23_PHI070627_06C.fm Page 169 Mardi, 24. juillet 2007 10:32 10 23 eux est une opération plus complexe qu’il n’y paraît. Notre esprit peutil éliminer ce qu’il a lui-même produit ? Le sujet LA VÉRITÉ • SUJET La notion de préjugé est familière à la réflexion philosophique, mais il ne faut pas pour autant la considérer comme évidente, ce qui dispenserait d’une analyse suivie. La copie ne doit pas se transformer en une litanie contre les préjugés. L’expression « en finir avec » mérite aussi de l’attention pour pouvoir poser correctement un problème. Le risque serait d’énumérer des exemples, sans les ressaisir au sein d’un raisonnement. C O R R I G É Les titres en couleurs servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie La raison et le réel ■ Éviter les erreurs La politique Dans un premier temps, on éclaircira le sens des termes principaux de façon à pouvoir, dans une deuxième partie, justifier le devoir de les combattre. Enfin, une réflexion sur l’éveil de la raison nous conduira à nous demander s’il n’y pas, un en sens, une nécessité des préjugés. La culture Le plan © Hatier 2007 169 C O R R I G É Sujets d’oral Les préjugés sont des pensées qui préoccupent la philosophie depuis ses origines. Se libérer de leur emprise est même devenu un lieu commun lorsqu’il s’agit de définir la tâche du philosophe. On présuppose dès lors que cette entreprise est prioritaire, mais ardue. Aussi, en nous demandant s’il est possible d’en finir avec eux, le sujet nous donne matière à réflexion. Y aurait-il une force de ces représentations telle, que la pensée critique ne pourrait en venir à bout ? Soyons sensibles au problème suivant. Si la permanence des préjugés est un fait, ils sont néanmoins des actes de la pensée. Pourquoi l’esprit ne pourrait-il parvenir à vaincre ce qu’il produit ? Serait-il soumis à une fatalité ? Mais savons-nous, pour commencer, ce qu’est la nature du préjugé ? La morale Introduction 23_PHI070627_06C.fm Page 170 Mardi, 24. juillet 2007 10:32 10 LA VÉRITÉ • SUJET 23 1. Analyse des notions A. Un sentiment d’impuissance Il arrive que, face à une tâche dont nous ne voyons pas le terme, nous éprouvions le sentiment décourageant de ne jamais pouvoir en finir avec ce qu’elle nous impose de faire. Cette expérience a pour intérêt de nous révéler la présence d’un obstacle tenace, qui semble insurmontable dans la mesure où il excède nos forces en renaissant sans cesse. Nous sommes pris dans un processus sans fin, une sorte de fatalité qui voit nos efforts condamnés à ne pas pouvoir s’achever. La perspective d’être contraint à recommencer la lutte gâche toute satisfaction authentique, quand celui qui a la conviction d’avoir réalisé quelque chose de valable et de durable éprouve une joie entière. Les préjugés sont-ils de nature à provoquer le désespoir de la pensée qui cherche à les vaincre pour s’en libérer ? L’enjeu de cette question est théorique et pratique. Il s’agit de définir la nature d’un préjugé en gardant à l’esprit que ces formes de pensée conditionnent des manières de vivre. B. Les idées préconçues Nous assimilons volontiers le préjugé à l’opinion ou à l’erreur, mais il faut être plus précis. Un préjugé peut s’avérer être juste. Des parents qui enseignent à leurs enfants des règles d’honnêteté préviennent leur jugement. Expliquons ce point : préjuger signifie, étymologiquement, « juger avant ». Ce trait est la marque d’un jugement précipité, qui rend son avis sans avoir examiné avec soin les raisons qui le motivent. Le sujet qui juge pèche par ignorance de ses propres mobiles et de la nature de l’objet qu’il évalue. C’est donc une double faute au regard de ce qui conditionne l’accès à la connaissance vraie. De plus, il apparaît que la précipitation dépend d’un autre défaut : la prévention. Notre esprit est « prévenu », il a des idées préconçues. Cela signifie que nous avons acquis des convictions dans une certaine inconscience et que celles-ci conditionnent nos façons de voir. Des représentations sont en nous sans vraiment être à nous puisque nous n’y avons pas réfléchi au moyen d’un effort personnel de pensée. Descartes souligne que l’enfance est, par excellence, l’époque où les préjugés nous dominent. Notre raison n’est pas encore capable d’examiner la valeur des idées que notre entourage nous inculque. On comprend dès lors pourquoi les préjugés contrarient l’amour du savoir. Ils sont la marque d’un esprit passif et inconscient de sa condition. Ils nuisent à l’autonomie du jugement. [Transition] Puisque la nature du préjugé est d’être une croyance qui passe pour un savoir vérifié, la mission de la philosophie est alors de le démasquer. © Hatier 2007 170 C O R R I G É 23_PHI070627_06C.fm Page 171 Mardi, 24. juillet 2007 10:32 10 B. L’éducation Remarquons que Descartes et Kant font tous deux à leur manière référence à l’enfance. Cela signale l’importance de l’éducation dans la lutte contre les préjugés. Une bonne éducation est capitale, car elle seule est capable d’empêcher la formation de pensées qui seront d’autant plus difficiles à éradiquer qu’elles ont pris racine dans un esprit vierge, et donc malléable. Kant insiste sur la nécessité de créer des instituts pédagogiques où l’instruction serait dispensée en tenant compte des progrès des connaissances rationnelles. Les facultés doivent être développés selon leur importance respective. La mémoire est indispensable, mais elle doit rester une faculté subordonnée au service de la raison, qui discerne des principes, et du jugement, qui s’efforce d’évaluer correctement le réel en fonction d’eux. Dans l’Émile, Rousseau propose une expérience intéressante. Il imagine un enfant gravissant une montagne avec son précepteur pour voir le soleil se lever, et il demande expressément que le maître ne parle pas mais laisse l’enfant ressentir la beauté sublime du spectacle. Il ne s’agit pas de rejeter les mots, mais de faire en sorte qu’ils ne précèdent pas les sentiments, afin que ceuxci ne soient pas d’emblée recouverts par une perception intellectuelle dont l’enfant n’est pas encore capable. Il faut donc ici le laisser juger par luimême afin que les mots ne préjugent pas pour lui de ce qu’il voit. Par-delà © Hatier 2007 171 C O R R I G É La culture La raison et le réel La politique A. La critique des préjugés Les Lumières sont par excellence l’époque de la lutte contre les préjugés, entendus comme toute forme de pensée qui n’a pas été analysée par la raison. « Notre siècle, écrit Kant, est particulièrement le siècle de la critique à laquelle il faut que tout se soumette. » La raison affirme son droit à enquêter librement sur la légitimité des fondements de tout ce qui régit la vie des hommes. Kant mentionne le domaine politique et religieux. La législation et la religion ne peuvent prétendre valoir que si elles acceptent ce libre examen de la part d’une puissance indépendante. Ces exemples ne sont évidemment pas fortuits. Les régimes politiques et les mœurs religieuses conditionnent les mentalités. Dans un article intitulé Qu’est-ce que les Lumières ?, Kant critique les « tuteurs » qui endoctrinent les autres hommes afin de les diriger sans difficulté comme du bétail docile. L’humanité reste ainsi dans un état de minorité intellectuelle, défini comme étant l’incapacité de faire un usage personnel de son entendement. Les politiques, les religieux, les médecins eux-mêmes s’emploient à inculquer des idées destinées à asseoir leur pouvoir. Les gouvernés deviennent alors semblables à des enfants qui n’osent s’aventurer seuls hors des frontières où on les a confinés. Pire, qui conçoivent leur emprisonnement comme un état de liberté. La morale 2. Le sens d’un combat Le sujet 23 Sujets d’oral LA VÉRITÉ • SUJET 23_PHI070627_06C.fm Page 172 Mardi, 24. juillet 2007 10:32 10 LA VÉRITÉ • SUJET 23 leurs différences, Rousseau et Kant sont chacun attentifs à élever l’esprit dans le but qu’il développe sa puissance. La culture doit remplacer l’ignorance et les faux savoirs. [Transition] L’éducation est-elle le remède pour venir à bout des préjugés ? Il nous semble que ce processus est lui-même problématique. 3. Le statut du préjugé A. Une nécessaire imperfection ? Kant fait remarquer que l’homme est fait d’un bois si courbe qu’il est impossible d’espérer y tailler quelque chose de tout à fait droit. Or cette nécessaire imperfection de l’être humain a de lourdes conséquences sur la question de l’éducation. L’éducateur ne peut être parfait puisqu’il fut luimême éduqué par une personne qui ne l’était pas non plus. Kant s’efforce de déterminer les conditions d’un progrès permanent dans la lutte contre les préjugés politiques, religieux et sociaux, mais il sait que ce processus nous engage sur la voie d’un combat sans fin. Certes, cette entreprise n’est pas insensée. Il est indispensable que l’ignorance recule pour que la bêtise et la haine ne triomphent pas. Mais les préjugés ne semblent pouvoir être que réduits, jamais totalement éliminés. La logique des États, le poids des idéologies exprime des d’intérêts qui rendent très problématiques l’accès de l’humanité à une véritable autonomie. B. La place du présupposé Mais ce qu’une collectivité ne peut faire est peut être possible à un individu isolé. Dans les Méditations métaphysiques, Descartes se propose de « commencer tout de nouveau depuis les fondements » afin de parvenir à une vérité absolue dans les sciences. Descartes est conscient qu’il est impossible de réfuter une à une toutes les opinions admises au cours de sa vie sans vérification préalable. Les préjugés sont semblables à l’hydre de Lerne, ce monstre dont les têtes se multipliaient au fur et à mesure qu’on les tranchait. Ne faut-il pas alors procéder comme Hercule, qui la vainquit en coupant toutes les têtes d’un seul coup ? En clair, une démarche qui veut « en finir » doit être radicale, et donc prendre le problème à la racine. La mise en œuvre d’un doute méthodique qui décompose l’origine de toutes ses pensées permet à Descartes de parvenir à une vérité indubitable qu’il saisit dans une intuition intellectuelle : « je suis, j’existe » ou « je pense, donc je suis. » Tout est douteux excepté le fait d’être un sujet pensant. Il semble que la radicalité cartésienne nous ouvre une voie. Terminons cependant en notant que les préjugés occupent une place remarquable. Ils sont le commencement inéluctable de toute pensée. Ne faut-il pas alors les © Hatier 2007 172 C O R R I G É 23_PHI070627_06C.fm Page 173 Mardi, 24. juillet 2007 10:32 10 considérer comme des présupposés inévitables ? Chacun ne peut s’exercer sa raison qu’à partir de ce qu’on lui a inculqué. Dès lors, il est possible de reconnaître aux préjugés un statut qui ne soit pas entièrement négatif, pourvu qu’on sache les penser. Nous commençons toujours par avoir des opinions sans pouvoir les fonder par nous-même. La conscience rationnelle ne peut s’éveiller qu’à partir de son contraire, qui la précède temporellement. L’essentiel est de lui donner l’occasion de cet éveil. C’est en ce sens que Platon définit la philosophie comme « la fille de l’étonnement. » S’étonner, c’est rompre le cours de nos pensées habituelles, irréfléchies, et se disposer ainsi à chercher par soi-même, en s’instruisant, à découvrir la valeur de ce que nous jugions vrai ou faux, juste ou injuste. Le sujet 23 La culture LA VÉRITÉ • SUJET © Hatier 2007 173 C O R R I G É La politique Sujets d’oral La morale Il est nécessaire de critiquer les préjugés pour essayer de penser par soimême et d’être ainsi à la hauteur de notre statut d’être doté de raison. L’autonomie du jugement est une valeur éminente qui demande des analyses instruites. Toutefois, la réalisation de ce principe nous a fait voir le caractère problématique, bien qu’indispensable, de l’éducation, ainsi que la complexité du préjugé qui est aussi le présupposé de toute pensée qui le nie. L’expression « en finir avec » reçoit donc un double sens. Nous dirons que nous devons tâcher de dépasser nos préjugés, c’est-à-dire de les comprendre. Mais leur élimination totale semble ne pas tenir compte de la fonction nécessaire d’un présupposé. Même Descartes le reconnaît en écrivant que « nous avons été enfants avant que d’être hommes ». Le préjugé nous rappelle ainsi la limitation de notre condition et le devoir de progresser. La raison et le réel Conclusion