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eux est une opération plus complexe qu’il n’y paraît. Notre esprit peut-
il éliminer ce qu’il a lui-même produit ?
Le plan
Dans un premier temps, on éclaircira le sens des termes principaux de
façon à pouvoir, dans une deuxième partie, justifier le devoir de les
combattre. Enfin, une réflexion sur l’éveil de la raison nous conduira à
nous demander s’il n’y pas, un en sens, une nécessité des préjugés.
Éviter les erreurs
La notion de préjugé est familière à la réflexion philosophique, mais il
ne faut pas pour autant la considérer comme évidente, ce qui dispense-
rait d’une analyse suivie. La copie ne doit pas se transformer en une
litanie contre les préjugés. L’expression « en finir avec » mérite aussi de
l’attention pour pouvoir poser correctement un problème. Le risque
serait d’énumérer des exemples, sans les ressaisir au sein d’un
raisonnement.
Les titres en couleurs servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas
figurer sur la copie
Introduction
Les préjugés sont des pensées qui préoccupent la philosophie depuis ses
origines. Se libérer de leur emprise est même devenu un lieu commun
lorsqu’il s’agit de définir la tâche du philosophe. On présuppose dès lors
que cette entreprise est prioritaire, mais ardue. Aussi, en nous demandant
s’il est possible d’en finir avec eux, le sujet nous donne matière à réflexion.
Y aurait-il une force de ces représentations telle, que la pensée critique ne
pourrait en venir à bout ? Soyons sensibles au problème suivant. Si la per-
manence des préjugés est un fait, ils sont néanmoins des actes de la
pensée. Pourquoi l’esprit ne pourrait-il parvenir à vaincre ce qu’il produit ?
Serait-il soumis à une fatalité ? Mais savons-nous, pour commencer, ce
qu’est la nature du préjugé ?
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1. Analyse des notions
A. Un sentiment d’impuissance
Il arrive que, face à une tâche dont nous ne voyons pas le terme, nous
éprouvions le sentiment décourageant de ne jamais pouvoir en finir avec ce
qu’elle nous impose de faire. Cette expérience a pour intérêt de nous
révéler la présence d’un obstacle tenace, qui semble insurmontable dans la
mesure où il excède nos forces en renaissant sans cesse. Nous sommes
pris dans un processus sans fin, une sorte de fatalité qui voit nos efforts
condamnés à ne pas pouvoir s’achever. La perspective d’être contraint à
recommencer la lutte gâche toute satisfaction authentique, quand celui qui
a la conviction d’avoir réalisé quelque chose de valable et de durable
éprouve une joie entière. Les préjugés sont-ils de nature à provoquer le
désespoir de la pensée qui cherche à les vaincre pour s’en libérer ? L’enjeu
de cette question est théorique et pratique. Il s’agit de définir la nature d’un
préjugé en gardant à l’esprit que ces formes de pensée conditionnent des
manières de vivre.
B. Les idées préconçues
Nous assimilons volontiers le préjugé à l’opinion ou à l’erreur, mais il faut être
plus précis. Un préjugé peut s’avérer être juste. Des parents qui enseignent à
leurs enfants des règles d’honnêteté préviennent leur jugement. Expliquons
ce point : préjuger signifie, étymologiquement, « juger avant ». Ce trait est la
marque d’un jugement précipité, qui rend son avis sans avoir examiné avec
soin les raisons qui le motivent. Le sujet qui juge pèche par ignorance de ses
propres mobiles et de la nature de l’objet qu’il évalue. C’est donc une double
faute au regard de ce qui conditionne l’accès à la connaissance vraie. De
plus, il apparaît que la précipitation dépend d’un autre défaut : la prévention.
Notre esprit est « prévenu », il a des idées préconçues. Cela signifie que nous
avons acquis des convictions dans une certaine inconscience et que celles-ci
conditionnent nos façons de voir. Des représentations sont en nous sans vrai-
ment être à nous puisque nous n’y avons pas réfléchi au moyen d’un effort
personnel de pensée. Descartes souligne que l’enfance est, par excellence,
l’époque où les préjugés nous dominent. Notre raison n’est pas encore
capable d’examiner la valeur des idées que notre entourage nous inculque.
On comprend dès lors pourquoi les préjugés contrarient l’amour du savoir. Ils
sont la marque d’un esprit passif et inconscient de sa condition. Ils nuisent à
l’autonomie du jugement.
[Transition]
Puisque la nature du préjugé est d’être une croyance qui passe pour un
savoir vérifié, la mission de la philosophie est alors de le démasquer.
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2. Le sens d’un combat
A. La critique des préjugés
Les Lumières sont par excellence l’époque de la lutte contre les préjugés,
entendus comme toute forme de pensée qui n’a pas été analysée par la
raison. « Notre siècle, écrit Kant, est particulièrement le siècle de la critique
à laquelle il faut que tout se soumette. » La raison affirme son droit à
enquêter librement sur la légitimité des fondements de tout ce qui régit la
vie des hommes. Kant mentionne le domaine politique et religieux. La légis-
lation et la religion ne peuvent prétendre valoir que si elles acceptent ce
libre examen de la part d’une puissance indépendante. Ces exemples ne
sont évidemment pas fortuits. Les régimes politiques et les mœurs reli-
gieuses conditionnent les mentalités. Dans un article intitulé Qu’est-ce que
les Lumières ?, Kant critique les « tuteurs » qui endoctrinent les autres
hommes afin de les diriger sans difficulté comme du bétail docile. L’huma-
nité reste ainsi dans un état de minorité intellectuelle, défini comme étant
l’incapacité de faire un usage personnel de son entendement. Les politiques,
les religieux, les médecins eux-mêmes s’emploient à inculquer des idées des-
tinées à asseoir leur pouvoir. Les gouvernés deviennent alors semblables à
des enfants qui n’osent s’aventurer seuls hors des frontières où on les a
confinés. Pire, qui conçoivent leur emprisonnement comme un état de liberté.
B. L’éducation
Remarquons que Descartes et Kant font tous deux à leur manière référence
à l’enfance. Cela signale l’importance de l’éducation dans la lutte contre les
préjugés. Une bonne éducation est capitale, car elle seule est capable
d’empêcher la formation de pensées qui seront d’autant plus difficiles à éra-
diquer qu’elles ont pris racine dans un esprit vierge, et donc malléable. Kant
insiste sur la nécessité de créer des instituts pédagogiques où l’instruction
serait dispensée en tenant compte des progrès des connaissances ration-
nelles. Les facultés doivent être développés selon leur importance
respective. La mémoire est indispensable, mais elle doit rester une faculté
subordonnée au service de la raison, qui discerne des principes, et du juge-
ment, qui s’efforce d’évaluer correctement le réel en fonction d’eux. Dans
l’Émile, Rousseau propose une expérience intéressante. Il imagine un enfant
gravissant une montagne avec son précepteur pour voir le soleil se lever, et
il demande expressément que le maître ne parle pas mais laisse l’enfant
ressentir la beauté sublime du spectacle. Il ne s’agit pas de rejeter les mots,
mais de faire en sorte qu’ils ne précèdent pas les sentiments, afin que ceux-
ci ne soient pas d’emblée recouverts par une perception intellectuelle dont
l’enfant n’est pas encore capable. Il faut donc ici le laisser juger par lui-
même afin que les mots ne préjugent pas pour lui de ce qu’il voit. Par-delà
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leurs différences, Rousseau et Kant sont chacun attentifs à élever l’esprit
dans le but qu’il développe sa puissance. La culture doit remplacer l’igno-
rance et les faux savoirs.
[Transition]
L’éducation est-elle le remède pour venir à bout des préjugés ? Il nous
semble que ce processus est lui-même problématique.
3. Le statut du préjugé
A. Une nécessaire imperfection ?
Kant fait remarquer que l’homme est fait d’un bois si courbe qu’il est impos-
sible d’espérer y tailler quelque chose de tout à fait droit. Or cette
nécessaire imperfection de l’être humain a de lourdes conséquences sur la
question de l’éducation. L’éducateur ne peut être parfait puisqu’il fut lui-
même éduqué par une personne qui ne l’était pas non plus. Kant s’efforce
de déterminer les conditions d’un progrès permanent dans la lutte contre
les préjugés politiques, religieux et sociaux, mais il sait que ce processus
nous engage sur la voie d’un combat sans fin. Certes, cette entreprise n’est
pas insensée. Il est indispensable que l’ignorance recule pour que la bêtise
et la haine ne triomphent pas. Mais les préjugés ne semblent pouvoir être
que réduits, jamais totalement éliminés. La logique des États, le poids des
idéologies exprime des d’intérêts qui rendent très problématiques l’accès
de l’humanité à une véritable autonomie.
B. La place du présupposé
Mais ce qu’une collectivité ne peut faire est peut être possible à un individu
isolé. Dans les Méditations métaphysiques, Descartes se propose de
« commencer tout de nouveau depuis les fondements » afin de parvenir à
une vérité absolue dans les sciences. Descartes est conscient qu’il est
impossible de réfuter une à une toutes les opinions admises au cours de sa
vie sans vérification préalable. Les préjugés sont semblables à l’hydre de
Lerne, ce monstre dont les têtes se multipliaient au fur et à mesure qu’on
les tranchait. Ne faut-il pas alors procéder comme Hercule, qui la vainquit
en coupant toutes les têtes d’un seul coup ? En clair, une démarche qui
veut « en finir » doit être radicale, et donc prendre le problème à la racine.
La mise en œuvre d’un doute méthodique qui décompose l’origine de
toutes ses pensées permet à Descartes de parvenir à une vérité indubitable
qu’il saisit dans une intuition intellectuelle : « je suis, j’existe » ou « je pense,
donc je suis. » Tout est douteux excepté le fait d’être un sujet pensant.
Il semble que la radicalité cartésienne nous ouvre une voie. Terminons
cependant en notant que les préjugés occupent une place remarquable. Ils
sont le commencement inéluctable de toute pensée. Ne faut-il pas alors les
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considérer comme des présupposés inévitables ? Chacun ne peut
s’exercer sa raison qu’à partir de ce qu’on lui a inculqué. Dès lors, il est
possible de reconnaître aux préjugés un statut qui ne soit pas entièrement
négatif, pourvu qu’on sache les penser. Nous commençons toujours par
avoir des opinions sans pouvoir les fonder par nous-même. La conscience
rationnelle ne peut s’éveiller qu’à partir de son contraire, qui la précède tem-
porellement. L’essentiel est de lui donner l’occasion de cet éveil. C’est en
ce sens que Platon définit la philosophie comme « la fille de l’étonnement. »
S’étonner, c’est rompre le cours de nos pensées habituelles, irréfléchies, et
se disposer ainsi à chercher par soi-même, en s’instruisant, à découvrir la
valeur de ce que nous jugions vrai ou faux, juste ou injuste.
Conclusion
Il est nécessaire de critiquer les préjugés pour essayer de penser par soi-
même et d’être ainsi à la hauteur de notre statut d’être doté de raison. L’auto-
nomie du jugement est une valeur éminente qui demande des analyses
instruites. Toutefois, la réalisation de ce principe nous a fait voir le caractère
problématique, bien qu’indispensable, de l’éducation, ainsi que la complexité
du préjugé qui est aussi le présupposé de toute pensée qui le nie.
L’expression « en finir avec » reçoit donc un double sens. Nous dirons que
nous devons tâcher de dépasser nos préjugés, c’est-à-dire de les
comprendre. Mais leur élimination totale semble ne pas tenir compte de la
fonction nécessaire d’un présupposé. Même Descartes le reconnaît en écri-
vant que « nous avons été enfants avant que d’être hommes ». Le préjugé
nous rappelle ainsi la limitation de notre condition et le devoir de progresser.
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