externe » ; l'autre est un ternie de palais et correspond à un jugement à
l'avance ou à ce que nous appelons jurisprudence. Le préjugé « en termes
de métaphysique » est le contraire du jugement juste, alors que, dans les
deux autres cas, il apparaît proprement comme un pré-jugé, c'est-à-dire
la première estimation d'une situation ou d'un problème dans l'attente
d'un examen approfondi.
Le
Dictionnaire philosophique
de Voltaire distingue encore deux registres
du préjugé. « Il y a des préjugés universels, nécessaires, et qui sont la
vertu même. Dans tout pays, on apprend aux enfants à reconnaître un
Dieu rémunérateur et vengeur
;
à respecter, à aimer leur père et leur
mère
;
à regarder le larcin comme un crime, le mensonge intéressé comme
un vice, avant qu'ils puissent deviner ce que c'est qu'un vice et une
vertu. » La raison individuelle doit s'incliner devant le consensus univer-
sel.
Elle finit toujours par ratifier ce que la pression sociale lui a demandé
d'admettre a
priori.
Bien des évidences sensorielles partagées par tous les
hommes sont pourtant fallacieuses, bien des vérités se révèlent locales.
Voltaire passe alors à la dénonciation de quatre types de préjugés : senso-
riels, physiques, historiques, religieux. L'illusion s'explique par un effet
d'optique, par une extrapolation ou une induction hasardeuse, par la
manœuvre intéressée d'un imposteur. L'utile préjugé est devenu un non-
jugement pernicieux. « Votre jugement veut-il s'élever contre ces préju-
gés,
vos voisins, et surtout vos voisines, crient à l'impie, et vous effrayent ;
votre derviche, craignant de voir diminuer son revenu, vous accuse
auprès du cadi, et ce cadi vous fait empaler s'il le peut. » Le préjugé
signifie alors intolérance, ostracisme et appel à la persécution. Le bon
préjugé se situerait du côté de l'intérêt public et de la nature, le mauvais
du côté de l'imposture particulière et de l'artifice.
Le chevalier de Jaucourt dans
l'Encyclopédie
analyse longuement les
causes du préjugé qu'il définit comme un « faux jugement que l'âme
porte de la nature des choses, après un examen insuffisant des facultés
intellectuelles ». Il dénonce « cette malheureuse pente de l'âme vers
l'égarement » qui préfère le faux au doute, le simple au complexe, l'ap-
parent au réel et, selon les moments, l'ancien au nouveau, au nom de la
tradition, puis le nouveau à l'ancien, au nom de la mode. A « cette mala-
die de l'entendement » s'ajoutent les préjugés d'âge et de tempérament,
de climat et de pays, d'école et de parti, autant de situations qui condui-
sent à accorder la priorité au point de vue individuel sur le point de vue
général. Hâte ou précipitation selon la leçon cartésienne, le préjugé se
caractérise aussi par l'incapacité à sortir de soi, à dépasser une situation
particulière, à la relativiser pour accéder à la vue globale. La philosophie
des Lumières se bat au nom de valeurs universelles, qu'elles se nomment
la Nature ou l'Humanité. Elle accuse les Eglises de confisquer et de défor-
mer les principes généraux de la morale, et les institutions politiques et
sociales d'entraver la libre marche de la raison.
Parmi les traités les plus radicaux, l'Essai sur
les préjugés
de Dumar-