscrit
parfaitement dans le cadre des missions de la FNEGE. L’une d’elles consiste
à rassembler les entreprises et les enseignants autour des grandes questions
de management qui intéressent les entreprises et la société. Nous publions
d’ailleurs régulièrement un baromètre des thèmes de recherche plébiscités par
les entreprises et nous aidons chercheurs et professionnels à travailler
ensemble sur ces thèmes.
C’est dans ce même esprit que nous avons organisé depuis plusieurs années
avec Xerfi la diffusion de vidéos d’enseignants de management pour mettre à
la disposition d’un vaste public de managers les résultats de la recherche trop
7
peu connue et valorisée. Ce partenariat connaît un beau succès et je me
réjouis, cher Laurent Faibis, de la perspective de nos projets communs.
« Au secours, les relations humaines reviennent ! » Ce thème s’est imposé à
nous car la question des relations humaines, pas seulement les
ressources humaines, est un vrai besoin ressenti par les managers des
organisations actuelles, souvent éclatées, soumises à trop de règles et de
processus et pas encore toujours expertes dans le maniement d’outils de
communication qui évoluent plus vite que ne s’apprend leur usage. Certes la
qualité des relations humaines est essentielle dans l’expérience quotidienne
des salariés au travail mais, plus encore, cette dimension relationnelle du
travail relève aussi de la responsabilité sociétale des entreprises : c’est
important pour la FNEGE où nous avons le souci de l’utilité sociale de
l’enseignement du management et de sa responsabilité vis-à-vis de la société
dans son ensemble.
8
La société émotionnelle :
les RH face aux technologies
numériques
Par Laurent Faibis,
Président de Xerfi, chef d’entreprise et
économiste
Je ne suis pas un spécialiste des relations
humaines. Je suis d’abord un économiste, mais
aussi un chef d’entreprise, et c'est à ce titre que je vais m'exprimer. Dans ma
discipline scientifique comme dans ma pratique managériale, je me nourris de
travaux d'études et de recherche. Mais chaque jour, je suis confronté à une
réalité empirique qui va plus vite que la recherche. Une réalité qui me presse de
trouver le bon compromis entre les contraintes économiques d’une PME,
l'impératif de motiver les équipes, tout en naviguant dans le labyrinthe du droit du
travail.
Dans les quelques minutes qui me sont accordées, je voudrais attirer votre
attention sur un signal que je vois clignoter de plus en plus fort ces dernières
années : je veux parler de la fantastique irruption des technologies
numériques, et dans leur sillage, du tsunami des émotions qui envahissent
les relations au travail. Des émotions qui n’ont certainement pas leur place dans
le monde glacial des équations économétriques chères aux économistes.
9
A Xerfi, nous avons depuis 5 ans massivement investi dans le digital. De cette
expérience, je voudrais vous livrer quelques pistes sur de nouveaux impacts
dans les relations humaines en entreprise.
Avec l’invasion numérique, le rôle du management change de nature. Les
tâches répétitives sont progressivement prises en charge par la machine. Quand
j’étais débutant, il fallait une journée pour faire le diagnostic financier d’une seule
société. Aujourd’hui, un ordinateur bien programmé crache en quelques petites
minutes des milliers d'analyses avec leurs commentaires et les graphiques qui
les accompagnent.
Fantastique me direz-vous ! Oui, mais les collaborateurs sont dépossédés de
ces tâches routinières et ennuyeuses qui permettaient de prendre son temps, de
rêvasser, bref de décompresser. Face aux avancées de la machine numérique,
nous sommes pris dans un phénomène de contraction du temps. Il faut aller
toujours plus vite, et presser toujours davantage le jus de cerveau humain pour
qu'il reste compétitif face aux algorithmes.
Quand la machine numérique organise les missions et exécute les tâches
récurrentes, elle devient une véritable prothèse intellectuelle, et même une
prothèse managériale. Autant dire que le rôle de l’encadrement en est
chambardé. Il s’agit désormais de stimuler des talents avec lesquels s’engage
une relation de collaboration bien plus que de subordination. C’est d’ailleurs la
grande promesse du digital, telle que véhiculée par ses apôtres : tous
entrepreneurs, ou au moins tous intrapreneurs.
Cette idée ou peut-être ce mythe du « tous entrepreneurs », doit conjuguer un
paradoxe, issu de la mise en réseau généralisée. D’une part nous sommes
10
entrés dans le monde du partage : on n’a jamais autant parlé d’intelligence
collective, de travail collaboratif, d’accès à la connaissance mutualisée. Mais
d’autre part, jamais le MOI, l’EGO, n’a trouvé autant de ressources pour
proclamer son identité.
Les réseaux sociaux permettent non seulement de se connecter à tous, mais
aussi de peaufiner sa réputation individuelle, de faire de son nom une véritable
marque. Chacun peut désormais chercher la célébrité sur LinkedIn, Facebook ou
Twitter. Cela veut dire qu'au-delà du fantasme du « tous entrepreneurs » pointe
déjà la perspective du « tous mercenaires ».
Disons-le tout net : les esprits managériaux ne sont pas encore entrainés à gérer
ce paradoxe des réseaux, qui combine le chacun pour tous et le chacun
pour soi.
Les managers et leurs équipes ne sont pas préparés à cette
autonomie paradoxale, qui conjugue dépendance et interdépendance, liberté
d’initiative et discipline d’équipe. Comme toute injonction paradoxale, cette
nouvelle exigence est facteur de stress et d’anxiété. C’est encore plus vrai pour
ces générations de digital natives, qui sortent d’un système scolaire directif, où
l’erreur est une faute, la créativité une transgression dérangeante, et le bon élève
formaté le bon exemple à suivre.
Le boomerang des affects est d’autant plus fort que l’enthousiasme et
l’engagement qui est exigé de chacun s’inscrit dans une société de plus en plus
émotionnelle, qui accepte de moins en moins les discours rationnels et normatifs.
D’abord parce les grandes démonstrations analytiques ont perdu de leur prestige
et de leur crédibilité. C'est trop lent, c'est trop froid.
11
Alors, place au règne du storytelling et de la vibration intuitive. On le sait
aujourd'hui : le flair et les outrances de Donald Trump ont été plus efficaces que
les analyses rigoureuses des experts. Les médias, qu’ils soient print ou
numériques, l’ont compris depuis longtemps : l’émotion c'est bon pour le tirage et
l'audimat ; l'émotion est un levier qui fait vendre et voter. Mais il faut y prendre
garde : abuser du levier des émotions dans les relations humaines au travail,
c'est ouvrir la boite de pandore de l’affectif et de l'irrationnel.
Nous devons piloter l’entreprise dans une société émotionnelle. Comment
faire autrement quand s’abolissent les frontières entre vie professionnelle et vie
privée. On tchate sur WhatsApp, règle ses affaires privées et on se défoule sur
un jeu vidéo pendant les heures d’astreinte. Toujours connecté, le domicile de
chacun devient aussi un lieu de travail. Bonnes et mauvaises nouvelles
personnelles ou professionnelles n'ont plus d'espace spécifique.
Avouez que lorsque les smartphones en 4G abolissent les frontières entre
sphère professionnelle et sphère privée, pas facile de respecter le droit du travail.
D’ailleurs la médecine et l’inspection du travail sont en embuscade pour fustiger
les burn-out, cet objet psychiatriquement non identifié. On fait mine d’oublier
que chacun vient dans l’entreprise avec ses névroses, des névroses qui ne sont
plus régulées par un sas affectif, celui de la porte de l'entreprise. De fait, on ne
sait plus identifier les vraies causes du mal-être, et il est bien tentant de rendre
l’entreprise responsable de tout, d’autant plus qu’elle est bankable devant les
prud’hommes.
Oui, cette société digitale, collaborative, connectée, réticulaire, émotionnelle,
open
source,
entrepreneuriale
et
égocentrique
est
lourde
de
défis
révolutionnaires. Pendant tous les débats sur la Loi El Khomri, j’ai vu et entendu
12
des politiques bien sûr, des syndicalistes, des juristes, des économistes
médiatiques. Mais les sciences du management sont restées à la porte des
plateaux de télévision. Face à l’invasion digitale et à la société émotionnelle,
c’est bien le moment de sonner l'alerte : « Au secours, les relations humaines
reviennent ».
13
L’enjeu sociétal des relations
humaines
Par Aline Scouarnec,
Professeur
à
l’IAE
de
Caen
et
Présidente de l’AGRH
Dans le contexte actuel, les incertitudes
croissantes
sur
l'environnement
global
incitent les organisations, qu'elles soient
privées ou publiques, à repenser leurs modes
de management et leurs façons d'appréhender leurs collaborateurs. Les
modes de gestion d'hier ne sont plus suffisants pour piloter les organisations
d'aujourd'hui et de demain. Les approches co-construites entre acteurs
concernés prennent de plus en plus le pas sur les grands modèles du siècle
dernier. Les collaborateurs expriment de plus en plus des attentes nouvelles
auxquelles il faut savoir répondre. L'impact du numérique conduit également à
envisager de nouvelles modalités de travail. Un changement de paradigme
serait en marche...de la modernité, nous passerions à la postmodernité... Ce
changement de monde serait caractérisé par quelques grandes ruptures.
Les grandes ruptures de la postmodernité
On passerait d’une logique de l’individu, interchangeable, à une logique de
personne, au sens de persona, c'est-à-dire du masque, c'est-à-dire du pluriel,
du multiple. Dans cette approche du multiple, le terme de communauté - au
sens de tribus affectuelles - serait également à prendre en compte.
Du travail obligé, source d’intégration dans la société, on passerait à la
14
valorisation de la création, de la réalisation de soi au travers d’une belle
œuvre. Il y aurait un réinvestissement de l’idée de création : l’idée serait de
faire de sa vie une œuvre d’art.
Dans la logique moderne, la recherche de rationalité était centrale, elle a
conduit à la valorisation du modèle de l’ingénieur, incarnation même s’il en
était de cette rationalité au sein de l’organisation. Aujourd’hui, on est à la fois
dans une vision plus globale, plus systémique et corporéiste. On s’intéresse
au corps, au bien-être du corps et de l’esprit dans ces nouvelles démarches
bien souvent regroupées sous le vocable de qualité de vie au travail.
Lié à la logique rationnelle, l’utilitarisme d’hier semble être remplacé par une
sorte d’esthétisation du monde. C’est à la fois la recherche du beau mais
aussi l'idée de partager ensemble des émotions. Aujourd’hui, on revient au
sens premier : tout est bon pour vibrer ensemble ; on baigne dans quelque
chose d’émotionnel.
L’évolution du rapport au temps est également très riche d’enseignement.
Hier, tout reposait sur l’idée du progrès, et bien entendu du progrès technique.
Aujourd’hui, on est dans le moment présent, voire même dans l’instant. Il n’y
a plus de projet au sens de projection.
Ce qui compte alors dans une organisation, c’est de construire et de partager
une vision commune. Si l’on s’intéresse au futur, c’est pour mieux profiter du
moment présent. On comprend alors le regain d’intérêt depuis quelques
années pour la prospective qui est là pour éclairer l’action présente.
De plus, comme le souligne Maffesoli (2013), « après la verticalité du pouvoir,
15
on assiste à son horizontalisation ». Cette lecture sociologique nous permet
de mieux appréhender les ruptures en cours et nous invite à imaginer, à
bricoler de nouvelles solutions de pilotage des personnes et des
organisations.
De la GRH à la gouvernance des personnes
Eh oui, dans ce contexte postmoderne, véritable changement de paradigme...
les relations humaines reviennent... et de la GRH, nous passerions peut être à
une Gouvernance des Personnes et des Organisations.
Des années 60 à aujourd’hui, l’idée même de gestion s’est centrée bien plus
sur l’outillage, la technique que sur la réflexion stratégique. Il conviendrait
aujourd'hui de préférer au vocabulaire de gestion celui de management,
marquant ainsi une différence essentielle, celle de valoriser l’idée du
pilotage.
Certains, préfèreraient même à ce concept de management, réservé au
fonctionnement interne trop souvent, celui de gouvernance, mettant bien en
évidence cette nécessité de regarder aussi bien dedans mais aussi dehors,
autrement dit de s’intéresser aux parties prenantes externes et d’avoir cette
vision systémique.
La gouvernance pourrait alors se résumer à du management et de l’outillage
utilisés ou déployés aussi bien dans l’organisation qu’en dehors de cette
dernière. Cette approche semble particulièrement pertinente aujourd’hui et le
sera encore plus demain dans les nouvelles configurations organisationnelles
qui arrivent.
16
Concernant le vocabulaire RH, et au regard d'une lecture sociologique
renouvelée, nous préférons utiliser le terme de Personne. Nous considérons
en effet, que le management ou la gouvernance des personnes va devenir un
enjeu central dans nos organisations.
La personne, qui vient de « persona », invite à s’intéresser à la personne dans
sa globalité et pas seulement au regard de ses diplômes ou de ses
expériences.
Au niveau individuel, il s’agit d’accompagner le collaborateur dans sa
trajectoire professionnelle, dans son projet professionnel et de plus en plus
dans son projet de vie. Il convient alors d’être à l’écoute, de développer des
postures d’empathie pour comprendre et accompagner chacun dans
l’organisation ou même en dehors.
Au niveau collectif, il s’agit de penser de nouvelles segmentations du
personnel afin d’identifier des tribus, des communautés de pratiques ou
métiers, des groupes ou segments ayant des particularités nécessitant un
pilotage particulier.
Besoin de nouvelles approches et de nouveaux outils
Le développement des compétences, des talents aussi bien sur un plan
individuel que collectif va nécessiter de nouvelles approches et outils, en
partie grâce à une digitalisation bien pensée.
Dans ces collectifs, une nouvelle conception du dialogue social serait
certainement à imaginer, beaucoup moins centrée sur les syndicats et
beaucoup plus sur les nouvelles communautés stratégiques.
17
Utiliser et valoriser le vocabulaire de « Personne », c’est finalement
reconnaitre la nécessité de la prise en compte de la dimension humaine voire
humaniste nécessaire au bon fonctionnement de l’organisation. Dans cette
conception, les questions d’éthique, de déontologie et de responsabilité
devront également être appréhendées !
Trop souvent oubliée des réflexions RH, l’organisation doit et devra également
être au centre des réflexions sur le travail. Il convient de penser un
management du travail ou une gouvernance du travail mettant en avant
l’intérêt porté au fonctionnement de l’organisation, au « comment travailler »
et au « où travailler ».
Il s’agit tout d’abord de prendre en compte la nécessité de bien connaitre les
fonctionnements organisationnels pour mieux appréhender les solutions
managériales
de
demain.
Les
compétences
en
diagnostics
organisationnels, en démarche prospective de type Vision pour demain, en
audit social seront les fondamentaux avant de construire une stratégie de
pilotage des personnes et des organisations.
Les questions de conditions de travail et plus globalement d’environnements
de travail sont des questions clés. Il y aura lieu tout d'abord de penser les
organisations de demain, plus petites, plus agiles, plus en réseau, plus
territorialisées etc.
Il faudra également construire les nouvelles formes de reconnaissance
(salaire et autres) les plus adaptées à ces nouvelles configurations
organisationnelles, et pour être en capacité de bien évaluer et mesurer
18
l'ensemble des risques sociaux et numériques auxquels l'organisation devra
faire face.
Bien entendu, cette réflexion sur le travail intègre à la fois les questions de
digitalisation, de big data, et de lieu et formes de travail (télétravail, ubérisation
entre autres).
Dans cette conception du management du travail, la question essentielle est
liée au travail et à ses représentations. D'une vision ancienne "tripalium", le
travail pourrait également être appréhendé dans une dimension plus positive
de "plaisir et de réalisation de soi".
En synthèse, et pour conclure provisoirement… S'il y a changement de
paradigme, c’est pour
repositionner la fonction RH ou Gouvernance des
Personnes et des Organisations là où elle aurait toujours dû être : une fonction
centrale, une fonction de direction générale. Alors nous pouvons l'affirmer, si
les relations humaines reviennent, la Gouvernance des Personnes et des
Organisations aura un rôle clé à jouer !
19
Les relations humaines
au-delà du rêve
Par Yasmina Jaïdi, Professeur associé
Université Paris II Panthéon Assas,
Directrice
du
Master
Gestion
des
Ressources Humaines Internationales
du CIFFOP
Il est un rêve dont tout le monde parle
aujourd’hui, celui de l’entreprise libérée. La
presse se fait l’écho d’entreprises dotées de pratiques managériales
nouvelles. Les dirigeants de FAVI, Chronoflex ou Poult partagent leurs
expériences respectives dans les médias, les conférences, et proposent leurs
conseils à qui souhaite transformer ses méthodes de d’organisation et de
management. Des ouvrages ont aussi popularisé le modèle : Isaac Getz et
Brian M. Carney avec Liberté et Cie, Frédéric Laloux avec son ouvrage intitulé
Reinventing Organizations, ou encore Gary Hamel au travers de La fin du
management : inventer les règles de demain. Les chercheurs en gestion,
enfin, s’intéressent également à ce phénomène en décortiquant les
caractéristiques de ces entreprises. On citera ici les travaux de Damien
Richard et Christian Defélix ou ceux de Patrick Gilbert, récemment présentés
au congrès de l’Association de Gestion des Ressources Humaines à
Strasbourg en octobre 2016.
Qu’est-ce qu’une entreprise libérée ?
Comment ces travaux caractérisent-ils ces entreprises libérées, qui font tant
rêver certains ? Ces entreprises partagent, par essence, des principes
20
fondamentaux. Pour elles : 1) l’être humain est fondamentalement bon, 2) la
performance d’une entreprise trouve sa source dans la base, 3) l’innovation
est l’affaire de tous, 4) la confiance donne plus de résultats que le contrôle.
L’application de ces principes conduit à drastiquement réduire les niveaux
hiérarchiques, à supprimer les fonctions support, à élargir la participation à
tous les niveaux de l’entreprise et à entamer une réflexion profonde sur le rôle
des dirigeants, alors tenus de lâcher prise sur les décisions opérationnelles,
pour se consacrer à la qualité de l’environnement de travail. Ces entreprises
ont ainsi revisité les principes du management hérités du passé. Elles ont fait
d’un rêve, une réalité souvent perçue comme révolutionnaire.
Pour autant, ce rêve n’est pas nouveau. Depuis longtemps, des théoriciens et
penseurs
cherchent
à
remettre
en
cause
les
principes
tayloriens
d’organisation du travail. Dès 1934, époque où l’Ecole dite des « Relations
Humaines » est en plein essor, le syndicaliste français Hyacinthe Dubreuil
publiait un ouvrage qui fait étrangement écho aux préoccupations des
entreprises aujourd’hui : A chacun sa chance, l’organisation du travail fondée
sur la liberté. Plus tard, les mouvements autour de l’autogestion, les travaux
de Philippe Bernoux, auteur en 1982 d’Un travail à soi – Pour une théorie de
l’appropriation du travail, iront aussi dans le sens d’une autonomie
grandissante des salariés.
Les grandes entreprises aussi font évoluer leurs pratiques
Rien de neuf, donc, sous le soleil de l’entreprise libérée. Mais pourquoi ce
rêve, transformé en réalité par certains, fait-il autant de bruit ? Peut-être
répond-il à un besoin du moment en catalysant des idées qui, certes, viennent
de loin, mais trouvent aujourd’hui un écho réel. Sens partagé, collaboration,
reconfiguration permanente des équipes, temps de travail flexible, créativité.
21
Ces entreprises sont des organisations apprenantes. Il y a là le plaisir de
travailler1, le sentiment d’apprendre chaque jour quelque chose.
Il y a aussi, dans ce rêve devenu réalité, un défi pour nombre de grandes
d’entreprises qui observent aujourd’hui le phénomène avec intérêt, voire avec
envie. La prochaine « frontière » de ce mouvement concerne sa capacité à
être diffusé dans de grands groupes. Mais qu’en est-il des pratiques
managériales dans les grandes entreprises aujourd’hui ? Sont-elles prêtes à
« libérer leur management » elles aussi ?
Je mène actuellement avec Frank Bournois, Directeur Général d’ESCP
Europe et Ezra Suleiman, Professeur à l’université de Princeton aux EtatsUnis,
une
recherche
sur
les
pratiques
managériales
des
grandes
multinationales françaises. Nous interrogeons près de 3000 managers non
français, dans 20 grands groupes du CAC 40, partout dans le monde, avec
des niveaux de maturité variés, du jeune manager au cadre dirigeant. Tous
partagent le fait de travailler au siège ou dans une filiale d’un grand groupe
français. Nous leur demandons de parler des managers français avec qui ils
travaillent au quotidien. Voici une brève synthèse du portrait qu’ils dressent du
management à la française aujourd’hui.
Contre toute attente, à l’heure où le « french bashing » est de mise, ces
managers apprécient de travailler dans les grandes entreprises françaises, car
elles placent, selon eux, l’humain, et les relations humaines, au centre de
leurs préoccupations. Elles font grandir leurs collaborateurs, créent un cadre
1
En référence à l’ouvrage de Maurice Thévenet, Le plaisir de travailler – Favoriser l’implication des personnes, Editions
d’Organisation, 2004.
22
de travail formalisé, tout en sachant s’en affranchir, si besoin, pour plus
d’innovation.
Les managers français, moins autocrates mais toujours méfiants
Ces grandes entreprises ont donc, elles aussi, su faire évoluer leurs pratiques
et rendre ainsi caduque une partie de l’héritage du passé. Elles allient
aujourd’hui le sens de la performance et l’humanisme, promeuvent la
créativité et l’esprit entrepreneurial au nom de pratiques managériales
renouvelées.
Elles transforment aussi le rapport à la hiérarchie, dans un contexte où
traditionnellement, la distance au pouvoir est grande en vertu de longs siècles
d’histoire. Le manager français comprend désormais qu’il ne peut plus
fonctionner seul avec une approche autocratique. Le style à la française se fait
plus accessible, plus ouvert, pour plus d’efficacité.
Bien sûr il reste des défis à relever. Le premier concerne le processus
décisionnel qui demande à être clarifié. Dans les entreprises françaises, plus
qu’ailleurs, décider prend du temps. Les débats se diluent entre des acteurs
multiples. Le style décisionnel à la française déroute les managers étrangers
qui y sont confrontés.
Un second défi relève de la capacité des managers français à faire confiance
à l’inconnu. Nous revenons là sur une hypothèse fondamentale de l’entreprise
libérée. Nombreuses sont les situations dans lesquelles les managers
internationaux expriment le sentiment de ne pas pleinement bénéficier de la
confiance de leurs homologues français. Le parcours de formation des cadres
marque déjà une séparation entre ceux qui sont passés par les bancs des
23
grandes écoles françaises et ceux qui n’y étaient pas. Il y a aussi les réunions
où l’on a le sentiment de ne pas faire entendre sa voix et la progression de
carrière dont les arcanes sont relativement impénétrables. La confiance n’est
pas toujours au rendez-vous alors que le monde extérieur plaide pour des
organisations agiles.
L’entreprise libérée, une simple mode ?
Comment, dès lors, libérer la grande entreprise pour faire de ce rêve une
réalité pour elle aussi ? La confiance, là encore, joue ici un rôle clé. Il faut
repenser les modes de fonctionnement en remplaçant le jugement et la
méfiance par l’inclusion du plus grand nombre. Il faut arriver en France à
considérer ce qui est différent comme une source d’enrichissement et
d’apprentissage, pour une capacité d’action renouvelée.
Ainsi donc, de la petite à la très grande entreprise, ce rêve de l’entreprise
libérée attire mais mérite aussi de plus amples recherches, pour ne pas virer
au cauchemar. Ces nouvelles méthodes de management réclament en effet
un fort engagement affectif de la part des salariés, qui pourrait ne pas être
sans incidence sur les questions de santé au travail. Quelles sont les
conditions pour qu’un individu s’adapte à un tel système ? Sa généralisation
est-elle possible et souhaitable ? N’est-ce pas là un eldorado qui tournera au
mirage d’ici peu, à l’image des modes managériales qui se succèdent ? Autant
de questions ouvertes qui restent à approfondir.
24
Les impacts de nouveaux
outils collaboratifs sur les
relations humaines
Les exigences de relations
humaines pour faire
fonctionner ces nouveaux
outils
Par Charles-Henri Besseyre Des Horts,
Professeur émérite à HEC Paris
Tous les observateurs, académiques et praticiens, s'accordent aujourd'hui à
reconnaître que la révolution digitale est bien plus que la mise en œuvre
d'outils technologiques pour certains "disruptifs", comme les imprimantes 3D à
l’origine du mouvement des « Fab Labs » ou la réalité augmentée permettant
à des opérateurs de réparer des machines sans en avoir même les plans. Elle
porte en effet en elle la remise en cause des fondements du travail et de
l’organisation qui ont fait le succès du modèle de l'entreprise depuis plus d'un
siècle.
Numérique, mutation du travail et des organisations
Sur le plan du travail, tout d'abord, la révolution digitale est susceptible de le
rendre plus virtuel, plus connecté et plus nomade avec la banalisation de
l'usage des smartphones depuis une dizaine d'années, plus instantané et plus
flexible, permettant à l'entreprise de devenir plus agile, et enfin plus
25
transparent et plus collaboratif avec la généralisation de la mise en œuvre
d'outils tels que les réseaux sociaux d'entreprise.
Sur le plan de l'organisation, ensuite, la révolution digitale est susceptible de
détruire les silos qui caractérisent trop souvent l'entreprise, de casser les
hiérarchies en renversant les structures traditionnelles de pouvoir et de de
savoir, et de briser les frontières temporelles et géographiques de l'entreprise
en réduisant considérablement les coûts de transaction.
Re-taylorisation, précarisation
Mais tous ces effets, pour la plupart très positifs, de la révolution digitale, ne
cachent-ils pas des zones d'ombre largement occultées par ses ardents
défenseurs ? Comment ne pas reconnaître, par exemple, les risques de
précarisation et de re-taylorisation du travail avec le développement de
plateformes offrant des services aux particuliers et entreprises ?
De même, l'organisation digitalisée n'est-t-elle pas source de tensions
nouvelles dans la mesure où l'innovation technologique, dans un certain
nombre de cas, prend assez peu en compte le système social qu'est
l'entreprise, oubliant ainsi les principes fondateurs de l'Ecole SocioTechnique ?
En
s'intéressant
maintenant
à
certains
des
outils
parmi
les
plus
emblématiques de cette révolution digitale - les outils collaboratifs –, nous
allons tenter de montrer comment ils impactent, positivement et négativement,
les relations humaines entre les acteurs de l'entreprise, et quelles peuvent
être, face à ces constats, les exigences de relations humaines pour permettre
à ces outils de tenir leurs promesses.
26
Les impacts positifs
Mais auparavant il semble nécessaire de clarifier ce que sont précisément ces
outils : en dehors du courrier électronique, premier outil collaboratif né il y a
plus de deux décennies avec Internet, il faut mentionner les outils traditionnels
de partage de connaissance, de conversation instantanée – les fameux chats
– et plus récemment les applications comme WhatsApp ou WeChat en Chine,
les réseaux sociaux publics comme Facebook et Linkedln, les réseaux
sociaux d'entreprise à l'image de Yammer ou Chatter… Cette liste n'est
évidemment pas limitative car la créativité de start-ups, comme Zewaow ou
Beclips en France, est sans limites pour proposer aux entreprises, petites et
grandes, des solutions collaboratives toujours plus innovantes.
Parmi les impacts très positifs de ces outils collaboratifs sur les relations
humaines on peut citer, entre autres :
 la facilitation, voire la possibilité nouvelle, de communication
instantanée ou asynchrone entre les acteurs internes et externes de
l'entreprise,
 la création de communautés de travail ou d'intérêts partagés en
dehors des structures traditionnelles traduisant ainsi dans la réalité
l'organisation informelle mise en évidence par de nombreux chercheurs
depuis les travaux pionniers d'Elton Mayo,
 l'identification et la valorisation de personnes ayant des talents non
mobilisés ou cachés dans les systèmes traditionnels de management
des talents mis en œuvre par les DRH,
 la capacité de développer l'innovation en mettant en relation les
acteurs internes et/ou externes
sur des projets qui peuvent être
disruptifs pour l'entreprise,
27
 le rassemblement des personnes autour d'une vision relevant du bien
commun tout en réduisant, dans la mesure du possible, les inévitables
jeux politiques internes par le développement d'une plus grande
transparence dans les relations entre les acteurs.
Les impacts négatifs
Mais face à cette vision un peu idyllique de l'impact des outils collaboratifs sur
les relations humaines dans l'entreprise, il faut bien, comme l'exige la posture
du chercheur, mettre l'accent sur certains impacts potentiellement négatifs de
ces outils. Les outils collaboratifs risquent, en effet, entre autres :
 de mettre en difficulté des personnes ou des groupes qui ne sont pas
disposés, pour des raisons légitimes, à collaborer conduisant à une
nouvelle forme de fracture numérique,
 de transformer la transparence attendue des échanges en une
injonction à tout révéler ce qui peut être en définitive nuisible au
fonctionnement harmonieux de l'entreprise,
 de faire émerger de nouveaux jeux de pouvoir entre des acteurs
sachant, pour certains d'entre eux, beaucoup mieux gérer leur eréputation notamment par leur niveau de centralité dans les réseaux
collaboratifs,
 de créer de nouveaux clans avec l'apparition de communautés hors du
contrôle de l'entreprise et pouvant résulter dans des situations de
communautarisme très éloignées de la notion de bien commun.
Les conditions du succès des outils collaboratifs
A la suite à ces constats, quelles peuvent être alors les exigences sur le plan
des relations humaines pour assurer le succès de la mise en œuvre des outils
28
collaboratifs dans l'entreprise ? On peut en citer cinq sans en exclure d'autres
qui seraient plus spécifiques du contexte :
 toujours considérer que la technologie n'est qu'une condition
nécessaire mais jamais suffisante pour renforcer la collaboration eu sein
de l'entreprise, la dimension des relations humaines représente cette
condition suffisante,
 prendre en compte le fait que l'on ne décrète pas la nécessité de
collaborer dans l'entreprise, encore faut-il que le corps social en soit
convaincu ce qui se suppose un travail important préalable sur le plan
des relations humaines,
 s'assurer que la mise en place des outils collaboratifs s'appuie sur une
démarche de gestion du changement en apportant des réponses aux
questions classiques d'une telle démarche : pourquoi ? qui ? comment?
et quand ?,
 montrer, par l'exemplarité des comportements des dirigeants, que la
collaboration est pratiquée au plus haut niveau de l'entreprise,
 renforcer les pratiques collaboratives entre les acteurs par des
dispositifs RH cohérents : recrutement, formation, évaluation,
rémunération, carrières…
Pour conclure, la collaboration n'est pas naturelle dans l'entreprise même
avec les plus beaux outils digitaux. Seule, la qualité des relations humaines au
sein de l'entreprise peut faire la différence entre le succès et l'échec des outils
collaboratifs. C'est ce qu'avait bien compris le dirigeant la société Indienne
HCL Technologies, Vineet Nayar, lorsqu'il a entrepris en 2005 la
transformation profonde de son entreprise décrite dans son best-seller
Employees First, Customers Second.
29
Le
retour
classiques
humaines :
aux
des
théories
relations
quel
regard
critique et rétrospectif
sur McGregor ou Maslow
des décennies plus tard
Par Pierre Louart, Professeur à l’IAE de Lille
Dans trop d’entreprises aujourd’hui, la GRH est devenue de la gestion des
fichiers individuels, des emplois et de la masse salariale. Les services RH sont
face à leurs écrans, pas en face à face avec des personnes. Trop d’entre eux
(pas tous) méconnaissent le vécu profond des gens qui travaillent. Ils
s’occupent avant tout des activités, des performances et des obligations
légales en matière de gestion. Ils font de la régulation sociale (en évitant
certains risques) ou des arbitrages entre contributions et rétributions.
Revenir à une lecture plus subjective et relationnelle
A force de ne plus rencontrer les personnes dans ce qu’elles sont, dans leurs
désirs, leur projets, leur présence, on obtient des résultats dangereux. A petit
niveau, l’état des gens est proche de ce qu’on observe un peu partout dans le
monde à l’occasion des élections. Ils vont vers ceux qui leur parlent, même si
c’est trop souvent de l’illusion ou du faux-semblant.
30
Quelqu’un « qui nous parle », ce n’est pas forcément quelqu’un à qui on parle,
c’est quelqu’un dont on a l’impression qu’il ressent les mêmes choses que
nous, et à qui on pourrait se confier ou partager nos difficultés, nos
inquiétudes ou nos souhaits.
La GRH s’est désintéressée de l’organisation (« comment les gens
travaillent ») au profit de la gestion de stocks (« de quelles compétences je
dispose ») et du contrôle de gestion (« de quelle façon optimiser mon budget
»). De même, elle s’est éloignée des personnes, pour s’intéresser à des
tableaux de bord et à des procédures.
Il est temps de revenir à une lecture plus subjective des attentes, plus
relationnelle aussi, en renouant avec la force des échanges interpersonnels,
et avec le plaisir à se parler au travail (en discutant du travail et un peu du
reste aussi).
Il faut retrouver la subjectivité, non pour la manipuler (la « coacher »), mais
pour la reconnaître et l’aimer telle qu’elle est.
L’approche par les besoins
Derrière les désirs qu’expriment les personnes, derrières leurs envies
affichées, leurs attentes ouvertes ou secrètes, il y a des besoins. Ces besoins,
il faut pouvoir les comprendre et y répondre, indépendamment des processus
cognitifs par lesquels s’organisent les motivations individuelles.
Or, cette approche par les besoins a été largement traitée, en gestion, à
l’époque où on s’y intéressait. Des chercheurs comme MC GREGOR,
MASLOW, HERZBERG ou ALDERFER en ont parlé dans des ouvrages qui
31
ont eu leur heure de gloire, et qui ont connu des diffusions parfois
extraordinaires pour des livres traitant de psychologie ou de management.
Même si leurs travaux sont en partie contestables, ils apportent des résultats
toujours efficaces aujourd’hui, et dont on ferait bien de s’inspirer en GRH.
Leurs conclusions sont d’ailleurs plus subtiles, en les lisant dans leur texte,
que ce qu’en disent les diffuseurs traditionnels, prompts à réduire la pensée
de ceux dont ils s’inspirent, en la résumant pour l’un à une pyramide
(MASLOW), pour les autres à une différenciation entre deux visions a priori de
l’homme
(MC
GREGOR)
ou
deux
types
d’agents
motivationnels
(HERZBERG).
Que nous dit encore Maslow aujourd’hui ?
Grâce à son expérience de clinicien, il a montré que l’être humain devait
répondre à des niveaux différenciés de besoins. Certains sont plus pressants
et plus immédiats que d’autres, du moins pour la plupart des gens. D’autres
ne peuvent s’installer qu’après avoir satisfait en partie les premiers, bref dans
un environnement satisfaisant.
Par exemple, pour soutenir les salariés dans leur besoin d’affirmation et de
réalisation personnelle, on doit d’abord les mettre en sécurité (à un niveau
suffisant). La forte augmentation actuelle des risques économiques et sociaux
n’est donc pas favorable. La sécurité passe par des besoins de survie
(manger correctement, dormir convenablement, répondre aux exigences de
son corps), mais aussi par un minimum de sérénité psychique (ne pas vivre
dans l’inquiétude des autres, être apaisé sur son devenir à court terme – en
tout cas dans son contexte de travail, disposer d’une ambiance affective où
peuvent se développer la confiance et la coopération).
32
Les apports de Mc Gregor et Herzberg
De son côté, MC GREGOR nous rappelle l’importance des prophéties
créatives. Ce que nous projetons sur les autres contribue à façonner leur
évolution. Nous devons être attentifs à ce que nous croyons des autres, à ce
que nos pensées (parfois sommaires) produisent sur nos comportements. Si
nous estimons que les gens sont passifs ou peu enclins à se responsabiliser
(théorie X), nous insistons sur la surveillance et l’évaluation formelle. Nous
devenons les esclaves de l’audit et du contrôle de gestion. Au contraire, si
nous pensons que les gens sont capables d’autonomie, d’initiatives et de
projets (théorie Y), nous les encourageons à l’action, nous les aidons à
devenir créatifs et bâtisseurs. Nous mettons en application des logiques
d’entreprises apprenantes, ouvertes ou « libérées ».
Enfin, HERZBERG nous fait comprendre qu’il y a deux types de besoins (« ne
pas être insatisfait », « avoir envie de se mobiliser »). Ils ont des effets très
différents sur les personnes et leurs comportements. En répondant aux
premiers besoins (par des actions sur le contexte et les conditions de travail,
ou encore sur les rémunérations de base), on ne réagit qu’à des risques
d’insatisfaction. Au contraire, en aidant les personnes à se développer, à
prendre des responsabilités ou à être reconnues dans ce qu’elles font, on
active leur mobilisation. D’un côté, on diminue leurs maux, de l’autre on
augmente leur potentiel d’êtres humains.
Comprendre et articuler les besoins et les motivations
Malgré leurs excès idéologiques, ces auteurs sont attachants, car ils ont
construit des modèles
dynamiques pour comprendre et respecter les
motivations. Ils ont créé de la régulation entre les besoins des personnes, et
33
ils ont réfléchi à des modèles de développement individualisé en milieu
professionnel.
Ce faisant, ils ont aussi cherché à être des soigneurs d’âme. Dans ce monde
actuel qui réclame du respect, de l’attention et de la considération, ils offrent
un moyen de retrouver le chemin des personnes, de regarder qui elles sont,
ce qu’elles expriment, en tâchant de mieux répondre à leurs besoins.
Pour ceux qui sont intéressés par la pensée de MASLOW et de HERZBERG,
je vous renvoie à un article que j’ai écrit il y a une quinzaine d’années (2002),
et qui est toujours disponible gratuitement sur Internet : « MASLOW,
HERZBERG et les théories du contenu motivationnel ».
34
La dimension culturelle
des relations humaines
Par Benoît Serre, DGA – RH Groupe
MACIF,
Vice-Président
national
de
l’ANDRH
Evoquer la culture d’une entreprise c’est faire
appel certes à l’histoire mais aussi à
l’organisation, au management, aux valeurs
et aux convictions partagées ou dont on
souhaite qu’elles le soient. Evoquer la culture d’une entreprise c’est convoquer
la logique collective, le destin commun et le sens partagé.
Partant de cette approche ou de ce postulat, quelle fonction dans l’entreprise
est plus collective que les ressources humaines, dont les défis multiples se
rassemblent autour d’un seul : faire travailler des personnes ensemble. Après
tout, les relations humaines dans l’organisation relèvent un défi quotidien qui
est de faire vivre ensemble toute la journée des personnes qui n’ont pas choisi
d’être ensemble plusieurs heures par jour. Déterminer quel est l’équilibre
subtile qui consiste à leur faire accepter cette réalité, à la rendre compatible
individuellement et collectivement avec les aspirations des hommes et des
femmes
et
les
attentes
légitimes
de
l‘organisation,
qu’elles
soient
économiques ou pas.
La culture d’entreprise est un pivot
La culture d’une entreprise n’est pas une donnée statique. Elle peut être
symbolisée par une charte, un modèle de valeurs, des rites, mais
35
fondamentalement elle ne peut être que mouvante dans le sens du
mouvement. Elle est en effet soumise à nombre de forces externes comme
l’inter-générationnelle, l’organisation du travail, le dialogue social, la
transformation digitale, la conception du client, les comportements des
concurrents, les orientations des dirigeants, les évolutions de marché ou
d’actionnariat... La culture d’entreprise est un pivot autour duquel tournent tant
d’éléments que la conserver relève du défi.
Elle fait aussi partie intégrante des éléments de réassurance interne en
période de transformation et peut jouer le rôle de bouée de sauvetage aux
réfractaires du changement, inquiets de projets qui remettraient en cause leur
culture ou ce qu’il croit être le fondement de leur entreprise. Elle peut aussi
être fort utile aux porteurs du changement car elle permet de s’y accrocher
comme un élément de permanence protecteur pour ne pas aller trop loin dans
la perturbation, la remise en cause parfois même pour démonter la pertinence
du changement proposé par rapport à la culture de l’entreprise.
Le rapport parfois rationnel, peut être irrationnel avec la culture d’entreprise à
qui on fait jouer tous les rôles ; certains allant même jusqu’à l’autoproclamer
immuable et à soumettre au procès de la trahison ceux et celles qui changent
et font évoluer.
Le DRH se doit de la faire vivre
Pourtant, pour exister et pour se différencier, une culture d’entreprise se doit
d’être vivante car elle traduit dans le temps une part de la dynamique
d’organisation, de son innovation comme de sa modernité ou son adaptation.
Edouard-Malo Henry, DRH du Groupe Société Générale, a une jolie formule :
« la fonction RH s’occupe du vivant dans l’entreprise ». Dans le monde tout
36
digital que certains semblent préparer, appeler de leurs vœux ou redouter,
cette affirmation raisonne et fait porter une responsabilité sur les ressources
humaines.
Partant de là, que le DRH impacte la culture d’entreprise est une évidence
parce qu’il a en charge ses acteurs principaux, parce qu’il a la responsabilité
du fonctionnement des relations humaines, leur constance comme leur
bienveillance, leur efficacité comme leur coût dans une entreprise.
Comme tout collaborateur il est un acteur de cette culture, mais comme
dirigeant il en est aussi le dépositaire, le défenseur bien que parfois perçu
comme l’un de ceux qui la remettent en question au gré des projets de
transformation qu’il porte ou défend par fonction.
A n’en pas douter, les relations humaines sont donc affaire de culture parce
qu’elles la créent, la modifient, la font grandir et changer et si l’on n’y prend
pas garde, elles peuvent la détruire.
Peut-on dès lors considérer que la manière de gérer les relations humaines
oriente ou influence la culture ?
La manière de gérer les relations humaines influence la culture
A cela il faut sans doute répondre par l’affirmative, mais de manière diffuse et
partagée. Bien évidemment une culture ne se décrète pas, elle peut
éventuellement se décrire mais peut-elle s’écrire ? Si oui, ce serait sa fin car
elle deviendrait un objet statique, désincarné, une sorte de dogme destiné à
être respecté et non à évoluer.
37
Par nombre de décisions, la fonction ressources humaines influe sur la culture
directement ou indirectement. Par exemple, le choix d’un dirigeant,
l’orientation de management, le modèle de dialogue social, la stratégie de
compétences, le volontarisme sur les évolutions de carrière, la préférence à
l’interne, la promotion par le terrain, l’enrichissement par l’externe, la
formation, la communication interne. Tous ces éléments, consubstantiels des
relations humaines car ils les fondent ou les organisent, impactent la culture
d’entreprise puisqu’ils concernent ses acteurs.
Multiples sont donc les décisions que le DRH prend sur la base de sa fonction
stratégique et qui vont impacter, modeler et même parfois changer la culture
d’une organisation.
Parfois les choix stratégiques RH présentent les mêmes caractéristiques qui
se confrontent avec « l’impatience » du business. Ne pas tenir compte de
certaines réalités culturelles d’entreprise peut d’une part réduire l’efficacité
d’une décision économique mais aussi tordre certains principes ancrés dans
l’inconscient collectif, qui pourraient provoquer un cabrage du corps social,
plus par incompréhension que par attachement à un corpus de règles non
dites et immuables.
La culture d’entreprise comme relais de la culture client
Est-ce à dire que l’exigence économique s’oppose au respect de la culture
d’entreprise ? Évidemment non, pas plus que la direction financière ne
s’oppose à la direction des ressources humaines. C’est une approche
complémentaire qu’il faut privilégier car rien ne serait pire que d’opposer
culture d’entreprise et performance… Ce serait servir l’argument des
opposants structurels à la transformation nécessaire.
38
D’ailleurs, faire évoluer la culture d’une entreprise par une politique RH peut
se révéler un juste relais d’une stratégie business. L’exemple le plus parlant
est évidemment la recherche d’une culture « client centric ».
Chacun a ou aura à répondre à cet enjeu : il faut renforcer, changer, instaurer,
imposer une culture client.
La machine interne se met alors en marche : assez rapidement, on tombe sur
des questions de formation, de recrutement, de dynamique managériale, de
communication interne, d’impulsion collective… Autant de leviers d’actions qui
relèvent de la fonction RH.
Une construction dans le temps, fondée sur les relations humaines
La reconnaissance comme l’évolution d’une culture d’entreprise ne saurait
être donc qu’un temps long et parfois même imperceptible qui se construit
dans le temps sans pouvoir affirmer à un moment ou à un autre que ça y est,
nous avons une culture d’entreprise ou nous l’avons rénovée. Elle a
nécessairement une part de tradition orale, la référence à certaines personnes
qui ont marqué l’organisation par leur qualités, leur management, leurs
personnalités, leurs choix. Après tout, la culture d’entreprise ne s’apparenterait
elle pas aussi au « roman d’entreprise », à l’instar des Nations et de leur
propre roman ?
Au final, si les relations humaines ne sont pas à l’origine de la culture, elles
fondent son évolution, sa traduction perceptible.
Elles en sont le dépositaire parce qu’elles en sont le lien comme le moyen
d’expression.
39
La dimension juridique
et normative des relations
humaines
Par Jacques Igalens, Professeur à
l’IAE de Toulouse
La gestion des relations humaines existe dès
le premier salarié, et avec elle la dimension
juridique puisque ce salarié bénéficie de
droits que son employeur ne peut ignorer. Les obligations de l’employeur
croissent avec l’augmentation du nombre de salariés et, en France, par l’effet
des franchissements de seuil, elles atteignent assez rapidement un volume
considérable.
L’inflation du droit social
Pour ne prendre que trois exemples très récents on peut citer l’entretien
professionnel, la pénibilité et le CPA. Tous les 2 ans, l'entretien
professionnel est un rendez-vous obligatoire entre le salarié et l'employeur. Il
est destiné à envisager les perspectives d'évolution professionnelle du salarié
et les formations qui peuvent y contribuer. Si le salarié n'a pas bénéficié au
cours des 6 dernières années des entretiens professionnels prévus et d'au
moins deux actions de développement, son compte personnel de formation
(CPF) est crédité à hauteur de 100 heures.
Concernant la pénibilité, toute entreprise doit prévenir la pénibilité au travail,
quelles que soient sa taille et ses activités. Lorsqu'un salarié est exposé à des
facteurs de pénibilité au-delà de certains seuils, l'employeur doit établir une
40
déclaration. Le salarié bénéficie alors d'un compte personnel de prévention de
la pénibilité sur lequel il peut accumuler des points.
Enfin au premier janvier 2017, tout salarié pourra ouvrir son CPA pour
accéder à ses droits et les mobiliser de façon autonome.
Ces trois exemples récents montrent, s’il en était besoin, l’imagination et la
fertilité du législateur en matière de droit social. Aucun recoin des relations
sociales ne semble échapper à sa vigilance, dès l’embauche et jusqu’au terme
de la relation de travail, il détaille et modifie sans cesse les obligations qui
incombent à l’employeur. Même si certains commentateurs exagèrent parfois
l’épaisseur du code du travail en agrégeant le texte et ses commentaires, il
n’en reste pas moins que la France se distingue des autres pays par une
minutie juridique à nulle autre pareille en matière de régulation des relations
sociales.
Ce constat appelle une double interrogation. La première consiste à se
demander si nous n’allons pas trop loin et si nous n’entrons pas trop dans les
détails. La seconde interrogation a trait à la normalisation non juridique, c’està-dire à l’application volontaire de dispositifs techniques relatifs aux relations
sociales. Reste-t-il une place pour de tels dispositifs dans un environnement
saturé par le droit ?
Trois pas vers la simplification
Concernant la première interrogation relative au volume et à la complexité des
obligations sociales, le gouvernement actuel a pris trois initiatives.
Il a rédigé une ordonnance datée du 26 juin 2014 portant simplification et
adaptation du droit du travail. La simplification concerne essentiellement
41
des obligations d’affichage à la charge de l’employeur et des obligations de
transmission de documents à l’administration.
C’est le même souci de simplification qui l’a conduit à demander à l’ancien
directeur du travail du Ministère du Travail un rapport pour réformer le droit
social. Jean-Denis Combrexelle a ainsi proposé de limiter le caractère
impératif de la loi à quelques règles d'ordre public social - par exemple les 48
heures de durée maximale de travail par semaine en matière de temps de
travail, le SMIC en matière de salaires -, et de renvoyer le détail au niveau des
branches ou au niveau des entreprises. Pour freiner le flux incessant et
souvent désordonné de textes législatifs, l’auteur du rapport proposait
également « l'application du principe selon lequel toute disposition nouvelle du
Code du travail doit être gagée par l'abrogation d'une disposition devenue
obsolète du même code ».
Avec la loi travail dite « Loi El Khomri », le gouvernement de Manuel Valls a
fait, non sans grandes difficultés, un pas dans la direction du renversement de
la hiérarchie des normes juridiques mais en la limitant à un petit nombre de
sujets. En revanche il n’a pas retenu les propositions destinées à limiter
l’obésité juridique. Enfin, le Premier ministre a confié à un comité, présidé par
Robert Badinter, une mission d'identification des principes du droit du travail
français. Dès l’introduction de ce rapport, R. Badinter précise sa principale
limitation : « Le comité a travaillé à droit constant ». Suivent 61 principes, de
rédaction souvent concise, qui mettent bien en valeur les particularités des
relations sociales « à la française ».
42
La difficulté de combiner protection des salariés et besoins des
entreprises
Au terme de ces trois initiatives il ne semble pas que le droit du travail ait été
véritablement simplifié et on peut toujours déplorer que sa complexité nuise
gravement à l’intelligibilité des règles, et donc à leur appropriation par les
employeurs comme par les employés. Certains avancent que cette complexité
même dissuade les petites entreprises d’embaucher. D’où la question, avonsnous un droit social trop envahissant ?
Le droit social est, par définition, protecteur des intérêts des salariés. Cela est
nécessaire car la relation d’emploi est une relation déséquilibrée qui met face
à face un employeur qui propose un emploi, une rémunération et les
avantages sociaux qui s’y rattachent tandis que l’employé propose seulement
ses compétences et qu’il a un besoin vital de travail. Il ne s‘agit pas d’opposer
un employeur tyrannique à un employé angélique, mais de faire ressortir
l’asymétrie de situation qui rend nécessaire le droit social.
Mais, pour nécessaire qu’il soit, le droit social présente aussi des limites et
notamment celle de ne pas suffisamment prendre en compte les besoins de
l’entreprise qui ne se confondent ni avec ceux des employés ni avec ceux des
employeurs. Conçu le plus souvent comme un jeu à somme nulle, le droit
actuel a le plus grand mal à faire prévaloir ce qui est l’équivalent du bien
commun ou de l’intérêt général lorsqu’on observe le niveau de l’Etat. Si l’on
admet ce constat, la question de la nécessaire simplification du droit des
relations sociales devient plus qualitative que quantitative, il convient de ne
plus toujours raisonner « à droit constant » pour prendre en compte les
intérêts de l’entreprise à côté de ceux des employeurs et des employés.
43
Reste-t-il
une
place
pour
la
normalisation
non
juridique ?
Concernant la seconde interrogation, la norme non juridique, il existe
actuellement des travaux au sein de l’ISO pour normaliser la GRH (ISO/TC
260). Le process est arrivé au niveau du dernier « draft » avant le vote
définitif. Or, la France est très peu active dans ce process, 5 personnes
participaient à la dernière réunion au mois de juin alors qu’aux USA ou en
Allemagne ce sont par centaines que les professionnels et les scientifiques
participent. Cette désaffection a une explication mais elle présente aussi des
risques. L’explication c’est l’excès d’obligations juridiques qui décourage le
DRH devant la perspective de nouvelles contraintes. Le risque c’est celui de
ne pas peser sur le contenu d’une norme internationale qui progressivement
s’imposera dans le cadre des relations inter-entreprises. Dès la terminologie
(ISO 30400 – Management des ressources humaines – Terminologie) on sent
le poids de la culture anglo-saxonne.
Les autres aspects de la version actuelle de la norme concernent le
recrutement, la GPEC, le reporting, la gouvernance humaine ainsi que la
question des indicateurs sociaux. Il n’y a aucun expert français dans le groupe
technique qui travaille sur la question de l’inclusion et de la diversité dont le
secrétariat est assuré par l’organisme américain de normalisation. Or, en
matière de normalisation internationale il n’existe que deux possibilités,
participer et ainsi faire prendre en compte les valeurs et les idiosyncrasies
nationales ou bien ne pas participer et, à terme, accepter celles des autres
pays.
44
La diversité au cœur
des relations humaines
Par Isabelle Barth, Professeur à l’EM
Strasbourg
La diversité fait partie des sujets qui sont à la
fois une évidence et un défi, une notion
morale et un acte rationnel, un thème de
société comme d’entreprise. C’est aussi un
mot valise dans lequel chacun se projette à
sa façon, tant dans la définition que dans l’adhésion.
On peut donc gloser sans fin sur le sujet, et sombrer vite dans l’opinion. Ce
serait dommage car une vision et une mise en œuvre intelligente de la
diversité dessinent un chemin vers l’innovation sociale, le management
responsable, et la performance globale de l’entreprise.
Démonstration.
La diversité comme une évidence
Si l’on regarde la « grande image », la diversité est une évidence dans le
monde du vivant, les biologistes et autres scientifiques experts de ces
domaines, nous expliquent avec abondance de preuves, que la nature
végétale comme animale n’aurait pu se développer et prospérer sans la
biodiversité, que nous mettons fort à mal depuis quelques décennies, avec les
dangers qui s’annoncent pour la pérennité de l’humanité.
45
De la même façon, l’humanité est diverse : il y a des Blancs, des Noirs, des
métisses, des hommes et des femmes, des musulmans et des sikhs, des
handicapés et des bien-portants, des jeunes et des vieux, des hétérosexuels
et des homosexuels ….
C’est une évidence, et pourtant, si on se rapproche du tableau, on se rend
compte que ce n’est pas toujours aussi simple.
Les défis de la diversité
Regardons ensemble cette salle : il n’y a pas beaucoup de diversité, des
hommes et des femmes certes, mais un faible brassage ethnique, des âges
très semblables, des niveaux de formation très proches, beaucoup de
Français ….
Pendant que je vous dis cela, vous pensez très fort : « Mais c’est n’importe
quoi, je ne ressemble pas à mon voisin de droite ou à ma voisine de gauche !
Il est petit et gros, je suis grand et mince, elle est blonde et habite Paris, je
suis brune et je viens de Lyon, il est musulman et je suis athée… » C’est bien
là le premier défi : chacun veut être reconnu pour qui il est, dans ses
différences, comme une personne unique, mais se trouve bien parmi ceux et
celles qui lui ressemblent. C’est une construction qui commence dès l’âge de
la socialisation : « les filles avec les filles, les garçons avec les garçons », le
rejet du rouquin ou de la fille trop grosse …
C’est comme cela que des personnes se retrouvent écartées de la société,
discriminées dans le monde du travail, parce qu’elles sont labellisées comme
« différentes » : trop gros, trop belles, trop enceintes, trop handicapés, trop
46
marqués politiquement ou religieusement… L’évidence ce transforme en défi
si on veut inclure ces personnes au groupe.
Les personnes discriminées sont en souffrance, et la société comme
l’entreprise se privent de leurs talents, de leurs compétences, de leurs
contributions au projet commun.
Le deuxième défi est de lutter contre cette tendance très partagée à exclure
ceux qui ne nous ressemblent pas, en partant de l’hypothèse ou peut être du
postulat que les différences sont une richesse pour chacun d’entre nous
comme pour l’organisation à laquelle nous appartenons.
Le troisième défi est de manager la diversité pour aller vers un management
inclusif dans les organisations. Il s’agit d’un projet global pour l’organisation, et
donc, de la conduite d’un changement structurant.
Le management de la diversité : de quoi s’agit-il ?
Rappelons tout d’abord que la lutte contre les discriminations n’est pas
optionnelle et qu’elle s’impose à l’entreprise dans le cadre de la loi du 16
Novembre 2001 avec la définition de 21 critères bien identifiés : le sexe,
l’origine, l’orientation sexuelle, la religion, le handicap, l’âge, la grossesse, les
opinions politiques et syndicales, l’apparence physique, le patronyme … en
sont quelques-uns.
Le management de la diversité relève, lui, d’un choix, politique et stratégique.
Il s’agit alors d’un projet global pour l’organisation, qui doit être pris comme la
conduite d’un changement structurant.
47
Comme tel, il implique : la volonté du dirigeant, des arbitrages constants en
faveur du projet, de la communication interne, des moyens dédiés. Sans cela,
il reste du domaine de l’intention ou de la stratégie « cosmétique », du
« diversity washing » !
Il faut donc du courage et la volonté de s’inscrire dans la durée car il n’y aura
pas de « grand soir de la diversité » !
Comment aller vers un management inclusif ?
De façon classique, il faut d’abord faire un état des lieux sur le sujet, ce qui
demande du courage. Combien de femmes au comité de direction ? Quelles
différences salariales ? Combien de salariés de plus de 50 ans envoyés en
formation ? Combien de salariés en situation de handicap ? Quelles initiatives
pour gérer le fait religieux ? Combien de jeunes en apprentissage ? Quelles
pratiques de recrutement ? De promotion ? De gestion de fin de carrière ? Car
le management de la diversité compte 21 critères et touche toutes les étapes
de la vie professionnelle.
Ce diagnostic n’est pas simple, car le tableau n’est pas toujours idyllique, et
poser
les
questions
amène
à
ouvrir
la
boite
de
Pandore
des
mécontentements, des revendications, des attentes jusque-là contenus.
Un outil très précieux est le « label diversité » qui, comme d’autres
certifications, s’il est pris de façon proactive, est un formidable levier pour
avancer. Son obtention donne un cap, et son cahier des charges un bon mode
d’emploi pour y arriver : car la définition des rubriques, la construction et le
suivi des indicateurs dans ce domaine, sont souvent des sujets mal connus
des managers des ressources humaines.
48
De la contrainte à l’opportunité
Devant tant d’exigences, j’entends bien que cela pose la question classique
de « Pourquoi le faire ? ». Et c’est là que les témoignages comme les études
montrent qu’il ne s’agit pas d’une question morale mais bien d’un
investissement immatériel dont on peut attendre un véritable retour. En nous
appuyant sur de multiples études, nous pouvons affirmer que la diversité est
porteuse de créativité, qu’elle permet d’intégrer des talents nouveaux et
souvent ignorés, qu’elle contribue à la réputation de l’entreprise, qu’elle la
rend plus attractive, qu’elle permet aussi, en réduisant les souffrances ou les
malaises au travail, d’améliorer la performance sociale et donc globale.
Chaque critère est le levier d’un développement spécifique mais les 21
critères doivent être pris de façon systémique pour construire un management
inclusif.
Si des entreprises ont eu à payer des amendes importantes, et ont vu leur
image être dégradée pour discrimination, celles qui gèrent au mieux la
diversité en voient les effets positifs en interne comme vis-à-vis de leurs
parties prenantes. La diversité est le pilier social de la responsabilité sociétale
des organisations.
Pour rassurer, avoir un management de la diversité ne signifie pas que toutes
les comptables vont arriver voilées, que les informaticiens seront en situation
de handicap ou les vendeurs obèses, pour reprendre des angoisses de
managers. L’entreprise doit pouvoir continuer à travailler et le code du travail
est là pour donner un cadre. L’enjeu n’est pas le laisser-faire mais bel et bien
de se focaliser sur la compétence en incluant le savoir-être, au-delà de la
différence intrinsèque.
49
En conclusion : et si ?
La diversité est une évidence, mais pour qu’elle soit réelle et porteuse
d’innovation et de performance, elle reste un défi au quotidien dans le monde
du travail.
Elle a besoin de champions, de personnes qui « y » croient. La diversité passe
par des managers qui parient sur les valeurs les plus durables qui soient : la
confiance et la reconnaissance, ce qui n’exclut en rien l’exigence.
La diversité nous propose tout simplement de passer du « trop » au « et
si ? »… Et si une vendeuse du Luxe pouvait être obèse ? Et si un comptable
pouvait être tatoué ? Et si une femme pouvait diriger une entreprise du
CAC40 ? Et si ? Et si ?
50
Les relations humaines
au cœur du dialogue social
Par Xavier Moulins, DRH Groupe du
Groupe Eurotunnel
Le dialogue présuppose par nature et a
minima la relation de deux parties prenantes
soucieuses d’entrer en communication, voire,
comme le suggère certains, de penser à
deux.
Le dialogue social en entreprise pose ainsi, en ce sens, assurément le
postulat d’une interaction entre les femmes et hommes qui la composent, qui
la dirigent, qui y travaillent. Il apparaît dès lors naturel de plaider avec
conviction pour la valorisation des relations humaines au service de ce
dialogue social.
Le dialogue social au service de l’engagement
Parce que ces hommes et ces femmes sont au cœur du projet d’entreprise,
parce que ces hommes et ces femmes dans leur mobilisation quotidienne sont
les catalyseurs et les accélérateurs de son succès ou de son échec, parce
que, afin de leur donner l’envie et le sens de l’engagement, la capacité du
dirigeant et des managers de l’entreprise à échanger avec eux, directement
et/ou par le truchement de leurs représentants, est essentielle, oui, dès lors et
indiscutablement, les relations humaines semblent bien être au cœur du
dialogue social, dialogue social en tant que déterminant puissant au service
de l’engagement.
51
Définitivement en effet, le dialogue social doit ainsi être apprécié à sa juste
valeur : à savoir, comme un levier essentiel au service de la performance
durable des entreprises et de la mobilisation des femmes et des hommes
qu’elles emploient.
Pour cette raison, le dialogue social se doit ainsi d’être au cœur des
préoccupations du management de l’entreprise - dans son acception élargie
allant du « top management » au « middle management » -, approprié par
celui-ci avec conviction, car convaincu qu’il renforce l’adhésion des salariés à
un projet commun et, par induction, le sentiment d’appartenance à l’entreprise.
Et, c’est justement parce que ces relations humaines en forment le noyau dur,
que le dialogue social n’en est que plus riche, mais aussi plus complexe,
tantôt plus puissant, plus constructif s’il est de qualité, et tantôt plus fragile,
plus destructeur s’il est négligé.
Nourri de relations humaines, le dialogue social interroge à ce titre
immanquablement des notions d’intuitu personae et de confiance, des qualités
d’écoute et de partage, des aptitudes à la transparence et à la conviction.
Autant de concepts, de notions, où la part de l’Humain est primordiale. Mais
autant d’éléments, de prérequis, qui s’apprécient, se jaugent, se renforcent ou
s’altèrent sur la durée.
Le dialogue social, ce n’est pas que du juridique !
Partant, la qualité des relations humaines à mobiliser au quotidien est donc
absolument déterminante. La capacité des différents acteurs du dialogue
social à savoir entretenir des relations humaines de bonne facture est dès lors
52
un élément clé dans la qualité du dialogue social sur le temps long et qui
saura notamment être mesurée lors de crises sur le temps court.
Cette nécessaire et permanente quête de qualité du dialogue s’inscrit dans un
environnement protéiforme, i.e. dans un environnement de dialogue social
multi-acteurs, multi-niveaux. Il en va donc ainsi des relations humaines.
Multi-acteurs, car, dans un environnement français notamment, il implique tant
les organisations syndicales, les représentants du personnel élus, les
managers, les dirigeants, les DRH, les salariés parfois directement, les
représentants des territoires, ceux de l’Etat, ... Voire dans certaines situations
des acteurs tiers à l’entreprise que sont les clients, les actionnaires, la
concurrence…
Multi-niveaux, car il peut s’exprimer tant au niveau de l’entreprise, de
l’établissement, du groupe, du territoire, parfois de l’Etat mais aussi, et plus
généralement, en dehors de toute structure juridique au niveau de la
collectivité de travail.
C’est dans cet environnement pluridimensionnel, aux multiples acteurs, aux
multiples espaces d’expression, où, de plus en plus, le temps long du projet et
de la vision est régulièrement confronté aux temps courts de la décision et de
la nécessaire réactivité pour faire face aux incessants changements de notre
temps, que la qualité des relations humaines doit s’exprimer avec acuité.
En ce sens, toujours au service d’un dialogue social efficient et pertinent, la
relation humaine, certes source de complexité, doit être indiscutablement
préférée à un dialogue social envisagé sous un angle exclusivement juridique.
53
Il faut dès lors préférer avec conviction et détermination la complexité de
l’humain à celle de la norme, la complexité et la singularité de l’Homme à celle
des structures et des process.
Le dialogue social, c’est l’affaire de tous
En ce sens aussi, le dialogue social n’est pas uniquement l’affaire d’une
fonction, n’est pas uniquement la mission d’un DRH, d’un directeur des
relations sociales, n’est pas exclusivement une affaire de respect de normes,
n’est pas et ne doit être l’expression de la soumission résignée à une
contrainte ou à un mal nécessaire. Mais le dialogue social doit incarner une
dynamique humaine volontariste et authentique d’échanges et de partages au
service d’un objectif commun de performance économique et sociale.
Parce que le dialogue social et les relations sociales qu’il sous-tend sont
intrinsèquement avant tout des relations humaines, celles-ci exigent ainsi de la
proximité, de l'écoute, de la fréquence, autant de leviers et prérequis
déterminants pour créer la compréhension mutuelle et la confiance sur le long
terme, quels que soient le lieu, le niveau ou le temps pendant lequel elles
s’expriment.
En d’autres termes, les relations sociales ne peuvent définitivement pas se
résumer aux normes qui les encadrent, aux instances qui les structurent… Car
le dialogue social, ce sont avant tout des Hommes qui se parlent, qui
cherchent à se comprendre, à penser ensemble, à agir ensemble, à satisfaire
leurs besoins, leurs objectifs.
54
Des Hommes, plus que des instances du personnel
Négliger l’Homme au sein de l’instance de représentation du personnel,
prioriser l’instance ou l’institution à l’humain, considérer le processus de
dialogue uniquement sous l’angle d’instances ou de structures qui dialoguent
entre elles seraient un écueil fatal, et pour le dialogue social, et pour la
performance de l’entreprise dont il est un levier.
Le sujet dimension humaine dans les relations sociales interroge par ailleurs
incidemment et automatiquement une autre dimension : celle de la légitimité.
Légitimité des partenaires sociaux, des parties prenantes entre lesquels ce
dialogue s'instaure.
La légitimé de ceux qui discutent, de ceux qui construisent ce dialogue social,
ils peuvent certes, ab initio, la tenir des instances, des structures qui les
désignent. En revanche ils ne la maintiendront, ne la renforceront, et ne
l’amélioreront qu’en fonction de la qualité de leurs relations au quotidien. Et
c’est parce que leurs relations seront de qualité que le dialogue social sera le
levier de performance attendu et que la légitimité des acteurs sera
indiscutable. Renforcer la qualité des relations humaines au cœur du dialogue
social sert donc à la fois des impératifs d’exigence, de performance et de
légitimité des acteurs sur la durée.
On le voit : les relations humaines sont au dialogue social à la fois son
matériau de construction et l’huile nécessaire à son bon fonctionnement. Plus
que d’être au cœur de celui-ci, elles en sont philosophiquement l’essence.
Elles le justifient et le font vivre. Les négliger reviendrait dès lors à dénier
l’existence et l’importance de ce dialogue social.
55
Promouvoir les relations humaines au cœur du dialogue social, c’est à la fois
une idée qu’il faut défendre, une ambition qu’il faut nourrir, un besoin qu’il faut
satisfaire.
Et c’est aussi sûrement, à l’instar d’Antoine de Saint Exupéry, avoir la ferme
conviction que « La grandeur d'un métier est peut-être, avant tout, d'unir les
hommes » mais qu’« il n'est qu'un luxe véritable, et c'est celui des relations
humaines. »
56
Conclusion à la matinée
Par
Maurice
Thevenet,
Délégué
Général de la FNEGE et Professeur à
ESSEC Business School
« Au
secours,
les
relations
humaines
reviennent ! » C’est donc qu’elles étaient
parties.
Il est vrai que les relations humaines ne sont
pas un problème pour des organisations qui attendent la performance de la
seule sophistication de leurs structures, de leurs processus ou de leurs
systèmes d’information. La question des relations humaines disparaît aussi
quand le travail parcellisé dans un réseau autogéré ou contrôlé par les
algorithmes n’exigerait plus de coordination ou de collaboration (le travail-avec
étymologiquement). Sans doute la valorisation de la technique, de
l’informatisation ou de la numérisation selon les époques donne-t-elle aussi
l’illusion - comme il y a un siècle à la naissance de l’organisation scientifique
du travail – qu’on puisse enfin se débarrasser de l’aléa humain dans la
production. Les relations humaines ne seraient alors plus un problème mais
juste ce supplément d’âme romantique, avec la bienveillance et la gentillesse
si populaires aujourd’hui …
Toutefois on s’aperçoit ici et là que seules les combinaisons rares de
compétences rares permettent de relever les défis de l’innovation ou de la
performance. On en appelle alors aux talents. On s’aperçoit aussi, dans
57
l’économie de l’expérience ou dans les situations de crise, que l’engagement
des personnes dans leur travail, voire dans l’entreprise, devient indispensable.
Ce n’est pas une découverte, Pierre Louart nous a rappelé les grands noms,
déjà anciens, de ceux qui ont montré l’importance de la motivation et de la
reconnaissance. Mais la personne, comme nos intervenants aiment à
l’appeler, est sociale, elle vit avec, par et pour les autres, même si
l’anthropologie du moment, individualiste ou « singulariste », a pu avoir la
tentation de l’oublier. Benoît Serre nous rappelle d’ailleurs avec pertinence
combien les relations humaines sont
en partie liées à la culture de
l’entreprise.
En fait dans les entreprises, les administrations ou les associations, on ne
travaille pas, on travaille toujours « avec ». Le travail est interdépendance, on
ne peut faire le sien que si les autres ont accompli le leur, et réciproquement.
Ces interdépendances peuvent être prescrites dans un bon manuel de
procédures, elles peuvent aussi être tacites dans un jeu de promesses
réciproques implicites qui fait toujours le lit invisible de la performance quand
on fait l’effort de l’observation du fonctionnement réel des organisations. Mieux
que cela, ces relations font une grande part de l’expérience concrète du travail
pour les personnes : c’est la relation aux autres qui vous empêche de dormir
le soir plutôt que la rémunération dont on s’est habitué à ce qu’elle soit faible !
Alors, l’importance des relations humaines revient au goût du jour pour
interpréter les déceptions causées par une automatisation des processus
administratifs, quand il s’agit de pallier les effets dévastateurs des risques
psychosociaux, quand il faut résoudre ou anticiper les multiples conflits qui ne
58
manquent pas de survenir dans ces lieux tellement politiques que demeurent
les institutions.
A divers titres, nos intervenants ont rappelé dans des registres différents que
les relations humaines étaient un problème plutôt qu’une solution. Nous avons
entendu avec Jacques Igalens que les relations entre acteurs dont s’occupe le
droit, ne peuvent se satisfaire d’une seule logique contractuelle mais qu’elles
exigent un minimum de sens du bien commun que pourraient peut-être
apporter les systèmes de normes et de références développés au niveau
international. Xavier Moulins envoie le même message en rappelant fort à
propos que le dialogue social se nourrit de relations humaines et pas
seulement de rapports ministériels ou de lois. Comme le dit Charles-Henri
Besseyre des Horts, les outils ne peuvent jamais remplacer ces relations
humaines ou les améliorer comme par magie, mais ils peuvent les faciliter
pour autant qu’on fasse l’effort de les utiliser au service de ces relations.
Alors, comme le souligne Isabelle Barth, en parlant de diversité, les managers
prennent une grande importance dans l’établissement, et le maintien de
relations humaines de qualité : ces managers sont décidément responsables
de tout. Cela tombe bien d’ailleurs, car les managers non-français au sein de
grandes entreprises françaises, nous dit Yasmina Jaïdi, leur reconnaissent un
certain sens de l’humain et il leur manquerait juste un petit peu d’ouverture.
Alors que retenir de toutes ces interventions. Quatre idées essentielles.
La première, c’est que le management gagne toujours à revenir à
quelques
solides
références
anthropologiques :
il
semble
que
59
régulièrement, avec Taylor, l’ordinateur ou la personne augmentée, on ait la
tentation de l’oublier.
La deuxième, c’est que les relations humaines, cela s’apprend. Les
relations familiales viennent assez naturellement, les relations choisies sur les
réseaux sociaux ou dans les tribus « affectuelles », pour rappeler Aline
Scouarnec, ne sont pas très difficiles, mais travailler dans une organisation
c’est entrer en relation avec ses collègues, ceux que l’on n’a pas choisi, ceux
avec lesquels on ne passerait pas un week-end. Les spécialistes du
management ont-ils intégré que le travail devait aussi être un lieu
d’apprentissage de ces relations humaines ?
La troisième, c’est que les managers ont évidemment une charge de plus
sur les épaules avec cet impératif relationnel. Mais encore faut-il qu’ils le
veuillent et qu’ils en aient la compétence. Est-ce que nos outils de sélection,
de promotion, d’évaluation et de rétribution des managers en tiennent
compte ?
La quatrième, sans doute la plus importante, c’est que la qualité des
relations humaines est aussi une responsabilité générale, partagée.
Chacun en a sa part, les organisations auxquelles on impose une
responsabilité sociale, les managers généralement responsables de tout mais
aussi l’ensemble des acteurs, des salariés. A l’heure où la maîtrise des outils
numériques devient un impératif de l’honnête homme, il faudra peut-être y
rajouter la qualité relationnelle. C’est un vrai enjeu car nos jeunes étudiants,
comme nos managers, considèrent que leur efficacité managériale, le fait de
devenir leader, ce mot qui se traduit si mal en allemand, tiendrait surtout à
leurs qualités intrinsèques propres plutôt qu’à leurs relations aux autres.
60
Téléchargement