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     Par rapport à ce processus, Foi et savoir énonce le problème dans sa radicalité 
philosophique,   en  mettant en scène la lutte de la vraie philosophie contre le pouvoir de 
la  foi  dans  les  philosophies  qui  ont  abdiqué  face  à  cette  dernière.  Que  peut  la  vraie 
philosophie  contre le déchirement  de  la  culture ? Elle ne peut  certes pas  renoncer à la 
réflexion6,  et  s’enfouir  dans  la  positivité  de  la  foi7.  Le  conflit  entre  la  raison  et  la  foi  
n’aboutit  qu’à  consolider  les  positions.  Même  si  la philosophie  renvoie la  religion  à  son 
contenu mythologique, ou tente de la  réhabiliter par la traduction philosophique de son 
message,  la  foi  comme  positivité  demeure,  et  la  raison  ne  parvient  pas  à  s’en 
débarrasser.  Si  les  Lumières  sont  l’ennemie  de  la  foi,  elles  entretiennent  en  réalité  ce 
statu  quo.  Cela  se traduit dans les Lumières  kantiennes  par  le    repli  de  la  Raison vers 
l’humain, le purement humain.  Si la pensée n’a plus rapport avec le divin, la pensée se 
réfugie  dans  le  sensible.  Le processus  de  l’Aufklärung,  aboutissant  à    la  Critique de  la 
raison pure, va inverser le rapport entre la foi et le savoir. Si le savoir est définitivement 
incapable  d’atteindre  le  fondement  absolu,  puisque  celui-ci  est    considéré  comme 
inconnaissable, alors l’Absolu est placé au delà de la Raison (GW 280), l’Absolu devient 
objet de foi.  
La conclusion kantienne du conflit des Lumières contre la superstition8 déçoit 
l’ambition hégélienne  par laquelle il définit la philosophie, c’est-à-dire l’identité absolue, 
car la philosophie est le savoir de l’identité absolue, l’identité de la pensée et de l’être.  
La philosophie kantienne méconnaît ce projet, car l’auto-limitation  de la raison kantienne 
constitue  un  profond  renversement  de  la  raison.      La  définition  kantienne  de  la  raison 
dessine  une  rationalité  partielle,  abstraite,  peu  exigeante  quant  à  la  rationalité  de  son 
fondement, puisqu’elle  délaisse la  validité du  fondement  à  l’affirmation de  la foi. En  ce 
sens, précisément, Hegel aperçoit dans la critique des pouvoirs de la  raison,  et dans  la 
limitation -qui en découle- du savoir au profit de la foi, la ruse qui va permettre à la foi 
d’entrer à  nouveau dans  le savoir.  Le système de  Kant  établit  la  résurgence de la foi 
dans la forme du savoir, c est-à-dire l’impossibilité de dépasser la positivité de la foi. 
  Le jugement de Hegel force notre adhésion : le destin des Lumières et leur 
accomplissement  chez  Kant  provoquent  une  terrible  insatisfaction,  et    en  ce  sens,  le 
mouvement  de  la  raison  n’est  pas  achevé.  L’affirmation  de  la  finitude  comme  point 
d’achèvement des Lumières  vaut véritablement comme l’échec de la  raison.  Hegel voit 
dans  cette  Raison  le  processus  de  la  finitude  qui  extrapose  son  principe  dans  une 
extériorité  infinie,  cette  démarche  est  la  victoire  de  la  pensée  d’entendement  sur  la 
raison. La pensée d’entendement sépare le fini et l’infini. 
           Mais  l’échec  des  Lumières  propose  cependant  un  objet  essentiel  à  la 
réflexion:  comment  la  raison  (ou  le  savoir)  peut  admettre  en  lui    un  principe 
incompréhensible,  et  qui  lui  est  pourtant    nécessaire  :  comment  le  savoir  peut  -il  se 
rapporter à un principe qui n’est pas lui-même objet de savoir. C’est ce  problème que 
Hegel  enferme dans une formulation directe et brutale : 
«ainsi la raison s’est-elle à nouveau faite servante de la foi» (GW 280). 
 
§ 2  La logique de la foi 
 
Que  veut  dire  la  foi  pour    Hegel?      Nous  nous  rapporterons  à  la  définition 
hégélienne de la foi dans l’écrit sur la  Différence des systèmes de Fichte et de Schelling, 
«ce lien ou ce rapport du limité à l’Absolu, rapport où l’opposition seule est présente à la 
conscience  mais  où, au  contraire,  touchant l’identité,  il  y a  une  inconscience  complète, 
s’appelle foi»9. La  foi témoigne d’un auto-aveuglement quant à son rapport (le rapport 
                                                             
6  Cf.  J.-M.  Vaysse,    Foi  et  religion  chez  Hegel,     Hegel-Jahrbuch,  2003,  p.  63.  et  J.  Rivelaygue, 
Leçons de métaphysique allemande, tome 1, Paris, Seuil, 1990,  p. 365, à propos de «l’extrême de 
la scission qu’est la réflexion».   
7 Cf. Vieillard-Baron, Hegel, Système et structures théologiques, Paris, Cerf, 2006, p. 78.  
8  Pour reprendre l’expression  de la Phénoménologie de l’esprit, op. cit. p. 95. 
9 Sur la Différence des systèmes de Fichte et de Schelling, trad. Méry,  Paris, Vrin 1952, p. 95.