Roméo et Juliette est ainsi la deuxième tragédie de Shakespeare, après Titus
Andronicus (env. 1592), une tragédie de vengeance particulièrement sanglante, et
avant Hamlet (1600-1601). Si Romeo et Juliette paraît bien éloignée de Titus
Andronicus, elle présente déjà certains traits que l’on retrouvera dans Hamlet
(notamment l’imagerie macabre des ossements et des corps en putréfaction), mais
c’est surtout – et cela n’est peut-être pas si paradoxal – avec les comédies
shakespeariennes écrites à la même époque que la pièce partage des points
communs, en particulier Le Songe d’une nuit d’été (A Midsummer Night’s Dream ) et
Les deux gentilshommes de Vérone (The Two Gentlemen of Verona). La première
s’ouvre sur un conflit de générations opposant une jeune fille à ses parents, qui
veulent la marier à un homme qu’elle n’a pas choisi. Elle se clôt sur une pièce dans
la pièce mettant en scène sur un mode burlesque l’histoire tragique de Pyrame et
Thisbé, tirée d’Ovide, qui se termine sur le double suicide des amants. La seconde,
sûrement un peu antérieure, se déroule partiellement dans la ville italienne de
Vérone, tandis que plusieurs scènes sont situées dans la forêt aux alentours de
Mantoue, où s’est réfugié l’un des deux gentilshommes après son bannissement de
Milan.
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Un avant et un après le théâtre
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L’histoire de Roméo et Juliette circulait déjà en Europe depuis plus d’un siècle
lorsque Shakespeare se l’appropria pour écrire une pièce de théâtre. C’était à
l’origine une novella italienne, l’un de ces récits rassemblés dans des recueils dont Le
Décaméron de Boccace offre l’exemple emblématique. Les novelle fournissaient
souvent leur matériau aux dramaturges élisabéthains, toujours à la recherche de
sujets pour leurs pièces. L’histoire de Roméo et Juliette, dont diverses variantes
figuraient dans plusieurs recueils, avait transité par la France avant d’arriver en
Angleterre sous la plume d’Arthur Brooke, auteur d’un poème narratif intitulé « The
Tragicall Historye of Romeus and Juliet », source directe de la tragédie de
Shakespeare. En 1476, lorsque naît à la littérature cette histoire puisant dans le
folklore, les amants s’appellent Mariotto et Gianozza et la ville est Sienne. C’est la
version de Luigi da Porto, publiée en 1530, qui établit les noms de Roméo et Juliette
(Romeo et Giuletta), des Montaigu et des Capulet (Montecchi et Capelletti), et qui
transfère l’action à Vérone. Les principales phases du récit sont également posées :
l’amour de Roméo pour une jeune fille qui le dédaigne, le bal et le coup de foudre
réciproque avec Juliette, l’échange amoureux au balcon de Juliette, le mariage
clandestin, le duel avec « Thebaldo » (Tybalt), l’exil à Mantoue, la décision des
parents de Juliette de la marier de force, sa fausse mort, le message non délivré et le
double suicide. Arthur Brooke, en 1562, traduira en fait une traduction française
d’une novella qui était elle-même une réécriture de l’histoire racontée par Da Porto.
Comme souvent dans sa pratique de l’écriture dramatique, Shakespeare n’est pas
l’inventeur de la trame ni des personnages de sa pièce. Mais, comme le souligne
Pascal Collin, auteur de la traduction employée pour le spectacle de David Bobée,
« pour cette histoire, il y a un avant et un après le théâtre ». En adaptant le matériau
narratif au théâtre, Shakespeare lui a donné une intensité poétique et émotionnelle
d’une ampleur inédite.